Etats-Unis: le gouvernement des multinationales

Aux Etats-Unis, les multinationales n'ont pas besoin d'exercer des pressions sur le gouvernement pour faire la guerre. Elles sont le gouvernement. Leurs hauts cadres sont ministres, ministres adjoints, sous-secrétaires d'Etat... Et la rémunération que l'Etat verse à ceux-ci fait figure d'argent de poche par rapport à ce qu'ils touchent du privé.

Baudouin Deckers, Henri Houben, Marco Louvier

26-03-2003

Dans le minuscule aperçu que nous en donnons ici, on constate que ce sont surtout deux secteurs clés de l'économie, le pétrole et l'armement, qui dominent. Ces capitalistes ont choisi de mettre en place (à force de millions de dollars, d'un système électoral biaisé et de fraudes) une équipe qui, depuis des années, s'affirme comme la plus chauvine et militariste du paysage politique US.

George W. Bush

• Président

• A été dirigeant dans diverses firmes pétrolières dont Harken.

• Toute le famille Bush a des intérêts dans le secteur pétrolier, où elle a investit la fortune amassée par le grand-père de l'actuel président lorsqu'il faisait affaires avec les nazis. Dick Cheney

• Vice-président

• PDG et actionnaire de Halliburton (pétrole, défense, construction). Rémunérations: 35,1 millions $ de salaires + 1 à 5 millions $ d'autres rétributions.

• Directeur de Procter & Gamble (hygiène). Rémunérations: entre 0,25 et 0,5 million$.

• Directeur de Brown and Root Saudi (construction). Rémunérations:, N/A

• Actionnaire de Anadarko Petroleum. Rémunérations: entre 0,25 et 0,5 million$.

• Son épouse Lynn Cheney a repris sa fonction de directeur de Lockheed Martin (armement). Rémunérations: 0,5 à 1 millions$. Donald H. Rumsfeld

• Ministre de la défense

• Directeur de Gilead Sciences (biotech). Rémunérations: jusqu'à 30 millions $ de stock option.

• Directeur de, Asea Brown Boveri LTD (nucléaire). Rémunérations: $148,020

• Associé commanditaire de SCF-III LP (énergie). Rémunérations: $17,000

• Directeur de Gulfstream Aerospace (filiale de General Dynamics, armement). Rémunérations: 5.000$ . Colin Powell

• Ministre des Affaires étrangères

• Actionnaire de General Dynamics (aéronautique, défense). Rémunérations: 1 à 5 millions ¤ de stock option.

• Conférencier pour Carlyle Group (la banque du complexe militaro-industriel US). Rémunérations: 100.000$.

• Honoraires perçus de Arthur Andersen (audit), GE Power Systems (hautes technologies)...

• Rémunérations: 59.500$ chacun.

• Directeur de Gulfstream Aerospace. Rémunérations: 5.000$. Condoleezza Rice

• Conseillère du président pour la sécurité nationale

• Membre du conseil d'administration de Chevron (pétrole). Rémunérations: entre 0,25 et 0,5 million $. Robert Zoellick

• Représentant des États-Unis pour le commerce extérieur

• Conseiller de Enron (énergie, en faillite). Rémunérations: 50.000$.

• Directeur de Said Holdings (commerce d'armement). Rémunérations: moins de 200.000$. Paul Wolfowitz

• Ministre adjoint (n°2) à la Défense

• Co-président de la «Nunn-Wolfowitz task force» pour Hughes Electronics. Rémunérations: 300.000$.

• Consultant de Northrop Grumman (aéronautique, défense). Rémunérations: 6.000$.

• Consultant de BP Amoco (pétrole). Rémunérations: 10.000$. Dov Zakheim

• Sous-secrétaire à la Défense

• Vice-président de Systems Planning Corporation (consultance de défense). Rémunérations: 277.749$.

• Conseiller de Northrop Grumman (aéronautique, défense). Rémunérations: 11.000$. Douglas J. Feith

• Sous-secrétaire à la Défense

• Actionnaire de Sunoco (pétrole). Rémunérations: jusqu'à 650.000 $ de stock option.

• Président de Feith & Zell (cabinet d'avocats ayant comme clients Loral Space and Communications Ltd et Northrop Grumman). Rémunérations: salaire de 246.045$ + 5.000$ par client. David S.C. Chu

• Sous-secrétaire à la Défense

• Vice-président de Rand Corp. (principale firme de recherche et consultance du Pentagone). Rémunérations: 226.000$. Edward C. Aldridge Jr.

