Les adieux,
Échos et réseaux de voix
Aguascalientes I
La Realidad
Chiapas, Mexique
2 et 3 août 1996
J'ai signé les yeux bandés ...
Discours de Javier Elorriaga lors de la clôture de la Rencontre
"Ensuite, ils m'ont sorti à coups de pieds. Juste à la porte, il y avait un grand camion. Ils m'ont attrapé et m'ont tapé la tête contre le camion. Ils m'ont attaché et jeté par terre. Des policiers ont commencé à me donner des coups de pieds, des coups avec les culasses de leurs armes."
"On est resté environ 24 heures dans le camp militaire. Quand ils m'ont transféré à la prison, ils ont dit qu'ils m'emmenaient faire ma déposition, mais ils m'ont obligé à signer tout de suite. J'ai signé les yeux bandés, sans savoir ce que je signais, ils ont tenu ma main quand je signais."
L'auteur de ces lignes s'appelle Gonzalo Sánchez Navarrete ; il est encore mineur, et c'est l'un des présumés zapatistes que le gouvernement mexicain détient en otage pour le processus de négociation. Dans son cas, la Conseillère unitaire du Conseil de tutelle des mineurs, dans son rapport, admet qu'il y a eu torture... mais qu'elle était justifiée. Comme si la brutalité inhumaine du pouvoir pouvait se justifier !
Ce n'est pas le seul mineur mexicain que le gouvernement maintient en prison pour de supposées relations avec les zapatistes. Dans la prison d'Almoloya de Juárez, Pedro, âgé de trois mois, ne connaît de notre patrie que les barreaux de la prison et les uniformes des gardiens et des détenus. Je me trompe : il connaît aussi, dès son plus jeune âge, la dignité et la solidarité, noms qui s'appliquent à tout ce qui se réclame du véritable zapatisme. Dignité de ses parents, Patricia Jiménez et Fernando Domíngez Paredes, et de leurs compagnons, nullement vaincus et abattus par ce gouvernement qui leur a clairement montré quel futur il offrait au Mexicains qui naissent aujourd'hui : la prison et la souffrance. Solidarité de tous ceux qui, dans les rues de Mexico et du monde entier, n'ont pas laissé oublier les noms de Gonzalo, de Pedro, de Patricia et Fernando, de Jœl Martinez González, Celia Martinez Guerrero, Ofelia Hernández, Brenda Rodríguez Acosta, Gerardo López López, Ricardo Hernández López, Hilario Martínez Hernández, Martín Trujillo Barajas, Luis Sánchez, Álvaro Castillo Granados, Rosa Hernández Hernández, Hermelinda Garcia Zepahua, Alejandro García Santiago, tous arrêtés illégalement, torturés et maintenus injustement dans diverses prisons mexicaines.
Mais ce ne sont pas les seuls prisonniers zapatistes. Dans des centaines de communautés indigènes, des milliers de paysans du Chiapas vivent aujourd'hui comme en prison dans les montagnes du Sud-est mexicain. Alors qu'ils sont les habitants de ces terres, ils ne peuvent aller de chez eux à leur champ, d'une communauté à une autre, que comme s'ils étaient en terre étrangère, sous la logique répressive imposée par l'armée d'occupation. Plus de deux ans ont passé depuis que le Ya basta ! a retenti dans la conscience des Mexicains, et le pouvoir prétend toujours le faire taire par les chars et les garnisons. Comme si l'on pouvait faire taire le vent !
Mais ce ne sont pas les seuls prisonniers zapatistes. Tout le pays se transforme petit à petit en prison. Dans nos campagnes, du Rio Bravo à l'Usumacinta, de l'Atlantique au Pacifique, les unités policières et militaires pullulent, comme si on livrait une guerre contre une invasion étrangère. Dans les villes, sur les routes, nous, les Mexicains, sommes arrêtés, fouillés, traités comme des délinquants potentiels. Ils veulent réduire à un problème de délinquance la lutte du peuple mexicain pour conquérir des espaces de liberté, de démocratie et de justice, que le pouvoir nous refuse. Comme ils se trompent s'ils pensent que la lutte d'un peuple peut être stoppée par la force brute ! Combien de fois a-t-on déjà essayé ! Et combien de fois avons nous répondu la même chose : on ne nous fera pas taire, on ne nous vaincra pas !
Et c'est la même chose dans le reste du monde, où la lutte pour la liberté et le ¡ Ya basta ! universel gagnent sans cesse des espaces et des cœurs, des rues et des esprits, bien que la bestialité, l'obscurantisme, le manque de respect total de la vie et des droits de l'homme sont pratiquement permanents chez ceux qui gouvernent si mal cette planète Terre. En Amérique, nous le savons dans notre chair. Les héritiers civils des néolibéraux en uniforme essayent de faire oublier les crimes de lèse-humanité commis contre nos peuples frères. Des centaines de prisonniers politiques sont encore dans les prisons de notre continent et des autres continents. Des milliers de disparus sont encore dans nos cœurs, et nos voix ne cesseront de les nommer, de leur parler, malgré les tentatives officielles pour que l'oubli règne sur notre histoire récente. Qu'il soit clair partout que nous n'oublierons pas nos prisonniers et nos disparus, nous ne les oublierons jamais. Même si la vie continue sans eux. Tant qu'existera un seul prisonnier politique quelque part dans le monde, tant qu'il y aura sur la poitrine d'un seul être humain la photo d'un fils, d'un frère, d'un père, d'un ami disparu, nous continuerons tous d'être en partie prisonniers politique en partie disparus de la communauté internationale.
