Retour sur mai-juin 2003 : ce n'était qu'un début1

Denis

En cette rentrée de septembre 2003, il est très certainement utile de revenir sur le mouvement social de mai-juin avec un certain recul.

De 1995 à 2003...

Une première constatation s'impose. Le mouvement, au niveau de ses causes, est dans la suite logique de celui de 1995. En effet, un gouvernement de droite s'est attaqué, encore une fois, à des acquis sociaux " historiques " de certaines catégories de travailleurs, ceux des services publics et parapublics.

En 1995, le déclencheur de la grève fut un projet de suppression de  régimes spéciaux apportant des garanties sociales, notamment l'âge de  départ en retraite (mais pas seulement), qui trouva chez les cheminots  une opposition farouche. Ce mouvement qui toucha quasiment le seul secteur public et parapublic gagna par rapport à ses objectifs initiaux, à savoir le retrait d'un certain " plan Juppé ". Mais il n'avait rien gagné de fondamental, c'était donc reculer pour mieux sauter. S'il eut sans doute pour conséquence politicienne l'échec de la droite en 1997, la gauche plurielle évita de 1997 à 2002 " les questions qui fâchent ", à savoir les retraites, la décentralisation appliquée jusqu'au bout avec toutes ses conséquences sociales pour un certain nombre de travailleurs (dont les personnels techniciens, ouvriers et de services, les TOS) ou de jeunes (suppression du statut de surveillant, remerciement aux aides-éducateurs en fin de contrat). Il faut rappeler que ce statut d'aide-éducateur n'a jamais été autre chose qu'un statut précaire, mais ô combien utile pour l'Educationnationale, inventé par la gauche plurielle afin de faire baisser en son temps le nombre de jeunes chômeurs diplômés, sans se préoccuper de la pérennisation de la fonction sociale qu'on allait leur faire épouser sur le terrain.

En fait, nos politiciens élus ne peuvent que gérer au mieux la société dans l'intérêt du système économique : le capitalisme. Les réformes aujourd'hui nécessaires au Capital que la gauche n'a pas osé faire (c'est-à-dire, entre autres, nous faire bosser plus longtemps, et surtout nous filer moins de fric lorsque nous ne sommes plus bons à rien pour le système), la droite s'est sentie les coudées franches, après les fameux 82 % de Chirac en 2002, pour les mener à bien.

Nous avons donc droit à un pouvoir politique qui exécute la partition du MEDEF. Comme les gouvernants l'avouent de concert, les impératifs de restructurations économiques ont besoin de modifications importantes dans les conditions générales de travail. Bien sûr, c'est selon eux pour notre bien-être et notre avenir, quand la seule chose qui les anime en fait, c'est comment maintenir le niveau d'extorsion de la plus-value de notre travail même si notre fonction sociale ne contribue qu'à sa réalisation immédiate (cheminots, postiers...) ou future (enseignants...). Quoi de plus logique !

Des points communs mais aussi des différences

Qu'en 1995 les cheminots aient été le fer de lance du mouvement alors qu'en 2003 cela a été les travailleurs et travailleuses de l'Education nationale (pas seulement les enseignant-e-s) ne change pas grand-chose... sinon qu'une grève quasi générale des transports par voies ferrées de trois ou quatre semaines, comme en 1995, coûte plus cher au Capital que deux mois de grève reconductible dans l'Education nationale. D'où peut-être l'intransigeance du pouvoir en 2003.

Le principal point commun de ces deux mouvements aura été le fait que Paris ne soit plus le lieu central de l'expression d'un mouvement social de masse en France (ce qui a été le cas de 1789 à Mai 68 en passant par la Commune de Paris...). Ce qui s'est passé dans " les provinces " était quantitativement et qualitativement plus important. Un changement historique, au niveau de toutes les luttes importantes dans l'État français, et aussi une conséquence de ce que les politiciens appellent depuis 1981 " la décentralisation ". Ce changement (non pris en compte par le pouvoir) n'a d'ailleurs pas été compris par tout le monde car, dans les premiers jours de mai 2003, des forces syndicales institutionnelles ont lancé l'appel à une manif géante à Paris le 25 mai comme aboutissement logique du mouvement, afin prétendument de faire céder le pouvoir central (en fait, d'appuyer la gauche dans les débats suivants au Parlement) dans la bonne tradition jacobine française et... juste avant la supposée reprise du travail. Pour la petite histoire, cette manif fut géante, trop même pour les organisations syndicales, qui y virent juste 600 000 manifestant-e-s... dans une situation susceptible de leur échapper complètement, avec les slogans de " grève générale " qui fleurissaient (j'y reviendrai plus loin).

