« La presqu’île au nucléaire »1, un bout d’Europe s’enfonçant dans la mer de la Manche, une terre d’ajoncs et de bocage, repliée sur elle-même par les vents violents qui la balaient. Les corps s’acharnent à vivre là où d’autres se pendraient. Ici, la pierre des fermes enfoncées dans la terre, avec au loin Cherbourg, la cité dont on ne s’échappe que par la mer (la ville est surplombée par la montagne du Roule imposante).Là, les arbres se tordent de douleur. Au coin d’un chemin creux, un mastodonte : l’usine.

Comme ces pays rendus rudes par le soleil, La Hague est rendue rude par son climat, bourrasque et pluie, par son caractère granitique. L’ancien et le moderne se côtoient : piscines, ports de plaisance et ferme de granite. Mais tous ils sont enrobés des mêmes lumières pâles ou sombres. Ici la mer ravage, la terre demeure sauvage malgré ceux qui cherchent à la domestiquer.

Le risque nucléaire n’existe pas, je le sais, je l’ai vécu2. Je suis né dans une presqu’île nucléarisée, l’atome aux quatre coins de mon paysage. Au nord, le centre de retraitement de déchets radioactifs de La Hague bâti à partir de 1962. Au nord-est, l’arsenal de Cherbourg où sont construits des sous-marins atomiques de la force de frappe française. A l’ouest, au large, en mer, la fosse des Casquets qui abrite des déchets radioactifs immergés, il y a de cela quelques années, par le gouvernement britannique, comme la législation le permettait encore à l’époque. Enfin, en même temps que moi, naissait sur le cap de Flamanville, à quelques kilomètres du lieu où habitaient mes parents, une centrale nucléaire3.

Au centre du triangle nucléaire4, j’étais devenu par hasard et en toute ignorance le cobaye d’une expérience qui me dépassait.

L’atome est arrivé en même temps que moi sur le cap de Flamanville5. Le granit de la falaise a été dynamité pour laisser place au béton dont étaient faites les cathédrales modernes, dédiées au Dieu électron, Dieu qui offrait le confort moderne à ses administrés. Les paysages ont fini de changer lorsque progressivement routes, installations et cités flambant neuves ont poussé à l’abri des murets de pierre et des haies du bocage. L’atome a en quelques décennies pris la place d’une agriculture en déclin, et une société a fini de disparaître en se modernisant.

Pendant quelques années la contestation s’organise autour du CCPAH (comité contre la pollution dans La Hague), du CRILAN (comité régional d’information et de lutte antinucléaire) et syndicalement de la CFDT6. De nombreuses manifestations réunissent plusieurs milliers d’opposants, brassant des populations hétérogènes. Une solidarité de lutte s’organise autour des occupations de sites, des fêtes et des discussions.

Il faut dire que le nucléaire, ici comme ailleurs, s’était imposé sans réelle concertation. C’est par la presse en 1962 que les habitants apprennent l’implantation de l’usine de La Hague, sans autre précision. A cette époque, les budgets du nucléaire considérés comme sensibles du point de vue militaire sont votés au Parlement sans droit de regard ; et comme le soulignait Pierre Guillaumat, ancien responsable du CEA (Commissariat à l’Energie Atomique), « Vous présentez un texte au Parlement si vous avez besoin du Parlement (…) Mais nous n’avions pas besoin du Parlement »7 . Ainsi, le nucléaire se construit en secret autour d’une élite savante ; et en Cotentin, les élus sont traités dans un premier temps à l’identique. lors de l’annonce publique de la décision d’implanter un centre de retraitement de déchets radioactifs à La Hague, on les convoque en urgence, après les avoir tout d’abord maladroitement – et symptomatiquement – oubliés. Les populations quant à elles apprendront la nouvelle par la presse.

Et puis la contestation que je vivais alors au quotidien, s’est estompée au début des années 80, le silence se substituant à la contestation. La Hague vécut alors le mot absent, au rythme des affirmations expertes et des compensations offertes. L’accident nucléaire majeur et la question des risques liés à l’industrie devinrent progressivement tabous. C’est un peu plus tard que, pour la première fois, j’ai eu envie de dépasser ce silence. Entre temps, Tchernobyl avait eu lieu, révélant de façon symptomatique, et la catastrophe nucléaire, et son ampleur inimaginable, et enfin le mensonge organisé des autorités nucléaires.

Indubitablement, la catastrophe a annoncé le doute. Avec les révélations de l’épidémiologiste Jean-François Viel, relevant un excès statistiquement non-significatif de leucémies infantiles autour de La Hague se brise le tabou de l’incertitude8. La cacophonie a pris le pas sur le silence et les prix Nobel se sont intéressés à notre cas9. Nous avons alors atteint un niveau de rayonnement que seule l’énergie nucléaire pouvait nous conférer. La crise a atteint son niveau de violence ultime lors de la venue du très médiatique Daniel Cohn-Bendit, alors en campagne électorale, à l’usine de La Hague en janvier 1999, visite très mouvementée qui voit le leader écologiste être raccompagné, ironie de l’histoire par une escorte de gendarmes mobiles après que des travailleurs du nucléaire et des élus d’une part, des chasseurs d’autre part (certains cumulant plusieurs casquettes) – sans oublier quelques nervis s’exerçant au salut nazi - l’eurent « fort mal accueilli ».

Pourtant, l’expérience nucléaire de masse avait débuté bien plus tôt. Et je ne le savais pas véritablement ; ma conscience en était singulièrement restreinte. Ma perception du risque nucléaire demeurait confinée dans ma propre épreuve personnelle de milieu10, ancrée dans ma propre quotidienneté. L’expérience s’est progressivement reconstituée et se reconstitue toujours. Ce que mon quotidien avait de plus banal est devenu une histoire sociale avec son sens propre et sa texture nouvelle. Mon épreuve personnelle de milieu et celles des autres habitants du Cotentin ont laissé place à des enjeux collectifs de structures sociales11.

Cependant, la « mésaventure » nucléaire avait débuté depuis de nombreuses années. La destruction par la bombe américaine de la ville japonaise d’Hiroshima en 1945, fut la première expérience nucléaire de masse. Des êtres humains y furent de manière rationalisée, transformés en matière humaine en fusion… matière humaine condamnée en toute impuissance à devenir cobaye, et ce, tant pour les besoins de l’expérience que pour l’affirmation de la puissance de l’armement américain.12

Plus tôt, l’Etat nazi et son mouvement de masse organisaient la transformation rationalisée d’autres êtres humains (peuple juif, francs-maçons et tziganes rendus responsables, en tant que figures de bouc-émissaire, de ce qu’un produit social, le capitalisme, et l’imaginaire social historique qu’il charrie, ont engendré comme maux ; et contestataires pouvant remettre en cause le mouvement) en une matière, ressource humaine13 qui travaillait à sa propre extermination, tant physique qu’humaine. De ces corps transformés en matière, on faisait des savons…

L’expérience nazie constituait un moment, moment particulièrement abominable, d’un univers historique, liant la technique et la science à un mouvement historique, considéré comme inéluctable, niant l’humanité de l’homme, le transformant en objet manufacturable (homme nouveau) ou en corps étranger. Des « races »14 furent éliminées au nom d’une science qui ailleurs, avec des accents bien différents, organisait la dictature du prolétariat. Ces mouvements s’appuyaient sur un discours idéologique légitimé par une rhétorique pseudo-scientifique, rhétorique dépassant la confrontation et l’humanité de l’homme devenues imaginairement accessoires.

L’ère nucléaire, quant à elle, prétendait organiser le bonheur du plus grand nombre, assurer la sécurité des populations, et son confort matériel ; et produisait dans ce mouvement Hiroshima et Tchernobyl… autour d’un corps d’experts, les nucléocrates, monopolisant le savoir savant relatif à leur découverte rendue apparemment nécessaire ; et monopolisant par là même, dans ce domaine, le pouvoir. Ces spécialistes, au nom de ce mouvement devenu imaginairement inéluctable, produisaient l’univers nucléaire… techniciens non comptables des morts statistiques, victimes de leur expérience de masse15.

A Hiroshima comme à Tchernobyl16, il semble bien que ce soient les besoins de l’expérience qui aient produit la catastrophe. Finalement le monde est devenu le champ de l’expérience, le laboratoire s’est imperceptiblement déplacé in vivo. Une nouvelle expérience de masse s’est manifestée il y a quelques mois, expérience qui a conduit au confinement de 300 000 corps et à la contamination effective de travailleurs de Tokay-Mura, au Japon. Une fois encore, l’activité nucléaire est à la démesure de la masse comptabilisée en corps potentiellement victimes des avatars du progrès.

L’ère technique s’est débarrassée de l’humanité de l’homme, multipliant les espaces de gestion des ressources humaines (hommes, femmes, enfants transformés en ressources mobilisables). La technique s’est elle-même alliée aux intérêts et à l’imaginaire de l’économique et du pouvoir bureaucratique ; elle s’est imaginée dans le même temps dominer la nature17. La technique nucléaire, pensait, quant à elle, maîtriser la puissance nucléaire, puissance particulièrement dévastatrice, qui lors de la « catastrophe » sans précédent de Tchernobyl, a éliminé les frontières terrestres : l’expert maîtrisant l’emballement hyper-dangereux de sa propre toute-puissance.

Günter Grass, récent prix Nobel de littérature semble, dans un article dont un extrait était récemment reproduit dans Le Monde Diplomatique, reconstruire cette dimension catastrophique dont l’essence demeure essentiellement inhumaine : « A quoi sert la littérature quand le futur nous apparaît comme une catastrophe annoncée, prophétisée par d’horrifiques statistiques ? Que reste-t-il à raconter lorsque nous voyons que chaque jour confirme et vérifie, à travers de multiples exemples, la capacité de l’espèce humaine à se détruire elle-même et à détruire l’ensemble des êtres vivants, des manières les plus diverses. La seule chose que l’on peut mesurer après Auschwitz, est la menace permanente d’auto-extermination collective, par le nucléaire, qui confère désormais à la « solution finale » une dimension globale. »18

Ailleurs, l’OTAN organisait la guerre humanitaire du Kosovo , et ce, de manière fort médiatique. Dans le même temps, elle larguait des bombes à l’uranium appauvri, dont ces humanistes connaissaient les effets dramatiques sur les populations et notamment les enfant irakiens, ainsi que sur ses propres troupes durant la guerre du golfe…Dans ces bombes étaient retrouvées des traces d’isotopes hautement nocifs d’origine artificielle, et de ce fait ne pouvant venir que des cœurs de réacteurs : serait-ce une nouvelle manière de nous débarrasser de nos déchets encombrants de façon « humanitaire » ?

Les catastrophes environnementales ont participé, comme manifestations symptomatiques plus visibles, à ce que peut être un monde soumis aux impératifs de la technique lorsqu’elle est au service du capitalisme (d’Etat ou marchand) et d’un imaginaire de la toute-puissance. La récente catastrophe industrielle de l’Erika19, combinant les intérêts économiques de l’entreprise Total, et le silence complice des autorités, administratives, politiques et médiatiques en est la toute dernière expression. Tout d’abord un ministre de l’environnement, qui plus est, écologiste, minimisant la dimension réelle de la catastrophe (réaction habituelle des autorités en cas de catastrophe) ; ensuite diverses autorités politiques, administratives et médiatiques taisant le caractère cancérigène des produits, et transformant des bénévoles en liquidateurs20 des conséquences de la catastrophe (même si les conséquences de cette catastrophe ne peuvent être comparées à celles de Tchernobyl).

Les mouvements écologistes (qu’ils soient politiques ou non) se sont constitués autour de ces symptômes environnementaux plus manifestement visibles du progrès. Très longtemps, à l’identique, dans le monde-commun, la question nucléaire n’a pas été présentée en termes sociaux. Pourtant la question qui est au cœur de ce texte, est bien d’un tout autre ordre. Sans nier les effets catastrophiques de la domination moderne de l’homme sur la nature, le texte qui suit s’attache davantage aux dégâts sociaux du productivisme, et plus particulièrement aux conséquences sur le politique et la démocratie locale de l’implantation en Nord-Cotentin de l’industrie nucléaire à « dose » massive.

Dans cet imaginaire de domination l’homme réifié (transformé en objet) est bien l’acteur central du processus. Il est en grande partie celui qui détient les rênes de la possibilité d’un changement radical. La question centrale est donc bien celle posée par Jaime Semprun dans son ouvrage, L’abîme se repeuple :  « Parmi les choses que les gens n’ont pas envie d’entendre, qu’ils ne veulent pas voir alors qu’elles s’étalent sous leurs yeux, il y a celles-ci ; que tous ces perfectionnements techniques, qui leur ont si bien simplifié la vie qu’il n’y reste presque plus rien de vivant, agencent quelque chose qui n’est déjà plus une civilisation ; que la barbarie jaillit comme de source de cette vie simplifiée, mécanisée, sans esprit ; et que parmi tous les résultats terrifiants de cette expérience de déshumanisation à laquelle ils se sont prêtés de si bon gré, le plus terrifiant est encore leur progéniture, parce que c’est celui qui en somme ratifie tous les autres. C’est pourquoi, quand le citoyen-écologiste prétend poser la question la plus dérangeante en demandant : « Quel monde allons-nous laisser à nos enfants ? », il évite de poser cette autre question , réellement inquiétante : « A quels enfants allons nous laisser le monde ? » »21

La dimension proprement humaine et sociale de cette ère de catastrophe a notamment était développée par le libertaire américain Murray Bookchin, qui aspire à une écologie sociale : « (…) aucun des grands problèmes écologiques qui se posent aujourd’hui ne peut être dissocié ni ne peut être résolu sans un changement social de fond en comble. »22 Et de préciser :  « Dans la deuxième moitié du dix-neuvième siècle, les Etats-Unis ont éliminé quarante millions de bisons, exterminé des espèces de pigeons migrateurs qui nourrissaient littéralement les cieux, détruit d’immenses forêts anciennes et érodé les terres agricoles équivalant en surface aux grandes nations européennes ; et tous ces dégâts ont été produits par une population de moins de cent millions d’habitants jouissant d’une technologie relativement primitive, selon nos critères actuels (…) Ce qui dévastait le continent nord-américain était une épidémie plus grave que la pire invasion de sauterelles ; c’est un ordre social qu’il faut appeler par son nom : le capitalisme. »23

Bookchin conçoit une écologie sociale, parce qu’il conçoit les problèmes écologiques comme les conséquences d’un ordre social humain spécifique ; les dégâts du progrès sont pour une part non négligeable les produits du capitalisme, mais également de l’imaginaire social et historique24 du progrès et du capitalisme. En ce sens son analyse rejoint en partie celle de Jaime Semprun ; si nos enfants demeurent prisonniers du capitalisme et de son imaginaire, ils participeront, et ce, de manière particulièrement active, à la dévastation du monde et de l’humain… les pionniers américains ayant également éliminé de façon massive le peuple indien… et poursuivant l’oppression comme le souligne l’emprisonnement actuel du militant indien Léonard Pelletier25. Avant Murray Bookchin, à la fin du dix-neuvième siècle, Pierre Kropotkine s’était lui-même intéressé aux dégâts sociaux et environnementaux de l’industrialisation naissante : « Il s’intéressa aux modes de vies des Bouriates, des Yakoutes et des Toungouses de ces régions et surtout aux changements liés à l’exploitation des mines d’or, changements altérant l’écologie et l’économie générales, mais entraînant aussi une sédentarisation des populations nomades dont le rapport à la nourriture, à l’argent, à la bonne santé se modifiait, en même temps que la paupérisation de la majorité de leurs membres s’accentuait, même si, selon Kropotkine, les indigènes exagéraient les difficultés de vie des travailleurs miniers pour tenter de limiter la mainmise des Russes sur cette région. »26 Le même souci accompagne alors, Elisée Reclus27, autre libertaire convaincu.

Pourtant, l’ère de la catastrophe change en partie la donne : si c’est bien un monde social particulier lié au productivisme28 qui conduit à cette ère moderne de la catastrophe, c’est également cette ère de la catastrophe qui en vient à produire un monde social particulier. Après Tchernobyl, comme le souligne Svetlana Alexievitch, dans son remarquable ouvrage La supplication29, le monde où nous vivons – et encore davantage où vivent les principaux concernés par la catastrophe – n’est plus le même. La souillure est éternelle (des milliers d’années) et nous vivons désormais condamnés à vivre avec un monde que nous n’avons pour la plupart pas choisi30. Par ailleurs, la question de la gestion des déchets radioactifs donne aussi corps au problème ; le programme nucléaire nous a légué des déchets à durée de vie longue, déchets que nous (en tant qu’espèce) devrons gérer durant des millénaires.

La sociologie (science du social), dans cette perspective, est restée, pour l’essentiel, durant de nombreuses années, prisonnière de la « risquologie », auxiliaire d’une science physique qui considérait comme irrationnelles les réticences des populations locales à l’implantation près de chez elles de l’énergie atomique. L’ACNM (Association Contre le Nucléaire et son Monde) reconstitue les fondements de cette science du social : « C’est ainsi qu’une nouvelle spécialisation est née : la risquologie, c’est-à-dire l’étude des conditions et des moyens de survie de l’Etat et du mode de production en situation de catastrophe, comme relevant de l’intérêt général. Au-delà de la prévention des catastrophes, il s’agit de préparer les populations à leur possibilité : mise en place d’une culture du risque pour faciliter la communication de crise lors des accidents à venir et permettre à l’ordre musclé de gérer des millions de personnes humaines. »31 Cette sociologie a incité et incite toujours les sociologues qui y adhèrent, à prendre une position particulière visant à banaliser puis à faire accepter aux populations les risques catastrophiques qui nous environnent, comme s’ils étaient devenus inéluctables. La risquologie (ou risk-managment) est le produit d’un imaginaire social-historique, d’une vision du monde (Weltansschauung) particulière et prend position dans un rapport social particulier ; elle défend les intérêts des nucléocrates32 (ceux qui ont assis leur pouvoir sur l’utilisation de l’énergie atomique), de la techno-structure étatique, des intérêts économiques en jeu et de l’intérêt de certains élus locaux nourris à l’atome. Pour ma part je refuse de prendre ce parti, et ce, de manière explicite, par choix politique : je suis antinucléaire par raison comme ces risquologues font de la sociologie par intérêt. Chiens de garde33 d’un monde qu’ils entendent protéger, ils ne dévoilent pas leurs options…

1. Des origines d’un déficit démocratique et de l’avènement des nucléocrates.

Tout débute à Hiroshima lorsque la bombe atomique américaine au crépuscule de la seconde guerre mondiale détruit la cité japonaise et brûle des milliers de corps laissant la trace de ce qui sera désormais l’univers nucléarisé. Plus tôt, l’expérience avait débuté dans le plus grand secret34, la fission de l’atome comme arme absolue. Le développement de l’énergie atomique se construit autour des impératifs stratégiques d’armement ; la course à l’acquisition de cette arme aux vertus dévastatrices sans précédent commence.

Rendue imaginairement inéluctable (comment vivre sous la menace nucléaire de l’autre ?) elle conduit les états devenus nucléaristes à constituer leurs armements sans-les-populations. Autour du nucléaire s’est instituée une ère du secret et de l’intérêt national (nécessité du secret défense qui entoure cette course effrénée). C’est aux Etats-Unis qu’ont été élaborées les premières bombes, mais l’Union Soviétique, et plus tard la France se dotent d’armes identiques. En France, c’est autour du CEA (Commissariat à l’énergie atomique) que se constitue la bombe. Cette élite savante créée en 1945 est à l’origine du programme militaire et de sa logique intrinsèque : secret et intérêt national. Ce n’est donc pas tant l’armée qui s’occupe du programme militaire qu’une élite savante militarisée. Les populations, quant à elles, sont tenues à l’écart des principales prises de décision.

Lorsque l’Etat français quelques années plus tard fait le choix du développement du programme civil (centrales…), c’est la logique militaire qui détermine les premières applications industrielles. Les premiers réacteurs sont construits en vue des intérêts militaires pour fournir le plutonium nécessaire à la production de bombes atomiques. Si les intérêts sont militaires, ils sont également économiques. D’une part, l’armement étant une industrie dont certains pouvaient tirer bénéfice. Ainsi, Bruno Barillot évalue le coût de l’arsenal nucléaire français à 1499 milliards de 1960 à1998 35. D’autre part, le coût du programme civil – construction et fonctionnement – est lui même faramineux et a permis à de nombreuses entreprises d’en tirer bénéfice (comme Bouygues par exemple). Alors, c’est la même élite savante, le CEA qui s’occupe de l’application civile du nucléaire.

Dès cette époque, l’intérêt national dépasse toutes les autres conceptions, fussent-elles démocratiques. Les activités du CEA ne sont soumises à aucun contrôle effectif. Le Parlement cautionne une logique d’ensemble sans pouvoir avoir droit de regard sur les détails de cette entreprise. L’attitude de Pierre Guillaumat souligne l’imaginaire de ces pionniers du nucléaire en France : « Vous présentez un texte au Parlement si vous avez besoin du Parlement (…) Mais nous n’avions pas besoin du Parlement. »36 En Nord-Cotentin, le nucléaire s’installe dans le même silence, en secret. A La Hague, les habitants apprennent la construction de l’usine de retraitement par la presse ; sa fonction n’est pas dévoilée. Les élus locaux sont consultés dans l’urgence…37

Le nucléaire s’est imposé aux populations sans-les-populations ; celles-ci ne prenant pas part de façon active à la mise en place du programme nucléaire. Durant les années 70, c’est même souvent contre-les-populations que le programme se constitue. Il rencontre alors ses premières oppositions massives . Et pour cause, jusqu’alors, seule une élite savante était en mesure de saisir en partie les conséquences de son activité. La nocivité du nucléaire ne se voit pas, ne se sent pas, elle se mesure. La surtechnicité et le niveau d’abstraction du discours scientifique concernant le nucléaire le rendent inintelligible pour le profane, qu’il soit quidam ou qu’il soit élu. Les nucléocrates38, caste d’experts, censés monopoliser les outils de compréhension des données issues de leurs propres découvertes, sont, durant de nombreuses années, à quelques exceptions près, les seuls à pouvoir saisir la portée de leurs actes (mais la saisissent-ils toujours réellement ?).

