Restructurations à l'ombre des bons sentiments

Pour contribuer au débat : un texte plus politique

De bon sentiment, le dernier numéro de la revue Contre-Temps ne manque pas. Sous la houlette d'un quarteron de militants trotskistes de la LCR, d' autoproclamés " nouveaux libertaires " et " nouveaux communistes " entendent nous convaincre des " faux clivages " existant entre anarchistes et trotskistes, des clivages qui, aujourd'hui, ne reposeraient que sur quelques confrontations historiques n'ayant plus guère de sens. L'heure serait aujourd'hui à la fusion : celle d'une politique trotskiste et d'une pratique anarchiste, dans le cadre d'un " parti libertaire [.] apte à gouverner ". Pour cela, des parallèles historiques sont établis avec une collaboration communistes/anarchistes dans les IWW américains et dans le cadre de la revue Voie Communiste en pleine guerre d'Algérie. Ceux-ci représenteraient des " exemples intéressants " de " regroupement non dogmatique ".

De cette revue et de tous ses articles se dégage une certaine communauté de pensée dont la constante est le caractère complètement dépolitisé. Anarchistes et trotskistes (de la LCR) seraient les 2 membres principaux de la communauté des révolutionnaires, séparés par de bêtes événements historiques. Mais il convient de noter qu'aucun aspect politique de cette collaboration n'est abordé : Mimmo D. Pucciarelli présente la mouvance libertaire comme si, quoique présentée comme " plurielle et composite ", elle était néanmoins une véritable communauté, sans clivages politiques entre les organisations et les individus ; la LCR est abordée comme si elle était le pur produit du trotskisme, bureaucratie et dogmatisme en moins ; enfin, signalons la récurrence de l'ajout ponctuel des Verts en marge de la communauté des " radicaux critiques ". Cette communauté doit se baser sur deux choses : le rejet " des vérités uniques et des certitudes carrées du dogmatisme " et une position " 100% à gauche ". Mais de ce que signifie politiquement " être 100% à gauche ", on ne parlera pas.

La LCR, il est vrai, a fait peau neuve. Elle ne se veut plus un parti communiste, mais un parti " écologiste, féministe, anticapitaliste ". A chaque congrès est inlassablement reposée la question du changement de nom pour bazarder ces mots encombrants que sont " communiste " et " révolutionnaire ", qui font trop peur. Les entorses au dogmatisme sont, on ne peut le nier, conséquentes : Léonce Aguirre, avec d'autres, fait un retour critique sur Kronstadt, que même le jeune candidat Besancenot décrit comme une erreur de Trotski. D'autre part, les références historiques du parti se sont relativement élargies, pour inclure, et ce n'est pas récent, Rosa Luxemburg ou Che Guevara. Le retour sur Kronstadt est, entre autres, courageux : tout le monde n'en a pas fait autant. La LCR, de fait, n'est plus vraiment un parti trotskiste. Mais là n'est pas l'important : suffit-il d'évacuer toute référence au trotskisme et à ses erreurs pour être digne d' intérêt ? On oublie que la LCR est un parti politique, et que ce parti a une action politique. Mais de cette action, on ne parle pas : la question de l' unité ne nécessite-t-elle pourtant pas que l'on en fasse le bilan ?

Le positions ambiguës sur la parité, sur l'Europe et Maastricht, dont certains courants et individus au sein du parti disent qu'elles sont susceptibles de permettre certaines avancées. les positions douteuses des pantins inutiles au Parlement Européen sur la privatisation du chemin de fer, la réduction de l'interdiction des licenciements à un cadre des " grandes entreprises qui font des profits ". cela, avec un modèle politique défini comme celui de la " démocratie participative " de son homologue brésilien. De celle-là, non plus, on ne parle guère : c'est bien le courant " Secrétariat Unifié " du PTB qui, élu sur le mandat du non-versement de la " dette " au FMI, a pourtant fait de celui-ci le 1er point de son programme une fois au pouvoir ; c'est bien lui qui continue la politique de privatisation. quel doux mot que celui de " démocratie participative ", qui associe les travailleurs à la gestion de la cité alors que, en vérité, ils ne participent qu'à la gestion de la pénurie : le Nouvel Economiste le confirme : 80% du budget concerne des dépenses fixes, 15% sont consacrés au paiement de la dette, restent 5% à se partager entre les exploités ! Les syndicalistes brésiliens détaillent à l'envi les successions de cris et de pleurs au " budget participatif " de la part de tous ceux venus réclamer justice, et qui savent que seuls ceux étant parvenus à rassembler le plus de monde derrière eux pourront faire partie des 3 uniques nominés sur la liste des " priorités ". En évacuant toute référence au trotskisme ou au communisme, la LCR ne fait pas que figure d'ouverture d'esprit : elle évacue aussi des concepts qui ne correspondent plus à sa pratique politique. Son ouverture est la concrétisation de sa dérive droitière qui la conduit, en effet, à s'ouvrir aux Verts, à la Gauche Socialiste, invitée à son dernier congrès, et aux libertaires d'Alternative Libertaire, invités eux aussi. Si " AL " se retrouve fréquemment dans des combats communs avec la Ligue, ce n'est pas non plus seulement parce qu'elle veut bien faire fi de tout dogmatisme, c' est parce qu'elle aussi manie les concepts de " 100% à gauche " et de lutte de la " gauche sociale " contre la " gauche gouvernementale ". toutes deux se retrouvent sur une position de " gauche de la gauche ", qui poussotte gentiment la gauche plurielle pour qu'elle lâche quelques mesurettes, pour qu'elle régule le capitalisme, puisqu'il faut " changer le monde sans prendre le pouvoir ". Toutes deux participent au fameux Forum Social, financé à hauteur de 22 millions par l'Etat qui achève ainsi l'intégration corporatiste de ces organisations dites contestataires qui n'ont pour seul mérite que d'avoir citoyennement mis la lutte des classes au vestiaire et participé à la mise en place d'une structure de dialogue social. Toutes deux sont dans une perspective "participative" associant les exploités à leurs exploiteurs.