S'ils sont restés malgré tout minoritaires, les mouvements de 1995 et 2003 ont permis bien des débats de fond pour un nombre important de grévistes. En 1995, ces débats furent centrés sur le sens et le contenu d'un service public, alors qu'en 2003 furent entre autres abordés le libéralisme international et ses grands projets de destruction des services publics. En 1995, ces débats ont pu plus facilement qu'en 2003 déboucher sur des pratiques sociales ayant un caractère de classe très prononcé (refus de coupures d'électricité pour les non-payeurs, distribution des pensions aux retraités malgré la Poste en grève...), quoique celles-ci soient restées locales. Mais ces deux mouvements furent des facteurs de politisation même si, globalement, nous sommes encore loin d'une prise de conscience anticapitaliste, car l'anti-libéralisme débouche souvent sur le désir d'un capitalisme soft, maîtrisé par l'exercice d'une démocratie citoyenne à construire...

Ces mouvements ont aussi été assez bien perçus par une frange importante de la population. La sympathie qu'ils ont engendrée a été encore plus importante en 2003, mais l'opinion publique se façonne et, dans les deux cas, le pouvoir médiatique a tout fait pour siffler la fin de la partie avant une quelconque baisse des mobilisations. Ce fut, par exemple, la "mise en boucle " des gênes que procure forcément tout mouvement de grève dans la fonction publique. Ce fut aussi la quasi-absence d'explications des raisons profondes des mobilisations. C'est une constante depuis que les médias sont devenus un véritable pouvoir. En 1968, le Journal de 20 heures de l'ORTF était déjà dénoncé par des affiches devenues pour certaines célèbres : A 20 heures, la police vous parle.

Pour conclure, la différence essentielle entre ces deux mouvements, c'est qu'en 1995 beaucoup de cheminots ont eu le sentiment d'avoir ponctuellement gagné, avec le retrait du "plan Juppé" concernant leur régime spécial, alors qu'au printemps 2003 toute la fonction publique n'a pas réussi, sur ses principales revendications, à faire céder le pouvoir. L'incapacité du mouvement social à balayer l'intransigeance du pouvoir, qui avait et a décidé de frapper fort, a eu pour conséquence - contrairement à ce qui se passe lorsqu'on obtient une victoire, même trèspartielle - qu'aucune négociation sur le paiement d'une partie des jours de grève n'a été possible. A première vue, l'inflexibilité du pouvoir concernant ce fric perdu devrait contribuer à un automne calme ou c'est du moins ce qu'espère le pouvoir. Mais le mouvement du printemps 2003 devrait rebondir un jour ou l'autre, car ses causes profondes demeurent. D'ailleurs, si on compare les dernières manifestations du mouvement de 1995 (en décembre) avec celles de la mi-juin 2003, on constate que l'envie d'en découdre a été bien plus importante dans le second cas. Bien sûr, certains grévistes du printemps dernier ont des problèmes financiers et cherchent à présent des moyens d'action autres que la grève d'autant que pour les enseignants il est toujours plus difficile, au niveau pédagogique et des relations avec les parents d'élèves, de faire grève dès la rentrée des classes (sauf en cas de fermeture de classes). Mais le feu couve sous la braise, d'autant plus que le mouvement du printemps a eu quelque part un prolongement avec la lutte des intermittents du spectacle.

Le désir d'extension, de radicalisation et de généralisation du mouvement

Les mouvements de 1995 et 2003 ont touché principalement et naturellement la fonction publique, visée  par des mesures gouvernementales. Or, tout mouvement social important se pose toujours le problème de son extension :

- Au niveau géographique, ces mouvements se généraliseront à tout l'État français, y compris au niveau de certains DOM-TOM (la Réunion pour 2003) et de zones rurales. Nous n'en sommes pas encore à nous coordonner au niveau de l'Europe, mais ce que nous subissons ici comme attaques du Capital concernant certains acquis sociaux est évidemment identique dans toute cette région du monde (le reste n'a, lui, presque pas d'acquis sociaux, et subit de plus en plus de plein fouet le capitalisme). C'est ainsi qu'en Italie, en Autriche... il y a eu des mouvements sociaux de la même teneur qu'en France sans qu'aucun échange entre n'ait malheureusement lieu. Et ce ne sont  pas les structures syndicales européennes (la Confédération européenne syndicale, par exemple...) qui peuvent faire ce travail, car ce n'est tout simplement pas leurs fonctions.

