CATECHISME

du

PARFAIT MOUTON

Cet ouvrage philosophique d’André Lorulot, toujours d’actualité et depuis longtemps épuisé, est réédité par le groupe Francisco FERRER d’Evry avec l’aimable collaboration du vieil «anar» COSTA, de Linda et de son copain Rico.

PETITS BREVIAIRES PHILOSOPHIQUES

André LORULOT

CATECHISME

du

Parfait Mouton

L’IDEE LIBRE, HERBLAY (S. & O.)

Le présent «catéchisme» a été tiré

à quatre cents exemplaires, numérotés

de 1 à 400.

N° 00204

Montesquieu devait certainement penser au Parfait Mouton quand il décrivait certaines créatures passives qui «ont un esprit qui n’ose sentir, des yeux qui n’osent voir, des oreilles qui n’osent entendre. »

Définition du Parfait Mouton

- Etes-vous un bon mouton ?

J’ai l’orgueil d’être un Mouton Parfait.

- Quels sont les principes du vrai Mouton ?

Ce sont les principes de la Sainte Trinité Sociale : Je crois à l’Autorité ; je crois à la Routine ; je crois à l’Imitation.

- Sur quoi ces principes sont-ils basés ?

Ils sont basés sur l’Obéissance et la Soumission.

- Comment dirigez-vous votre conduite ?

J’exécute les ordres qui me sont donnés, sans les discuter

ni même les examiner. J’observe pieusement les traditions de mes Ancêtres et les habitudes de mon entourage ; je fais ce qu’on a toujours fait ; je copie ce que font les autres.

- Pourquoi le Mouton a-t-il été créé ?

Pour être tondu. Il ne saurait exister pour le Mouton de satisfaction plus grande que celle qui consiste à être tondu très souvent. Tous les sacrifices et tous les renoncements sont agréables au cœur du Mouton.

Du chef et de l’Autorité

- Comment êtes-vous devenu un Parfait Mouton ?

Je n’ai eu aucun effort à fournir. Il m’a suffit au contraire de m’abandonner avec une complète inertie.

- A quoi faut-il s’abandonner ?

A l’autorité de nos chefs.

- Quels sont donc vos chefs ?

Nous ne les choisissons pas, ils s’imposent.

- Pourquoi les laissez-vous donc s’imposer ?

Parce que nous craignons de faire des efforts et d’engager une lutte, au cours de laquelle nous serions certainement vaincus, puisque nous sommes des Moutons.

- Quels sentiments éprouvez-vous à l’égard de vos Chefs ?

Des sentiments de crainte et d’admiration, parce qu’ils sont plus forts et plus volontaires que nous.

- N’avez-vous jamais désiré devenir vous-même un Chef, afin d’exercer le commandement ?

Je suis un Mouton trop Parfait pour me griser de semblables chimères. Je suis né pour être Mouton et je le resterai.

- Vous ne souffrez donc pas de votre situation ?

Pourquoi en souffrirai-je, puisqu’elle correspond, d’une façon parfaite, à mon état d’esprit, à ma conception de la vie ; je dirai même à mon tempérament physiologique…

Un bon Mouton ne doit avoir aucune idée personnelle. Il est même préférable qu’il n’ait pas d’idée du tout…

- Le Mouton a-t-il le droit de changer de Chef ?

Oui, à condition que ce changement lui soit imposé par une contrainte extérieure. En aucun cas, il ne doit se permettre d’en changer lui-même. Si on lui impose un changement d’autorité, il doit se soumettre docilement et se ranger du côté du plus fort. Un bon Mouton doit bêler : « Vive Poincaré ! », « Vive Maurras ! », « Vive Blum ! » avec autant d’entrain que « Vive le Pape ! » ou « Vive Weygand », si on lui commande.

Antiquité de l’esprit Moutonnier

- L’esprit Moutonnier est donc très ancien ?

Il remonte aux premiers temps de l’Histoire…et même beaucoup plus haut. Nos premiers et très lointains ancêtres étaient déjà des Moutons ! !

L’Homme ne descend donc pas du Singe, mais du Mouton.

- Donnez des renseignements à ce sujet.

Les premiers Hommes étaient des Moutons plus parfaits que ceux d’aujourd’hui, car l’esprit moutonnier a malheureusement tendance à s’affaiblir et à perdre du terrain.