Ce n'est pas pour rien que les " anarchistes " qui prennent la parole dans cette revue préfèrent quoi qu'ils en disent le terme de libertaire à celui d 'anarchiste.. Manfredonia, Spadoni, Pucciarelli réduisent l'anarchisme, par leurs discours ou leur simple participation créditrice à un numéro peu innocent, à une certaine " pratique " libertaire, à une revendication de fonctionnement politique démocratique. La seule légitimité de l'anarchisme serait d'avoir incarné au temps du " dogmatisme " trotskiste la lutte contre la bureaucratie : la LCR ayant rompu avec ces pratiques, l'anarchisme n'a plus aucune raison d'être et doit intégrer la nouvelle extrême gauche plurielle, car c'est bien de cela qu'il s'agit, et se préparer, comme il l' est rappelé, à voter une nouvelle fois pour la " démocratie chiraquienne " ou encore, pour un candidat jugé " proche " : " trotskiste ou écologiste par exemple ". Que de bons sentiments, en effet, dans ces appels à l'action dans ces grands syndicats que sont SUD ou la CGT, tout dévoués au syndicalisme subsidiaire, tout à fait compatible avec cet autre modèle de corporatisme qu 'est la " démocratie participative ". Que de bons sentiments dans ces appels à la collaboration avec ces grands révolutionnaires des Verts et de la Rifondazione ! " Collaboration ", c'est bien de cela dont il s'agit. la " gauche de la gauche " façon PCF ou LCR revendique " une autre Europe ", définie comme le cadre de nos luttes, tout en affirmant que ce qui édicte 80% des mesures appliquées en France n'est pas une " réalité géopolitique ".

N'en déplaise à tous, l'anarchisme n'est pas réductible à un amas de pratiques " démocratiques " menées par des " libertaires ". La légitimité de l'anarchisme est que c'est le seul courant politique qui, prenant fait et cause pour les exploités, refuse de laisser un seul élément hors du champ de sa critique et de sa réflexion, à l'inverse du trotskisme, qui refuse de se pencher sur la question de l'autorité et de ses expressions sociales que sont le parti ou l'Etat. C'est cela l'actualité du différend entre l' anarchisme et le trotskisme : d'abord, il est vrai, une " pratique " (le récent coup de main de la LCR, après d'autres trotskistes, sur l'Ecole Emancipée prouve d'ailleurs à quel point la LCR s'est dé-trotskisée), mais pas une pratique réduite à un fonctionnement interne démocratique, une pratique qui lui interdise de participer à l'Etat, une pratique qui prévienne toute dérive, de quelle nature qu'elle soit. Je vous préviens, messieurs, que les anarchistes ne confondent pas unité et unicité, et qu'ils ne laisseront pas les trotskistes se déclarer impunément libertaires !

Pucciarelli nous invente des catégories fumeuses entre " anarchistes sociaux " et " anarchistes du quotidien ", cela lui permet d'intégrer dans le mouvement anarchiste les poivrots qui restent dans les " bistrots après avoir bu quelques verres ", cela lui permet de donner de la légitimité à des " anarchistes " qui, à force de se pencher sur "l'imaginaire ", sont devenus des anarchistes imaginaires.

Richard G.

Janvier 2003

Trouvé sur A-infos