Pour le 1er mai 2003

Joëlle Aubron

(... J Quand nous chanterons le temps des cerises

sifflera bien mieux le merle moqueur (..)

Les tapis de bombes sur l'Irak à peine conclus, déjà l'Empire du bien pointe les futures nouvelles cibles.

En janvier 2002, à peine les Talibans défaits de toute position maîtresse et les nouveaux fiefs claniques pas encore consolidés, l'Irak avait été désigné cible prioritaire dans la rhétorique d'un axe du mal. Des analystes du militaire avaient alors évalué que cette attaque n'aurait pas lieu avant mars 2003: laps de temps nécessaire à reconstituer le stock des engins de mort.

Pour l'heure, la hiérarchie des places sur la liste des cibles est encore un peu incertaine. La concrétisation des intentions de l'actuelle administration US n'en est pas moins certaine. D'une guerre à l'autre, se profile la suivante. Et la non-participation de l'armée française à une guerre n'augure pas de ce qu'il en sera pour la prochaine.

Le capitalisme porte la guerre comme la nuée l'orage. Le constat n'est pas neuf. Dans les circonstances de l'actuelle gestation monstrueuse, la crise de valorisation des capitaux en surproduction. Plus croît l'accaparement par quelques uns de la richesse mondiale socialement produite, moins peuvent être à nouveau rentabilisés les profits tirés du flux intensifs des capitaux. Pour desserrer l'étau de la crise, les bons vieux recours:

• budget militaire qui ne cesse de croître. En août 2002, le Sénat US votait un budget de la défense de 355, 4 milliards de $, soit 35 milliards de plus que le précédent. Une nouvelle rallonge budgétaire est en cours de lancement.

• rôle toujours plus essentiel dévolu au complexe militaro-industriel, notamment en tant que source de revenus. Pour l'année 2002, le produit des ventes a atteint 12,5 milliards de $. Pour l'année 2002, te ministère des Affaires Etrangères US compte sur 14 milliards, soit le plus haut revenu annuel de ces 10 dernières années.

• dévastation/reconstruction. Les contrats à la reconstruction des infrastructures détruites par la guerre se chiffrent en milliards de dollars pour l'escarcelle de la mafia militaro-pétrolière qui sert de gouvernement aux États-unis. Avant même l'invasion britannico-US, Kellog Brown & Root, filiale de Halliburton, dont Dick Cheney fut membre de la direction entre 1995 et 2000 avait déjà en poche le contrat pour la sécurisation pyrotechnique des champs pétroliers. Depuis, les attributions se sont succédées: Betchel, Travaux Publics et Technologie pétrolière (682 millions de $), Stevedoring Service, marché portuaire de Umn Kasr, ...

En septembre 2001, la dette extérieure US se chiffrait à presque 3,5 billions de $, soit 35% de la production globale US. En 2002, le déficit à l'exportation fut de 450 milliards de $. En d'autres termes, seules des démonstrations de force peuvent garantir la survie à crédit de la superpuissance.

Pendant ce temps donc, le refus d'un Chirac de légitimer cette fois ce besoin US de jouer de sa prééminence militaire n'implique aucune posture définitive en la matière. Si aux USA, c'est l'élan patriotique belliciste qui a jeté un voile sur les scandales financiers (Enron, Worldcom, ...) révélateurs de l'actuel fonctionnement du capitalisme, et les pertes d'emplois consécutives, en France, c'est la posture contre l'intervention britannico-US qui a servi d'écran aux agissements à l'unisson du patronat et du gouvernement Raffarin. En étant en phase avec le sentiment anti-guerre dans l'Etat français, Chirac reléguait à l'arrière-plan le jugement négatif croissant vis-à-vis de la politique sociale du gouvernement. Pour autant, pas plus ici que dans les autres pays de l'Union Européenne (et quelle qu'ait été la posture de leurs gouvernements vis-à-vis de l'agression en Irak), n'a reculé la fonction du militarisme dans cette phase du développement capitalistique. Accroissement du budget défense, régressions sociales, licenciements à la chaîne et développement des appareils répressifs sont étroitement associés:

