Mise en perspective du démantèlement du Service Public de l’Education Nationale

JF Caumont – Enseignant

Suivi de

Etre professeur des écoles en 20XX.

Un enseignant

Mise en perspective du démantèlement du Service Public de l’Education Nationale

1.      Aujourd’hui en France, le Service Public de l’Education Nationale, dans quel cadre ?

Traité instituant la Communauté Européenne : "Les institutions européennes doivent respecter pleinement la responsabilité des Etats membres pour le contenu de l’enseignement et l’organisation du système éducatif ainsi que leur diversité culturelle et linguistique.". Sont exclues du champ de compétences de ces institutions, dans les domaines de l’éducation et de la culture, "toute harmonisation des dispositions législatives et réglementaires des Etats membres." (articles 149, 150, 151).

Principe : accès libre et égal pour tous à l’éducation.

Réalité : un système imparfait et sûrement perfectible qui essaye de suivre ce principe. Ses objectifs sont de transmettre des savoirs, de former des citoyens et d’apprendre aux individus à se construire par eux-mêmes.

2.      Le marché de l’éducation au niveau mondial

1000 milliards de dollars de dépenses annuelles des Etats pour l’éducation.

50 millions d’enseignants.

1 milliard d’élèves.

Des centaines de milliers d’établissements scolaires.

Comment s’accaparer ce gâteau ou la libéralisation de l’éducation

Du lobbying

Le groupe de pression GATE (Global Alliance for Transnational Education), composé de responsables d’organisations patronales et transnationales (OCDE, OMC, UNESCO, Banques Mondiales) examine chaque année comment éliminer les barrières s’opposant au commerce international de l’éducation.

Le patronat souhaite que davantage d’importance soit accordé à l’apprentissage des nouvelles technologies de l’information et de la communication, pour, à terme, obliger les salariés à assumer leur propre recyclage pendant leur temps libre via des serveurs de formation à distance, afin de développer des dispositifs de formation privés.

Des rapports

L’ERT (Table Ronde Européenne des Industriels) regroupant 47 importants dirigeants d’industries (Suez Lyonnaise des Eaux, Renault, Air Liquide, Rhône-Poulenc…) a publié en 1989 le rapport "Education et compétence en Europe", elle y affirme que : "l’éducation et la formation sont considérées comme des investissements stratégiques vitaux pour la réussite de l’entreprise…", tout en déplorant que "l’industrie n’a qu’une très faible influence sur les programmes enseignés", que les enseignants "ne comprennent pas les besoins de l’industrie" et que les Etats puissent encore conserver ce secteur d’activité. Ces thèses ont été reprises par l’OCDE, la Banque Mondiale, des organisations patronales nationales, la Commission Européenne, …

Le Conseil Européen réuni en 1997 à Amsterdam préconise que l’Ecole doit "accorder la priorité au développement des compétences professionnelles et sociales pour une meilleure adaptation des travailleurs aux évolutions du marché du travail".

La Commission Européenne prône la dérégulation de l’Ecole publique : "la résistance naturelle de l’enseignement public traditionnel devra être dépassée par l’utilisation de méthodes combinant l’encouragement, l’affirmation d’objectifs l’orientation vers l’utilisateur et la concurrence, notamment celle du secteur privé". Ayant libéré le processus éducatif, on aboutit ainsi "à un contrôle par des offreurs d’éducation plus innovants que les structures traditionnelles". Puis dans son rapport officiel - Apprendre dans la société de l’information - elle précise que l’Ecole doit se mettre au multimédia et aux didacticiels car "ce secteur d’activités, avec le développement de nouveaux produits et de nouveaux services, est prometteur" mais qu’ "un nombre trop faible d’utilisateurs et de créateurs pénaliserait durablement l’industrie européenne du multimédia". Ayant donc atteint un nombre suffisant d’utilisateurs, il sera alors possible "d’amorcer la constitution d’un véritable marché européen multimédia éducatif".

Le rapport 1998 de l’OCDE sur les politiques éducatives conclut : "la mondialisation - économique, politique et culturelle – rend obsolète l’institution implantée localement et ancrée dans une culture déterminée que l’on appelle l’Ecole et en même temps qu’elle, l’enseignant."