Ces actes, qui plus est, ils les jugent comme étant nécessaires au bonheur du plus grand nombre. Tout d’abord, comme participant au maintien de la paix après de nombreuses années de guerre. Ensuite parce qu’ils adhèrent pour la plupart à un imaginaire social et historique comme peut le définir Cornelius Castoriadis : « L’imaginaire dont je parle n’est pas une image de. Il est création incessante et essentiellement indéterminée (social-historique et psychique) de figures/formes/images, à partir desquelles seulement il peut être question de « quelque chose » (…) Toute pensée de la société et de l’histoire appartient elle-même à la société et à l’histoire. Toute pensée quelle qu’elle soit et quel que soit son « objet », n’est qu’un mode et une forme du faire social-historique. »39 L’imaginaire social-historique est la tension de ce qui institue (les déterminismes sociaux et historiques) et de ce qui est institué (créations historiques et sociales). Il est à la fois émanation du donné et création propre, images et symboles héritées et retravaillées40. L’imaginaire social historique des nucléocrates, ce qui institue et l’institué, semble s’articuler autour de trois grandes figures : le désir de puissance, l’instrumentalisation du monde, le mythe du progrès.

Le désir de puissance se manifeste dans la « dévoration » du monde que rend possible –imaginairement et réellement - l’énergie nucléaire. Le nucléaire c’est une éventualité de destruction massive, c’est le pouvoir de posséder à grande échelle un droit de vie ou de mort sur des populations entières. La catastrophe nucléaire ou la bombe éliminent les frontières, frontières physiques puisque leur portée est planétaire, mais également frontière du temps puisque leur durée de nocivité se mesure en millénaires. Tchernobyl est là pour en témoigner41. Une sorte de mythologie accompagne ce désir, mythologie de la radioactivité qui offrirait la puissance comme pour ces supers héros américains que décrit Perline42 ou comme Superphénix, ce surgénérateur qui nourri au plutonium, produira du plutonium dans un mouvement sans cesse renouvelé, puissance en action continue. Autour des sites, ce désir se traduit par une boulimie d’équipements43. Le nucléocrate est celui qui entend maîtriser cette puissance ; il tient le monde entre ses mains.

Dans cette perspective le monde n’est envisagé que comme une ressource mobilisable, une entité que l’on domine du fait de ses attributs de puissance, puissance, qui plus est, effective. L’homme se détache du monde pour le convertir en instrument, il n’est plus qu’un moyen qui sert des fins. C’est là une caractéristique proprement moderne comme l’a souligné fort justement Hannah Arendt : « L’homme en tant qu’homo faber, instrumentalise, et son instrumentalisation signifie que tout se dégrade en moyens, tout perd sa valeur intrinsèque et indépendante(…) »44. Cette volonté d’instrumentaliser le monde n’est que l’autre face de cette volonté de puissance dont nous parlions plus avant : « C’est le même désir d’échapper à l’emprisonnement terrestre qui se manifeste dans les essais de création en éprouvette. »45 L’homme s’émancipe de sa propre position d’homme-dans-la-nature pour prendre possession du monde. Il est en ce sens tout-puissant, et le nucléocrate plus qu’un autre, propriétaire privé (en tant que savant il s’est extrait du monde-commun comme avant-garde éclairée) d’une puissance gigantesque à l’appétit insatiable. Cette puissance, c’est à la fois Eros, le désir de toute-puissance tel que Freud a pu le décrire46, et Thanatos (pulsion de mort), parce que ce désir peut être à l’origine de la destruction du monde. L’imaginaire social-historique du nucléocrate a ceci de terrible qu’il lui donne la possibilité de rentrer en possession du monde, en toute puissance, à l’abri de celui-ci instrumentalisé ; cette position lui permet de conquérir le pouvoir de vie et de mort, pouvoir qu’il prétend maîtriser. Finalement, le mode est devenu le champ même de l’expérience, le laboratoire s’est déplacé in vivo : « Le monde « négligé », laissé de côté par la méthode expérimentale, devient en réalité l’objet de l’expérience tout en continuant à être négligé, ignoré. »47 Ainsi en est-il du monde nucléarisé comme du monde génétiquement modifié dont nous parle ici l’Encyclopédie des nuisances. Nous prenons par à l’expérience et devenons dans le même temps les cobayes de l’expérimentation, de la maîtrise experte des nucléocrates.

Et pour le nucléocrate, tout ceci a un sens48. Ce processus boulimique accompagne le progrès humain, progrès envisagé pour l’essentiel autour des instruments techniques et scientifiques, un bien être matériel pour des populations qui, il ne faut pas l’oublier, à l’origine du projet, sortaient d’une guerre atroce. L’atome produit le confort, confort de la sécurité que la dissuasion nucléaire est censée apporter et confort matériel que le développement du nucléaire civil tendrait à soutenir. Le nucléaire participe de l’accès du plus grand nombre à une société de consommation, envisagée comme bonheur généralisé. Ainsi, encore récemment EDF, entreprise d’Etat qui est à l’origine en France du programme nucléaire civil nous doit-elle « plus que la lumière »49. Mais comme le souligne dans son ouvrage Jean-François Viel50, l’aura scientifique du nucléaire en France remonte beaucoup plus avant, aux époux Curie qui en découvrant la radioactivité font bénéficier l’humanité d’un progrès sanitaire incontournable. Devenus dans l’imaginaire collectif les symboles de l’aventure scientifique, ils participent à la propagation de l’idée que les rayonnements font œuvre civilisatrice. Le rayonnement dans son ensemble est envisagé comme un progrès salvateur, progrès matériel, sanitaire et stratégique. Ce mythe du progrès est l’essence même de l’imaginaire développementiste.

Il ne faudrait pas croire que cet imaginaire est né comme une innovation absolue, il poursuit un récit imaginaire proprement moderne, imaginaire dont a fort subtilement dessiné les contours et le fond Hannah Arendt dans La condition de l’homme moderne. Le nucléaire ne naît pas tant techniquement qu’imaginairement à n’importe quelle époque, il naît lorsque l’homme finit de conquérir sa position d’homme-hors-du-monde, lorsqu’il a définitivement, mais pas suffisamment à son goût, transformé le monde en ressource, lorsque le productivisme et la technoscience51 ont pris totalement place dans le paysage social et environnemental, lorsque la rationalité instrumentale a en définitive conquis le monde.

Pour autant, cet imaginaire sert la constitution d’une avant-garde savante, seule dépositaire de cette œuvre civilisatrice : les nucléocrates. Comme nous l’avons souligné précédemment la relation à la radioactivité n’est pas instantanée, ni sensorielle. La relation au monde est médiatisée par l’instrument et la mathématique ; et c’est là un élément de la condition de l’homme moderne52. C’est toute l’histoire et l’imaginaire de l’expérimentation qui se cachent derrière cette perspective : derrière l’apparence se dissimulent des faits démontrables par l’expérience et la mathématique. Le développement de l’énergie nucléaire s’accompagne d’un discours abstrait inintelligible pour le profane n’ayant pas accès aux arcanes de sa surtechnicité. La radioactivité se mesure à l’aide du radiamètre53 et ses conséquences sur la santé, reportées dans le temps, ne sont mesurables qu’abstraitement54, en relation à de supposés effets. Dès lors, le profane est contraint de s’en remettre à ceux qui savent, ceux qui par leur culture scientifique sont en mesure de comprendre cette abstraction. Il s’engage comme le souligne Anthony Giddens55 dans un article de foi, les systèmes abstraits se substituant aux savoirs sociaux ou aux injonctions traditionnelles. « Pour le profane, une fois de plus, la confiance dans les système experts ne dépend ni d’une initiation complète à ces processus, ni d’une maîtrise des savoirs qu’ils génèrent. La confiance est forcément un article de « foi » »56 Qui plus est, comme le remarquent récemment Francis Chateauraynaud et Didier Thorny57, le nucléaire bouleverse totalement notre appréhension du monde, parce que contrairement à d’autres découvertes scientifiques, il ne s’élabore pas sur ou contre des savoirs sociaux existants ; il se constitue comme une nouveauté absolue. De ce fait la relation à l’abstraction intensifie la relation de confiance que le profane doit investir ; elle ne s’élabore pas sur une expérience pratique. La confiance repose sur des systèmes experts, ce qui est comme le souligne Giddens, une spécificité moderne. « Bref, la confiance est une espèce de « foi » dans laquelle l’assurance des résultats probables exprime un engagement plutôt qu’une simple compréhension d’ordre cognitif »58. Concrètement, la relation du profane au savant pourrait être décrite à travers deux exemples issus du travail de Françoise Zonabend. « Y faut bien leur faire confiance, eux ils savent. »59 ; « Moi au point de vue scientifique, j’peux pas parler, car je suis un simple agriculteur (…) »60. La dévalorisation des savoirs profanes par rapport aux savoirs experts constitue l’essence même de l’article de foi, et, en fait, si l’on s’engage dans ce rapport social particulier, c’est essentiellement pour Giddens61 parce que l’on n’a pas le choix, mais plus vraisemblablement parce qu’on se représente ne pas avoir le choix : « La confiance consiste donc beaucoup moins à « s’engager sans arrière pensée » qu’à accepter tacitement les circonstances dans lesquelles on n’a pas le choix. »62 Au-delà de la compétence, l’expert fait profession de foi de neutralité ; il ne fait pas œuvre politique mais déclare envisager les faits en toute objectivité. Il tire de cette confiance subjective en une objectivité du travail scientifique une part de l’essence de sa légitimité. Pourtant il ne peut éviter la surdétermination du discours. Lorsqu’il s’adresse au politique il est contraint d’être formel, là où son savoir l’est beaucoup moins63… Il offre l’illusion de connaître la vérité comme le souligne à juste titre Philippe Roqueplo64.

Or, à l’origine du programme nucléaire en France, je le rappelle, une minorité savante monopolise le savoir relatif à sa découverte, découverte que, par ailleurs, elle tend à rendre imaginairement nécessaire. C’est tout d’abord autour du CEA que s’est concentré l’accès au savoir. Ensuite, un Corps d’Etat se lance dans l’aventure nucléaire : c’est le Corps des Mines. « L’avantage du nucléaire ? Il donne du pouvoir. Pouvoir de la matière : une énergie folle concentrée dans une poignée de matériau. Pouvoir de la technologie : sans les ingénieurs point de Salut. »65 Ce grand Corps d’Etat est à cette époque en rupture de ban, l’ENA autre grand Corps d’Etat monopolisant les postes politiques. La situation fournit dès lors à l’Etat un réservoir de main-d’œuvre et aux « mineurs » un espace de pouvoir. Les différentes techno-structures du nucléaire ainsi que les D.R.I.R.E. sont investies par les « mineurs ». Durant de nombreuses années, ils apparaissent être les seuls interlocuteurs compétents… monopolisant les gages symboliques de la Raison. L’appropriation du monde entreprise par la nucléocratie se constitue hors-du-monde-commun, entre intervenants jugés responsables.

Ce monopole symbolique, la nucléocratie a tenté de le conserver durant de nombreuses années. Lors de la catastrophe de Tchernobyl, les nucléocrates du monde entier se sont donné la main pour en minimiser les conséquences66. En France le SCPRI (Service Central de Protection contre les Rayonnements Ionisants) nie le passage sur la France du nuage radioactif. En Ukraine et en Biélorussie, on invente la notion de radiophobie pour rendre compte de l’augmentation significative et tragique des pathologies diverses67. Les nucléocrates, parce qu’ils monopolisent les gages symboliques de la raison, se permettent de banaliser les conséquences de la nucléarisation du monde. Tchernobyl est un exemple terrible de la manière dont la nucléocratie entend gérer l’inassumable : « Le consensus entre tous les pays nucléaristes pour gérer ce qu’ils appellent « la crise sur les populations », autrement dit la peur du nucléaire ayant été rétabli, leur premier objectif pour reconquérir le terrain perdu a été de présenter cette situation inassumable comme maîtrisée, c’est-à-dire de transformer la perception de la catastrophe et de ses effets en présentant les mesures prises comme largement suffisantes. »68

Encore aujourd’hui, les conséquences de la catastrophe sont masquées. En Biélorussie, l’ouvrage de Svetlana Alexievitch69, recueil de témoignages autour de la catastrophe et de ses conséquences, n’a pas trouvé d’éditeur…Des scientifiques voient leurs travaux entravés70…Enfin un accord conclu entre l’AIEA (Agence Internationale pour l’Energie Atomique) et l’OMS (Organisation Mondiale de la Santé) stipule : « (…) que les programmes de recherches de l’OMS doivent au préalable faire l’objet d’une concertation afin que ses études ne débouchent pas sur des résultats qui risqueraient de nuire à l’AIEA, dont l’objectif principal est : « d’accélérer et d’accroître la contribution de l’énergie atomique pour la paix, la santé et la prospérité dans le monde entier » »71. Ces exemples précis montrent que continue d’exister une alliance objective d’intérêts entre tous les Etats nucléaristes et leurs appareils technocratiques pour faire de Tchernobyl et de ses conséquences un événement banal, une catastrophe supportable, une désagréable – mais infime – contrepartie du progrès technique et social.

Les nucléocrates entendent effectivement conserver le secret sur l’atome, comme ces prêtres dans Le nom de la rose d’Eco72 qui entendent garder à l’abri du monde profane les livres impies, susceptibles de remettre en cause le dogme ; leur savoir est leur pouvoir, sacré contre profane. Par ailleurs ils se constituent à l’image du patronat anonyme décrit par Louis Mercier-Vega : « Tout un monde se crée ainsi, plus nombreux, que les anciennes strates de possédants, où le compte en banque n’est pas forcément le facteur le plus important, ou celui qui est pris le premier en considération. C’est parfois le diplôme ou le cran, ou tout simplement l’habilité qui favorisent la promotion. Un monde de cadres dirigeants, à traitements élevés, avec avantages divers : voiture et chauffeur de service, frais de représentations, voyages d’affaires ou de prestige. Des solidarités se nouent, parfois à base d’appartenance à une grande école – Polytechnique, Centrale, Mines, Hautes Etudes Commerciales •, parfois par alliances familiales ou amicales. Un milieu qui connaît évidemment ses luttes et ses haines, ses coups de Jarnac et ses éliminations, mais un milieu solidaire quand il s’agit de défense collective, de défense, par exemple, contre « ceux d’en bas ». »73 Ce n’est donc sans doute pas pour rien que l’on retrouve dans le nucléaire les mêmes réseaux que dans la fillière pétrolière – Elf • d’inspiration gaulliste, intérêts étatiques, politiques et économiques étant en ces circonstances indubitablement liés74.

Dans cette perspective, cet univers n’est pas spécifique de l’univers nucléaire. En effet, il apparaît donc évident avec Salvador Juan75 que cette « nucléocratie » telle qu’elle a pu être définie par Simonnot76 participe de « l’action technocratique ». Elle en assimile les valeurs et les actions fondamentales et se place de ce fait dans ce que Juan nomme l’unité du technocratisme. « Le lien existant entre l’appel à la compétence et à l’efficacité technique comme à l’intérêt général dans un cadre de référence évolutionniste, l’argumentation fondée sur les contraintes à programmer qui suppose de définir a priori la demande, le substancialisme global, et la manière dont s’articulent les différents éléments définis (nécessité, prestige, diffusion des responsabilités notamment par la recherche de l’interpartenariat, hétéronomie, consensus ou soutien interne des personnels appartenants aux appareils… ) contribuent à définir l’unité du technocratisme. »77 C’est dans cette même unité fondamentale, dans l’identique volonté de contrôle de l’avenir par des appareils technocratiques que se construit le programme électro-nucléaire français78. « C’est dans la confluence de ces divers phénomènes (l’ENA apparaît à ce moment historique de reconstruction) que naît la prospective comme discipline fondamentalement significative de ce que représente la technocratie. C’est elle qui permet aux futurs dirigeants de dépasser leurs fonctions initiales de gestionnaires, d’adopter des perspectives de managers-organisateurs éclairés ; c’est elle qui introduit le piment de l’innovation (et les enjeux individuels de prestige ou d’estime qui lui sont liés) dans les méandres de la lourde et répétitive gestion des problèmes et des risques (…) Ainsi esprit prospectif et innovation sociale deviennent inséparables, dans cette nouvelle fonction de responsabilité collective et de direction consistant à contrôler les grands processus. »79 Autour du Corps des Mines se constitue une action technocratique particulièrement sensible et qui colonise de façon durable l’avenir80. C’est dans la même perspective de contrôle technocratique que se met en place le programme civil, les nécessités économiques comme justification idéologique de cette prise de pouvoir : « L’accélération du programme électro-nucléaire français ne date pas, comme une certaine presse le laisse penser, de 1974. Dix années auparavant, bien avant les premiers doutes sur le pétrole ou la crise économique, le Conseil des ministres du 16 décembre 1964 définissait un programme d’une ampleur réellement industrielle qui faisait suite à la politique des prototypes initiée par le CEA. »81 Ainsi, la technocratie de par ses valeurs et ses intérêts spécifiques construit efficacement et durablement de l’hétéronomie et de la dépendance.

Dans le même temps, comme le souligne Salvador Juan à propos de la technocratie, derrière la nucléocratie se cache l’acteur du processus, en l’occurrence le nucléocrate. Ainsi, la technique de l’action technocratique, et, ici, de ce que nous pourrions qualifier d’action nucléocratique ne peut être dissociée de ceux qui la produisent82. Pour autant, on ne peut éluder la question posée par l’autonomisation imaginaire – et non réelle – du processus technoscientifique vécu comme une nécessité – et/ou une fatalité • , et construit comme tel83.

Dans cette optique, l’analyse approfondie des phénomènes nucléaires ne peut être dissociée d’une étude approfondie de l’action technocratique, de son essence, de ses finalités, de son histoire, comme élément-moteur de la mise en place du programme nucléaire.

2. De la certitude à la crise.

La presqu’île au nucléaire est un site privilégié pour observer comment une société hautement nucléarisée construit son « espace démocratique ». C’est un site où l’atome a pris massivement et durablement possession de l’espace, du temps et du social, ; et ceci depuis plusieurs décennies.

Au départ, le Cotentin est une terre rurale en voie de dépeuplement, le monde paysan pris dans le processus massif de mécanisation et du productivisme (« agro-industrialisation ») tend à disparaître. La crise agricole s’amorce. C’est à cette époque que le nucléaire commence son installation progressive dans la presqu’île. Dès 1960, l’arsenal militaire de Cherbourg, déjà spécialisé dans la construction de sous-marins, se lance dans celle de sous-marins à propulsion et armement nucléaire. En 1962, c’est La Hague qui est choisie pour la construction prochaine d’un centre de retraitement84 de déchets radioactifs. En 1969, sur la commune de Digulleville, adossé au centre de retraitement, est bâti un centre de stockage de déchets radioactifs dits de faible activité à vie courte. Enfin en 1977, EDF décide d’implanter à Flamanville une centrale nucléaire de 13OO Mgwt.

En cette terre où l’agriculture paysanne85 amorce sa dépaysannisation, le nucléaire apporte un vivier nouveau d’emplois. En 1998, La Hague employait 3100 salariés COGEMA (Compagnie Générale des matières nucléaires) et 2900 non COGEMA. Dans le même temps à Flamanville on pouvait dénombrer 500 salariés… sans compter l’arsenal, les emplois indirects… et nous ne sommes pas là à ce qui fut le moment le plus fort en terme d’emploi, puisque la construction en génère également de nombreux. Ainsi, à cette époque, l’high-tech s’installe donc en Cotentin comme le sauveur ; comme à Flamanville où en 1962 fermait la mine de fer de Dielette86. Rapidement le Nord-Cotentin se retrouve confiné dans une situation de mono-industrie : « L’essor économique, les équilibres politiques dans la région sont liés au maintien et au développement de ces industries nucléaires »87. La dépendance économique et sociale s’accentue lorsque le tissu social même du pays évolue. De nouvelles populations, de nouveaux paysages structurent le quotidien : les cités poussent abritant les ouvriers des grands chantiers dont beaucoup viennent de l’extérieur, puis dans un second temps les employés COGEMA, EDF, etc. La terre paysanne se reconvertit – sans en avoir véritablement le choix88 – « En moins d’un quart de siècle, La Hague est passée de l’ère de la charrue à l’ère nucléaire. »89

Dans cette perspective, une grande partie des habitants est directement ou indirectement l’otage de ces conditions économiques. Une logique implicite (et parfois explicite) de chantage à l’emploi prend petit à petit place, s’accentuant en fonction du poids accru du nucléaire en Nord-Cotentin.

Qui plus est, l’industrie nucléaire offre des compensations aux risques encourus qui ne sont pas négligeables, compensations aux salariés (salaires, comités d’entreprise), aux populations avoisinantes (sponsoring de manifestations culturelles, sportives) et aux collectivités locales (taxes très rémunératrices90 qui permettent de voir pulluler différentes installations culturelles, sportives, éducatives…). Les populations troquent rapidement leurs anciens notables pour leur en substituer de nouveaux, venus avec l’industrialisation et le nucléaire. Les élus à l’image des populations sont pris à la gorge, les intérêts locaux s’identifiant de plus en plus imaginairement aux intérêts nucléaires. Quant aux syndicats, si la CFDT a pendant quelques années manifesté sa défiance vis à vis des conditions de travail, elle est rapidement rentrée dans le rang. La CGT, particulièrement pro-nucléaire, a surtout défendu au sein d’EDF, entreprise nationale, le nombre important de détachés et de syndiqués, ressources militantes notamment pour sa propre bureaucratie ; mais également les comités d’entreprise particulièrement bien dotés, lorsqu’elle ne succombait pas comme peut le faire toute bureaucratie politique ou syndicale à la corruption91.

En quelques décennies le nucléaire est devenu une activité centrale, activité qui touche la plupart des familles de la région, qui les nourrit, qui accapare leur quotidien et la grande majorité de leurs activités, directement ou indirectement ; c’est un phénomène social total92, touchant les dimensions économiques, sociales, culturelles, éducatives, politiques. Remettre en cause l’énergie salvatrice, c’est remettre en cause l’ensemble de l’ordre social tel qu’il s’est lentement et massivement constitué.