Le clan primitif n’aurait pu se maintenir si les liens qui unissaient nos sauvages précurseurs n’avaient été solidement cimentés. La tribu vivait dans une discipline sévère ; ses membres obéissaient à un chef implacable, qui possédait sur eux le droit de vie et de mort. Au sein même de la famille, le père avait également le droit de tuer sa femme et ses enfants, lorsque bon lui semblait.

La religion de ces hommes, fort voisine encore de la sorcellerie, exerçait sur leurs actions un contrôle de tous les instants. Le moindre manquement, la plus légère violation des règles communes, entraînait le massacre immédiat du réfractaire.

- Cet état d’esprit s’est-il perpétué dans les sociétés civilisées ?

Ce qu’on appelle Civilisation ne peut manquer d’amoindrir la servilité des sujets, car le progrès des connaissances humaines rend l’individu moins facile à domestiquer. Les dirigeants sont obligés de faire davantage de concessions quand les masses sont trop éclairées. Mais notre principe reste inattaquable et l’on y revient toujours : les sociétés les plus autoritaires sont également les plus durables.

Puissance de l’Eglise

- Fournissez des exemples de groupements autoritaires dont l’existence est ancienne.

Celui de l’église catholique est bien connu.

Assise sur une hiérarchie absolutiste, obéissant à un Chef qui s’attribue le privilège de l’Infaillibilité dogmatique afin de mieux régenter son troupeau, cette église offre une armature aussi solide que celle des tribus les plus barbares ou des plus terribles royautés de droit divin.

- A quoi attribuez-vous cette solidité de l’église catholique ?

A l’application du principe : « Il faut se soumettre ou disparaître ».

Nul n’a le droit de murmurer ou de bouger sans ordre. Toute résistance est inutile et vaincue d’avance.

- Dans ces conditions, la religion catholique n’est-elle pas la plus forte de toutes les religions ?

Il faut dire plutôt qu’elle est la plus forte de toutes les Eglises. Car sa puissance ne vient pas de la Foi de ses adhérents (laquelle est souvent superficielle, routinière et presque machinale) ; elle vient de son organisation matérielle, de sa souplesse politique, de sa rigoureuse discipline.

L’Autorité des Maîtres est d’autant plus forte que la Crédulité de la Masse est plus grande.

La religion est indispensable au Mouton

- La religion est-elle inférieure à la Raison ?

Bien au contraire. Les croyances religieuses appartiennent au domaine surnaturel, qui est inaccessible à la Raison. Un croyant est un homme de Foi.

- Qu’est-ce que la Foi ?

La Foi consiste à croire ce qui nous est enseigné, sans essayer de le comprendre.

- Ce système est-il efficace ?

Il est le seul efficace. Sans la Foi aveugle, toutes les

religions s’effondreraient bien vite, car les cerveaux seraient troublés et dévoyés par un terrible Démon.

- Comment s’appelle-t-il ?

Il se nomme l’Esprit Critique. Quand on le laisse s’insinuer dans les intelligences, il dissocie, désagrège et renverse les croyances les plus anciennes. Aussi la Foi doit-elle être totale, irréductible.

Il en existe, en effet, plus de huit cents.

- Pourquoi cela ?

Parce que les Maîtres se font concurrence entre eux. Ils se disputent le droit d’enseigner et de conduire les Moutons.

- Quelle est la meilleure religion ?

Pour un bon Mouton, cette question ne doit pas se poser.

Nous devons conserver la Religion qui nous a été enseignée, celle dans laquelle nous avons été élevés. Né dans une famille catholique, je dois, par conséquent, demeurer catholique (d’autant plus que cette religion est essentiellement autoritaire et moutonnière). Si j’étais né dans une autre Religion, j’y serais docilement resté.

- Et si vous étiez né dans une famille d’athées ?

L’hypothèse est absurde. On ne peut être, à la fois, Mouton et athée.

- Comment expliquez-vous cette incompatibilité ?

L’athée prétend que Dieu n’existe pas. Or Dieu est le Maître souverain de l’Univers. Les Rois et les Bergers de la Terre ne sont que l’image, la représentation, la délégation, en quelque sorte, de Dieu lui-même. Quand nous obéissons à nos Chefs, nous avons conscience d’obéir indirectement à Dieu.

Si vous abolissiez celui-ci, tout l’édifice de l’Autorité se trouverait ébranlé et menacé.