• La dualisation de la société européenne entre les populations les plus riches et !es plus pauvres est de plus en plus violente, Pour maintenir une société de marché où ceux qui n'ont rien à perdre se tiendront tranquilles face à la richesse des autres, aux biens de consommation à outrance, à la publicité omniprésente, //faut une sorte d'Etat policier basé sur la surveillance, le contrôle et la peur de la prison. ' C'est exactement ce dont il s'agit quand Perben (UMP) et le maire PS de Noyelles-Godault vantent aux ex-travailleurs de Metaleurop les emplois sécurisés de la nouvelle prison.

• La guerre vers l'extérieur est le complément obligé de cette guerre larvée intérieure pour garantir un cadre de valorisation aux capitaux les plus puissants. C'est à dire, dans ce stade d'impérialisme pourrissant, la domination du capitalisme financier, capital industriel monopolisé + capital bancaire, l'importance de l'exportation des capitaux et la concentration comme la domination du capital sur toute la société rendent plus fermes encore les impératifs de concurrence entre les grandes puissances capitalistes. La guerre et la force militaire sont plus que jamais les outils de cette sécurisation capitalistique.

Pour autant, il mûrit le temps du dépassement de cette dictature de l'argent. Au regard des seules dix dernières années, ses potentats ont beaucoup perdu de leur art propagandiste. Les rouages de la machine sont nus. De l'imposition du concept de guerre préventive à l'imbrication de l'enrichissement délinquant dans le fonctionnement systémique du capital (paradis fiscaux, faillites frauduleuses, délits d'initiés, ...), la machine à broyer la très grande majorité de la population mondiale s'affiche sans pudeur. Quand un Bush parle de démocratie, ils sont vraiment très majoritaires dans le monde ceux et celles qui savent à quoi s'en tenir. Comme l'écrivait récemment Arundhati Roy, '3i le régime de Saddam Hussein tombe, il se peut fort bien qu'on danse dans les rues de Bassora. Mais si le régime de Bush tombait, on danserait dans les rues du monde entier. "' Quand un Chirac ou Raffarin se fendent d'un "patrons voyous", l'envolée populiste reste pauvre: d'allégements fiscaux pour les plus riches en dégrèvement des charges sociales du patronat, la privatisation des profits tirés de la socialisation des pertes ne craint nulle poursuite judiciaire.

Certes, de larges couches des sociétés, notamment dans les centres impérialistes, refusent de regarder cette évidence atteinte par les rouages. Entre la posture de l'autruche qui, pour ne pas être happée par eux, cacherait sa tête dans le sable et opportunités pour faire partie des bénéficiaires en étant un agent loyal de la machine, ces couches préfèrent miser sur la perpétuation du système.

Néanmoins, c'est bien la réémergence d'une exigence de transformation radicale qui est le fait marquant de ces dernières années. Le There is no alternative des Reagan et Thatcher dans les années 80 a vécu. L'espace politique où l'exigence s'élabore est étroit. Entre la netteté des rouages, la soumission fataliste à leurs gestions et la faillite avérée des velléités de leur donner un visage humain, cet espace est enserré dans la violence structurelle des rapports de production capitalistes. Tandis que les coups, notamment idéologiques, encaissés par les exploités pendant les 30 dernières années, notamment encore de la part de ceux-là mêmes qui se prétendaient leurs défenseurs, ne s'effacent pas du jour au lendemain.