Ainsi les accidents du travail, parce qu’ils mettent en question la sécurité nucléaire, sont-ils niés. L’affaire Gérard V. est significative à ce sujet.93 Ce travailleur intérimaire du nucléaire est contaminé le 21 juillet 1991 (exposition au radon). Le lendemain, après avoir passé la nuit chez lui, il est envoyé au Service Centrale de Protection contre les Rayonnements Ionisants (SCPRI), au Vésinet. Des promesses sont faites à Gérard pour qu’il garde le silence (emploi stable) ; elles ne seront pas tenues. Son état de santé se dégrade rapidement. Il faut dire qu’il avait auparavant travaillé à l’arsenal de Cherbourg où il avait été confronté à l’amiante… Il contacte alors les écologistes. Les syndicats quant à eux refusent de le défendre, parce qu’il serait un simulateur. Ils s’appuient alors sur les rapports d’expertise qui leur sont fournis par les médecins locaux…Après la notion de radiophobie (stress post-catastrophique inventé par les nucléocrates internationalement réunis pour expliquer l’augmentation anormal des pathologies après Tchernobyl) les syndicalistes nucléophiles en l’occurrence invente la figure du simulateur dans leur souci de dénier l’incertitude, le risque, de souligner la banalité du progrès auquel ils participent ici particulièrement activement.

Les affirmations expertes sont l’autre face des compensations. Les experts du nucléaire affirment depuis de nombreuses années que le nucléaire est une énergie propre et sans danger, une énergie comme les autres…énergie qui participe à l’essor économique du pays. Dès lors, ceux qui résistent à cet élan de progrès sont des arriérés qui refusent le confort, le progrès technique dans son ensemble : ils choisissent la bougie contre le rayonnement. Les affirmations expertes font entrer à leur manière le Nord-Cotentin dans le train du progrès (d’autant plus que le monde social change effectivement, et ce, de manière rapide) ; et les résistances locales, comme le mouvement antinucléaire autour de La Hague et de Flamanville, sont stigmatisées comme irrationnelles et passéistes. Si un clivage existe en Nord-Cotentin, il se constitue essentiellement, dans cette perspective, autour d’intervenants traditionnels, pro contre antis. Dès lors, les nucléocrates se représentent être les détenteurs des gages symboliques de la raison contre des contestataires (le plus souvent non scientifiques) considérés comme irrationnels et passéistes.

Ce n’est donc pas un hasard si tous les sondages d’opinion montrent que plus les gens habitent près d’une centrale nucléaire, plus ils affirment qu’elle est fiable. La fiabilité du nucléaire durant de nombreuses années ne se discutait pas, comme un sujet tabou. Le déni d’incertitude94 s’organise tout d’abord comme un moyen de vivre quotidiennement avec un risque qui offre des compensations confortables. « Une des façons de se défendre contre l’envahissement de cette usine aux constructions de plus en plus nombreuses, et sans doute la crainte qu’elle suscite, consiste donc à décider de ne pas la voir. En certains lieux, c’est chose aisée ; ailleurs, il faut recomposer le paysage, mais le mécanisme reste le même : nier l’existence du danger dont on refuse de voir l’incarnation architecturale. »95 La cécité paysagère décrite par Françoise Zonabend s’accompagne d’un refus de la parole. Ne pas voir, ne pas penser, ne pas parler d’un risque que l’on vit quotidiennement, c’est vital : il s’agit de conserver sa tranquillité psychique.

L’installation progressive et massive du nucléaire en Cotentin a contribué à l’élimination graduelle de la prise de parole ; seuls les exploitants d’une part, les élus locaux parfois et les antinucléaires imaginairement emprisonnés dans une image passéiste prennent le mot. Un ordre social particulier s’est petit à petit mis en place, ordre social constitué autour d’intervenants devenus traditionnels, ordre social de la certitude, certitude volontaire96 consentie au regard des compensations offertes et des affirmations expertes (monopole des gages symboliques de la raison) mais également de la crainte de se confronter de façon quotidienne et durable à la possibilité de sa propre mort et à l’éventualité de la destruction du monde qui nous entoure97.

Pourtant cet ordre symbolique va être au tournant des années 90, progressivement remis en cause. Tout d’abord, c’est Tchernobyl qui rend possible l’accident nucléaire majeur ; les conséquences même si elles sont masquées au niveau international par les différentes institutions (OMS, AIEA, SCPRI…) apparaissent en partie au grand jour. L’accident majeur peut exister et ses conséquences ne sont pas bénignes : frontières inexistantes, conséquences sur la santé catastrophiques, moyens dérisoires pour endiguer l’accident…98 Mais comme le remarque Françoise Zonabend, à La Hague, si la catastrophe a pu avoir un impact immédiat, rapidement elle devient un moyen de la fixer à distance99, à l’est, d’autant plus que la propagande nucléariste qui louait les installations de Tchernobyl quelques mois avant l’accident les dénigre rapidement.

Mais Tchernobyl semble symboliquement augurer d’une fin de siècle catastrophique. En une décennie, l’univers catastrophique s’enrichit rapidement100. Le mouvement épidémique101 prend subjectivement et « objectivement » existence. Nos systèmes modernes sont soumis aux aléas épidémiques et catastrophiques divers : vache folle, virus informatiques, catastrophes écologiques, marées noires, chômage, krachs boursiers, virus du sida… La catastrophe devient quotidienne et la modernité perd en partie son statut d’idole : le monde qu’elle nous avait promis et les progrès attendus ne sont pas véritablement au rendez-vous… « Aussi au moins jusqu’en 1986, année de la catastrophe de Tchernobyl, on a continué à considérer de manière abstraite que l’augmentation du bonheur pour le plus grand nombre impliquait que d’aucuns, les futures victimes, acceptent une position de sacrifiés potentiels ou, ce qui revient à peu près au même, de faire contre mauvaise fortune bon cœur en cas d’accident, voire de catastrophe. »102 Ainsi, apprend-on que les victimes des catastrophes modernes seront beaucoup plus nombreuses que prévu. « Qu’est-ce que les morts de Tchernobyl en comparaison des morts induites par le tabac ? »103 La nature du récit progressiste a changé : il n’est plus l’accession massive au bien être, il y aura dorénavant des victimes. Si le coût catastrophique devient trop lourd par rapport aux compensations offertes, il ne peut plus éliminer totalement la méfiance, mais là où les compensations demeurent importantes, le coût apparaît plus acceptable… d’où une acceptation plus importante à proximité des sites industriels où les retombées compensatoires sont plus massives. Mais ici, peut-être plus qu’ailleurs la mort devient statistique104.

En Cotentin ce sont les révélations du professeur Jean-François Viel qui remettent en cause les certitudes locales105. En 1995, tout d’abord, l’épidémiologiste met à jour après étude, un excès non significatif de leucémies infantiles autour de La Hague.106 Puis, en 1997, la seconde partie de son étude tente de mettre en évidence les causes de cet excès. Jean-François Viel extirpe trois facteurs de causalité éventuels107 : la fréquentation des plages locales pour la mère ou l’enfant, la consommation hebdomadaire de produits de la mer par les enfants, l’exposition au radon par l’habitation de maisons en granit ou par le sol granitique. De ce fait, Jean-François Viel annonce en Cotentin, le malheur ; il remet en cause les certitudes locales.

A la même époque, le CRILAN (Comité Régional d’Information et de Lutte Anti-Nucléaire), la plus ancienne organisation antinucléaire locale, dont la force de mobilisation a marqué le pas durant les années 80, joue de son côté le jeu judiciaire108. D’autres part, l’organisation écologiste Greenpeace qui a ouvert depuis 1992 une antenne locale, lance une campagne courant 97 autour des rejets en mer de la COGEMA (affaire dite du tuyau)109.

Les certitudes nucléaires sont brusquement remises en cause. L’annonce de Jean-François Viel a ceci de particulier qu’elle rompt le jeu traditionnel des interventions dans le débat public sur la question. « Le « normal » dans le cas présent découlait des certitudes scientifiques sur les particules nucléaires, acquises principalement dans des conditions expérimentales, et supposées par extension hâtive, s’appliquer à toutes les situations. Les rejets radioactifs dans l’environnement sont si faibles qu’un quelconque effet néfaste sur la santé n’était pas concevable (…) j’ai bien conscience d’avoir délivré plus de doutes que de certitudes (…) »110 Jean-François Viel investi d’une légitimité scientifique qui fait autorité (il est notamment publié par le British Medical Journal, journal reconnu dans les milieux scientifiques) contredit le discours expert en expert, hors du jeu traditionnel pro/anti. Le monopole symbolique de la raison soigneusement entretenu par les exploitants et les caciques locaux est contrarié. Dans le même temps le CRILAN tente de mettre à jour les irrégularités juridiques des exploitants du nucléaire. L’univers symbolique qui s’est lentement mis en place en Cotentin se rompt : 1) au niveau du déni d’incertitude 2) au niveau de l’opposition traditionnelle pro/anti (recouvrant l’opposition rationalité/irrationalité) 3) au niveau de la toute-puissance juridique de l’industrie nucléaire-Etat.

L’annonce de l’épidémiologiste va amorcer une période de crise en Cotentin, crise qui le plonge sous les feux de l’actualité et des intérêts médiatiques. Des réponses fusent rapidement qui remettent en cause les compétences du contre-expert ; la technique est la même qu’autour de Tchernobyl où les scientifiques qui remettent en cause le dogme sont immédiatement taxés d’incompétence et subissent des pressions de toutes sortes. Corinne Lepage alors ministre de l’environnement du gouvernement Juppé est contrainte par la situation de nommer une commission d’enquête présidée par le professeur Souleau ; ce dernier part en croisade contre les « ayatollahs » de l’écologie… Les journalistes locaux soutiennent l’entreprise de l’éminent professeur dont les propos se font de plus en plus violents à propos des écologistes entre temps rentrés au gouvernement et de Jean-François Viel… Les élus locaux entendent faire comprendre aux médias quelle est la vérité… Chacun localement, selon ses propres intérêts, se bat pour recouvrir l’ordre symbolique traditionnel contre cette agression qui lui est faite, en partie de l’extérieur.

Localement, en réaction à cette crise, quelques mères de famille s’associent pour défendre le professeur Viel si violemment attaqué : il s’agit des « Mères en colère » qui se constituent comme le souligne Bérengère Dauvin contre le silence nucléaire111. La polémique se poursuit durant l’été 97 autour des révélations médiatiques de l’organisation écologiste Greenpeace qui mettent en évidence l’excès de radioactivité autour de la conduite de rejets d’effluents radioactifs, puis plus tard en 1998 la contamination de wagons SNCF de transport de déchets. Ce ne sont pas véritablement de nouveaux acteurs sociaux qui surgissent, mais des héritiers de réseaux plus anciens qui retrouvent des situations plus opportunes et convenant mieux à leurs désirs de mobilisation.

Le débat polémique atteint son apogée avec la venue en prime time de Daniel Cohn-Bendit112 en campagne électorale et son accueil fort houleux aux portes de l’usine qui conduit à l’annulation dans la soirée de son meeting sous la menace de chasseurs et d’employés du nucléaire mêlés, le 19 janvier 1999. Le candidat aux européennes et ses amis « verts » venus rencontrer les syndicats pénètrent dans l’usine de La Hague après avoir été agressés par les travailleurs et des élus locaux encore sous le coup de l’annonce du programme nucléaire en Allemagne. Durant les incidents, ni les forces de sécurité du site (FLS), ni les forces de l’ordre ne sont intervenues, tandis que la direction menait les écologistes directement au cœur des manifestants abreuvés de slogans sexistes, de menaces de mort, de slogans homophobes, etc… Le soir, sous la menace de chasseurs, de travailleurs du nucléaire et de militants d’extrême droite mêlés pour la circonstance, les militants écologistes sont contraints d’abandonner la tenue de leur meeting.

Ici, le débat se clôt. Bien sûr, des voix s’élèveront pour protester ; mais la confrontation visant à l’élimination symbolique et effective de l’autre surgit violemment. Le pays unifié pour la circonstance se défend contre la crise qui lui est infligée brutalement du dehors, et qui s’apparente à une remise en cause effective des conditions mêmes d’existence – économiques, politiques, sociales, symboliques • du pays.

Cette période, parce qu’elle réintroduit de la parole dans un monde qui y avait en partie renoncé, semblait pourtant augurer d’une phase de démocratisation. Il est vrai que le débat se pluralise à cette époque, que l’incertitude émerge de nouveau. Il semble également vrai que : « L’émergence de nouveaux mouvements sociaux antinucléaires a une signification profonde. Ce qui est exigé, c’est moins la fermeture des installations nucléaires que l’ouverture du dialogue. Ce qui est refusé, c’est la dualisation exclusive (« le nucléaire et la bougie »). La « subversion démocratique » (Ulrich Beck), s’attache ainsi à penser la condition d’émergence du possible, de persistance de plusieurs possibles, là où la logique technoscientifique impose le fatalisme. »113 La crise en nucléaire est venue après le silence. C’est par un annonciateur qu’elle fut initiée, le malheur annoncé cristallisant des doutes antérieurs refoulés, et les passions de ceux que la certitude anime resurgissent avec d’autant plus de violence que les intérêts politiques, économiques et sociaux en jeu autour du nucléaire sont énormes et centraux. Comme pour une crise de sorcellerie, telle qu’elle peut être décrite par Jeanne Favret-Saada114, les annonciateurs de malheur deviennent les boucs-émissaires ; et sont chassés (symboliquement et réellement) pour recouvrer l’ordre traditionnel beaucoup plus rassurant.

3. L’institutionnalisation : de la crise à la normalisation.

Cette période a pu amener par la remise en cause qui s’y opérait, à se poser la question d’une éventuelle démocratisation de la gestion des risques nucléaires. Ainsi Guillaume Grandazzi questionnait-il dans un article de MANA : « La crise de La Hague : vers une démocratisation de la gestion des risques ? »115 Pour une part à cette époque s’est opérée comme nous l’avons déjà souligné une pluralisation de l’accès au débat et notamment au débat scientifique. D’autre part, les différents espaces d’institutionnalisation ont été investis par la contestation ou par l’expertise dite indépendante. Pourtant une autre interprétation peut être envisagée.

Au niveau national l’intégration de la contestation s’opère autour de la participation active du parti écologiste « Les Verts » au gouvernement de la gauche plurielle. L’intégration politique, si elle peut se prévaloir d’une victoire initiale dans le domaine du nucléaire avec la fermeture du gouffre financier de Superphénix, s’avère rapidement ne pas peser dans un gouvernement qui prend rapidement position pour la poursuite du programme électronucléaire.

Le ministère de l’environnement est donc rapidement condamné par ses choix d’alliance politique à promouvoir une transparence des exploitants, transparence déjà amorcée par la précédente ministre de l’environnement Corinne Lepage, transparence rapidement prise en défaut par Greenpeace à Valognes autour du terminal ferroviaire de transports de déchets radioactifs où les wagons servant aux transports s’avéraient plus radioactifs que l’exploitant l’annonçait. Au niveau local, cette optique est défendue par l’élu Vert Daniel Bosquet lors de sa récente campagne des cantonales partielles de mai 2000. A aucun moment il ne se positionne comme antinucléaire, mais propose la sortie de la mono-industrie par une diversification au niveau de l’emploi, et demande des études indépendantes au niveau sanitaire.

En Juillet 1999, Dominique Voynet, avec les ministres socialistes de l’Industrie, de la Santé et de la Recherche, a signé les décrets d’application de MELOX l’usine de production de Marcoule, pour la production de combustibles MOX vers le Japon, et de Bure, le laboratoire d’étude de stockage en profondeur des déchets radioactifs, dans La Meuse. Là-bas, les populations locales hostiles au projet ont du mal à digérer la position ambiguë du mouvement écologiste. Lors d’un récent week-end de mobilisation contre le laboratoire à Bure, l’on pouvait lire sur des affiches représentant la ministre verte, « Elle a osé signer »116. Le retour des luttes au niveau local autour du problème de l’enfouissement des déchets radioactifs active à sa manière un paradoxe : c’est au moment où les luttes sur le terrain en matière de nucléaire reprennent de l’ampleur (il est vrai par rapport à une notion de proximité du risque) que la contestation institutionnalisée se retrouve piégée par ses propres choix politiques117. Et nous pourrions rappeler les propos prophétiques en l’occurrence de l’ACNM : « Lutter contre le règne du nucléaire revient à lutter contre l’organisation de ce règne. Renonçant devant la puissance écrasante de l’organisation sociale, certains voudraient qu’un arrêt du nucléaire et son démantèlement passent par la réforme. Mais quelle réforme viendrait à bout des Etats nucléaristes ? Ceux qui envisagent ce point de vue dans le sens électoraliste sont ou deviennent des suborneurs, comme tous les politiciens. »118

Au niveau local, en Nord-Cotentin, l’intégration politique et scientifique de la contestation n'est pas d'essence nouvelle puisqu’elle avait été déjà amorcée à plusieurs reprises, notamment au moment de la création des CLI (Commissions locales d’information) dans lesquelles siègent élus, contestataires, syndicalistes et exploitants. L’ACRO (Association pour le Contrôle de la Radioactivité dans l’Ouest), l’un des deux premiers laboratoires de recherche indépendants créés en France suite à l’accident majeur de Tchernobyl est ainsi intégrée aux commissions locales d’information à cette même période. Pourtant la crise en nucléaire qui secoue le pays contribue à l’émergence de nouveaux éléments de contestation.

Tout d’abord Jean-François Viel qui permet l’immixtion du doute dans ce pays de certitude. En réponse aux questions soulevées par l’étude Viel, le politique interpellé, par l’intermédiaire du ministre de l’environnement de l’époque, Corinne Lepage, décide de la création d’une commission d’expertise, à composantes plurielles et avis consultatif, autour du professeur Charles Souleau. L’expertise est donc bien comme le souligne Philippe Roqueplo119, ce procédé mobilisé par le politique pour répondre aux crises environnementales qui surgissent, il est l’espace qui se situe entre le savoir scientifique et la prise de décision, espace où le scientifique consulté est amené (le plus souvent en privilégiant une piste possible, celle qui lui paraît la plus adéquate) à devenir formel (là où souvent le doute subsiste). En Cotentin cet appel à l’expertise n’est que le premier volet d’une entreprise beaucoup plus ambitieuse, celle de la mise en place d’un dispositif de surveillance. Ainsi autour de La Hague se constitue un réseau d’enquêtes à composantes plurielles, dont les premiers résultats sont fournis autour de la commission animée par le professeur Annie Sugier, de l’IPSN, et à laquelle participaient l’ACRO, la CRII-Rad, l’autre laboratoire indépendant. Cette pluralité de participation au niveau de l’expertise est pour l’essentiel, nouvelle. Les conclusions de cette commission se veulent rassurantes ; elles sont sujettes à polémiques entre les deux laboratoires indépendants dont l’un la CRII-Rad refuse de cautionner le travail120 quand l’ACRO accepte les conclusions en y apposant des réserves. Les remarques de Corinne Castanier, de la CRII-Rad dans son document de travail concernant le projet de synthèse du groupe Sugier sont particulièrement éclairantes : « Le paragraphe 6.4 (du rapport de synthèse du groupe Sugier) intitulé « Vers une forme d’expertise pluraliste » contient des éléments très importants qui font peser une très lourde responsabilité sur les experts du mouvement associatif dont la présence est présentée comme un « gage de qualité des résultats », une « contribution à la construction de la confiance sociale » dans le cadre d’une expertise qui « implique inévitablement des choix plus ou moins explicites effectués notamment pour contourner les incertitudes scientifiques et les lacunes de la connaissance. » Tous ces points doivent impérativement être discutés préalablement à toute publication. La présentation est bien trop angélique et passe sous silence l’absence de moyens à la hauteur de la tâche ce qui empêche à notre avis de parler de véritable expertise pluraliste, et, plus important encore, le fait que certains choix qui ne peuvent être fondés sur des critères scientifiques interpellent l’ensemble de la société et ne doivent pas être confinés à l’intérieur d’une expertise, fut-elle pluraliste. Si tel était le cas, l’intervention d’experts indépendants serait à notre avis plus nocive que positive pour les enjeux sanitaires et environnementaux. »121

Ce déferlement d’études a vocation à répondre aux questions posées par Jean-François Viel et ainsi de façon plurielle à construire une réponse rationnelle à la crise. Le combat s’organise, au sein de ces commissions, et ce, de manière proprement inégale (inégalité de répartition contestataires/ « mineurs » ; inégalité de moyens techniques et financiers d’investigation) pour l’appropriation du monopole symbolique de la Vérité. Ainsi les travaux et les conclusions rassurantes de cette commission à composante plurielle sont-ils repris par l’espace communication de COGEMA, le pluralisme signifié symboliquement devient-il un argument publicitaire122. La veille est principalement sanitaire. Alfred Spira et Odile Boutou sont les experts-techniciens que l’on charge de mettre en place cette nouvelle politique de transparence : « La problématique centrale du dispositif qui doit être mis en place est la surveillance de la santé. Il s’agit de la mission principale de l’institut de veille sanitaire. Celui-ci devrait donc être naturellement chargé de l’ensemble des activités proposées. La complémentarité avec l’OPRI pourra être assurée au sein du conseil national de la sécurité sanitaire dont l’existence est prévue dans la loi de sécurité sanitaire. »123 Alfred Spira et Odile Boutou conseillent à l’époque que le travail de surveillance s’organise autour de différents axes : recherche et expertise, surveillance effective des mesures d’exposition, surveillance épidémiologique, veille sociologique…

L’institutionnalisation s’opère également autour des commissions locales d’information (CLI) où en tant qu’invités, différents acteurs de la crise sont intégrés. C’est le cas de Greenpeace dont les campagnes tonitruantes ont alimenté la polémique, et des « mères en colère », ce collectif de mères de familles qui s’était mis en place en réponse à ce qu’elles considéraient être une agression contre le professeur Viel. Bernard Cazeneuve, président de la commission d’information de La Hague et député socialiste a fait le choix explicite de faire des différentes sessions de la commission le lieu de débat où puissent s’exprimer les différentes conceptions politiques. En ce sens, le débat demeure confiné au sein de cette commission, devenue le lieu de la représentation officielle de l’espace public. Pourtant, cet espace public s’organise hors-du-monde-commun au sens où l’entend Hannah Arendt ; ce forum d’information et de concertation est ouvert au public (d’ailleurs bien peu nombreux) mais il ne peut y assister qu’en spectateur.