• Sous-secrétaire à la Défense

• PDG de Aerospace Corp. (recherche dans la défense). Rémunérations: 470.000$.

• Directeur et actionnaire de United Industrial Corp. (défense). Rémunérations: 35.000$ + jusqu'à 250.000$ de stock option.

• Directeur de AAI (défense). Rémunérations: 4.000$.

• Vice-président de McDonell Douglas Electronics (aéronautique militaire, racheté par Boeing). Rémunérations: non connues. Richard Armitage

• Ministre adjoint des Affaires étrangères

• Président de Armitage Assoc. LLP (consultance pour Raytheon, Boeing, Brown and Root...). Rémunérations: 246.965$.

• Actionnaire de Coastal Corp. (défense). Rémunérations: 0,5 à 1 million$. Sources

http://www.worldpolicy.org/projects/arms/reports /reportaboutface.html#AppA

http://www.publicintegrity.org/cgi-bin/whoswhosearch.asp

«Pourquoi mon pétrole est-il sous leur sable?» Manif à Bruxelles, 15 mars 2003. (Photo Solidaire, Salim Hellalet)

Quand le boss de Halliburton devient vice-président des USA...

Dick Cheney est un des exemples les plus éloquents des liens entre l'administration Bush et les plus grandes entreprises de l'armement et de l'énergie.

Avant de devenir vice-président des États Unis, Cheney a été durant cinq ans l'administrateur délégué de la société Halliburton, un des plus grands holdings américains. Ce géant aux activités très diversifiées est surtout actif dans l'industrie du pétrole et de l'armement. Aujourd'hui, Halliburton continue à verser chaque année à son ancien grand patron la modeste somme d'un million de dollars.1

A la tête de la firme, Cheney avait déjà pu doubler le montant des contrats décrochés par Halliburton auprès du gouvernement américain, atteignant 2,3 milliards$ en 2000. En tant que vice-président, il a encore mieux canalisé les commandes. La guerre contre le «terrorisme» rapporte gros à Halliburton. Ainsi, sa filiale KBR a pu construire (pour 33 millions$) le camp de concentration à Guantanamo à Cuba, où sont enfermés dans des conditions inhumaines les présumés membres d'Al Qaida.

Contrat d'après-guerre soumis avant la guerre

Plus fort: KBR a déjà décroché un contrat pour intervenir dans la guerre en Irak au cas où des puits de pétrole seraient en feu. Halliburton a aussi déjà été invité, avec quatre autres firmes US, à soumettre ses offres pour... la reconstruction de l'Irak. Vu qu'elle sera en Irak dès le début de la guerre, les analystes estiment qu'elle est la mieux placée pour décrocher ces gigantesques commandes.

Les contrats dits «préliminaires» valent à eux seuls déjà plus de 900 million $. Ils portent en autres sur la reconstruction d'hôpitaux et d'écoles! Et les véritables grands contrats doivent encore venir...

On comprendra pourquoi ces jours-ci, c'est surtout de la période d'après-guerre dont on débat à la Maison Blanche. La guerre, c'est du «big business» pour les multinationales. Plus l'agression barbare détruit, mieux se porteront des firmes comme Halliburton. On comprend mieux, ainsi, pourquoi Cheney est un fanatique de la guerre de destruction massive. (B.D.)

"Cheney is still paid by Pentagon contractor", Robert Bryce in Austin, Texas and Julian Borger in Washington, The Guardian, 12/03/2003. Voir aussi http://www.publicintegrity.org/cgi-bin/whoswhosearch.asp.

Le top 5 des fournisseurs du Pentagone (2002)

1. Lockheed Martin

Commandes: 17 milliards $.

Lockheed Martin, constructeur du F16 et du Joint Strike Fighter, est le premier producteur mondial d'armement. Lynn Cheney y a repris le poste de directeur qu'occupait son mari quand il a été nommé vice-président des Etats-Unis. Sont également liés à la firme: Stephen Hadley (conseiller adjoint de Bush), Peter B. Teets (assistant secrétaire de l'Air Force), Everet Beckner (responsable des programmes de défense au cabinet de l'Energie), Otta Reich (assistant du ministre des Affaires étrangères), Norman Mineta et Michael Jackson (adjoints du ministre des Transports), Larry C. Thompson (adjoints du ministre de la Justice).

Tir d'un missile Tomahawk comme ceux qui ont déjà touché Bagdad au déclenchement de la guerre. Ils sont produits par Raytheon, pour laquelle Richard Armitage, ministre adjoint des Affaires étrangères, est consultant. (Photo Defenselink)

2. Boeing

Commandes: 16,6 milliards $.