Dans ses documents de travail depuis 1998, l’OMC invite les entreprises privées de services à fournir pays par pays la liste de tous les obstacles à la libre concurrence qu’ils soient législatifs ou réglementaires, nationaux, régionaux, provinciaux, départementaux ou locaux.

Des accords

L’AGCS (Accord Général sur le Commerce des Services) signé en 1995 au sein de l’OMC par lequel les Etats membres s’engagent à entamer un processus de libéralisation des services et à le poursuivre par la suite afin d’élever progressivement ce niveau de libéralisation. A terme tous les services seront concernés, dont l’éducation.

La Commission Européenne s’est engagée en 1995 pour 12 des 15 pays (refus de l’Autriche, de la Finlande et de la Suède) à ne pas imposer de nouvelles mesures qui restreindraient l’accès au marché de l’éducation.

La Commission Européenne a franchi une nouvelle étape en 1998 en signant un accord sur "le partenariat transatlantique" qui dans le domaine des services, stipule que les Etats-Unis et l’Union Européenne négocieront des accords afin de "parvenir à un engagement général en faveur de l’accès inconditionnel au marché dans tous les secteurs.". A la suite de quoi depuis 2000, sans que les gouvernements des Etats membres, ni leurs parlements en ait débattu, la Commission dépose à l’OMC des notes informelles engageant l’Union Européenne dans un processus de libéralisation des services y compris l’éducation.

Déjà à l’œuvre

Le marketing scolaire, fournissant gratuitement des échantillons ou des cassettes dites pédagogiques, contourne la publicité, officiellement interdite en milieu scolaire dans la plupart des pays.

La privatisation croissante de portions de l’activité de l’Ecole : repas, garderies, transports d’élèves, voire dans certains pays la gestion financière (USA), l’inspection des écoles primaires (Grande-Bretagne)…

Le télé-enseignement, très développé aux USA du primaire au supérieur.

3.        Pour aboutir à quel résultat

Un système privatisé à deux vitesses :

·        une école ultra performante en termes de compétition économique réservée à un petit nombre d’élus, destinée à former des cadres supérieurs de haut niveau et des ingénieurs;

·        une école dérégulée, ne cherchant pas à former des citoyens mais de la main d’œuvre peu qualifiée, flexible, adaptable rapidement aux évolutions du marché.

Une école publique qui aura la charge comme l’indique l’OCDE avec cynisme d’ "assurer l’accès à l’apprentissage de ceux qui ne constitueront jamais un marché rentable, et dont l’exclusion de la société en général s’accentuera à mesure que d’autres vont continuer de progresser".

4.        Les réformes en cours

Transfert de 110 000 fonctionnaires vers les départements et les régions :

·        les Conseillers d’Orientation Psychologues risquent de devenir de simples aiguilleurs vers l’emploi et de disparaître des établissements.

·        les services assurés par les agents, restauration, entretien…, risquent d’être rapidement privatisés, surtout pour les collectivités les moins riches.

Une plus grande autonomie des établissements dans la gestion des moyens d’enseignement et des crédits, avec une place majoritaire donnée aux représentants de l’entreprise ou aux élus dans les conseils d’administration des établissements, accentuera l’adéquation de l’école aux besoins du marché, renforcera l’inégalité entre les établissements et mettra en péril la validité nationale des diplômes.

Le contrôle par les régions de la carte des formations professionnalisantes jusqu’à bac+3 renforcera l’inégalité de l’offre de formation selon les régions qui seront tentées de l’adapter à leurs seuls besoins.

Le contrôle par les départements de la carte scolaire aggravera ou créera la ghettoïsation de certains secteurs scolaires, et permettra aux élus le souhaitant de favoriser les établissements privés.

 

Dernière minute : communication de Luc Ferry au Conseil des Ministres du 14 mai 2003 sur les technologies de l’information et de la communication pour l’enseignement scolaire, présentant 10 mesures pour relancer l’utilisation de ces technologies.

Mesure n°3 : mise en place de dispositifs d’assistance au service des utilisateurs scolaires : "Les services d’assistance technique et fonctionnelle pourront être externalisés auprès d’entreprises spécialisées dans ce domaine".

Mesure n°4 : création sur le web d’ici à 2007 d’un Espace Numérique de travail pour chaque élève, parent, enseignant

Mesure n°5 : "Créer en ligne un Espace Numérique des Savoirs avec les éditeurs publics et privés."