Du côté de la contestation, les enjeux politiques se jouent pour l’essentiel en des termes de volonté d’intégration. Pour reprendre l’analyse de Tilly124, les contestataires cherchent à entrer dans la politie, à prendre place dans le processus traditionnel de prise de décision ; ils cherchent à leur façon à prendre officiellement existence et à peser ainsi sur le politique par la voie de la concertation. Ils y cherchent aussi une certaine crédibilité, une certaine reconnaissance.

Les « mères en colère » semblent bien incarner ce qui pourrait être un exemple de cette politique d’intégration de la contestation. Le groupe s’est créé, comme je l’ai rappelé plus avant, en réponse au dénigrement dont était l’objet le professeur Viel. Ce groupe de mères de famille se constitue autour du désir de transparence et d’une demande d’information : « Exigeons des informations claires et objectives !»125 Leur objectif est essentiellement de renouer le dialogue à une époque où la polémique fait rage. Leur demande : une expertise indépendante. Comme le souligne Bérengère Dauvin : « Ce qui fonde la démarche, c’est la seule revendication de la « transparence démocratique » sur une question où selon elles, il est impossible pour l’instant de l’obtenir. »126 Elles se mobilisent principalement par rapport aux systèmes experts, dans l’attente d’une réponse experte sur la question ; et cette réponse leur est fournie par les travaux de la commission Sugier . Ainsi lors de la récente enquête publique dans les mairies de La Hague à propos de COGEMA (augmentation des capacités de stockage) , le collectif se plaignait-il du fait que les résultats de la commission Sugier ne soient pas fournis. Pour une part, elles légitiment ce que nous nommerons intégration scientifique. Par ailleurs, dès leurs premières semaines de mobilisation, en pleine polémique, elles sont reconnues par les médias, et nous y reviendrons plus tard, comme les représentantes des populations locales (notamment grâce à une pétition demandant davantage de transparence et qui allait recueillir plus de 6000 signatures).

Cette reconnaissance médiatique constitue rapidement un signe de reconnaissance institutionnel, et elles sont invitées à la commission Hague, consultées pour les travaux d’Alfred Spira. Cette aspiration à la concertation est venue hâtivement au sein du collectif, et dès les premiers mois la représentante du collectif rencontre le député-maire d’Octeville Bernard Cazeneuve pour lui faire part de ses inquiétudes. Aujourd’hui, les mères en colère envisagent de co-organiser avec l’AIEA une journée de rencontre avec des scientifiques internationaux chargés de venir faire des prélèvements sur place, chez l’habitant, histoire, à la manière décrite par Anthony Giddens127, de relocaliser les systèmes abstraits, de redonner visage humain aux nucléocrates128.

Finalement, à La Hague, à la crise succède une période de normalisation dans laquelle les éléments contestataires qui n’étaient pas encore intégrés au procès institutionnel de concertation, le sont lentement. C’est ailleurs, sur les sites d’enfouissement que la contestation regagne en force de mobilisation, en subissant par ailleurs, les contrecoups d’une institutionnalisation (programmée ?) de l’écologie politique.

Il faut saisir que, dans le même temps, les enjeux économiques ne sont plus exactement ceux qu’ils étaient jadis et les coûts économiques, environnementaux et sociaux ayant sensiblement évolué en ce qui concerne l’énergie nucléaire, il se peut que l’Etat français et EDF diversifient davantage. Le coût du nucléaire par rapport aux autres énergie est devenu moins compétitif ; le recours massif au nucléaire s’est imposé comme réponse au boum du prix du pétrole129… or, les cours du pétrole et du gaz ont sensiblement baissé, tandis que la productivité des énergies renouvelables a sensiblement augmenté. De plus, les nucléaristes sont aujourd’hui confrontés aux réticences croissantes des populations qui rendent leurs projets irradiants de plus en plus coûteux. Comme le capitalisme, l’industrie nucléaire se doit alors de changer d’image, devenir transparente et surtout devenir propre. Dans cette optique, les Etats nucléaristes sont en mesure de laisser une place croissante à la diversification (qui ne remettrait pas radicalement en cause la visée stratégique et militaire de l’arme atomique), ce qui légitimerait du même coup le choix de l’intégration politique, scientifique ou associative. Ainsi le projet de loi sur la sûreté et la transparence en matière de nucléaire préparé par le Gouvernement a-t-il ses limites intrinsèques : « la première mouture du projet a été rejetée par le Conseil d’Etat. Elle prévoyait d’organiser une Autorité administrative, indépendante, compétente en matière de réglementation et de prise de décision dans le domaine de la sûreté nucléaire et de la radioprotection. Dans l’avis négatif qu’il a rendu, le Conseil d’Etat a considéré que le domaine nucléaire devait rester dans la sphère de l’Etat et qu’il ne se prêtait pas à un transfert de compétence. »130

Pour reprendre l’analyse de Raoul Vaneigem131, nous entrons aujourd’hui dans l’ère du capitalisme propre, gestion plus humaine du capitalisme, que l’on voit se profiler dans l’idée de développement durable (qui ne remet pas fondamentalement en cause l’idée de développement) ou de contrôle citoyen de l’OMC (Organisation Mondiale du Commerce)132, et ces options font petit à petit consensus, face aux manifestations de plus en plus désastreuses du capitalisme. « Ceux qui crieront désormais « A bas la barbarie ! » remporteront la victoire, non par raison humanitaire mais parce que l’intérêt des affaires s’humanise. »133 Et nous pourrions ajouter avec le SIA (Syndicat Intercorporatif Anarcho-syndicaliste) : « Ceux qui nous font croire que le capitalisme peut être propre se plaignent des fraudes organisées autour des produits transgéniques ou des farines animales en faisant semblant d’oublier que c’est le monde qu’ils continuent de soutenir qui produit ces désastres »134.

4. La dépossession où lorsque l’hétéronomie finit de rentrer en scène.

Ici comme ailleurs, le nucléaire s’est construit sans-les-populations, contre la contestation et par l’adhésion passive de nombreuses personnes. Le monde nucléaire se caractérise par son haut degré de dépossession ; haut degré de dépossession au vu de la surtechnicité du langage nucléaire et de la médiatisation du débat politique, haut degré de dépossession qui contraint les populations à choisir en toute confiance, spectatrices des abstractions rivales qui leur sont proposées. « Toute la vie des sociétés dans lesquelles règnent les conditions modernes de production s’annonce comme une immense accumulation de spectacles. Tout ce qui était directement vécu s’est éloigné dans une représentation. »135

Comme nous l’évoquions plus avant, la relation à l’énergie nucléaire est essentiellement abstraite. Elle ne se rapporte à aucune relation directe (pas directement perceptible) et à aucun savoir social existant (puisque le nucléaire est une énergie totalement nouvelle). D’une part, les tenants de l’énergie nucléaire s’appuient sur les analyses fournies par les nucléocrates, analyses qui nient la plupart des problèmes liés à l’industrie nucléaire, confiants dans les discours experts qui leur sont proposés. « Y faut bien leur faire confiance, eux ils savent. » Dans cette perspective la dépossession s’envisage comme une délégation de confiance du profane au savant, de celui qui est censé ne pas savoir à celui qui est censé savoir. D’autre part, la contestation s’est organisée en référence et parfois même en attente (l’exemple des « mères en colère » est significatif) de réponses expertes. Ainsi, en Nord-Cotentin, la contestation du discours nucléaire s’est-elle organisée rapidement et de manière de plus en plus radicale comme une réponse technique à la technique. Comme le soulignait lors d’un entretien Yannick Rousselet, responsable de Greenpeace Cherbourg : « les militants sont devenus bien meilleurs. (…) et ça pose de sérieux problèmes à nos adversaires ». Le discours des contestataires s’est en quelques années énormément professionnalisé136. De part et d’autre, parce que les discours experts sont quasi inaccessibles, la relation à l’abstraction se base sur la confiance.

L’appel récent à des expertises plurielles ou plus exactement présentées comme telles, comme c’est le cas en Cotentin autour de la mise en place d’un réseau de surveillance n’est qu’une autre face de cette dépossession massive. Les débats se font hors-du-monde-commun entre spécialistes du débat nucléaire, jugés compétents par les autorités politiques. Les populations sont spectatrices des affirmations expertes. En Cotentin, si l’on a écouté avec autant d’acuité le professeur Viel, c’est parce qu’il est dépositaire d’une légitimité scientifique, représentation symbolique de l’attachement subjectif à des systèmes abstraits… et si les mères se mobilisent c’est pour une pluralisation des conceptions expertes. Pourtant, l’expert indépendant ou contre-expert est un expert qui vient dire autre chose que le discours expert traditionnel ou officiel, mais qui mobilise toujours un discours technique. La critique qu’il élabore demeure difficilement compréhensible pour le profane, contraint de s’en remettre à ses observations expertes. La contre-expertise, si elle participe de manière active à la pluralisation du débat, ne remet pas en cause radicalement la dépossession à l’œuvre ; elle offre un choix aux spectateurs entre les différentes interprétations expertes qui lui sont proposées.

La nouvelle référence en terme d’expertise est celle qui offre l’illusion de la participation active des populations aux prises de décision : la conférence de consensus. Ces conférences consistent à produire un espace de dialogue entre un panel de « citoyens » • triés sur le volet – et un panel d’experts, procédure mise en place en vue de préparer un débat parlementaire. Là encore, la technocratie, soucieuse de son image, extrait le processus du monde-commun en constituant des panels, même si l’intention de faire partager aux profanes (certains) les lumières expertes peut paraître louable, le procédé se légitimant comme un exercice participatif.137 C’est comme si nos sociétés ne pouvaient s’empêcher de mettre le monde en éprouvette, de constituer des espaces de séparation du monde-commun.138 On voit bien, dans la dénomination même de ces conférences, quels en sont les enjeux : le consensus. Le consensus est-il réellement conciliable avec l’idéal démocratique ? La pluralité peut-elle se permettre de se diluer dans le consensus ? Les enjeux semblent donc bien encore résider dans l’appropriation et la monopolisation des gages symboliques de la raison, mais également de relocaliser l’abstraction139, faire que le profane rencontre de manière plus directe l’expertise, éviter que l’éloignement ne génère l’angoisse.

Dès lors, l’opposition experts/contre-experts se constitue comme un affrontement spectaculaire, que les différents acteurs sociaux ne peuvent observer qu’en spectateurs, optant en toute confiance pour un camp ou pour l’autre. Cette dépossession qui contribue à la mise en spectacle de la question nucléaire, nous pourrions la stigmatiser à la manière dont l’abordait Thibaut Romain pour une émission de France 3 : « Cette radioactivité, les pêcheurs d’ici sont condamnés à vivre avec. Les habitants de cette presqu’île sont obligés de faire confiance, sont tenus de s’en remettre à ceux qui détiennent le savoir, un peu comme les otages d’une science qui pour le moment n’a pas réponse à tout. »140

Par ailleurs la dépossession s’organise également autour de la tyrannie de la communication141. « Les images qui se sont détachées de chaque aspect de la vie fusionnent dans un cours commun, où l’unité de cette vie ne peut être rétablie. La réalité considérée partiellement se déploie dans sa propre unité générale en tant que pseudo-monde à part, objet de la seule contemplation. La spécialisation des images du monde se retrouve, accomplie, dans le monde de l’image autonomisé, où le mensonger se ment à lui même. Le spectacle en général, comme inversion concrète de la vie, est le mouvement autonome du non-vivant. »142 L’image est devenue un support indispensable de toute stratégie moderne de communication politique ou industrielle. L’on pourrait définir la communication moderne à la manière d’Ignacio Ramonet : « La communication dans ce sens là, est « un discours émis par une institution qui flatte celle-ci » »143 On pourrait y ajouter la dimension spectaculaire décrite par Debord144, transformant le vivant en pseudo-vivant en le faisant passer pour du vivant.

Et les exploitants du nucléaire communiquent de manière particulièrement active. La publicité est leur première arme de communication par laquelle ils remodèlent en partie le langage145. D’ailleurs il est intéressant d’observer la tentative récente de COGEMA de retravailler le réel. Des spots télévisés offrent une image de la réalité nucléaire en Cotentin, en filmant en situation, des travailleurs et des habitants, offrant l’illusion du vécu, revalorisant l’image du nucléaire. La seconde arme s’organise autour de la communication vers des journalistes comme lors des différents départs de déchets radioactifs en Cotentin vers l’étranger où l’exploitant fournit lui-même les images aux différents médias. Les nucléocrates ont également prévu des campagnes en direction des écoles locales, aussi bien à La Hague qu’autour des différents sites éventuels d’enfouissement de déchets146. Enfin l’exploitant a investi le net et offre in live (enfin en léger différé, on n’est jamais trop prudent !) des images du site, feiniant d’ignorer que la radioactivité aussi active qu’elle soit n’est pas réellement photogénique.

Les opposants investissent eux-mêmes dans la communication. L’exemple le plus frappant, c’est l’organisation écologiste Greenpeace qui crée deux types d’événements médiatiques. Le premier est la mise en spectacle de ses actions d’opposition ; les militants se mettent de manière spectaculaire en péril, cette mise en péril signifiant leur attachement à la cause. Le second mode d’interpellation, celui là plus récent est venu des pays anglo-saxons où des opérations coup de poing filmées tentent de démontrer la faute de l’adversaire147, l’affaire de la conduite d’évacuation des effluents radioactifs de La Hague en est un bon exemple. A cette occasion, les militants et militantes de Greenpeace avaient fourni aux médias des images de leurs plongeurs effectuant des analyses qui s’avéraient prendre à défaut l’exploitant. Greenpeace est sans nul doute l’organisation écologiste locale qui fonctionne le plus dans une perspective de l’apparition par l’image ; apparition qui par ailleurs peut générer de la polémique et participer à une certaine pluralisation du débat.

Aujourd’hui prendre existence politiquement, ce serait essentiellement prendre existence médiatiquement, comme si le monde que la télévision nous montre était devenu, comme le pressentait Debord, le monde réel148. Dans une autre perspective la contestation locale a produit ses propres intervenants médiatiques, intervenants devenus incontournables, dont le discours s’est petit à petit professionalisé (gain d’efficacité). On pourrait stigmatiser cette relation particulière au politique avec les mots de Yannick Rousselet, responsable de Greenpeace Cherbourg : « Ou on est dans le jeu du système médiatique tel qu’il est ou ça n’intéresse personne ».

Dans cette perspective, la contestation accepte de jouer des règles du jeu médiatique telles qu’elles sont établies : hyper-émotion, simplification des explications, rapidité, montrer et mettre en scène l’événement. Le débat convoque les règles de l’instantanéité et contraint à user du « fast-thinking »149, la pensée rapide dont on élimine les aspérités pour mettre en « sun-light » des idées conformes aux attentes du public, uniformisant petit à petit le discours. Les contre-experts ou lanceurs d’alertes à l’image de Jean-François Viel sont également confrontés au prisme réducteur des médias ; ce dernier a été contraint à l’instar de l’expert de simplifier son discours, de le dramatiser (s’il ne le fait pas, les médias le feront pour lui), de le surdéterminer150(même s’il a, je pense essayé d’éviter le piège). C’est oublier que temps médiatique et temps politique ne font pas bon ménage : « L’une des raisons qui poussent les médias à commettre tant d’erreurs et à se laisser séduire par le mensonge, réside dans la contradiction permanente qu’entretiennent temps médiatique et temps politique. Autant ce dernier, comme l’ont voulu les fondateurs de la démocratie, doit être lent pour permettre aux passions de s’apaiser et à la raison de s’imposer, autant le temps médiatique a atteint la limite extrême de la vitesse : l’instantanéité. »151 C’est oublier également que le message médiatique convoque l’homme de masse, isolé du reste du monde, convocation dans l’instantanéité qui élimine non seulement la réflexion mais également le débat152.

Dès lors comment éviter que le débat politique et le débat scientifique ne sombrent en joutes communicationnelles entre intervenants jugés incontournables du débat médiatique ? Si l’espace médiatique n’est pas l’espace qui laisse le temps de la réflexion, il est également un espace qui réduit de manière drastique la création, produisant de manière standard des marchandises médiatiques ; et l’information n’échappe pas au phénomène. En effet, le plus souvent le mimétisme médiatique153 conduit les journalistes à reconduire sans cesse les même intervenants, parce que leur discours ou leurs apparitions s’adaptent mieux aux règles du jeu ou parce que le concurrent a déjà convoqué le spécialiste. Ce qui aboutit à la reproduction sans cesse renouvelée des mêmes confrontations. Les populations, quant à elles, n’ont plus qu’à suivre à distance ces différentes confrontations, réduites à observer le spectacle d’une politique de spécialistes qui s’entre-déchirent pour l’appropriation des gages symboliques de la raison.

Comme le souligne Christopher Lasch avec la communication de masse, la vérité a laissé place à la crédibilité. « La vérité a cédé la place à la crédibilité, les faits aux déclarations qui semblent faire autorité, mais qui ne donnent aucun renseignement digne de foi. »154 Les apparences finissent de prendre le dessus dans la communication de masse ; la communication comme propagande joue de l’efficacité comme arme de conviction, et finalement le discours politique se réduit en un art subtile de la publicité, publicité qui s’apparente à de l’information et qui s’affuble d’éléments partiels– et partiaux – de vérité. « Le propagandiste ne fait plus circuler des affirmations sciemment tandancieuses. Il sait que les vérités partielles trompent plus efficacement que les mensonges. »155 La communication de masse à l’image de la propagande se structure essentiellement comme volonté de façonner l’opinion. Ainsi en a-t-il été de l’intervention occidentale au Kosovo et comme le soulignait à ce propos Serge Halimi, l’opinion, ça se travaille…156

A La Hague, la remise en cause de l’ordre symbolique qui a lieu autour du malheur annoncé par Jean-François Viel, se fait pour l’essentiel de l’extérieur. Les polémiques qui s’ensuivent sont observées à distance par les habitants. C'est comme si les habitants vivaient séparés des termes du débat, « condamnés » à subir le monde plus qu’à y prendre part, c’est comme s’ils avaient vécu la crise, dépossédés du monde.

L’intensité de cette dépossession n’a d’égal que la massification qui l’accompagne. Comme le souligne Françoise Zonabend157, dont je reprends à la suite, les grandes lignes d’analyse, La Hague est une terre qui en quelques décennies a changé de visage. Petit à petit cette terre enracinée dans sa culture villageoise et paysanne a vécu le bouleversement de l’arrivée du high-tech. De nouvelles populations sont venues de l’extérieur accompagnant l’emballement nucléaire, et les paysages ont changé, manifestation symptomatique du changement, celui-là plus profond, qui touchait les communautés mêmes. Les anciennes solidarités paysannes ont rapidement disparu. Les cités construites pour les travailleurs du nucléaire se sont bâties en périphérie des villages, avec leurs propres hiérarchies. Les populations immigrées, principalement mises à contribution pour les grands chantiers ont vécu entre elles. Le morcellement des paysages reflète le morcellement de l’univers social et l’atomisation (dans tous les sens du terme) progressive du Cotentin, l’atomisation de la société nucléarisée.

Ce que le nucléaire finit d’apporter dans cette société en voie de dépaysannisation, c’est un morcellement du quotidien. Les économies paysannes centrées sur la structure familiale et l’auto-production158 laissent place à des sociétés proprement modernes où l’atome se substitue à la communauté. Cette société passe des relations communautaires telles qu’elles peuvent être décrite par Ferdinand Tönnies, c’est-à-dire « Tout ce qui est confiant, intime, vivant exclusivement ensemble (…) »159 aux relations en société, « agrégat mécanique et artificiel »160 et, par là même, du directement vécu à la représentation. La société nucléaire s’est massifiée, agrégat d’individus atomisés mais pas plus autonomes pour autant. Un monde-commun disparaît auquel se substitue un monde privé, monde dans lequel l’on prend connaissance du monde par l’intermédiaire de ceux qui savent et de l’image. La société est d’autant plus déracinée face à l’arrivée du nucléaire qu’elle ne peut véritablement s’appuyer sur des savoirs sociaux préexistants et que, comme nous le soulignons plus avant, le nucléaire est une activité nouvelle ; elle est ainsi dépossédée par un monde nouveau qui assimile les peurs à des irrationalités, et la tradition au passéisme. Ce que le nucléaire a de fondamentalement nouveau c’est qu’il prend existence autour d’un corps d’experts, à distance du monde commun. Quant à l’image, c’est dans l’isolement qu’elle acquiert sa pleine puissance ; elle s’adresse à l’homme de la société de masse, isolé du monde (atomisation), isolé par la division sociale du travail qui fait de lui un spectateur de la technique nouvelle qui vient peupler son monde en toute abstraction.