- Beaucoup d’athées ne sont-ils pas des gens sincères, et même des philosophes, des savants ?

La chose est malheureusement certaine. Lorsque les gens instruits ont perdu l’esprit Moutonnier (ce qui leur arrive plus facilement qu’aux ignorants) ils sont amenés à nier l’existence de Dieu – d’autant plus que nous n’avons aucune preuve formelle et irréfutable de cette existence.

- Le nombre de croyants est très grand encore, cependant ?

Parce que la croyance en Dieu est d’ordre surnaturel, qu’elle échappe à l’entendement et ne nécessite aucune étude, aucune réflexion.

L’athée, en recherchant la cause des phénomènes, est conduit à faire de multiples investigations, des expériences variées, des efforts continuels.

Tandis qu’il suffit au croyant d’invoquer l ‘action de son Dieu pour tout expliquer. Devant un phénomène qu’il ne comprend pas, il se contentera de dire : « C’est Dieu qui l’a fait ! C’est Dieu qui la voulu ! »

- Le Croyant n’est-il jamais gêné par son ignorance ?

Nous proclamons alors que les desseins de Dieu sont impénétrables. S’il nous arrive de ne rien comprendre, nous nous inclinons quand même et nous adorons la main qui nous frappe. C’est pourquoi la Religion est la meilleure école du Mouton.

De la résignation

- Quelle est la vertu la plus moutonnière de la Religion ?

C’est la Résignation.

- En quoi consiste-t-elle ?

La résignation est l’art qui nous enseigne la pratique du renoncement à un bonheur terrestre immédiat en vue d’obtenir un bonheur beaucoup plus considérable…mais… beaucoup plus éloigné !

- Quel est ce bonheur éloigné ?

C’est la Félicité éternelle, promise et réservée aux seuls Moutons qui auront été parfaitement sages au cours de

leur vie, qui auront accepté avec la plus grande soumission les tracasseries de leurs supérieurs et qui auront subi leur sort (fut-il très douloureux), non seulement avec une grande patience, mais avec grande reconnaissance, toutes les " épreuves" envoyées par l’Eternel.

- En quoi consistera cette Félicité éternelle ?

Après la Mort, les âmes des bienheureux Moutons continueront à vivre d’une vie « immatérielle » ; elles seront alors accueillies dans un séjour particulièrement agréable.

- Comment se nomme cet endroit délicieux ?

Les religions lui ont donné le nom de Paradis. On y goûte d’ineffables plaisirs et, pendant l’éternité, les bienheureux sont admis à contempler la gloire éblouissante de Dieu.

- Une perspective aussi radieuse suffit-elle à maintenir les Moutons dans la voie du Devoir ?

Non. Mais les religions possèdent un moyen de gouvernement plus efficace encore.

- De quoi s’agit-il ?

De l’Enfer.

- Qu’est-ce que l’Enfer ?

C’est un lieu effrayant, dans lequel sont précipitées les âmes des Moutons indociles et de tous ceux qui ont péché contre le Devoir ou la Vertu.

Des supplices horribles sont infligés à ces réprouvés, sans qu’ils aient l’espoir de les voir jamais prendre fin, car ces peines épouvantables seront éternelles.

- Quelles preuves possèdent-on de l’existence de l’Enfer et du Paradis ?

Aucune. Mais le Mouton n’a pas besoin qu’on lui fournisse la moindre preuve : il a une confiance absolue en la parole infaillible et sacrée de Notre Sainte Mère l’Eglise.

- L’horrible image de l’Enfer suffit-elle à maintenir les Moutons dans l’obéissance ?

Lorsque la Foi était plus vive et plus profonde, la peur de l’Enfer constituait un merveilleux moyen de gouvernement, le meilleur assurément qui n'ait jamais existé. Malheureusement, il n’en est plus ainsi aujourd’hui et les sanctions religieuses et divines effraient de moins en moins l’esprit des multitudes, bien que leur éducation soit très incomplète encore.

Pour fortifier la Foi

- Puisque la Foi est une chose aussi précieuse, existe-t-il des moyens de la consolider, de la développer ?

Il faut d’abord éviter de rechercher le « pourquoi » des

choses et il faut soumettre notre esprit, avec une docilité absolue. Si le moindre doute essaie de s’insinuer en nous, concernant la valeur des Dogmes qui nous sont enseignés, nous devons le repousser avec force, refusant même de l’examiner.