"Où est-ce qu'on va aller comme ça? Est-ce que le bonheur, c'est fermer sa gueule pour du fric? Est-ce qu'on n'est pas a la fin de quelque chose, du système capitaliste tel qu'on l'a vécu? Parce qu i/ y a quelque chose, ça va craquer ou bien c'est pas possible, on peut pas continuer comme ça. La révolution, on sait ce que ça a donné. Les révolutions ont changé le système rouf remettre exactement le même système parce qu il n'y a jamais eu un régime qui a supprimé le système capitaliste, quoi qu'on en dise." Il est désabusé Philippe Dupuis, 46 ans dont 23 ans à Metaleurop, fondeur de plomb et plombé dans son sang. Ses questions disent la part désenchantée de l'exigence. Mais l'utopie, comprise comme une tendance du réel et donc inscrite dans le quotidien des rapports capitalistes de production, à la fois sous la forme de la nécessité de leur dépassement et contre les régressions dont ils sont porteurs, n'est pas un enchantement. Les exploités et les opprimés ont plus que payés le prix pour le savoir. Et ce prix accroît d'autant la force de l'exigence utopique.

D'un côté, les échecs encaissés sont entremêlés dans la trame sur laquelle s'élaborent les champs d'amplitude de sa dynamique. L'accumulation originelle comme base du mode de production capitaliste ou la longue kyrielle des actes de pillage, d'atrocités et souffrances endurées par le peuple qui accompagnent l'expropriation violente du peuple s'enclenche il y a plus de 500 ans, Comparativement, le communisme comme mouvement pour abolir cet ordre des choses existant a 132 ans, soit même pas le tiers de son âge. D'un autre côté, il n'y a jamais eu autant de richesses socialement produites, de possibilités de les développer encore pour le bien de tous, si tout cela n'était pas gaspillé et dévasté aux profits d'une petite minorité.

Pour l'heure, c'est ainsi en creux que s'esquisse la fin de la dépolitisation de la lutte prolétarienne. Face à ce double constat, sont à l'oeuvre:

• les luttes contre les suppressions d'emplois et la précarité qui convergent en unité d'action faite d'expériences et de projets et d'une manière générale, le champ ouvert par la nécessaire résistance aux attaques patronales et gouvernementales pour assujettir toujours plus la force de travail;

• les initiatives suscitées par ce que dit l'arrogance US sur la réalité impérialiste, aussi bien en matière d'impérialismes concurrents. Et les engagements concrets pour résister aux côtés des peuples en lutte.

L'espace pour un agir politique révolutionnaire pose inévitablement le lien entre la dimension "économique"' et la fonction politique de l'impérialisme. Seul ce lien, ses conséquences dans les pratiques, peut rompre avec les catégories du gestionnaire auquel s'exercent les partis de l'alternance. Dans ce champ dynamique peuvent enfin s'élaborer et se confronter aux enjeux de l'heure les aspirations et les besoins d'en finir avec l'exploitation et les oppressions.

Pour le 1 ° mai 2003: Joëlle Aubron, prisonnière d'Action Directe

Notes

1. Patric Jean, réalisateur belge du documentaire La raison du plus fort. En Belgique aussi, la criminalisation de la pauvreté fait l'objet de rapports d'experts en sécurité et de projets législatifs. Le même ministre de la justice, commandant un rapport sur les liens entre immigré et délinquant, propose la dépénalisation des délits financiers. Le documentaire sera diffusé sur Arte le 5 mai.

2. La suite de la victoire militaire en Irak prouve la justesse du pronostic: les Irakiens ont dansé sur les ruines du régime. Pour autant, dès les premiers jours, la puissance occupante a dû tirer dans les foules pour se dégager parce que les Irakiens refusent qu'elle s'installe. Nouveaux dégâts collatéraux que ces morts-là? Ou relèvent-ils déjà de la catégorie toujours plus étendue des terroristes?

3. Des guillemets car il ne s'agit bien sûr pas de l'économie réduite à des lois du marché sacralisées mais de cette base où la richesse socialement produite est le butin d'une poignée, de cette base dont la reproduction porte guerres et dévastations sur tous les plans où se matérialise la vie: écologique, social, culturel. De l'investissement de cette base économique par le combat politique dépend la faveur ou défaveur du rapport de force entre les classes.