La question posée par la dépossession est donc bien la même que celle que posaient Durkheim161 et Weber en des termes différents : celle de la division toujours croissante du travail social, multipliant les savoirs savants spécialistes ; et d’autre part, la bureaucratisation croissante des fonctions sociales. Des experts sont amenés en toute confiance à s’occuper de notre devenir : les nucléocrates, les contre-experts, les experts de la contestation, et les experts politiques. Le phénomène social est total, à la manière du fait social total décrit par Mauss162, et touche aussi bien le politique, le scientifique, l’économique que le social. Et avec Durkheim nous pourrions nous poser la question de savoir pourquoi l’autonomisation des solidarités anciennes n’a-t-elle pas amené les populations à davantage d’autonomie, mais au contraire à devenir dépendantes d’un monde social divisé163. « Tout ceci ne doit pas trop nous étonner. Suivant le principe de la division du travail, plus un système est complexe, plus les tâches se spécialisent, plus ses composants sont isolés, moins les parties ont de rapports avec le tout. Or, nous savons grâce aux travaux de Stanley Milgram, que plus on accroît un process, plus le lien entre geste et action est faible, moins la conscience est en alerte. La technopolis ne fonctionne que sur l’endormissement progressif des consciences et l’isolement grandissant des individus. »164

Avec la spécialisation, c’est l’autorité même de l’expert qui est renforcée ; et l’expérience de Milgram165, souligne en situation, comment l’autorité scientifique conduit les individus à une soumission quasi-aveugle. « Sous le prétexte d’une enquête sur l’apprentissage et la mémoire, Milgram et son équipe amenèrent des hommes et des femmes ( appelés « moniteurs » dans l’expérience ) à infliger des chocs électriques d’une intensité croissante à des sujets ( appelés « élèves » ), dont on prétendait tester les capacités de mémorisation : sanglés sur une chaise, une électrode fixée au bras, ceux-ci devaient restituer de mémoire des listes de couples de mots qui leur étaient lus. Chaque nouvelle erreur de « l’élève » était sanctionnée d’une décharge électrique plus forte que la précédente, appliquée par « le moniteur ». Les « élèves » étaient des comparses de l’expérimentateur qui mimaient la douleur. Les chocs électriques étaient simulés grâce à une énorme machine comportant trente manettes échelonnées de quinze à quatre cents volts et assorties de mentions allant de « choc léger » à « attention : choc dangereux ». Ce dispositif expérimental était destiné à tester non les facultés d’apprentissage de « l’élève », mais l’obéissance des « moniteurs »… Les deux-tiers des personnes testées ont coopéré jusqu’au bout. Cédant aux injonctions de l’expérimentateur, ils ont poursuivi l’expérience, souvent dans l’angoisse et la protestation, jusqu’au niveau de choc le plus élevé. « C’est peut-être là » écrit Migram, l’enseignement essentiel de notre étude : les gens ordinaires, dépourvus de toute hostilité, peuvent, en s’acquittant simplement de leur tâche devenir les agents d’un atroce processus de destruction. »166

Au contraire de ce que certains avançaient, le développement catastrophique n’a pas atténué ce phénomène de dépossession. Comme le remarquaient déjà Bella et Roger Belbéoch à propos de la catastrophe de Tchernobyl : « loin de mettre en cause le pouvoir qu’ils (les experts scientifiques) se sont assuré dans la société, la catastrophe nucléaire leur permet de se constituer en un corps unifié international aux pouvoirs encore renforcés. C’est au moment où les experts scientifiques ne peuvent plus rien promettre d’autre que la gestion des catastrophes que leur pouvoir s’installe de façon inéluctable. »167 L’ère catastrophique qu’inaugure Tchernobyl intensifie le pouvoir de l’expertise et de la gestion par des techniciens professionnels des risques encourus par des populations potentiellement victimes des avatars du progrès. Ainsi, autour de La Hague, suite à l’alerte lancée par le professeur Viel, mesure-t-on, quantifie-t-on le risque encouru, comme l’atteste la multiplication des commissions d’expertise, de veille, de surveillance.

La dépossession s’accompagne dans un même mouvement d’un désir accru de protection face aux avatars du progrès, d’une maîtrise plus grande de l’avenir par ceux qui en détiennent les rênes. Ce recours accru aux protections extérieures pourrait se caractériser par l’image qu’en offre Jaime Semprun : « Les ruptures violentes de la routine qui se produiront sans doute dans les années à venir pousseront plutôt l’inconscience vers les protections disponibles, étatiques ou autres. »168 Et ainsi le pouvoir nucléocratique se voit-il renforcé en partie par la catastrophe.

La dépossession est d’autant plus massive qu’elle s’organise comme caractéristique essentielle des sociétés soumises à l’action technocratique. Comme le souligne Salvador Juan169, la technocratie construit son emprise sur l’hétéronomie qu’elle institue, produisant la dépendance des populations extraites des processus de décision – en ayant l’illusion d’y être associées – et soumises aux aléas des décisions expertes prises à distance du monde-commun dans l’illusion – imaginaire – de la pure nécessité du processus. C’est précisément cette hétéronomie qui conduit les acteurs sociaux à manifester le besoin accru de protection, protection qui elle-même contribue à accentuer leur hétéronomie. Une hétéronomie qui, par ailleurs, touche des aspects de plus en plus importants de notre quotidienneté – couple, famille, santé mentale, etc. – et faisant des experts divers – psychologues, sociologues, etc. – comme le soulignent des auteurs comme Michéa, Illitch, etc. les garants légitimés de notre hétéronomie.

Finalement dépossédés du monde, les populations soumises à une crise catastrophique ne peuvent que se retourner vers ceux qui sont censés détenir les clés du processus. Ainsi, les habitants de la Somme, confrontés à des inondations sans précédents, accusent les autorités et Lionel Jospin en visite de la responsabilité de la situation. Où est le confort que vous nous aviez promis ?

Forme particulière de résistance à cette dépossession active, s’organisent des moyens malhabiles d’enraciner l’abstraction. Les voisins des installations à risque essaient de découvrir des signes concrets qui pourraient, comme des indices, leur permettre de prendre conscience de la réalité du risque par eux-mêmes. C’est ce que des « mères en colère » interrogées nommaient le « bon sens », retour à un moyen plus direct de se faire une idée. Certains, comme à La Hague, basent leur confiance dans les installations dans l’absence d’accident majeur ; d’autres au contraire leurs réticences sur une expérience malheureuse, comme ce cadre des télécoms de La Hague : « L’incendie du silo en 1981, mal maîtrisé, mal géré, reste dans toutes les mémoires. « J’ai appris l’incendie par un copain qui travaillait à l’usine », raconte un cadre des télécoms, « J’ai appelé la gendarmerie, la mairie, la sous-préfecture, le député, personne ne pouvait me dire quoi faire. A la radio on assurait que rien ne s’était échappé en dehors des clôtures, qu’il n’y avait pas de vent. De ma fenêtre, je voyais la fumée poussée par un vent d’ouest à tout casser. Ce jour-là, je suis devenu antinucléaire. »170

A Tchernobyl, la prise en compte de l’expérience directe est beaucoup plus douloureuse car c’est à la mort, la maladie, le déracinement de grande ampleur que l’on se confronte directement et pour des millénaires. « En sortant finalement du bain, j’ai eu un choc terrible. Je me suis vue nue dans un grand miroir accroché derrière la porte. J’avais trente cinq ans et le corps ferme et blanc, mais au dessus mon visage était brun, labouré de rides rouges foncé comme une pomme brûlée. Ma peau pelait, mes cheveux étaient noirs et s’en allaient par touffes quand je les touchais. »171

Mais ici comme ailleurs, c’est à l’invisible que l’on se confronte, invisible dont on ne peut percevoir, tout en en reconnaissant l’existence, le détail ; en en laissant la maîtrise à l’expertise.

Pourtant, et ceci est peut être le plus surprenant, la dépossession est elle-même à l’œuvre chez le nucléocrate. Comme le nucléocrate se sépare du monde-commun pour en prendre possession, il se sépare de lui-même pour ce qu’il recèle d’humanité et donc d’imperfections. L’empirisme qui est à l’origine du physicalisme n’est rien d’autre que l’affirmation de l’instrument contre la perception trompeuse ; et c’est l’humanité qui est subordonnée à l’instrument, à la technique. Ainsi notre perception du monde est source d’erreurs et la science par l’intermédiaire de l’instrument nous révélerait la réalité. L’empirisme lorsqu’il confine au physicalisme conduit le nucléocrate à devenir le simple instrument physique de la technique autonomisée. La technique appliquée à sa propre spécialisation devient savoir effectif, savoir expert et objectif ; spectacle de la pseudio-objectivité technique séparée de son technicien. La technique ne pense pas, elle produit comme produit de la techno-science moderne. « Le spectacle en général, comme inversion concrète de la vie, est le mouvement autonome du non-vivant. »172 « Le spectacle est la réalisation technique de l’exil des pouvoirs humains dans un au-delà ; la scission achevée à l’intérieur de l’homme. »173 Alors le nucléocrate se fuit comme la peste, exilé de lui-même ; il a la haine de sa propre faiblesse supposée. « Car la technique apparaît avant tout comme production autonome d’une rationalité qui se prend elle-même pour sa propre fin. Le sujet qui croyait atteindre par l’entendement à l’objectivité s’est évaporé progressivement dans l’autonomie de la technique. »174 C’est ici même que s’enracine la haine du nucléocrate pour la réalité, à la fois façonable et trompeuse. Les révélations du professeur Viel ne peuvent pas véritablement avoir un caractère de réalité puisque les modèles scientifiques et les instruments contredisent cette réalité…

Finalement, la dépossession est ce moment particulier où l’homme pris dans le processus d’industrialisation et de bureaucratisation perd de plus en plus son autonomie d’action et de perception, où il est toujours d’avantage soumis aux décisions et aux analyses expertes. Il y est toujours plus réduit à une fonction de spectateur d’un monde qui lui échappe, soumis aux aléas de la technique des grandes décisions technocratique et aux vicissitudes économiques…Et alors c’est l’étrange visage de la séparation qui surgit de manière récurrente : séparation savant/profane, professionnel de la politique/spectateur, image/réalité, nucléocrate de lui-même.

5. La tentation totalisante.

La tentation totalisante, c’est cette tentation qui surgit lorsque le nucléaire a pris totalement place dans un espace. La tentation totalisante, c’est encore cet imaginaire à l’œuvre qui fait disparaître radicalement la pluralité, qui substitue au dialogue, le faire ; c'est également un totalitarisme qui n'en a pas les moyens175. L’exemple de La Hague sur lequel nous nous appuierons principalement dans les pages suivantes est un exemple frappant, et avec Hannah Arendt, nous pourrions souligner : « Le radicalisme des mesures prises pour faire disparaître les gens comme s’ils n’avaient jamais existé et pour les faire disparaître au sens littéral du terme n’apparaît généralement pas à première vue . »176 La tentation totalisante n’est pas pour autant totalitarisme : « L’Etat totalitaire n’est pas un état où sévit l’arbitraire, c’est un Etat qui dans son principe dénie le droit, dénie le libre exercice de la pensée. »177 Là où le nucléaire a rencontré de tels Etats, il ne s’est jamais aussi senti à l’aise, comme lors de la catastrophe de Tchernobyl où sa gestion n’a été possible que par la force de mobilisation (et pas uniquement autoritaire) des masses soviétiques178.

Dès son origine militaire, le nucléaire se construit, notamment en France sur l’idée que la démocratie est accessoire au projet ; l’œuvre civilisatrice peut se passer de l’avis des populations pour l’accomplissement de leur bonheur et de leur sécurité. La société nucléaire se bâtit sur le déni de démocratie. La démocratie ne sert que si l’on en a besoin, comme le Parlement. Elle n’est qu’un instrument comptable au service du programme atomique.

La logique militaire du secret et de l’intérêt national justifie les silences et les zones d’ombre, les nucléocrates étant les seuls maîtres à bord, contrôlant leurs propres activités, comme le rappelle André-Claude Lacoste, actuel directeur de la Direction à la Sûreté des Installations Nucléaires (D.S.I.N.) : « Comment organiser le contrôle d’une technique nouvelle ? Au début peu de gens savent comment ça marche. Ceux là commencent à « faire ». Vient le temps où on se demande comment « surveiller ». Il y a tellement peu de spécialistes que cette surveillance est naturellement confiée aux mêmes. »179

Lors de l’implantation de l’usine de La Hague, la démocratie locale semble aussi accessoire… dans un premier temps, pour être envisagée dans un second comme un appui possible. C’est l’époque où les nucléocrates semblent pouvoir tout se permettre, déniant le droit même, comme ce fut le cas à Saint-Aubin ou à Saclay où des déchets hautement radioactifs (cœurs de réacteurs) sont enterrés au mépris de toutes règles de sécurité élémentaires180. Outre ces dénis de démocratie et de droit, l’ère nucléaire s’appuie essentiellement sur des intérêts étatiques181, ce qui semble lui garantir une certaine impunité. Le déploiement massif et militaire lors des différents départs de déchets radioactifs vers l’étranger est significatif à ce propos (auto mitrailleuses, gendarmes mobiles, surveillance satellite lors des retours, etc.). La puissance atomique et les progrès qu’elle est censée engendrer se sont construits comme une théologie, dépassant les principaux clivages politiques traditionnels et les aléas démocratiques.

Au cœur de ce déni de démocratie, il y a l’idée de compétence que défendent les nucléocrates, compétence qui serait au service du plus grand nombre et non d'intérêts particuliers (pouvoir, intérêts économiques, etc.) Les nucléocrates pratiquent en toute compétence et ne discutent pas ; ils substituent le faire à l’agir, et c’est très moderne comme le souligne Hannah Arendt : « L’époque moderne d’abord préoccupée des produits tangibles et de bénéfices démontrables, plus tard obsédée de sociabilité et de fonctionnement sans heurts, n’a pas été la première à dénoncer l’inutilité, la vanité de l’action et de la parole en particulier et de la politique en général. »182 Dans l’imaginaire nucléaire non seulement la compétence technique prime sur le débat, mais en plus la puissance nucléaire qui élimine les frontières terrestres dépasse la mesure humaine du temps. Et le nucléaire comme il dépasse l’entendement humain, dépasse l’humain, envisagé comme accessoire, instrument au service du bonheur nucléaire, comme lors de l’expérience nucléaire inaugurale : Hiroshima.

La démocratie est d’autant plus accessoire que le poids du nucléaire est total. C’est le cas en Cotentin où l’industrie tient une position particulière : celle de mono-industrie. En cette terre en voie de dépaysannisation, l’industrie nucléaire joue un rôle central, tant par les emplois directs qu’elle induit, que par les emplois indirects qui lui sont redevables. Quant aux activités agricoles, piscicoles et à la pêche, leur production est tributaire de la nocivité des rejets et des accidents éventuels. En cette terre où l’activité se fait rare (taux de chômage encore important) elle est petit à petit devenue prépondérante. Ainsi lorsque Daniel Cohn-Bendit en campagne électorale, vient à l’époque où l’Allemagne vient d’annoncer la fin possible de son programme nucléaire, lui interdit-on, non seulement de visiter l’usine, mais également de tenir meeting le soir même. C’est lorsque l’activité devient une condition de survie183 que la démocratie et la pluralité deviennent accessoires.

L’activité nucléaire a pris totalement place dans l’espace social, modelant non seulement la sphère économique, mais lui subordonnant le social, le politique, etc… Et il semble en être de même en Biélorussie, où comme le soulignait le film La vie contaminée184, les conditions de survie conduisent souvent les populations à rendre secondes les préoccupations sanitaires, comme pour cette vieille paysanne qui cultive ses légumes en zone contaminée et qui précise qu’elle n’a pas le choix si elle ne veut pas mourir de faim. Comme le soulignait déjà Laurent Bocéno : « Dans certains cas, l’existence sociale prime sur toute autre considération, y compris sanitaire. » et de continuer : « Pour ceux qui décident de rentrer dans la zone des trente kilomètres, zone interdite mais perméable, les effets de la contamination sont relativisés. »185 C’est parce que ces conditions de survie sont devenues imaginairement indépassables qu’elles structurent durablement l’univers social, déniant l’incertitude de façon active.

L’univers de la survie s’impose d’autant plus que les conditions de massification se sont elles-mêmes imposées et que les solidarités se sont effondrées laissant l’individu atomisé retranché sur son espace privé, sans possibilité effective de peser sur le monde qui l’entoure ; d’autant plus que la dépossession dont les populations locales sont l’objet les empêche de prendre position pour elles-mêmes. D’une part, la société moderne, telle qu’elle s’est imaginairement constituée nous a confrontés à une société de travailleurs, davantage préoccupés de leur sphère privée (nous pouvons d’ailleurs remarquer que les récentes mobilisations antinucléaires sont centrées sur cette sphère : crainte des mères pour leurs enfants à La Hague, crainte des riverains pour leur santé autour des centres d’enfouissement) que de l’espace public. Ces travailleurs/consommateurs atomisés sont conduits à défendre leurs intérêts immédiats réduits qu’ils sont à l’état de survie186. Cette situation est d’autant plus terrible qu’elle se constitue dans un univers où l’ombre du chômage plane. « Ce que nous avons devant nous, c’est la perspective d’une société de travailleurs sans travail, c’est-à-dire privés de la seule activité qui leur reste. On ne peut rien imaginer de pire. »187 D’autre part, démunis des moyens de prendre position sans recours aux avis experts, l’homme de masse atomisé est renvoyé à son espace privé, spectateur d’un monde sur lequel il n’a pas prise.

A La Hague, les habitants sont devenus pendant deux ans les spectateurs-du-monde dans lequel ils vivent quotidiennement et directement, impuissants à avoir prise sur l’effondrement de leurs certitudes rendues nécessaires par le poids de l’activité. Comme dans l’ouvrage de Georges Orwell, 1984188, la « haine » peut alors prendre place. Sur le « télécran » à distance, ceux qui viennent annoncer la remise en cause de l’ordre existant sont hués189 ; la presse relate les confrontations expertes divergentes et chaque jour la perception du monde est changée, les injonctions paradoxales (« la guerre c’est la paix ») se multiplient rendant l’incertitude omniprésente et la crainte totale. Alors tout tend à se réduire à l’énonciation de slogans contradictoires et la décomposition progressive de l’intelligence critique190.

La massification accouche d’êtres préoccupés par leurs épreuves personnelles de milieu, repliés sur eux-mêmes, inconscients des enjeux de structure sociale qui animent le monde. « Prisonniers des milieux restreints de leur vie quotidienne, les hommes ordinaires ne savent pas raisonner sur les grandes structures rationnelles et irrationnelles dont leurs milieux sont les segments. Aussi accomplissent-ils des actes d’allure rationnelle, sans avoir la moindre idée des objectifs auxquels ils se prêtent, et on se demande dans quelle mesure les gros bonnets eux-mêmes, pareils aux généraux de Tolstoï, ne font pas semblant de savoir. La prolifération de ces organisations, la division accrue du travail, multiplient l’une et l’autre des champs d’existence, de travail et de loisirs où il n’est plus possible de raisonner. »191

Par ailleurs, à-distance-du-monde-commun, se joue un combat autour des gages symboliques de la raison. Pour les nucléocrates, puisque c’est d’eux qu’il s’agit, comme pour les politiques il s’agit de reconquérir le monopole symbolique de la vérité, de substituer le consensus à la confrontation. Ainsi, en Nord-Cotentin refuse-t-on la venue de Jean-François Viel à l’IUT de Cherbourg, en avril 1998. La pluralité des points de vue scientifiques a ses limites que la terre cotentinoise semble malheureusement connaître. Même si les sociétés où le nucléaire domine permettent l’émission de vérités variées, les nucléocrates cherchent à monopoliser les gages symboliques de la raison. Ainsi l’AIEA fait-elle de l’OMS la complice de ses affirmations expertes192 mensongères ; ainsi INSERM, Nobels et nucléocrates discréditent-ils les travaux de Jean-François Viel…ainsi, enfin, en Biélorussie tentent-ils d’éliminer toute recherche affirmant les effets catastrophiques de Tchernobyl193…plongeant sous le sceau de la confidentialité l’avenir irradiant qu’ils nous préparent.

Conserver le monopole symbolique de la vérité, c’est dans le même temps conserver le monopole symbolique de la compétence propre à l’imaginaire technocratique, compétence qui prime sur le politique. Tel « l’égocrate » décrit par Lefort et repris d’Alexandre Soljenitsyne, personnification vivante du système totalitaire, la nucléocratie entend décider seule de l’avenir nucléaire, parce qu’elle sait pour nous ce qui est bon. Le lieu laissé vide par la disparition des garants-métasociaux (soumission du politique au divin) et la déclaration des droits de l’homme et du citoyen est ici comblé par le progrès technoscientifique dont les nucléocrates sont les garants. La pluralisation n’est alors le plus souvent qu’un partage fort peu équitable des compétences194, argument publicitaire au service de consommateurs. L’étude Sugier en est un bon exemple dans La Hague.

La force du mouvement nucléaire et du mouvement technoscientifique liés indubitablement au capitalisme aujourd’hui marchand c’est qu’ils se sont construits comme imaginairement incontournables, progrès nécessaire à notre confort sanitaire, économique (capacités productives, mythe de l’indépendance nationale, etc.), militaire. « (…) les formations totalitaires ne restent au pouvoir qu’aussi longtemps qu’elles demeurent en mouvement et mettent en mouvement tout ce qui les entoure. »195 Et la nucléocratie, soucieuse de sa propre survie, alimente ce mythe du mouvement perpétuel196, de la puissance en action. Pendant les premières années de l’implantation du nucléaire en Cotentin, ce qui importait, c’était l’accompagnement du train du progrès, que la dépaysannisation rendait subjectivement (rationalité contre irrationalité) et économiquement « nécessaire ». Ensuite massification, atomisation et poids croissant de l’activité ont fait leur chemin. Dès lors, séparées des possibilités de prendre une position alternative (l’avenir marchand et technoscientifique se représentant comme une fatalité), les masses atomisées n’ont d’autre choix (imaginairement) que de suivre le mouvement qui leur est proposé, mouvement qui pourtant au regard du déferlement catastrophique a singulièrement perdu de son éclat. En effet, l’ère catastrophique a ceci de particulier qu’elle n’épargne personne, comme le totalitarisme n’épargnait pas ses membres (même les plus actifs). La nucléocratie vit pareillement dans l’ombre de la catastrophe197, certes comme à Tchernobyl, ce sont les hauts dignitaires qui évacuent les premiers les lieux, mais la catastrophe est advenue, et leur propre monde s’est effondré.

Chacun, selon sa place dans la division du travail social, imaginairement empêtré dans les considérations immédiates de la survie moderne, cherche protection, dans la certitude, la transparence, l’Etat, et toutes autres sortes de protections198 contre cet envahissement catastrophique de l’univers technoscientifique. Pourtant, le nucléaire, lorsqu’il a totalement et massivement pris place s’édifie sur l’adhésion massive des populations, comme c’est le cas autour de La Hague, adhésion massive au projet, aux compensations offertes, adhésions constituées dans l’univers de la survie. Cette adhésion confine à l’identification d’intérêts. Ainsi, syndicats199, exploitants, experts, élus locaux (souvent employés COGEMA), journalistes locaux, s’identifient-ils massivement à un intérêt commun, intérêt qui, dans une aspiration soudainement populiste, serait celui du pays tout entier et de ses habitants en particulier. Erik Orsenna et Didier Decoin, qui sont à la littérature ce que le Canada Dry est à l’alcool, écrivent une ode au Cotentin contre ses agresseurs (sous-entendu, Viel, Greenpeace, les médias de Paris, etc.), les journalistes locaux enjoignent les écologistes d’aller rejoindre la Terre Promise200 (on perçoit dans les propos l’antisémitisme larvé) et enfin les élus locaux (Michel Laurent) n’entendent pas se laisser dicter leur conduite par un écologiste « allemand de surcroît » lors de la venue du candidat vert Daniel Cohn-Bendit. La région entière est appelée, par les nucléaristes de toutes sortes, à se constituer en Peuple-Un dans le sens où l’entend Claude Lefort201, comme dans les sociétés totalitaires où l’attrait pour l’Un devenu irrépressible accomplit ce mythe. Lorsque l’industrie nucléaire prend totalement place tant dans le domaine économique, politique, social, voire culturel, c’est le peuple qui s’identifie totalement aux intérêts des nucléaristes.