La plus légère fissure dans l’édifice de notre croyance pourrait s’élargir, sous l’influence de notre réflexion, et devenir une dangereuse lézarde…

Adoptons les idées qui nous sont imposés par nos Chefs et gardons-nous bien d’y toucher, sous aucun prétexte. Détournons-nous avec horreur de tous ceux qui essaieraient de nous entraîner dans une voie aussi pernicieuse.

- Pascal n’a-t-il pas indiqué un système destiné à fortifier la Foi ?

Pascal conseille aux personnes dont la Croyance est ébranlée ou affaiblie par le Doute, de continuer à pratiquer, comme si leur Foi était demeurée intégrale.

Il faut, dit-il, faire exactement les mêmes gestes que précédemment ; il faut assister aux cérémonies d’une façon scrupuleuse, il faut prier longuement, se confesser, communier, etc…

En faisant les gestes de la Foi, en répétant cent fois, mille fois les paroles qui affirment la Croyance, on parvient, à la longue, à fortifier celle-ci.

- C’est de l’autosuggestion. Mais la formule de Pascal n’est-elle pas devenue célèbre et n’est-elle pas très fréquemment invoquée ?

« Abêtissez-vous ! » a dit Pascal. Mais cette phrase est souvent citée dans un esprit de dénigrement.

- Qu’a-t-il donc voulu dire ?

Pascal a voulu dire que la pratique automatique de la Prière et du Cérémonial, ne faisant nullement appel au concours de l’intelligence, était de nature à étouffer le

doute, l’esprit critique, le désir d’expérimenter et de comprendre. Cette pratique crée ainsi une atmosphère propice au renoncement intellectuel et au triomphe du Mysticisme.

- Les Moutons suivent-ils le conseil de Pascal ?

Bien avant Pascal, tous les Moutons, et dans tous les pays, ont toujours mis en application la sage méthode qu’il conseillait d’employer. Il convient d’ajouter que le recours à cette méthode est bien souvent superflue pour eux. Ils n’ont nullement besoin de s’abêtir : leur soumission cérébrale est complète.

Importance du Militarisme

- L’Autorité est-elle désarmée quand la Foi religieuse vient à faiblir ?

Lorsque les masses refusent de se résigner à leur sort et qu’elles résistent aux sanctions surnaturelles trop lointaines…nos Chefs n’hésitent pas à appliquer des sanctions d’un caractère plus matériel et plus immédiat. A ces sanctions nul ne peut se soustraire.

- Qui donc applique ses sanctions ?

C’est l’armée, qui constitue l’appui le plus solide de l’Etat et de la Propriété, avec la Police, la Gendarmerie et les tribunaux.

- Le Militarisme est donc le complément nécessaire de la Religion ?

Loin de l’exclure ou de se contredire, l’action de ces deux institutions doit en effet s’associer, car elles poursuivent le même but, avec des moyens particuliers.

- Quels sont les moyens propres au Militarisme ?

D’abord, l’obéissance la plus stricte, la plus totale, la plus aveugle ; une discipline de fer ; un esprit d’abnégation illimité, imposés aux soldats par leurs supérieurs.

- Comment les Moutons sont-ils maintenus dans cet état d’esprit ?

Par la crainte et par l’emploi de sanctions brutales. La prison, la peine de mort frappent impitoyablement les rares individus qui essaient de résister aux ordres de la hiérarchie. Les Moutons sont ainsi embrigadés solidement et leurs Chefs peuvent les manœuvrer à leur gré.

- Un bon soldat doit-il être un bon Mouton ?

Le Mouton le plus docile fera le soldat le plus parfait.

- Le métier militaire demande beaucoup de courage et d’abnégation. Ce sont des vertus que l’on doit trouver plutôt chez les hommes libres ?

Les hommes libres ont malheureusement le tort de raisonner et de discuter. Le Mouton fera toujours un meilleur soldat, précisément parce qu’il ne réfléchit pas et ne discute jamais. Obéissant aveuglément aux ordres de ses chefs, il montrera autant d’héroïsme et de dévouement que ses Supérieurs lui ordonneront d’en avoir.

- Ne peut-il arriver que les chefs se trompent, qu’ils ne soient pas dignes des lourdes responsabilités qui leur incombent ?