- Au niveau radicalisation du mouvement s'est bien sûr posé le problème des évaluations, des examens, et plus particulièrement du Bac. A noter que dès que le boycott de ce dernier a été évoqué, on a vu monter au créneau dans une belle unanimité républicaine la droite et la gauche, tous les syndicats représentatifs des profs, les associations de parents d'élèves... Mais le mouvement n'était pas assez fort pour imposer un tel boycott, d'autant qu'il n'avait pas pu mobiliser la jeunesse scolarisée, qui est restée avec la trouille de se voir supprimer ou reporter l'octroi de son passeport favori. Le mouvement pouvait imposer le boycott du Bac à condition d'avoir au moins l'adhésion des jeunes lycéens et lycéennes, mais ils-elles ne se sont pas sentis directement concernés par ce mouvement.

- Au niveau catégoriel s'est posé le problème de l'extension de ces mouvements au " privé ". En 1995, ce fut concrètement impossible, car n'oublions pas que deux ans auparavant le gouvernement Balladur avait fait passer à 40 annuités la durée du temps de travail permettant d'obtenir une retraite à temps plein dans ce secteur. La mesure gouvernementale était passée sans que les travailleur-se-s concernés ne réagissent, car ils -elles n'en ont pas les moyens, devant l'ampleur des restructurations capitalistes impliquant licenciements, plans sociaux, précarité, flexibilité, retraite anticipée, chômage de longue durée, reconversions bidons... Quant au " public ", il ne comprit pas que cette mesure allait demain s'appliquer à lui. De ce fait, à l'automne 1995, le " privé " ne se sentit pas directement concerné par les revendications des cheminots à la base du mouvement. En 2003, le même phénomène s'est reproduit au niveau des revendications concernant les retraites des fonctionnaires, mais ce mouvement social était/est porteur d'autres contestations (entre autres sur les conséquences de la décentralisation et du libéralisme appliqué à l'éducation, la santé, les transports, les communications...) qui touchent directement le prolétariat, de quelque secteur que ce soit, y compris pour celui qui n'en a plus. C'est pourquoi certains secteurs du privé, minoritaires, se sont impliqués dans le mouvement du printemps 2003 ; mais il  est tout à fait logique que cette union dans l'action soit restée minoritaire : les préoccupations des travailleurs et travailleuses du " privé " ne peuvent être aujourd'hui les mêmes que celles du " public ". En effet, au niveau du " privé ", ils-elles se battent bien souvent le dos au mur pour survivre, même si, dès qu'une accalmie a lieu au niveau des dangers de licenciement, ils-elles n'hésitent pas à avancer des revendications sur leur salaire et leurs conditions de travail.  Ainsi va la lutte des classes ! Quant aux personnes qui ne sont pas arrivées à (ou, minoritairement, n'ont pas choisi de) vendre leur force de travail dans des contrats à durée indéterminée en continu depuis leur jeunesse, elles ne peuvent naturellement pas se sentir concernées par le moindre débat sur le nombre d'annuités impliquant tel ou tel taux de pension. Un nombre croissant de la population n'atteindra jamais le nombre d'annuités requis. La retraite à 60 ans ne restera possible que pour ceux et celles qui ont bossé sans interruption depuis la fin de leurs études très courtes ! Leur nombre ne fait évidemment que décroître en Europe, sans parler du fait que leur espérance de vie n'excède pas, en moyenne, 65 ans. Les valides ayant eu un emploi continu seront en retraite à temps plein entre 65 et 70 ans ; pour les autres toujours plus nombreux, la retraite n'aura pas de signification particulière, si ce n'est que pour survivre ils-elles devront faire des petits boulots jusqu'à leur mort < comme c'est déjà le cas au sein même de l'Europe, surtout en Grande-Bretagne.