Pourtant, il se pourrait que dans les années à venir le bloc se fissure en partie, et que les intérêts des uns ne demeurent pas ceux des autres. En effet, comme nous l’avons déjà abordé, les intérêts marchands, conscients du désarroi croissant des consommateurs face aux problèmes environnementaux, ont commencé leur toilettage. Les industriels du nucléaire envisagent aujourd’hui d’un œil moins sévère la diversification énergétique. La stratégie est principalement communicationnelle, et le nucléaire devient tout à coup transparent, transparence qui s’accompagne d’un soutien accru aux énergies renouvelables. Si les intérêts nucléaires se tournaient vers la diversification, les travailleurs du nucléaire et les populations locales, toujours soumises aux maintien d’une filière nucléaire forte, pourraient se retrouver dans une situation quelque peu délicate : celle de la disparition progressive d’une grande part de l’activité économique (retraitement en voie de disparition par exemple). Ainsi, lorsque Daniel Cohn-Bendit vient malgré lui annoncer la fin d’une part de l’activité à La Hague est-il accueilli de manière particulièrement violente. Il en fut de même lors de la fermeture de Superphénix où une militante écologiste fut sortie de force et fessée, par des travailleurs lors d’une réunion locale officielle (de manière humiliante ce qui n’est pas sans rappeler les méthodes fascistes des années 30, comme l’utilisation de l’huile de ricin).

Dans le même temps un conflit ouvert a éclaté entre syndicats et direction à la COGEMA autour du problème des 35 heures, au niveau d’entreprises intérimaires appelées à fermer, ainsi que semble-t-il dans d’autres secteurs du nucléaire. Cela faisait de nombreuses années que syndicats et direction n’avaient pas différencié leurs intérêts… pour autant les plus nucléaristes, du fait des nouvelles donnes, ne sont pas forcément ceux que l’on croit.

Mais ce qui caractérise cette tentation totalisante, c’est également la confusion qu’elle entretient, confusion des intérêts, mais surtout du bien et du mal. La mort y devient statistique, coût nécessaire du progrès technique et du confort qu’il est censé apporter ; et les conséquences de la modernité atomique sont naturalisées. Ainsi la radioactivité artificielle, produit du cycle industriel est-elle comparée à la radioactivité naturelle du granit, comme le produit d’une nature dont on ne pourrait se défaire. L’entreprise consiste à banaliser les conséquences catastrophiques du recours à l’énergie atomique, comme par ailleurs l’AIEA tente d’éliminer les traces de l’accident de Tchernobyl202, comme le SCPRI avait nié en son temps le passage du nuage de Tchernobyl. L’action politique entreprise par l’ACNM (Association Contre le Nucléaire et son Monde) est très instructive à ce propos : « Pour mettre en évidence l’engagement bien particulier des uns et des autres dans la banalisation et l’occultation du nucléaire et de ses risques, nous avons trouvé plaisant, nous aussi, de repeindre, mais en rouge sang, quelques uns des auteurs les plus représentatifs de cette moderne ignominie. »203 Pêle-mêle leurs actions dénoncent les différents protagonistes de cette banalisation de l’industrie nucléaire et de ses conséquences : urbanistes, évêchés, CGT, agences d’intérim, publicitaires, nucléocrates, courroies de transmission politiques, risquologues…C’est comme si les tenants de l’énergie nucléaire avaient perdu toute faculté de distinguer le bien du mal : les nucléocrates n’envisageant l’humanité de l’homme qu’en termes statistiques ou en tant que ressources, les travailleurs de La Hague ayant recours à la violence ou aux propos antisémites204… chacun se concentrant de manière privée sur sa carrière, et sur le mouvement auquel il adhère.

Comme pour Eichmann tel que le décrit Hannah Arendt205, l’inhumanité devient banale. Le crime d’Eichmann était de s’occuper des moyens techniques de la déportation des juifs vers ce qui allait rapidement être leur tombeau. Son crime était parfaitement légal (c’est ce qui différencie le crime contre l’humanité du crime de guerre, excès de combattants contre crime légalisé et administrativement opéré), crime contre l’humanité bureaucratiquement organisé.  « Tous les systèmes juridiques modernes supposent que pour commettre un crime il faut avoir l’intention de faire le mal (…) Quand cette intention est absente, quand, pour une raison ou pour une autre, fut-ce l’aliénation morale, la faculté de distinguer le bien et le mal est atteinte, nous pensons qu’il n’y a pas eu crime. »206

Les méfaits banals des nucléocrates sont souvent légaux, tout-puissants qu’ils sont, tant imaginairement que légalement. Ainsi les militants de Greenpeace sont-ils régulièrement interdits de manifestations à proximité des convois de déchets sous peine d’amandes lourdes. D’autres méfaits sont vécus comme légaux (par la toute-puissance acquise et maintenue durant des décennies) comme ce fut le cas lors de la venue du militant écologiste Daniel Cohn-Bendit207 bien qu’ils soient parfaitement illégaux. Certains symptômes de la tentation totalisante sont légaux ou vécus comme tels, participant d’une nécessité impérieuse, et en ce sens ils se rapprochent des crimes d’Eichmann, non pas dans leur portée mais dans leur signification profonde, participant de la même élimination effective de l’humain. Mais c’est également la technique qui déshumanise : « Oubliée la dimension humaniste qui présida à son développement : la technique n’est plus que puissance de l’organisation, organisation de la puissance. Les fins sont reléguées dans l’impensé. La technique marque l’empire toujours grandissant des moyens, l’évitement toujours plus résolu des fins. Rien d’étonnant alors à ce qu’elle ne se situe jamais sur les registres du bien et du mal, du juste et de l’injuste, du vrai ou du faux, mais uniquement sur le seul plan de l’efficience ; elle est efficace ou ne l’est pas. »208

A l’œuvre au quotidien, la tentation totalisante, comme une seconde nature, et pourtant de nature essentiellement sociale et imaginaire, se cristallise de manière récurrente lorsque son existence même semble remise en cause209. La substitution du faire à l’agir, la massification, la dépossession, le déferlement technoscientifique moderne contribuent à cette institution progressive et durable, qui prend totalement place jusqu’à façonner le paysage. « Ainsi quelques hommes de lettres américains se sont déclarés convaincus que la tentation et la coercition sont une seule et même chose, et qu'on ne pouvait pas demander à quelqu’un de résister à la tentation. »210 Pourtant cette tentation semble bien contenir une part d’adhésion, la certitude volontaire prenant totalement place.

CONCLUSIONS :

« La multitude humaine qui déambulait au rythme nonchalant d’une flânerie estivale sur les trottoirs défoncés de la cité millénaire d’Al Qahira, semblait s’accommoder avec sérénité, et même un certain cynisme, de la dégradation incessante et irréversible de l’environnement. On eût dit que tous ces promeneurs stoïques sous l’avalanche incandescente d’un soleil en fusion entretenaient dans leur errance infatigable une bienveillante complicité avec l’ennemi invisible qui sapait les fondements et les structures d’une capitale jadis resplendissante. Imperméable au drame et à la désolation, cette foule charriait une variété étonnante de personnages pacifiés par leur désœuvrement ; ouvriers en chômage, artisans sans clientèle, intellectuels désabusés sur la gloire, fonctionnaires administratifs chassés de leurs bureaux par manque de chaises, diplômés d’université ployant sous le poids de leur science stérile, enfin les éternels ricaneurs, philosophes amoureux de l’ombre et de leur quiétude, qui considéraient que cette détérioration spectaculaire de leur ville avait été spécialement conçue pour aiguiser leur sens critique. Des hordes de migrants venus de toutes les provinces – nourries d’illusions insanes sur la prospérité d’une capitale changée en fourmilière – s’étaient agglutinés à la population autochtone et pratiquaient un nomadisme urbain d’un pittoresque désastreux. Dans cette ambiance sauvagement perturbée, des voitures fonçaient comme des engins sans conducteur et sans souci des feux de signalisation, transformant ainsi pour le piéton toute velléité de traverser la chaussée en un geste suicidaire. Bordant les artères négligées par la voirie, des immeubles promis à de prochains effondrements (et dont les propriétaires avaient de longue date banni de leur esprit toute fierté de possédants) exhibaient sur leurs balcons et leurs terrasses convertis en gîtes précaires, les hardes colorées de la misère comme drapeaux de victoire. La vétusté de ces habitations évoquait l’image de futurs tombeaux et donnait l’impression, dans ce pays hautement touristique, que toutes ces ruines en suspens avaient acquis par tradition valeur d’antiquités et demeuraient par conséquent intouchables. En certains endroits, l’éclatement d’une conduite d’égout formait une mare aussi large qu’une rivière où pullulaient les mouches et d’où montaient les effluves d’innombrables puanteurs. Des enfants nus et sans vergogne s’amusaient à s’éclabousser avec cette eau putride, seul antidote contre la chaleur. Des tramways couverts de grappes humaines comme dans un jour de révolution s’ouvraient à une allure rampante un passage sur les rail encombrés par la masse contraignante d’une populace depuis longtemps rompue à la stratégie de la survie. Contournant avec obstination tous les obstacles et les embûche dressés sur son chemin, cette populace que rien ne rebutait et qu’aucun but précis n’attirait exclusivement, poursuivait son périple dans les méandres de la ville investie par la décrépitude au milieu des hurlements de klaxons, de la poussière, des déchets et des fondrières sans donner le moindre signe d’agressivité ou de protestation ; la conscience d’être vivante semblait annihiler en elle toute autre considération. De loin en loin arrivait, diffusée par les haut-parleurs, comme une rumeur de l’au-delà, les voix des prédicateurs aux portes des mosquées. »211

L’Al Qahira de Cossery est un peu à l’image de notre monde moderne soumis à la dégradation de son environnement, de cette dépossession lente et absurde au profit du devenir technique de l’homme. La cité antique est à l’image de ce vieux monde en ruines, de cette culture ancienne qui disparaît happée par la massification, la nécessité et la survie. Elle est cette étrange terre perdue soumise aux impératifs des temps nouveaux, une terre où pénétrera bientôt le mobile et internet, comme l’automobile, déjà là. Et des artères draineuses coulent déjà des foules plus préoccupées de leur survie immédiate, repliées sur les épreuves de milieu… Pourtant, à bien y regarder les désastres sont manifestement visibles : Tchernobyl, Bhôpal, sida, vache folle, misère, angoisse, sang contaminé, etc.

Lorsque le monde ploie sous le poids de cette dégradation continue, qu’elle prend cette forme de décomposition lente et absurde, nous pourrions espérer que l’homme prenne enfin conscience de l’infamie et reprenne en main sa propre destinée ; que des ruines du monde moderne et de la rationalité instrumentale (et de ses avatars, productivisme et technoscience), il extirpe la puanteur. C’est comme si l’infamie s’était constituée (de manière définitive ?) comme un lent spectacle, que la destruction se déroulait sous nos yeux mais à distance. Récemment, Bill Clinton, en voyage officiel en Ukraine, annonçait au nom de la communauté internationale (communauté des Etats nucléaristes en l’occurrence) la fermeture du réacteur encore en fonctionnement de la centrale de Tchernobyl. Un plan de financement était prévu pour aider l’Ukraine dans l’entreprise ; et dans le même temps le Président américain annonçait la contribution de son Etat à la construction de deux nouvelles centrales nucléaires.

Nous avions oublié à bon compte que l’homme s’était séparé de la nature, et dans le même mouvement, de ses semblables, pour dans un dernier moment, se séparer de lui-même212. Alors dépossédé du monde, il semble imaginer comme une fatalité, de subir le désastre sans avoir prise sur lui, contemplant la technique déchaînée, de Treblinka à Tchernobyl, comme un voyage, plus ou moins confortable selon la position que l’on occupe, dans un siècle où la barbarie s’est rationalisée. « L’effroi a saisi ce siècle qui se destinait comme nul autre au progrès et au bonheur des hommes. Son histoire se confond avec celle des génocides qu’il a su, du haut d’une fureur encore jamais atteinte, si savamment, si méthodiquement orchestrer. Que ce soit par le gaz ou par l’atome, les sciences et les techniques les plus sophistiquées n’ont été que trop promptes à lui en fournir les moyens. Une seule et même fin : exterminer l’Autre. Non pas neutraliser un adversaire : tuer l’homme. Non pas seulement l’éliminer : défaire ce qui a été fait. Le dé-naître. »213

La domination semble d’autant plus inéluctable que le désastre a durablement colonisé l’avenir, comme une forme ultime et tragique d’abandon à la technique, fatum accentué par l’impression entretenue de fin de l’histoire : « Lorsque au paroxysme de l’ère Gorbatchev s’effondre le mur de Berlin, l’occident pavoise sans retenue, prétendant même que le dévoilement total du sens historique vient brusquement d’avoir lieu. Francis Fukuyama, alors haut fonctionnaire au département d’Etat américain, publie durant l’été 1989 un article intitulé « La Fin de l’Histoire ? » »214 Comme le souligne Larnac, au-delà de cette prise de position qui aurait pu rester anecdotique, la confiscation instrumentale du temps s’opère à cette époque : dorénavant, on n’arrêtera plus le progrès… de la fission nucléaire des corps atomisés à l’artificialisation forcenée du vivant. On n’arrêtera d’autant moins le progrès que la confiscation de l’avenir – temps et espace215 – est opérée par la technocratie elle-même, comme une nécessité impérative et absolue.

Parmi ces apôtres, naufragés d’un monde inaccessible, à l’image d’Aguirre216 (Kinsky), menant en toute-puissance l’expédition des conquistadors vers l’Eldorado, il en est pour douter que ce progrès ait un sens, face à la monstruosité du déferlement technique. Valeri Alexevitch Legassov était de ceux là. Membre de l’Académie des sciences en URSS, il est chargé de la gestion du désastre de Tchernobyl. Le 27 avril 1987, il se suicide, après avoir écrit un texte, « il est de mon devoir de parler », publié plus tard en 1988 dans la Pravda. Legassov se rend compte que la dangerosité des réacteurs soviétiques RBMK était connue des autorités ; et que la catastrophe est issue d’une expérience qui a mal tourné. « Nous savons aujourd’hui que le système de sécurité de ce réacteur était défectueux ; bon nombre de collaborateurs scientifiques le savaient et avaient fait des propositions visant à y remédier. Mais le constructeur qui n’avait pas très envie d’effectuer un surplus de travail, ne fut pas pressé de modifier le système. »217 Ce qui surgit tragiquement, c’est l’humanité au cœur de la technique ; et la désillusion est à la hauteur de l’espérance en une technique pure, débarrassée de l’intervention humaine. Pour stopper le désastre on largue des sacs de sable et l’on creuse sous le réacteur dans l’espoir un peu désespéré d’arrêter l’enfouissement continu de l’atome en fusion. Les moyens sont dérisoires… et les décombres de la technique douloureux. Ce qui apparaît le plus affolant, c’est que nous sommes devenus les cobayes de cette expérience de masse, matériel humain de l’expérience atomique des nucléocrates et des opérateurs techniques, maximisant les profits et minimisant les coûts d’une histoire sans fins (ni finalités, ni fin par l’idée de progrès) finie (fin de l’histoire).

Par ailleurs, c’est l’humanité de l’homme qui est encore plus fondamentalement attaquée par la recherche génétique, qui lentement et progressivement réduit les êtres vivants à leur matériau génétique (ADN), matière malléable et façonnée que des comités d’éthique, regroupant des experts de la responsabilité scientifique, entendent observer, en faisant semblant d’oublier que c’est encore nous qui sommes les futurs cobayes de cette expérience-là. « Les transgénéticiens manipulateurs qui ont été eux-mêmes façonnés par les techniques de la simulation numérique, sont, de façon plus accomplie encore que les physiciens nucléaires, encombrés pour la première génération au moins de culture humaniste, ces criminels idiots. Leur représentation de la nature, dont il n’est pas besoin d’être un fin marxiste pour reconnaître en quoi elle est socialement déterminée, reprend tel quel le langage paupérisé de la programmation informatique, et ne voit plus dans la multiplicité des organismes vivants qu’un stock de séquences génétiques à recombiner par « couper-coller », pour contrefaire la vie en fonction des intérêts de l’industrie – qui toujours alloue les crédits et ouvre les marchés. »218 Ces experts généticiens tentent de nous faire croire que notre ultime résistance est obsolète, qu’il faut savoir vivre avec notre temps, que les jeunes , élevés à la réalité malléable219, ont quant à eux saisi. Le cybermonde est ce moment où la technique autonomisée se détache des ancrages de la culture humaniste ; l’hyper-adaptabilité à ce déferlement devenant le critère de survie pratique. La filiation a inversé son cours et les adultes deviennent les élèves de leurs enfants « cybernétiques » : « Non seulement, ils n’ont rien à leur apprendre, mais ils sont eux-mêmes les élèves craintifs de ces précepteurs en modernité, ils les envient de n’être en rien embarrassés de ces anciens réflexes civilisés qui relevaient de la morale ou du goût, et qui ne peuvent être qu’une gêne considérable pour jouir sans restriction du temps présent. »220

Petit à petit, le monde est entièrement colonisé : « L’humanité s’installe dans la monoculture, elle s’apprête à produire la civilisation en masse, comme la betterave. Son ordinaire ne comportera plus que ce plat. »221 A l’image de cette colonisation uniformisante222 décrite par Levi-Strauss, la modernité techniciste devient notre quotidien ; il n’existe plus de civilisation hors de la civilisation technicienne. La colonisation est celle de l’espace, espace rétréci par la technique223 qui en prend totalement possession; on voit disparaître les dernières cultures humaines non inféodées à la raison instrumentale, cultures humaines colonisées par la force du progrès et soumises au progrès de force. La colonisation est également celle du temps, le nucléaire colonisant durablement l’avenir. La colonisation touche également notre quotidienneté, stratégies quotidiennes soumises aux impératifs de la raison instrumentale. La colonisation se saisit enfin de notre corps, l’homme devenant objet de la technique : prolongation de la vie, contrôle du comportement, manipulations génétiques224.

En clair, le monde qui s’impose chaque jour un peu plus à nous est un monde colonisé par la technoscience universellement unifiée : comment vivre dans un monde entièrement devenu laboratoire ?

Pourtant, il ne faudrait pas oublier que le déferlement de la Raison instrumentale participe également d’une entreprise de domination sociale. Ce sont tout d’abord les technocrates et parmi eux les nucléocrates, qui assoient leur domination sur le programme nucléaire ; programme nucléaire qui permet aux Etats nucléaristes de consolider leur domination militaire ; programme nucléaire qui contribue également à enrichir certains intérêts privés.

Par ailleurs au sein même de l’industrie nucléaire, le risque encouru est lui aussi inégalement réparti : entre ingénieurs, contrôleurs, indirectement confrontés à la radioactivité, les stratifs et les actifs sur les sites225, et les intérimaires les plus directement confrontés aux radiations de façon quotidienne. Le projet technique sert, par la division sociale du travail qui s’y opère toujours davantage, une entreprise de domination. Il en est ainsi dans l’agro-business où Monsanto envisageait de commercialiser le germe Terminator, qui par le fait qu’il s’extermine lui-même226, rend les agriculteurs, transformés en entrepreneurs appliquant les techniques que les spécialistes de l’industrie agro-alimentaire leur ont concoctées, de moins en moins autonomes, toujours plus dépendants des industriels qui les entourent, spectateurs d’une agriculture qui leur échappe. De son côté, comme il donne du pouvoir le nucléaire construit l’hétéronomie et un monde entier conquis par le pouvoir de l’expertise.

Ainsi, ce qui se diffuse durablement est donc bien le pouvoir des technocraties étatiques ou privées sur le devenir de nos propres vies et du monde en général dont le breuvetage du vivant est l’expression la plus manifestement visible. La mise en place du programme nucléaire constitue en ce sens un élément moteur de l’institution technocratique : « (…) le nucléaire présentait l’immense avantage de renforcer la soumission des simples citoyens à leurs Etats respectifs. (…) Nucléaire rime avec contrôle de la population et transformation en profondeur du territoire. »227 Ainsi, le travailleur du nucléaire du film Condamné à réussir228, se plaint-il de n’avoir pu choisir son travail et d’être l’otage d’un monde sur lequel il n’a plus véritablement prise.

C’est lorsque l’emprise de la technique tourne au désastre que la dépossession s’intensifie ; alors le pouvoir des experts s’organise comme réponse technique à la crise issue de la technique incontrôlée. Les experts internationaux, en secret, s’interrogent sur les conséquences sanitaires de la catastrophe de Tchernobyl ; l’OMS est tenue au silence, tandis que les nucléocrates tentent de conserver autant que possible le monopole symbolique de la raison. L’action des autorités constitue pour l’essentiel un combat contre la déstabilisation sociale et la gestion des risques se transforme alors en arme ultime de l’entreprise d’expropriation de nos propres vies229. Ainsi, on ne peut impunément oublier ces fermes britanniques prises d’assaut par l’armée et la police lors de la récente crise de la fièvre afteuse avec ses cortèges de bûchers et ses agriculteurs dépossédés de leurs troupeaux, de leur terre, de leur capacité d’initiative, spectateurs d’un désastre de plus en plus quotidien. De son côté, la crise générée par les révélations du professeur Jean-François Viel autour de La Hague contribue à la multiplication d’enquêtes et d’études expertes, réponses qui se construisent toujours à distance du monde commun, comme postulant qu’il ne peut y avoir d’alternative à l’emballement.