Ce sont là des questions qu’un bon Mouton ne doit jamais se poser.

- Les erreurs du Chef peuvent avoir, cependant, de graves conséquences; elles peuvent aboutir, par exemple, au massacre d’une multitude de Moutons ?

Le Mouton doit savoir mourir sans se plaindre.

- Même lorsque sa mort est inutile ?

La mort d’un Mouton n’est jamais inutile, car elle permet à l’Autorité de se fortifier et à l’ordre social de durer.

- A quoi sert l’armée ?

A défendre les Riches contre les Pauvres, à veiller sur les fortunes et les privilèges, à juguler les révoltes éventuelles, en cas de grève ou d’insurrection. Grâce à l’armée, tout reste en place dans la Société et l’Ordre capitaliste est à l’abri de toute menace.

- Parlez aussi du rôle international de l’Armée.

Elle sert à faire la Guerre entre les Nations, lorsque les dirigeants ont des querelles à régler et surtout lorsque des conflits d’intérêt opposent les capitalistes des différents pays.

- Les Moutons ont-ils avantage à prendre parti dans ces conflits et à collaborer à ces guerres ?

Nos Chefs ne sont jamais à court d’arguments pour nous le démontrer. Et ces arguments sont si nombreux, si péremptoires, qu’aucun Mouton ne songe à refuser son concours. Tous les Moutons sans exception sont prêts, à chaque instant, à verser leur sang pour la défense de la Patrie.

- Comment l’esprit patriotique est-il développé chez les Moutons ?

Par une éducation très soignée, qui consiste à exalter l’amour du pays natal, en glorifiant les qualités exceptionnelles de la Race, les merveilleux exploits des

Ancêtres et en rabaissant, en calomniant la patrie des Moutons des autres pays.

On inculque aussi au Mouton l’amour des galons, des médailles, des décorations. On le stimule à l’aide de musique militaire, des fanfares de clairon et de tambours…

- En dehors du chauvinisme Moutonnier, existe-t-il d’autres patriotes ?

Assurément, la plupart des démocrates s’imaginent aimer leur pays, mais ils ne sont jamais des patriotes aussi zélés que les Moutons. Ils refusent de détester les étrangers, ils rêvent de paix universelle et de collaboration internationale et, par toutes ces chimères, ils diminuent la puissance de l’impérialisme national.

La femme et l’esprit Moutonnier

- Les femmes sont-elles favorables à l’esprit Moutonnier ?

Elles l’assimilent et l’observent mieux que les hommes. Les qualités qui caractérisent le parfait Mouton se développent chez la femme d’une façon extraordinaire.

- A quoi tient cette supériorité « moutonnière » de la femme ?

A son tempérament. Etant plus faible que l’homme, elle craint davantage l’Autorité. Elle aime à être dirigée et dominée. Certaines femmes poussent très loin l’amour…de la cravache. Les mauvais traitements imposés par leur Maître semblent leur procurer parfois

une véritable jouissance. Aussi les femmes sont-elles bien éloignées, à part quelques exceptions, de vouloir s’émanciper.

- Les institutions autoritaires doivent-elles être chaudement défendues par les femmes ?

Elles sont effectivement très militaristes, très cléricales et très conservatrices.

Loin de pousser l’homme à se libérer, la femme l’exhorte au contraire à se résigner, à se soumettre, à accepter les pires vexations. Elle croit fermement que la Société est parfaite et ne pourra jamais être transformée. « Il y aura toujours des Riches et des Pauvres, dit-elle, des Maîtres et des Esclaves, des Exploiteurs et des Exploités, des gens qui commandent et d’autres qui obéissent ».

La Femme est misonéiste ; elle a horreur du changement. Elle ne croit pas au progrès.

- Vous avez dit que la Femme était militariste. Sa nature ne la porte-t-elle pas plutôt vers la douceur et la bonté, et non vers la violence ?

La mentalité féminine ressemble beaucoup à celle de l’enfant. Elle subit le prestige de l’uniforme, de beaux képis, des galons et des décorations. Voilà ce qui la subjugue. Elle aime le brillant officier comme elle aime le boxeur, le chanteur langoureux, le toréador, l’aviateur, ou le souteneur à face bestiale, tandis qu’elle dédaigne ou méprise le penseur, le savant ou le philosophe. Il lui faut du panache et du biceps, deux choses qui s’accordent parfaitement avec le vide du cerveau. Aussi les femmes sont elles fières de parader au bras d’un mâle banal ou stupide, dès l’instant que son torse est moulé dans un dolmen impeccable ou que son crâne d’oiseau vantard est surmonté d’une casquette aux rutilantes dorures.