Mesure n°10 : "Enfin, pendant toute sa vie professionnelle, l’enseignant doit avoir la possibilité de compléter sa formation. A cette fin, une concertation générale entre le secteur public et le secteur privé sera lancée afin d’élargir significativement les offres de formation continue".

Ces mesures montrent que le gouvernement a fait le choix d’un développement des technologies de l’information et de la communication dans le sens d’une ouverture de ce marché au privé et non dans celui des élèves et du service public d’éducation.

5.        Conclusion

Les réformes que le ministre veut imposer sans aucune concertation avec les enseignants ou leurs représentations syndicales s’inscrivent bien dans ce processus de libéralisation de l’éducation.

Les mesures proposées dans le cadre des technologies en sont un révélateur supplémentaire s’il en fallait.

Nous nous dirigeons vers une école comportant plus d’inégalité, soumise à la loi du marché, avec l’accord ou pas du gouvernement, ne respectant ni traités, ni principes.

 

Contribution personnelle synthétisant divers documents circulant dans les AG et sur Internet en ces temps de haute agitation sociale, en réaction au mépris dans lequel on nous tient.

Le 18 mai 2003

Etre professeur des écoles en 20XX.

Cette année, pour mes 67 ans, mes 42 élèves de cours préparatoire se sont cotisés pour m'offrir une canne. Cela m'a fait bien plaisir car je commence à avoir du mal à les suivre quand on fait des rondes. Je leur ai, exceptionnellement, fait un bisou pour les remercier. Une circulaire ministérielle nous l'interdit pour éviter les accusations de pédophilie.

Vous avez bien lu: 42 élèves. Eh oui ! Depuis quelques années, les départs en retraite ne sont plus remplacés, alors on compense...

L'énorme brouhaha des bambins ne gêne pas ma collègue de 71 ans, car cela fait déjà dix ans qu'elle est sourde!

Et puis depuis sa fracture du col du fémur elle ne sort plus en récréation ; la prothèse de hanche étant trop chère pour la sécu, le docteur lui a directement soudé le fémur sur le bassin. On la pose dans sa classe le matin et puis on la sort le soir quand on a terminé la correction des cahiers et le balayage des classes. C'est moi qui suis chargé d'y penser car le directeur n'a plus toute sa tête, il serait capable de l'oublier : depuis qu'on a supprimé sa décharge de direction, il a repris sa classe de cours moyens, il en est très content, il dit que le niveau scolaire des élèves monte continuellement et que c'est pour lui un grand motif de satisfaction. Personne n'a encore osé lui dire qu'il donne à chaque fois les mêmes contrôles. C'est fou ce que la maladie d'Alzheimer fait des ravages. Les élèves ont été un peu surpris au début puis ils s'y sont fait. Nous aussi on a été un peu surpris au début, son ordre du jour des conseils de maîtres est invariablement consacré à la lecture du livre de Monsieur Luc Ferry; mais c'est un bon exercice: on y découvre des fautes de français à chaque lecture. Je fais partie d'une famille où l'on est enseignants depuis quatre générations. Mon fils de trente ans voudrait rentrer dans l'Éducation Nationale, mais il n'y a pas de place. Je lui ai conseillé de faire une carrière militaire de quinze ans. Il pourra ainsi rentrer dans l'Éducation Nationale grâce à un emploi réservé. J'espère qu'il suivra mon conseil car c'est actuellement la seule filière possible.

L'année prochaine, je pars en retraite. Bien obligé, la prostate me joue des tours; je ne suis plus étanche et je sens bien que ça empire, pour cette année les couches super absorbantes vont suffire mais ça ne va pas durer, Heureusement qu'on à l'occasion de rire sinon j'imagine le pire. Ma maigre pension va m'obliger à rester devant une télé insipide. Moi qui avais rêvé de voyages vers de lointains pays... Les statistiques disent que les enseignants ont une plus grande espérance de vie; les journées risquent d'être longues... mais j'y pense ! Si j'allais faire la surveillance dans un lycée, peut-être que les lycéens me fileraient un peu d'herbe pour voyager pas cher ?

On nous a longtemps appelés les "hussards de la République";

Aujourd'hui nous sommes "les usés de la République"

Bon courage à Tous ! ...