Comme Anthony Giddens, conseiller technique de Tony Blair, nombreux sont ceux qui ont postulé la fin de l’histoire, cherchant à minimiser l’ampleur du désastre. Giddens opte pour la maîtrise de l’emballement (à bord du camion furieux230), comme si le camion furieux dont il décrit l’emballement pouvait être maîtrisé. Le souci écologique devient alors un supplément d’âme d’un capitalisme marchand qui soigne son image : « Au prophétisme scientiste, qui soustrait à l’examen des décisions prises en martelant que seul l’avenir en révélera les mérites, il faudrait opposer la fermeté du jugement à priori (que rien de bon ne peut venir des spécialistes impatients de faire tourner sans heurts leur « technosphère », qu’en attendre une émancipation quelle qu’elle soit serait comme réclamer à l’administration pénitentiaire de définir une vie libre) ; et c’est précisément ce qui manque, l’abdication devant l’utilitarisme, dont le rationalisme écologique est le dernier avatar, ne laissant plus discuter du chantage technique que les modalités d’application : étiquetage, traçabilité et autres contrôles sanitaires. »231 L’écologisme se transforme dès lors en gestion des risques consistant en une évaluation technique : minimisation des risques et maximisation des bénéfices du progrès technique ; réponse technique à la technique. Dans le même temps, l’environnement est devenu une valeur marchande : « « L’environnement est une valeur d’avenir… La communication est une valeur d’avenir… VIVENDI est une valeur d’avenir. » »232 Et les grandes entreprises nous offrent (pour les plus aisés d’entre-nous, cela va de soi) des îlots de non-pollution : eau dépolluée et autres traitement de déchets, marchés nouveaux et productifs. Le terroir devient cet usage marchand des solidarités perdues par le déracinement technoscientifique : « (…) il lui faut rassasier fiévreusement de vos ombres le cannibalisme nostalgique d’une histoire à laquelle vous avez déjà succombé. »233

Dès lors, comment combattre ce qui constitue un élément moteur de l’institution technocratique ? On ne peut le combattre à moitié comme si le nucléaire était un simple accident de l’histoire, un simple élément décontextualisé ; c’est oublier un peu rapidement la nature essentiellement sociale du processus.

Il s’agit donc bien, dans un premier temps, de renouer avec la nature anti-technocratique du mouvement antinucléaire, une nature qui lui était originelle : « Le mouvement social ne doit-il pas se former ici, face au pouvoir technocratique, c’est à dire à la domination exercée sur un domaine de la vie sociale par un appareil capable de créer et d’imposer des produits et des formes de demandes sociales conforme au renforcement de sa propre puissance ? »234

Dans un second temps, il nous faut envisager de rompre avec la modernité telle qu’elle se présente à nous et d’accepter que le combat que nous entendons mener prenne également une nature conservatrice : « C’est donc encore une autre manière de dire qu’aucune société digne des possibilités modernes de l’espèce humaine n’a le moindre chance de voir le jour si le mouvement radical demeure incapable d’assurer ses tâches conservatrices. »235 Ce conservatisme se constitue comme une résistance à la modernité telle qu’elle s’organise ; il renoue avec une tradition anarchiste résistant au début du siècle aux premiers signes concrets des dégâts sociaux et environnementaux de l’industrialisation naissante. C’est l’analyse de Kropotkine à propos des Yakoutes, des Bouriates et des Tangouses mais également la révolution luddite visant la destruction des machines qui contribuaient déjà à minimiser l'autonomie des travailleurs236.

Enfin, il nous faut saisir la nature anti-productiviste et anticapitaliste du combat antinucléaire ; c’est bien un capitalisme aux besoins énergétiques et humains de plus en plus gigantesques, à l’appétit de plus en plus vorace, envisageant hommes et mondes comme ressources servant implicitement sa propre reproduction qui produit le monde nucléarisé. C’est le mythe prométhéen, sans limites, ni fins inhérent au capitalisme qu’il s’agit aujourd’hui de renégocier. Il n’existe pas de capitalisme raisonnable, son essence est la guerre de tous contre tous (concurrence), l’accumulation toujours plus importante de biens, le désir de puissance et d’instrumentalisation, le contrôle et la création incessante de besoins et de marchés nouveaux : « Mais une chose au moins est claire : la nature de ce système est de continuer à s’étendre jusqu’au moment où il fera exploser tous les liens qui rattachent la société à la nature, comme le montre déjà la dégradation de la couche d’ozone et l’accroissement de l’effet de serre. C’est véritablement et littéralement le cancer de la société. »237

Or, la novlangue ambiante, cette capacité moderne à entretenir la confusion – « la guerre c’est la paix »238 – tente de nous faire croire qu’il suffirait de freiner le productivisme, de contrôler • citoyennement • l’OMC. Il s’agit au contraire d’hurler avec Sade et Stirner contre la morale de notre temps et de définitivement prendre conscience que cette dégradation progressive du monde, sa réduction à cet état imaginaire et réel d’artefact est l’essence même du monde moderne et que rompre d’avec ce monde-là devient une nécessité impérieuse.

Mais comment lutter lorsque le sens du possible tend à disparaître, lorsque la fin de l’histoire nous est présentée comme une certitude absolue, lorsque l’alternative apparaît avoir définitivement disparue ?

« A mesure que le vingtième siècle tire à sa fin, la conviction grandit que bien d’autres choses vont finir. Des avis de tempête, des présages de malheur, des allusions à des catastrophes hantent notre temps. (…) Le désastre qui menace devenu une préoccupation quotidienne, est si banal et familier que personne ne prête plus guère attention aux moyens de l’éviter. Les gens s’intéressent plutôt à des stratégies de survie, à des mesures destinées à prolonger leur propre existence, ou à des programmes qui garantissent bonne santé et paix de l’esprit. »239 A l’ère de la catastrophe, le sens historique tend à disparaître240, on finit de vivre au jour la jour, dans l’instant présent, anxieux de notre propre survie, pris dans la sensibilité thérapeutique. « L’atmosphère actuelle n’est pas religieuse mais thérapeutique. Ce que les gens cherchent avec ardeur aujourd’hui, ce n’est pas le salut personnel, encore moins le retour d’un âge d’or antérieur, mais la santé, la sécurité psychique, l’impression, l’illusion momentanée d’un bien-être personnel. »241 Alors, la dépossession et le replis sur soi s’intensifient davantage242 comme si le spectacle autonomisé de la catastrophe imposait ses propres conditions de survie. Comme on est passé de l’état de survie – dépendance par rapport à la nature – à l’état de survie augmentée – aliénation au monde économique243, il semble surgir une nouvelle figure de la survie – au sens propre du terme – celle où notre survie dépend de stratégies élaborées en référence aux conseil des experts. Dès lors, l’heuristique de la peur244, sa propension à conduire à une prise de conscience n’ait peut-être plus qu’une illusion, la peur devenant alors l’intime allié de la sensibilité thérapeutique et d’une demande accrue de protection. On a encore du mal à mesurer l’étendue de la tragédie et du renoncement, et eux ne se mesurent pas au radiamètre. Que reste-t-il si le sens du possible tend à disparaître ? Cette souillure-là, à l’image de la contamination radioactive, elle aussi, est peut-être éternelle245.

En ce sens, la critique se doit de dépasser l’examen de soi-même pour reconquérir une véritable dimension politique, au sens noble du terme, et s’incarner dans une critique sociale des problèmes écologiques. Et l’entreprise n’est pas mince. « Il faut cependant comprendre que ce n’est pas par complaisance mais par désespoir que les gens s’absorbent en eux-mêmes (…) »246 Enfin renouer avec le possible et le sens du surréalisme247 comme contestation de la réalité ambiante et de son manque d’imagination. La révolution de 1789 est un de ces moments où Tout redevient possible248, et même à en faire peur à ses protagonistes… C’est parce que le pouvoir vit une crise de légitimité que le sens du possible resurgit249.

En tous cas, ce que la presqu’île au nucléaire a à nous apprendre, c’est que lorsque le nucléaire a totalement pris place, le sens du possible finit de disparaître et la tentation totalisante nous laisse entrevoir son véritable visage.

« A Tchernobyl, cette nuit du 26 avril 1986 à 1 heures 23 minutes, l’horreur prit possession du domaine qui lui avait été préparé. Très vite les frontières se sont avérées inexistantes ; pour le malheur de tous l’unification du monde se réalisait, au grand jour. Des hommes qui avaient toujours été contraints d’accepter ce qu’on leur avait imposé sont devenus les victimes d’un ennemi invisible, mais bien réel. Le développement incontrôlé et illimité des déraisons marchandes et technocratiques, affublé du nom de progrès se révéla une guerre contre l’humanité. Est-ce cela la paix définitive justifiée par Hiroshima ? »250 Et avec l’ACNM, nous pourrions souhaité que l’émancipation vienne des dépossédés eux-mêmes : « Derrière l’ébauche d’auto-organisation de la population en vue de maintenir les conditions minimum de sa survie, se profile ce que peut être la force des individus quand ils reprennent leurs affaires en main ; mais l’impossibilité pour cette tentative d’imposer ses exigences et d’aller plus loin a montré, elle, l’urgence actuelle qu’il y a à construire les bases à partir desquelles l’intérêt de tous pourra prendre forme pour s’imposer face à celui du pouvoir. Du conflit entre l’auto-organisation pour la survie et la gestion de la crise par le pouvoir étatique, il est clair que seule l’association libre des individus, émancipée des impératifs de l’économie et des délires de la technocratie, est à même de construire une alternative effective pour en finir radicalement avec la ruée vers l’abîme où nous entraîne la logique actuelle de la société. Ce progrès-là mène à cette mort précise. Il est un barrage de plus à la possibilité d’une réalisation « humaine » de l’histoire. Il est tout le contraire de ce que des hommes, maîtres des conditions dans lesquelles ils mènent leur vie, pourraient vouloir. »251

Ici, en Cotentin, le temps s’écoule toujours, colonisé par des radionucléïdes à vie longue. La démocratie claudique sous l’œil du mastodonte. Des certitudes ont été remises en cause tandis que d’autres se crispaient. Le mot, de retour, a crépité sous l’œil vidéo ; la terre d’ajoncs, elle, n’a pas le choix : elle supporte l’invasion et la blessure pour quelques dizaines de milliers d’années.


1 Titre d’un ouvrage de Françoise Zonabend sur La Hague : La presqu’île au nucléaire, Odile Jacob, Paris, 1989, 185 p.

2 « (…) le Guatemala n’existe pas. Je sais, j’y ai vécu » • Georges Arnaud : Le salaire de la peur, Julliard, Paris, 1973. Ce vécu est revendiqué par de nombreux habitants de La Hague pour nier le risque nucléaire : « Depuis le temps qu’on y vit… »

3 Pour plus de renseignements : Mary Byrd Davis : La France nucléaire – Matières et sites 1997, Wise Paris, Drôme, 1997, 224 p.

4 Françoise Zonabend, Ibid.

5 C’est en 1975, année de ma naissance qu’EDF projette de construire à Flamanville 4 réacteurs nucléaires.

6 Notamment notable dans le film Condamné à réussir, réalisé par la CFDT de l’époque.

7 Michèle Rivasi et Hélène Crié : Ce nucléaire qu’on nous cache, Albin Michel, Paris, 1998, p.81.

8 Jean-François Viel : La santé publique atomisée, La découverte, Paris, 1998, 214 p.

9 Georges Charpack, prix nobel de physique et « nucléophile » convaincu, au plus fort de la polémique, s’y est mêlé.

10 Charles Wright-Mills : L’imagination sociologique, La découverte, Paris, 1997 (1967), 228 p.

11 Ibid.

12 Comme il en fut à moindre échelle des effets des expérimentations d’armes nucléaires sur les populations riveraines et les effectifs militaires en URSS, Algérie (à l’époque française) et Etats-Unis.

13 Dans les camps, on travaillait, et produisait en attendant la mort. A l’entrée on pouvait lire : « Arbeit macht frei », le travail c’est la liberté.

14 Il ne s’agit nullement ici de soutenir une quelconque théorie des races, mais bien de reprendre un élément de la rhétorique nazie comme élément significatif de sa propre pensée.

15 Eichmann, responsable nazi de la déportation, se définissait lui-même comme un habile technicien : Hannah Arendt : Eichmann à Jérusalem, Follio, Gallimard, 1997 (1963), 484p. 

16 Tchernobyl pourrait être une expérience qui a mal tourné.

17 Là où la nature agressée n’est plus sous contrôle, comme lors de la dernière tempête de décembre 1999 en France (sans doute due au premiers effets du dérèglement climatique).

18 Que peut la littérature ?, conversation entre Juan Goytisolo et Günter Grass, Le Monde Diplomatique, novembre 1999.

19 L’Erika après accident lâche sur les côtes atlantiques françaises, un pétrole toxique cancérigène, que des bénévoles iront dans les jours qui suivent nettoyer sur les plages, parfois à mains nues…

20 Le terme liquidateur renvoie aux personnes qui, au moment de Tchernobyl, tentaient avec des moyens dérisoires et des conséquences sanitaires dramatiques de résorber la dimension de la « catastrophe ».

21 Jaime Semprun : L’abîme se repeuple, Editions de l’encyclopédie des nuisances, Paris, 1997, p.20.

22 Murray Bookchin : Une société à refaire - Pour une écologie de la liberté, Ateliers de création libertaires, Lyon, 1992, p.9.

23 Op. Cit. p.8.

24 Cornelius Castoriadis : L’institution imaginaire de la société, Paris, Le Seuil, 1975, 503p.

25 Militant indien de l’AIM incarcéré après une fusillade entre FBI et indiens dans une réserve.

26 Christian Mériot : Pierre Kropotkine et l’Entraide comme facteur de compréhension de l’évolution sociale, in L’anti-autoritarisme en éthnologie, les colloques éthnologiques de Bordeaux, département d’anthroplogie sociale, 1997, p. 29-56.

27 Elisée Reclus : Le sentiment de la nature dans les sociétés modernes, in Ecologie politique, n°5, hiver 1993, p. 159-173.

28 Conception et pratique qui au lieu d’adapter la production aux besoins de la consommation, posent le primat de la production et, visant uniquement le profit. Le monde et l’humain-dans-ce-monde n’y sont perçus que comme ressources.

29 Svetlana Alexievitch : La supplication, Thernobyl, chronique du monde après l’apocalypse, J. C. Lattès, France, 1998, 267 p.

30 Le programme nucléaire s’est constitué sans-les-populations (ce qui ne veut pas dire qu’il se soit constitué contre, les populations étant demeurées en partie passives.). Les populations n’ont pas pris part au processus de décision, mises devant le fait accomplit de l’action technocratique.

31 ACNM : Du mensonge radioactif et de ses préposés, Subversions – Lectures vitaminées, SIA, Caen, 2000, p.9.

32 P. Simonot : Les Nucléocrates, P.U.G., Grenoble, 1978.

33 Paul Nizan : Les chiens de garde, Agone éditeur, Marseille, 1998, 189p.

34 Le récent ouvrage de D. Lorentz revient sur le développement du programme atomique militaire français, la participation active de l’Etat français à la prolifération de l’arme atomique dans le monde, sa dépendance vis-à-vis des Etats-Unis et d’Israel, ce qui rremet en cause le mythe de l’indépendance nationale, et enfin sur le fait que la France a fournit la bombe à l’Afrique du Sud pourtant à l’époque toujours sous le régime de l’apartheid ; en clair le programme militaire s’est construit en secret et en toute dépendance – Dominique Lorentz : Affaires atomiques, Les Arènes, Paris, 2001, 603p.

35 Bruno Barillot : Audit atomique : Le coût de l’arsenal militaire français 1945-2010, Etudes du CRDPC, Lyon, 1999 368 p.

36 Michèle Rivasi et Hélène Crié : Ce nucléaire qu’on nous cache, Op. Cit. , p.81.

37 Françoise Zonabend : La presqu’île au nucléaire, Op. Cit.

38 Philippe Simonnot : Les Nucléocrates, Op. Cit.

39 Cornelius Castoriadis : L’institution imaginaire de la société, Op. Cit., p.8.

40 En ce sens, la conception d’imaginaire social et historique semble dépasser le clivage traditionnel entre holisme et individualisme.

41 Svetlana Alexievitch : La supplication, Op. Cit.

42 Perline : Tout nucléaire une exception française, L’esprit frappeur, Paris, 1997, 110 p.

43 Dans le canton des Pieux, canton où la centrale nucléaire de Flamanville a été construite, on dénombre deux collèges, plusieurs salles polyvalentes sur Les Pieux même, une piscine, un centre équestre, un port de plaisance, etc.

44 Hannah Arendt : La Condition de l’homme moderne, Op. Cit. p.210.

45 Ibid. p.35.

46 Sigmund Freud : Malaise dans la civilisation, PUF, Paris, 1992, 107 p.

47 Encyclopédie des nuisances : Remarques sur l’agriculture génétiquement modifiée et la dégradation des espèces, Encyclopédie des nuisances, Paris 1999, 106p.

48 Dans une perspective compréhensive.

49 Publicité d’EDF.

50 Jean-François Viel : La santé publique atomisée, Op. Cit.

51 Lorsque science et technique se mettent au service des intérêts économiques.

52 Hannah Arendt : La Condition de l’homme moderne, Op. Cit.

53 Instrument de mesure des différents éléments radioactifs.

54 Et de manière d’ailleurs fort controversée.

55 Anthony Giddens : Les conséquences de la modernité, L’Harmattan, Paris, 1994, 185p.

56 Ibid. p. 37.

57 Francis Chateauraynaud et Didier Thorny : Les sombres précurseurs, une sociologie pragmatique de l’alerte et du risque, Editions EHESS, 1999, Paris, 476 p.

58 Anthony Giddens : Op. Cit., p.35.

59 Françoise Zonabend : La presqu’île au nucléaire, Op. Cit., p. 42.

60 Ibid. p.38.

61 Il est d’ailleurs intéressant de souligner que Giddens lui-même s’est transformé en conseiller technique de Tony Blair.

62 Anthony Giddens : Op. Cit. p.96.

63 Les effets des faibles doses radioactives demeurent, par exemple, aujourd’hui encore extrêmement sujets à polémiques scientifiques…

64 Philippe Roqueplo : Entre savoir et décision, l’expertise scientifique, INRA éditions, Paris, 1997, 109p.

65 Michèle Rivasi et Hélène Crié : Ce nucléaire qu’on nous cache, Op. Cit., p. 86.

66 Bella et Roger Belbéoch : Tchernobyl, une catastrophe, Allia, Paris, 1993, 220 p.

67 Il est à noter que Bernard Kouchner, l’actuel ministre de la santé était l’un des promoteurs de la notion.

68 ACNM : Du mensonge radioactif et de ses préposés, Op. Cit. p.3

69 Svetlana Alexievitch : La supplication, Op. Cit.

70 Michel Fernex : La catastrophe de Tchernobyl et la santé, texte diffusé sur internet.

71 Ibid. p.2

72 Umberto Eco : Le nom de la rose, Le livre de poche, Paris, 1999 (1982), 535p.

73 Louis Mercier-Vega : L’anarcho-syndicalisme (extraits), subversions, brochures éditées par le SIA, Caen, p. 7.

74 On peut apprendre ainsi, qu’en tout secret (par l’intermédiaire du Gabon de Omar Bongo) la France semble avoir offert à l’Iran les moyens d’obtenir sa bombe – notamment par la pression terroriste : Dominique Lorentz : Une guerre, éditions des arènes, Paris, 1997, 214p.

75 Salvador Juan : Une interprétation sociologique de l’action technocratique, in Les temps Modernes, n°483, octobre 1986, p. 97-149.

76 Simonnot P. : Les nucléocrates, Op. Cit.

77 Salvador Juan : ibid. p. 142-143.

78 L’aspect proliférant du programme nucléaire français tel qu’il a pu être décrit par Dominique Lorentz montre que l’unité du technocratisme est également internationale, et l’internationale nucléariste a à mainte reprise montré ses solidarités dépassant les clivages politiques et diplomatiques traditionnels – Dominique Lorentz : Affaires atomiques, Op. Cit.

79 Salvador Juan : Une interprétation sociologique de l’action technocratique, Op. Cit.. p. 121.

80 De par la durée de vie des déchets et des installations.

81 Salvador Juan : Ibid. p. 123.

82 « L’intentionnalité ne pénètre les techniques que par la médiation des acteurs. », Ibid. p. 112.

83 Salvador Juan insiste à juste titre sur la construction de cette nécessité apparente.

84 Le retraitement consiste à extraire des déchets issus des centrales nucléaires, l’uranium, le plutonium (dont une partie sert les applications militaires : la bombe) et l’inutilisable (déchets de déchets dont on ne sait aujourd’hui exactement que faire).

85 Henri Mendras : Les sociétés paysannes, Follio histoire, Gallimard, Paris, 1995, 335 p.

86 Didier Anger : Chronique d’une lutte, le combat antinucléaire à Flamanville et dans La Hague, J.C. Simoën, France, 1978, 222 p.

87 Françoise Zonabend : La presqu’île au nucléaire, Op. Cit., p. 12.

88 Cette absence d’alternative est soulignée dans le film condamné à réussir : SNPEA-CFDT : Condamné à réussir, INA, 1975.

89 Ibid. p.35.

90 En 1997, pour la COGEMA, l’ensemble des taxes professionnelles représentait quelque 720 millions de francs, le district des Pieux toucherait par EDF (centrale de Flamanville) 65 millions de francs / an ; au total, nucléaire civil et militaire rapporteraient aux différentes collectivités quelques 1,2 milliards de francs (tandis que le budget annuel du Conseil général de La Manche s’élèverait à 2milliards !).

91 Ainsi, dans un document du parquet de Caen, daté du 08/12/1992, à propos du procès des grands chantiers et de SAS sur La Hague, pouvait-on lire : « Pour obtenir l’agrément des syndicats, et notamment de la CGT, il fallait se soumettre à leurs exigences financières (avantages en nature distribués aux responsables syndicalistes et versements de sommes mensuelles), versements qui garantissaient tant la signature des contrats de régie que la paix sociale sur les chantiers. (…) ».

92 Marcel Mauss : L’essai sur le don, in Sociologie et Anthropologie, Quadridge, PUF, Paris, 1993, p. 143-279.

93 Ce travailleur étant toujours en procès pour la reconnaissance du caractère professionnel de sa maladie, nous souhaitons maintenir son nom secret.