- Voilà qui est rassurant. Dites-moi quelle fut la conduite de la femme pendant la guerre ?

Héroïquement moutonnière, c’est à dire « jusqu’au boutiste », acharnée contre l’ennemi, irréductible dans son patriotisme borné, vigilante à applaudir toutes les excitations des gouvernants.

- Dans quel domaine les aptitudes moutonnières de la Femme peuvent-elles se manifester le plus largement ?

C’est dans le domaine de la Mode que l’esprit Moutonnier s’affirme le mieux.

- Pourquoi en est-il ainsi ?

Parce que la Femme est avant tout dominée par le désir de paraître ; elle vit pour la galerie. N’ayant guère de vie

intérieure, sa préoccupation essentielle consiste à briller, à être admirée. Elle tient compte, avant tout, de l’opinion des autres, et c’est cela qui caractérise le parfait Mouton.

- Le sexe masculin ne se laisse-t-il pas, lui aussi, gouverner par la Mode ?

Assurément, mais à un moindre degré. Pour la Femme, le souci de ses vêtements, de ses chapeaux, manteaux, chaussures, bijoux, fourrures et falbalas variés, absorbe au moins les trois-quarts de son activité.

- Existe-t-il des personnes capables de s’affranchir du joug de la mode ?

Elles sont très rares, car tous les individus sont, plus ou moins, soumis aux coutumes de leur milieu, aux variations, si peu raisonnables soient-elles, du goût collectif. Ceux qui prétendent s’en affranchir, en suivant

leurs penchants personnels, s’exposent aux moqueries et aux critiques de leur entourage et ils se rendent ridicules. On les considère comme de mauvais citoyens, car ils manifestent un état d’esprit pernicieux pour la Société.

De la vie personnelle du Mouton

- Etes-vous heureux ?

La vie du Mouton est beaucoup plus agréable que ne le supposent les esprits forts.

Nous n’avons aucun souci à nous faire. Il nous suffit, comme je vous l’ai déjà dit, d’exécuter les ordres qui nous sont donnés.

- Parlez de votre vie Personnelle.

Le Mouton n’a pas d’autres satisfactions que les satisfactions collectives.

- Quelles sont les distractions du bon Mouton ?

Toutes celles qu’il peut partager avec les autres Moutons. L’Individu ne vaut que par la Société, et n’existe que pour elle.

- Certains prétendent que l’Individu a le droit de vivre pour lui-même.

Il ne faut pas les écouter. Ce sont des personnages subversifs et destructeurs de toute Morale et de toute Civilisation. L’Individu doit vivre uniquement pour la Société. L’esprit moutonnier doit être considéré comme le fondement de toutes nos institutions.

- Pensez-vous que l’esprit moutonnier puisse être remplacé par d’autres principes ou par un autre idéal ?

Cela est impossible. Rien de durable et de grand ne s’est fait dans le monde que par la Discipline aveugle. L’Individualisme, voilà l’ennemi !

Guerre à l’Individualisme !

- Pourquoi condamnez-vous l’Individualisme ?

Parce qu’il est l’ennemi de l’Autorité, contre laquelle il ne cesse de protester, l’accusant d’être trop pénible à supporter pour son orgueil.

Il déteste l’Etat, qu’il trouve tracassier ; il exècre également le Patronat, qu’il qualifie d’exploiteur ; il combat toutes les institutions sociales, sous prétexte qu’elles limitent ou réglemente sa liberté.

- L’opposition entre l’Individualiste et l’Etat est-elle irréductible ?

Elle s’atténue lorsque l’Etat devient plus libéral et que ses lois sont plus souples, mais l’antagonisme subsiste et

subsistera toujours, non seulement entre l’Individualiste et la Société elle-même, étant donné qu’il se montre réfractaire à la volonté collective, qu’il répugne à marcher au pas avec les autres, à agir en toutes circonstances « comme les autres », à se laisser amoindrir et régenter, ainsi que le font, avec tant de complaisance, tous les vrais et bons Moutons.