L'unité dans l'action est ainsi difficile, voire impossible sur un certain nombre de thèmes, comme ceux de la retraite et de la sécurité de l'emploi, même si celle-ci tend à diminuer fortement dans tout le secteur " public ".. Nous sommes encore loin d'un mouvement social pouvant se généraliser, d'une tentative de remise en cause de l'organisation sociale... Donc encore loin d'une grève générale porteuse de changements sociaux.

Le mouvement par rapport aux organisations syndicales

Certains grévistes ont dénoncé les organisations syndicales représentatives qui auraient trahi le mouvement en n'appelant pas à la généralisation des grèves, à la grève générale, comme si leur raison d'être était d'organiser les mouvements sociaux afin que ceux-ci gagnent sur leurs propres revendications. En fait, ces organisations ont toutes joué leur partition suivant les créneaux qui les font vivre aujourd'hui et espérer pour demain. La plus ennuyée fut la CGT, qui a encore pour sa base une image de syndicat combatif, mais qui voudrait réussir son tournant de syndicat " force de proposition ", après avoir été pendant une soixantaine d'années le syndicat " courroie de transmission " d'un parti désirant accéder au pouvoir étatique. La CGT, forte de son expérience historique, avait d'ailleurs peur de la grève générale et de ses conséquences, car, comme ses dirigeants le dirent, " il n'y a pas aujourd'hui d'alternative politique " < sous-entendu " politicienne " <, de gestion de l'Etat. En conséquence, pour elle, une grève générale pouvait  déboucher sur l'imprévisible, et l'imprévisible fait toujours peur aux corps institutionnels.

Si les conditions avaient été réunies pour une grève générale, cela aurait pété avec ou sans syndicats représentatifs, et ils auraient couru derrière le mouvement avec des extincteurs de la marque " Il faut savoir terminer une grève ", comme ils l'ont fait en 1936 et 1968 !

Aujourd'hui, les syndicats savent très bien que les grèves "presse-bouton" sont terminées, qu'il ne suffit pas d'appeler à la grève, même de 24 heures, pour que celle-ci soit un succès. Ils hésitent d'ailleurs très souvent à lancer de tels mots d'ordre, de peur de se décrédibiliser vis-à-vis des travailleur-se-s, directement concernés, mais aussi et surtout vis-à-vis de l'Etat et du patronat, qui leur permettent d'exister sur les plans structurel et financier grâce à des tonnes d'accords législatifs, contractuels, paritaires, tripartites... Un syndicat est une entreprise qui se doit de préserver ses postes de permanents, lesquels n'ont qu'une trouille : retourner au turbin ! Rassurons-les, ils sont encore représentatifs, et d'autant plus représentatifs qu'il n'y a pas encore de mouvements sociaux emportant dans un tourbillon révolutionnaire leur base, c'est-à-dire leur raison de vivre.

Néanmoins, les organisations syndicales ont eu du mal à suivre, à accompagner le mouvement. Mettez-vous à la place d'un responsable confédéral de la CGT. Au dernier congrès de son organisation, avant le mouvement de mai-juin, il abandonne en catimini la revendication des 37,5 annuités pour tous, privé ou public, dans le but d'une unité syndicale avec la CFDT. Quant aux retraites, les confédérations représentatives, dont la CGT, ont accepté depuis février 2001 de gérer des fonds d'épargne salariale placés en bourse, pour un montant global de 13 milliards d'euros de fonds de réserve des retraites, projet initié par feu la gauche plurielle... Ce ne sont que des exemples de, excusez le mot, " collaboration " avec le Capital dans sa représentation la plus libérale. On comprend mieux pourquoi ces confédérations voulaient " négocier " pendant que le mouvement exigeait le retrait pur et simple des projets gouvernementaux.

En ce qui concerne les organisations syndicales n'ayant pas le statut de confédération, il faut distinguer celles qui veulent le devenir très franchement et jouer enfin dans la cour des grands (comme la FSU et l'UNSA), celles qui n'en sont pas encore là, mais ont en leur sein des tendances intégratrices montantes (les SUD) et celles à qui leur idéologie interdit ce mauvais pas (les CNT).