94 La notion de déni d’incertitude peut être rapprochée de la notion de déni de réalité telle qu’elle est développée par les sociologues du LASAR (F. Lemarchand, G. Grandazzi, L. Boceno et Y. Dupont).

95 Françoise Zonabend : La presqu’île au nucléaire, Op. Cit., p. 51.

96 Une certitude volontaire qui rappelle par bien des aspects la servitude volontaire que décrivait jadis La Boetie.

97 Françoise Zonabend fait d’ailleurs une typologie des attitudes face au risque – Ibid.

98 L’horreur de la catastrophe prend définitivement et complètement existence que lorsqu’elle s’incarne dans des destins individuels, lorsqu’elle a en définitive colonisée l’âme et le corps de personnes vivantes transformées en chair et en os en objets manufacturables… On peut se reporter ici aux divers témoignages publiés : Svetlana Alexievitch : La supplication, Op. Cit. • ACNM : Sous l’épaisseur de la nuit, Op. Cit.

99 Pour Françoise Zonabend, Tchernobyl a permis de fournir un espace où fixer la catastrophe, sans doute comme un ailleurs, une perspective éloignée, un spectacle lointain, hors-du-monde quotidien.

100 Il est d’ailleurs significatif de rappeler que l’accident nucléaire avait déjà eu lieu à Three Miles Island (Etats-Unis), certes avec des conséquences moindres, mais surtout qui eu lieu à une autre époque.

101 Isabelle Rieusset-Lemarié : Une fin de siècle épidémique, Actes sud, Arles, 1992, 285 p.

102 Yves Dupont : Le productivisme comme fondement et moteur du processus catastrophique, in MANA, n°4, Caen, 1998, p. 233.

103 Sens de propos tenus par Georges Charpack.

104 Roger et Bella Belbéoch : Tchernobyl, une catastrophe, Op. Cit.

105 Jean-François Viel : La santé publique atomisée, Op. Cit.

106 taux habituel multiplié par trois pour les jeunes de moins de 25 ans dans un rayon de 10 kilomètres autour de l’usine de retraitement de déchets radioactifs de La Hague.

107 Pour ce faire il mobilise le procédé de cas témoins- Jean-François Viel, Op. Cit.

108 Les premières plaintes du CRILAN datent de 1994 ; pour davantage de précisions sur la nature de ces plaintes : CRILAN, 10 route d’Etang-Val, 50340 Les Pieux.

109 En juin 97, Greenpeace relève un taux de radiation dix-sept millions de fois supérieur à la radioactivité naturelle.

110 Jean-François Viel : La santé publique atomisée, Op. Cit. p. 211 et 213.

111 Bérengère Dauvin : Les « Mères en colère », une rebellion contre le silence nucléaire !, in Drôle d’époque, n°5, automne 1999, p. 67-77.

112 Incidents qui sont relayés le soir même au journal de 20 heures.

113 Bérengère Dauvin : Op. Cit. p. 76-77.

114 Jeanne Favret-Saada : Les mots, la mort, les sorts, Gallimard, Paris, 1977, 330p..

115 Guillaume Grandazzi : La crise de La Hague : vers une démocratisation de la gestion des risques ?, in MANA n°4, Caen, 1998, p.67-91.

116 Meuse : mobilisation contre l’ANDRA, Silence n°257, mai 2000.

117 Choix d’alliance Verts-PS-PC-MDC.

118 ACNM : Sous l’épaisseur de la nuit, documents et témoignages sur le désastre de Tchernobyl, Paris, 1993, p. 12.

119 Philippe Roqueplo : Entre savoir et décision, l’expertise scientifique, Op. Cit.

120 Corinne Castanier : remarques de la CRII-Rad concernant le projet de synthèse des travaux du groupe Nord-Cotentin, 13 octobre 1999.

121 Op. Cit.

122 Les résultats de la commission Sugier sont repris par une publicité COGEMA (4 pages dans les journaux locaux, le 20 août 1999) qui en retire les aspects les plus rassurants ; dans cette publicité le pluralisme de la commission sert à crédibiliser les conclusions de la commission qui « contenait des antinucléaires ».

123 Alfred Spira et Odile Boutou : Rayonnements ionisants et santé : mesure des expositions à la radioactivité et surveillance des effets sur la santé, La documentation française, Paris, 1999, p. 163.

124 François Chazel : Mouvements sociaux, in Traité de sociologie, PUF, p. 264-312.

125 Derniers mots de leur premier tract.

126 Bérengère Dauvin : Les « mères en colère », une rébellion contre le silence nucléaire !, Op. Cit., p. 72.

127 Anthony Giddens : Les conséquences de la modernité, Op. Cit.

128 L’expert, vu de près, est un être comme les autres : un être somme toute banal.

129 Plus imaginairement que réellement, puisque la mise en place du programme électronucléaire français était décidé de longue date, comme le souligne fort justement Salvador Juan, Op. Cit.

130 Le directeur de Cabinet de la Ministre de l’Environnement Jean-François Collin, lors de l’allocution de clôture de la onzième conférence des Présidents de CLI.

131 Raoul Vaneigem : Lettre de Staline à ses enfants réconciliés, Verdier, Lagrasse (France), 1998, 91p.

132 Ainsi, lorsque la confédération paysanne en appelle aux consommateurs, en tant que tels, contribue-t-elle à légitimer la société de consommation, privilégiant le rapport producteurs/consommateurs, rapport dans son essence économique, au détriment du débat politique. Le consommer-mieux, si l’on n’y prend pas garde peut rapidement renvoyer les interlocuteurs interpellés en tant que consommateurs à leur sphère privée, et ce n’est pas sans risque lorsque l’on envisage de politiser le débat : comment lier des aspirations démocratiques (appel à la citoyenneté) en renvoyant le citoyen à sa réalité de consommateur ?

133 Raoul Vaneigem : Lettre de Staline à ses enfants réconciliés, Ibid. p. 70.

134 Tract du SIA (Syndicat Intercorporatif Anarcho-syndicaliste) – B.P. 257 14013 Caen Cedex .

135 Guy Debord : La société du spectacle, Follio, Gallimard, Paris, 1992, p. 15.

136 L’exemple de la façon dont Greenpeace tente de recruter ses militants au niveau national est significative même si elle peut paraître caricaturale : « Greenpeace propose pour recruter de nouveaux adhérents sur des lieux publics à Paris, Toulouse et Lyon (…) CDD à temps plein (1mois) ou temps partiel (1 à 2 mois). Etudes supérieures, très motivés, enthousiastes, positifs, dynamiques, goût du contact, du terrain et du travail en équipe, ténacité, expérience vente. » • Libération du 07/02/2000.

137 Philippe Roqueplo : Entre savoir et décision, l’expertise scientifique, Op. Cit.

138 Philippe Roqueplo envisage ces conférences comme des innovations démocratiques incontestables, comme si la démocratie pouvait s’instituer de cette manière, à distance ; il feint d’oublier le spectacle que cette nouvelle posture experte offre, celui de l’illusion de transparence et de participation, posture experte qu’il accepte peut-être en tant qu’expert de l’expertise : « (…) l’Etat lui-même alla jusqu’à organiser une Conférence de citoyens que nombre de crétins, pas seulement associatifs, applaudissent comme une remarquable innovation démocratique » - René Riesel : Déclarations sur l’agriculture transgénique et ceux qui prétendent s’y opposer, Editions de l’encyclopédie des nuisances, Paris, 2000, 103 p.

139 Anthony Giddens : Les conséquences de la modernité, Op. Cit.

140 Thibaut Romain : Le grand doute, Thalassa, France 3, Avril 1997.

141 Ignacio Ramonet : La tyrannie de la communication, Gallilée, Paris, 1999, 201 p.

142 Guy Debord : La société du spectacle, Op. Cit., p. 15.

143 Ignacio Ramonet : La tyrannie de la communication, Op. Cit., p.80

144 On réduit d’ailleurs souvent le discours des situationnistes et de Debord en particulier à cette dimension spécifique de la société du spectacle, expression d’ailleurs devenue courante pour rendre compte du déferlement médiatique, mais le propos de Debord est beaucoup plus vaste. De ce fait, la radicalité profonde du propos est-elle atténuée, les commentateurs de plus en plus nombreux faisant ostensiblement, mais à l’insu du plus grand nombre, œuvre de « maspérisation » (du nom de l’éditeur du gauchisme post-soixante huitard, François Maspéro, qui avait modifié des passages de La société du spectacle).

145 Didier Anger : Les réactions sont-elles à la mesure du risque – CRILAN ,  10 route d’Etang-val, 50340 Les Pieux.

146 Des listes des écoles visitant ou non les sites circulent parmi les élus et les exploitants, participant d’une surveillance/ fichage illégale.

147 comme l’utilisent par ailleurs Act-up et SOS racisme.

148 Par ailleurs, l’exemple plus récent de la confédération paysanne qui existait politiquement ou plutôt syndicalement depuis 1987 est symptomatique de cette nouvelle perspective politique. Elle n’a pris existence qu’autour des menottes de José Bové, existence médiatique qui n’est pas sans danger comme le soulignait l’ex enragé René Riesel. – René Riesel : Déclarations sur l’agriculture transgénique et ceux qui prétendent s’y opposer, Op. Cit.

149 Pierre Bourdieu : Sur la télévision, Liber éditions, Paris, 1996, 95p.

150 Jean-François Viel : La santé publique atomisée, Op. Cit.

151 Ignacio Ramonet : Op. Cit., p. 102.

152 C’est dans l’isolement et l’instantanéité que le spectacle acquiert sa pleine puissance.

153 Ignacio Ramonet : La tyrannie de la communication, Op. Cit.

154 Christopher Lasch : Le complexe de Narcisse, Robert Laffont, Paris, 1981 (1979), p.110.

155 Ibid. p.112.

156 Serge Halimi et Dominique Vidal : « L’opinion, ça se travaille… » • Les médias, l’OTAN et la guerre du Kosovo, Agone, Marseille, 2000, 94p.

157 Françoise Zonabend : La presqu’île au nucléaire, Op. Cit.

158 Henri Mendras : Les sociétés paysannes, Op. Cit.

159 Ferdinand Tönnies : Communauté et société, Retz, Paris, 1977 (1887), p.47.

160 Ibid p.48.

161 Emile Durkheim : De la division du travail social, PUF, Paris, 1986 (1893), 416 p.

162 Marcel Mauss : L’essai sur le don, Op. Cit.

163 Solidarités mécaniques et solidarités organiques – Emile Durkheim : De la division du travail social, Ibid.

164 Gérard Larnac : Après la Shoah – Raison instrumental et barbarie, Ellipses, Paris, 1997, p. 44.

165 Stanley Milgram : Soumission à l’autorité, Calmann-Lévy, France, 1974, 268 p.

166 Gabriel Cohn-Bendit : Nous sommes en marche, Flamarion, Paris, 1999, P. 244-245.

167 Bella et Roger Belbéoch : Tchernobyl, une catastrophe, Op. Cit. p. 12.

168 Jaime Semprun : L’abîme se repeuple, Op. Cit. p . 82.

169 Salvador Juan : Une interprétation sociologique de l’action technocratique, Op. Cit.

170 Véronique Maurus : La Hague est-elle mortelle ?, Le Monde, 17 avril 1997.

171 ACNM : Sous l’épaisseur de la nuit, Op. Cit., p.34.

172 Guy Debord : La société du spectacle, Op. Cit. p.16.

173 Ibid. p.24.

174 Gérard Larnac : Après la Shoah – Raison instrumentale et barbarie, Op. Cit. p.49.

175 Ou l’audace, ou l’occasion…

176 Extrait de l’ouvrage de témoignages de l’ACNM sur la catastrophe de Tchernobyl – ACNM : Sous l’épaisseur de la nuit, documents et témoignages sur le désastre de Tchernobyl, Op. Cit., p.4.

177 Claude Lefort : L’invention démocratique, Op. Cit., p.28.

178 La figure du héros soviétique ayant une forte puissance mobilisatrice.

179 Michèle Rivasi et Hélène Crié : Ce nucléaire qu’on nous cache, Op. Cit., p.87-88.

180 Michèle Rivasi et Hélène Crié : Ce nucléaire qu’on nous cache, Ibid.

181 Même s’il ne faut pas négliger la dimension internationale des intérêts nucléaires (liens et partenariats entre Etats nucléaristes, liens entre éminents spécialistes, liens économiques pour exporter le savoir-faire nucléaire, volonté internationale de taire les différentes conséquences catastrophiques du problème, etc.).

182 Hannah Arendt : La Condition de l’homme moderne, Op. Cit. p. 282-283.

183 « Soyons le plus nombreux possible, notre survie en dépend ! (…) la dernière décision des verts allemands est d’ailleurs sans équivoque : aucun retraitement à l’étranger après le 31 décembre 1999 et aucune tranche nucléaire construite en Allemagne après 2000 (info du 14/01/99) » - extrait d’un tract CFE-CGC (syndicat des cadres).

184 David Desramé et Dominique Maestrali avec la collaboration de Frédérick Lemarchand, Guillaume Grandazzi et Laurent Bocéno : La vie contaminée.

185 Laurent Bocéno : De Tchernobyl à La Hague : lorsque la mesure physique est confrontée au rapport social, in MANA n°4, Caen, 1998, p. 58-59.

186 Ici, nous parlons de survie augmentée telle que les situationnistes ont pu en esquisser les contours, c’est-à-dire le passage de la dépendance vis-à-vis de la nature à l’aliénation aux impératifs économiques.

187 Hannah Arendt : La condition de l’homme moderne, Op. Cit. p. 38.

188 Georges Orwell : 1984, Le livre de poche, Gallimard, Paris, 1966 (1950), 447p.

189 De nombreux articles très violents sortent dans La Presse de la Manche à l’époque des faits.

190 A ce propos on peut lire l’excellente analyse de 1984 de Georges Orwell par Jean-Claude Michéa : Révolte et conservatisme : les leçons de 1984, in Revue du Mauss

191 Charles Wright-Mills : L’imagination sociologique, Op. Cit. p.172.

192 Michel Fernex : Op. Cit.

193 Ainsi les travaux du professeur Bandazhevsky travaillant sur les conséquences de Tchernobyl est-il aujourd’hui emprisonné pour des motifs fallacieux • Michel Fernex :Ibid.

194 A l’image de l’actionnariat des salariés dans les multinationales, à qui l’on distribue 5% du capital.

195 Hannah Arendt : Le système totalitaire, Seuil, Point essai, Paris,1972, p.27.

196 Superphénix comme nous l’évoquions plus avant participe de ce mythe.

197 Même si les nucléocrates tiennent une position léonine.

198 Jaime Semprun : L’abîme se repeuple, Op. Cit.

199 A l’intérieur de l’entreprise les sigles sont des facteurs d’identification non négligeables, comme le soulignait Françoise Zonabend : La presqu’île au nucléaire, Op. cit.

200 « Et dans tout cela, le Cotentin trinque et boit le calice car les commentaires, les écrits et les images reçues au delà de la Manche sont d’une démesure telle que si tout cela était bien fondé et reconnu vrai, il y a belle lurette qu’un exode se serait produit avec Yannick Rousselet, Didier Anger et Nathalie Bonnemains entre autres, comme guides à destination de la terre promise. » - Marcel Clairet : Le Cotentin au pilori : ça suffit !, La presse de la Manche,13 octobre 1997.

201 Claude Lefort : L’invention démocratique, Op. Cit.

202 Comme si l’on pouvait réellement y parvenir.

203 ACNM : Du mensonge radioactif et de ses préposés, Op. Cit. p. 1

204 « Avec quoi les Allemands vont-ils faire brûler leur centrale, du juif ? » - extrait d’une déclaration d’un manifestant hostile à la venue du leader écologiste aux journalistes Ariane Chemin et Sylvia Zappi : Le scrutin européen ravive et envenime le débat sur le nucléaire, Le Monde, 21 janvier 1999.

205 Hannah Arendt : Eichmann à Jerusalem, rapport sur la banalité du mal, Gallimard, 1997 (1966), 484p.

206 Ibid. p. 445.

207 L’encouragement de la direction à l’action et sa complicité tacite, ainsi que la passivité des autorités nationales et locales (là où elles sont beaucoup plus promptes à intervenir face aux mouvements de chômeurs ou aux manifestants anti-OMC de Seattle) constituent un élément significatif de cette toute-puissance réelle des intérêts nucléaires en Cotentin et en France.

208 Gérard Larnac : Après la Shoah – Raison instrumental et barbarie, Op. Cit. p.41.

209 A La Hague elle se cristallise comme réponse à la violence qui lui est faite de l’extérieur, mais également du dedans.

210 Hannah Arendt : Eichmann à Jérusalem, rapport sur la banalité du mal, Op. Cit. p. 472.

211 Albert Cossery : Les couleurs de l’infamie, Op. Cit. p. 7-8-9.

212 Raoul Vaneigem : Pour une internationale du genre humain, Le cherche midi éditeur, Paris, 1999, 183p.

213 Gérard Larnac : Après la Shoah – Raison instrumentale et barbarie, Op. Cit., p.11.

214 Ibid. p.76.

215 « La technocratie aménage l’espace et le temps. » - Salvador Juan : Sociologie de l’action technocratique, Op. Cit. p. 119.

216 Werner Herzog : Aguirre, la colère de Dieu – Le film de Herzog raconte l’histoire fictive de conquistadors à la recherche de l’Eldorado et de leur propre gloire, renonçant à l’Espagne pour créer un nouveau royaume ; la quête se transforme petit à petit en descente aux enfers, puisque l’Eldorado n’existe pas, et que c’est la mort qui les attend au bout du voyage. Alors Aguirre au bout de sa danse macabre se retrouve seul avec les cadavres de cette humanité abandonnée, au milieu de singes, continuant de rêver de cette terra incognito où ses enfants seraient blonds aux yeux bleus.

217 ACNM : Sous l’épaisseur de la nuit, Op. Cit. p. 140.

218 Encyclopédie des nuisances : Remarques sur l’agriculture génétiquement modifiée et la dégradation des espèces, Editions de l’encyclopédie des nuisances, Paris, 1999, p. 20-21.

219 Saisis dès le plus jeune âge par la virtualité, remodelant la réalité par son image fictive et quasi-réelle, son clone.

220 Jaime Semprun : L’abîme se repeuple, Op. Cit. p. 24.

221 Claude Lévi-Strauss, Tristes tropiques, Terre humaine, Plon, Paris, 1955, p. 37.

222 Uniformisation et colonisation qui n’est pas sans rappeler l’abolition des frontières après l’accident de Tchernobyl.

223 Internet et les autres techniques modernes en viennent à réduire l’espace.

224 Classification reprise d’Hans Jonas : Le principe de responsabilité, Champs Flamarion, Paris, 1995 (1979), 470p.

225 Françoise Zonabend : La presqu’île au nucléaire, Op. Cit.

226 Après les plantes à durée de vie limitée n’en viendrons-nous pas au cauchemar des répliquants de Blade Runner, matière vivante reconstituée – robots • pour les basses œuvres, à durée de vie limitée.

227 André Dréan : Comme dix mille soleils, texte diffusé sur internet.

228 Op. Cit.

229 Comme les témoignages recueillis par Patrick Legadec autour d’acteurs de la gestion de grandes catastrophes environnementales semble en témoigner ; ceux-ci cherchant pour l’essentiel à recouvrir l’état antérieur à la crise – Patrick Legadec : Etat d’urgence – Défaillances technologiques et destabilisation sociale, Le Seuil, Paris, 1988, 405p.

230 Anthony Giddens compare l’emballement technique de la modernité à un camion furieux ; Anthony Giddens : Les conséquences de la modernité, Op. Cit.

231 Encyclopédie des nuisances : Remarques sur l’agriculture génétiquement modifiée et la dégradation des espèces, Op. Cit. p.16-17.

232 Jean Virgule : Les poupées gigognes, in Le publicitaire n°2, décembre 1999, p.7-8.

233 Claude Lévi-Strauss : Tristes tropiques, Op. Cit. p.41.

234 Alain Touraine : La prophétie antinucléaire, Seuil, 1980, Paris, p. 12.

235 Jean-Claude Michéa : Révolte et conservatisme : les leçons de 1984, Op. Cit.

236 Il ne faut pour autant pas minimiser la foi dans le progrès porté par l’ensemble du mouvement anarchiste international.

237 Murray Bookchin : Op. Cit. ; également disponible : Définir le projet révolutionnaire, SIA, Lectures vitaminées.

238 Georges Orwell : 1984, Op. Cit.

239 Christopher Lasch : Le complexe de Narcisse, Op, Cit. p.15-16.

240 Ibid.

241 Ibid. p.20.

242 Avec ses cortèges d’experts : psychologues, sociologues, nucléocrates…

243 Guy Debord : La société du spectacle, Op. Cit.

244 Hans Jonas définit l’heuristique de la peur comme la capacité des désastres à participer d’une prise de conscience plus globale • Hans Jonas : Le principe de responsabilité, Op. Cit.

245 A propos du nucléaire : « Un déchet qui ne s’éliminera jamais, une nocivité qui durera toujours, en sommes une souillure éternelle, un vacarme irrépressible. » - Françoise Zonabend : La presqu’île au nucléaire, Op. Cit.

246 Op. Cit. p.45.

247 André Breton : Manifestes du surréalisme, France Loisir (et si !), Paris, 1990 (1924), 361p.

248 Michelet : Histoire de la révolution française, Tome1, Nrf, La Pléiade, Paris, 1952 (1846), 1478p.

249 « La propriété fut la matière essentiellement inflammable qui fit éclater l’incendie de la révolution. Le gouvernement avait besoin d’argent, il était mis en demeure de prouver que le gouvernement est absolu et par conséquent seul maître de toute propriété, seul propriétaire. Il devait reprendre son argent qui se trouvait être la possession mais non la propriété de ses sujets. Au lieu de cela il convoque les Etats généraux pour se faire accorder cet argent. On osa pas pousser la logique jusqu’au bout et l’illusion du pouvoir absolu fut détruite ; celui qui se fait « accorder » quelque chose ne peut être considéré comme absolu. » • Max Stirner : L’Unique et sa propriété, La table ronde, Paris, 2000 (1844), p. 113.

250 ACNM : Sous l’épaisseur de la nuit, Op. Cit. p.5

251 Ibid. p 11-12.