- Citez les noms des personnages célèbres qui ont fait le plus grand tort à l’esprit moutonnier.

On cite ordinairement les noms des théoriciens les plus outranciers de l’Individualisme : Spencer, Stirner, Nietzsche, Palante, Rémy de Gourmont, Han Ryner, etc.

Mais ils ne sont pas les seuls coupables ; peut-être même ne sont-ils pas les plus dangereux.

- Quels sont donc les plus dangereux ?

Ce sont tous ceux qui ont préparé le terrain, en affaiblissant les résistances de « l’âme grégaire » ?

C’est l’esprit du troupeau, le renoncement à soi-même, la soumission au groupement, à la masse, à la société, à toutes les disciplines collectives.

- Les ennemis de l’esprit grégaire ont-ils été nombreux ?

Beaucoup trop nombreux. Dans l’Antiquité, ils pullulaient déjà, surtout en Grèce, où Diogène, Epictète et beaucoup d’autres avaient répandu leurs sophismes. Même pendant le dur Moyen-Age, il y eut des hérétiques et des indomptés, que l’on traquait et brûlait tout vivants, sans parvenir à les extirper complètement.

C’est l’esprit individualiste qui engendra la guerre des Albigeois, le schisme des Cathares, les révoltes de Luther, de Calvin, de Knox, de tous les apôtres du protestantisme et, plus tard, du Libre-Examen.

J’accuse aussi les savants, tels que Galilée, osant opposer le résultat de leurs travaux aux saintes traditions séculairement respectées.

J’accuse Voltaire et son ironie, Jean-Jacques Rousseau et son amour de la méditation personnelle. J’accuse Diderot-le-démolisseur, Victor Hugo-l’humanitaire, Anatole France-le-sceptique et Zola-le-réaliste… et des milliers d’autres penseurs, artistes, écrivains, hommes politiques…

- Que leur reprochez-vous ?

De passer au crible de leur critique tout ce qui a été dit, tout ce qui a été fait avant eux. Je leur reproche de donner aux peuples le désir d’une indépendance funeste, d’une égalité irréalisable, d’une liberté qui dégénère nécessairement en désordre. Par tous les moyens, ils incitent les malheureux à ne pas se contenter du sort qui leur est fait dans la Société ; Ils les poussent à regarder plus haut, à s’élever et à s’affranchir.

Du Mouton, cette solide réalité sociale, ils s’efforcent de faire un citoyen libre et conscient, c’est à dire une chimère.

Des partis politiques

- Un bon Mouton peut-il être membre d’un parti politique ?

Le Mouton possède toutes les qualités requises pour devenir un adhérent plein de zèle et de docilité.

- Que doit faire le Mouton lorsqu’il adhère à un parti politique ?

Il doit suivre avec empressement toutes les directives qui lui sont données, quelles qu’elles soient. Il ne doit contrarier en rien l’action des dirigeants du Parti. Il doit assister à toutes les réunions et à tous les Congrès.

- Quelle est l’attitude du Mouton dans un congrès politique ?

Il applaudit vigoureusement tous les discours prononcés par les Chefs du Parti et il siffle, plus vigoureusement encore, les discours de ceux qui se permettent de les critiquer.

Mais, dans un Parti bien organisé, toute contradiction doit être rendue impossible et le Mouton doit pouvoir voter sans hésitation toutes les résolutions qui lui sont proposées.

- Le Mouton a-t-il d’autres devoirs à remplir ?

Il paye régulièrement sa cotisation ; il répond aux appels qui lui sont adressés (en période électorale surtout) afin

de combattre les autres partis. Il lit et il approuve tout ce qui est imprimé dans le journal de son Parti ; il se garde bien de lire, sous aucun prétexte, les journaux des autres partis.

- Quelle propagande le Mouton doit-il faire en faveur de son Parti ?

Il doit affirmer que son Parti est le meilleur de tous les Partis ; que ses chefs sont les seuls honnêtes, les seuls sincères, intelligents et compétents. Il proclame hautement que les autres partis ne valent rien et sont dirigés par des vendus, des arrivistes ou des crétins.

Je me résumerai donc en disant qu’il n’y a, pour le Mouton, aucun progrès possible en dehors de son Parti. De même qu’il n’y a de salut pour lui que dans le respect de sa Religion et l’obéissance à ses Chefs…

Imp. Idée Libre, Herblay (S. et O.)