Sur le terrain, il s'est passé au sein du mouvement dernier des tas de choses contradictoires qui ont fait sa richesse mais aussi sa faiblesse :

- En général, les grévistes ont laissé les syndicalistes organiser les assemblées générales, les manifestations de rue. Localement, ceux-ci ont d'ailleurs laissé les gens s'exprimer, proposer des actions même si celles-ci restaient très encadrées (beaucoup plus qu'en 1995) par des négociations entre responsables syndicaux et gardiens de l'Etat (dont les Renseignements généraux omniprésents dans les villes). En fait, les conflits en AG furent peu nombreux, une certaine démocratie formelle existait.

- S'il n'y avait pas un rejet des organisations syndicales, la détermination des grévistes dépassait le cadre syndical ; cependant, les représentants syndicaux de quelque étiquette que ce soit ont pu garder leur aura ou gagner des galons, dès lors que leur pratique paraissait correcte < d'ailleurs  au même titre que d'autres grévistes non syndiqués ou syndiqués de base. Cette grève a eu bien des aspects d'autonomie dans son déclenchement puis dans l'organisation de sa durée. Sa reconductibilité, pendant des semaines, fut bien souvent " sauvage " dans des écoles, collèges, lycées, sans aucun mot d'ordre syndical clair, les grévistes s'assurant seulement auprès des organisations syndicales qu'ils-elles étaient bien couverts par des préavis.

- Certain-e-s grévistes ont pesté contre les confédérations, qui proposaient un temps fort par semaine alors qu'ils-elles étaient en grève reconductible, pendant que d'autres (majoritaires au niveau national !) se contentaient de ces temps forts dans un établissement scolaire (ou à la Poste, aux télécom ...) où les grévistes déterminés étaient minoritaires.

- L'unité et la force du mouvement, donc son extension intercatégorielle, ont primé sur une unité syndicale que les grévistes n'ont finalement jamais recherchée, très certainement parce que cette unité existait de fait entre des boutiques se serrant les coudes dans cette période trouble qui les faisait frémir d'angoisse. Le fait que la CFDT " trahisse " le mouvement semblait, majoritairement, ne concerner que ses syndiqué-e-s (des " quadras "  qui disent être au SGEN sans être à la CFDT !). La position prise par cette confédération n'a été une surprise que pour les naïfs et les responsables confédéraux CGT, qui se sont vu trahis et remis en cause dans leur stratégie d'union interconfédérale.

- Néanmoins, surtout dans ses composantes les moins engagées dans la grève reconductible, le mouvement a été en attente " politique " (au niveau de la réflexion, des actions) vis-à-vis des militant-e-s les plus dynamiques. Rien de bien nouveau, si ce n'est que cette attente était d'ordre politique et non strictement syndicale.

En fait, aucune réelle tentative de dépassement des structures syndicales existantes n'a eu lieu car, en général, les grévistes voulaient les utiliser tant que c'était possible. En déduire (comme semble l'y inciter l'article sur l'école paru en débat dans CA n° 130) que les militant-e-s révolutionnaires devraient s'investir dans le syndicalisme, pour tenter un jour de peser dans le bon sens, revient à ne pas prendre en compte les diverses composantes et contradictions du mouvement dernier. En effet, si là des militants syndicalistes menaient la lutte, ailleurs c'étaient des grévistes non syndicalistes, souvent jeunes La structuration en " coordination " n'a suscité que très peu d'engouement et alors ? En quoi une coordination serait-elle plus intéressante qu'une organisation syndicale, si ce n'est dans le contenu des revendications et le fonctionnement collectif pour les faire aboutir ? Dans ce mouvement social, les demandes ont été ailleurs, non dans la forme mais dans le contenu. Et si le problème d'une autre structuration de lutte ne s'est pas imposé cette fois-ci, rien ne dit que demain il ne se posera pas dans une période où les syndicats auront d'autres chats à fouetter et oeuvreront clairement contre la radicalisation d'un mouvement social important.