Edward C. «Pete» Aldridge Jr., sous-secrétaire à la Défense, est vice-président de McDonell Douglas Electronics, filiale de Boeing, le n°1 mondial de l'aéronautique. Karl Rove, conseiller du président Bush, est actionnaire de Boeing. La firme de Richard Armitage, ministre adjoint des Affaires étrangères, effectue des missions de consultance pour la firme.

3. Northrop Grumman

Commandes: 8,7 milliards $

Northrop Grumman est notamment le constructeur du bombardier B-2 ou du Global Hawk, avion sans pilote. Paul Wolfowitz, le n°2 de la Défense, est consultant pour la firme. Tout comme I. Lewis Libby, chef du staff du vice-président. Dov Zakheim, sous-secrétaire à la Défense, est conseiller de la société. Laquelle est cliente du cabinet juridique de Douglas J. feith, également sous-secrétaire à la Défense. Autres collaborateurs: Nelson F. Gibbs, de l'Air Force, et Sean O'Keefe, de la Nasa.

4. Raytheon

Commandes: 7 milliards $

Parmi les armes de destruction massive produites par Raytheon: les missiles Tomahawk ou les bombes anti-bunker GBU-28. La société de Richard Armitage, ministre adjoint des Affaires étrangères, effectue des travaux de consultance pour la firme. Et Sean O'Keefe, administrateur de la Nasa, est membre du conseil stratégique de Raytheon.

5. General Dynamics

Commandes: 7 milliards $

La firme est spécialisée dans les technologies de guidage pour divers types d'armes. Elle guide aussi de grosses pointures de l'administration Bush. Le ministre de la Défense Donald Rumsfeld est directeur de Gulfstream Aerospace, filiale de General Dynamics. Le ministre des Affaires étrangères Collin Powell est actionnaire de cette dernière. Michael Wynne, sous-secrétaire de Rumsfeld, en est vice-président. Et Gordon England, secrétaire à la Navy, l'a été auparavant.

Source http://aerotechnews.com/starc/2003/013103/dod_contractors.html

Bourse: «Achetez au son du canon»

Vieil adage boursier: «Achetez au son du canon». Les chiffres lui donnent raison, affirme L'Expansion. Les morts donnent de la vie à la Bourse.

Le journal économique L'Expansion 1 a calculé l'influence des guerres des Etats-Unis sur le Dow Jones depuis que cet indice boursier a été créé, en 1896. Si le lendemain du déclenchement des conflits, le Dow Jones baisse en moyenne de 2%, six mois plus tard, il fait par contre une progression moyenne de 6,7%, beaucoup plus qu'en temps normal (de 1896 à 2003, la progression semestrielle a été de 2,6%).

Avec ce recul de six mois, l'indice a ainsi augmenté de 18,9% après la première guerre du Golfe (1991), de 7,8% après l'intervention US en Somalie (1992), de 12,6% après l'attaque contre l'Afghanistan (2001). Ce 21 mars, au lendemain du déclenchement de la nouvelle busherie en Irak, le Dow Jones était déjà en hause de 2,76%. Car les investisseurs misent sur un conflit de courte durée. Un porte-parole de l'armée britannique n'a-t-il pas déclaré que les forces anglo-américaines arriveraient à Bagdad dans trois ou quatre jours. De surcroît, note un autre journal économique, «malgré l'incendie de quelques puits de pétrole, rien n'indique que les infrastructures pétrolières soient pour l'instant menacées». 2 Ouf, les investisseurs respirent.

La guerre doit redonner confiance aux marchés, fournir des perspectives de croissance économique aux entreprises, réaffirmer la suprématie mondiale américaine. Car dans la réalité, la situation des Etats-Unis est catastrophique. Ces dernières années, les chutes de la Bourse ont réduit le revenu disponible d'une partie des ménages américains. Mais ceux-ci ont continué à consommer en s'endettant (pas les 40% les plus pauvres qui vivent dans la misère et n'ont aucune chance de contracter un crédit). Le pays est dès lors confronté à un endettement record depuis 1945: sa dette tourne autour de 20.000 milliards de dollars, soit le double de son PIB (richesse produite annuellement).

Mais si l'armée US venait à s'enliser, comme au Vietnam, toute la machine économique des Etats-Unis pourrait être coincée. A la débâcle politique face aux peuples du monde, viendrait s'ajouter la débâcle économique.

Notes

1 L'Expansion, février 2003

2 La Tribune, 21 mars 2003.