Il y a fort à parier que le mouvement de ce printemps n'impliquera pas de grands chamboulements dans les organisations syndicales, contrairement à ce qu'on nous a annoncé.. La CFDT ne perdra que quelques milliers de cartes (sur 800 000 ou 900 000, c'est négligeable), et ses syndicats dits " oppositionnels " resteront dans la maison mère tant que leurs permanents n'auront pas réussi à sauver leur emploi de bureaucrate dans une autre boutique. A terme, ce sera peut-être l'UNSA ou la FSU ? Et après, on s'en fout ! Globalement, il n'y a aucune raison pour qu'on assiste à une syndicalisation massive, beaucoup de grévistes font d'ailleurs l'analyse qu'on ne change pas de l'intérieur une organisation syndicale < qui a son propre créneau d'existence et sa raison d'être, non pour lutter mais pour cogérer l'existant avec l'administration. On imagine mal un ou une gréviste en grève reconductible pendant deux mois devenir un ou une syndicaliste enseignant-e gérant avec l'administration rectorale les dossiers de mutation de ses collègues : ce serait très certainement palpitant !

Peut-être que Sud-Education et dans une certaine mesure les CNT vont voir venir de nouvelles têtes et tant mieux, mais cela ne changera en rien le paysage syndical et il n'est pas sûr que ce mouvement enrayera la tendance à la baisse, constatée depuis plusieurs années, du taux de syndicalisation dans l'Education nationale, et plus globalement dans la fonction publique.

D'autres conséquences envisageables ?

Le mouvement de mai-juin ne cherchait pas fondamentalement des formes nouvelles d'expression démocratique ; il ne cherchait qu'à gagner et pour cela il ne pouvait qu'aborder, discuter des questions de fond dépassant le cadre syndical, lequel, dans ce milieu plus que dans tout autre, a une fonction de compagnie d'assurance sociale.

On en vient à aborder l'évolution des salarié-e-s de l'Education nationale. Les enseignant-e-s ont traditionnellement pour fonction de contribuer à reproduire les classes sociales dans un cadre républicain. Ils-elles sont traditionnellement de gauche, la base d'élu local du PS, du PC et des Verts. Mais il y a eu l'" épisode Allègre " (pas le criminel de Toulouse, mais le sinistre de l'Education nationale de Jospin...), un personnage qui s'était donné comme mission de dégraisser le " mammouth ", afin d'adapter notre système scolaire aux nécessités de restructuration du capitalisme. Sa méthode n'a pas plu.

Le milieu enseignant est en train de changer, avec l'apport important de jeunes qui se sentent salariés avant d'être enseignants. Le sacerdoce laïc traditionnel de ce milieu est en train de se transformer, d'évoluer. Il est évident qu'avec le milieu enseignant traditionnel aujourd'hui quinquagénaire, sans parler des retraités... on n'aurait jamais connu un tel mouvement social. D'ailleurs, nous avons peu vu (ou pas du tout) dans le mouvement de ce printemps les cadres syndicaux du SNES, qui syndiquent majoritairement les profs sur des bases corporatistes d'assistance et sont porteurs de l'héritage républicain séculaire. On assiste peu à peu, dans le milieu enseignant, à un glissement du républicanisme vers une autre idéologie voisine : le citoyennisme (1). C'est une simplification, car la différence est tout en nuances, générationnelle. Ce glissement permet dans des cadres associatifs, non partidaires, de trouver des réponses aux questions que beaucoup se posent par rapport aux conséquences malfaisantes de la mondialisation du capitalisme. Ce n'est donc pas un hasard si aujourd'hui les principaux bénéficiaires du mouvement du printemps 2003 sont, à mon avis, non les organisations syndicales mais les associations comme ATTAC, et plus globalement les structures du mouvement  dit " altermondialiste ". Mais ce n'est peut-être qu'une étape, car tout peut encore et toujours évoluer, d'autant plus vite que des mouvements sociaux se développeront. En fait, notre principale stratégie révolutionnaire demeure notre participation active aux mouvements sociaux pouvant être source de remise en cause fondamentale du système capitaliste.

Note

(1) Lire à ce propos le hors-série n° 9 de Courant alternatif.


1 Article tiré de "Courant alternatif" # 132 - octobre 2003. 24 pages. 2,3 euros. Journal disponible dans les maisons de la presse, dans certaines librairies et par abonnement : pour 1 an (10 numéros mensuels + 2 hors-séries) 31 euros. 1 numéro gratuit sur demande. Pour contacter l'Organisation communiste libertaire : OCL c/o clé des champs, BP 20912, 44009 Nantes cedex 1 E-mail : oclibertaire@hotmail.com Site web : http://oclibertaire.free.fr/