Et il est alors logique que nous luttions pour être libres, comme les êtres humains dignes que nous sommes. Que le pouvoir ne s'étonne pas de notre entêtement : les trois temps du temps sont avec nous : le passé, le présent et le futur sont à nous.
C'est pour cela que le pouvoir a peur, même si ses porte-parole, publics ou privés, le présentent comme sûr de lui. Et il a raison, son éloignement perpétuel du peuple ne lui permet rien d'autre que la peur. On ne peut attendre d'autre sentiment chez celui qui, enfermé dans son palais et son arrogance, est incapable d'entendre la demande de la majorité. Il est temps que ceux qui commandent en commandant s'en aillent, même s'ils font semblant de ne pas le savoir. Leurs prisons et leurs polices, leurs escadrons de la mort et leurs gardes blanches, leurs juges corrompus et leurs faux tribunaux de justice, leurs codes pénaux et leurs lois qui nient liberté et justice, ne sont rien d'autre que des éléments d'un passé noir que nous avons su dépasser.
En tant que zapatistes civils, nous sommes engagés dans la lutte pour la conquête de la liberté pour tous ceux qui souffrent injustement de la prison. Seize camarades emprisonnés, des milliers d'autres prisonniers politiques au Mexique et dans le monde nous y obligent. Nous serons des hommes et des femmes complets, nous ouvrirons les murs et les grilles de toutes les prisons politiques du monde, nous retrouverons nos frères disparus. Nos voix se font déjà entendre par dessus les ordres qu'ils crient ; notre espace de liberté s'impose sur leurs murs noirs. Cette fenêtre, qui est le ciel bleu de nos prisonniers, nous l'avons déjà ouverte dans nos cœurs. Et par cette fenêtre, nous ferons passer le monde.
Liberté pour Gonzalo, Pedro, Patricia, Fernando, Jœl, Celia, Ofelia, Brenda, Gerardo, Ricardo, Hilario, Martín, Luis, Álvaro, Rosa, Hermelinda, Alejandro.
Liberté pour tous les prisonniers politiques du monde, réapparition de tous les disparus.
Notre futur en dépend.
Un rêve rêvé sur cinq continents
Discours de clôture du sub-commandante Marcos
La Realidad, planète Terre, 3 août 1996.
Par ma voix parle l'Armée Zapatiste de Libération Nationale.
Frères et sœurs du monde entier,
Frères et sœurs d'Afrique, d'Amérique, d'Asie, d'Europe et d'Océanie,
Frères et sœurs participant à la Première Rencontre intercontinentale pour l'humanité et contre le néolibéralisme,
Bienvenue à La Realidad zapatiste
Bienvenue à ce territoire en lutte pour l'humanité
Bienvenue à ce territoire en rébellion contre le néolibéralisme.
Nous, les zapatistes, nous saluons tous ceux qui assistent à cette Rencontre. Ici, dans les montagnes du Sud-est du Mexique, quand une assemblée salue celui qui arrive avec la bonne parole, elle l'applaudit. Nous vous demandons de tous nous saluer et de tous saluer les frères et les sœurs des délégations d'Italie, du Brésil, de Grande Bretagne, du Paraguay, du Chili, des Philippines, d'Allemagne, du Pérou, d'Argentine, d'Autriche, d'Uruguay, du Guatemala, de Belgique, du Venezuela, de Colombie, d'Iran, du Danemark, du Nicaragua, du Zaïre, de France, de Haïti, d'Équateur, de Grèce, du Japon, du Kurdistan, d'Irlande, de Costa Rica, de Cuba, de Suède, de Norvège, de Hollande, d'Afrique du Sud, de Suisse, d'Espagne, du Portugal, des États-Unis, du Pays Basque, de Catalogne, des Canaries, de Turquie, du Canada, de Porto Rico, de Bolivie, d'Australie, de Mauritanie et du Mexique.
Bienvenue à tous les hommes, femmes, jeunes ou âgés, des cinq continents qui ont répondu à l'invitation des indigènes zapatistes pour chercher l'espoir pour l'humanité et contre le néolibéralisme.
Frères et sœurs,
Quand ce rêve, qui aujourd'hui s'éveille à La Realidad, commença à être rêvé par nous, nous pensions que ce serait un échec. Nous avons pensé que, peut-être, nous pourrions réunir ici quelques dizaines de personnes de quelques pays. Nous nous trompions. Comme toujours, nous nous trompions. Il n'y a pas eu des dizaines, mais des milliers d'êtres humains qui sont venus des cinq continents pour rencontrer cette réalité de fin de vingtième siècle.
La parole née dans ces montagnes, les montagnes zapatistes, a trouvé des oreilles qui l'a accueillie, l'a sauvegardée et l'a relancée pour qu'elle arrive plus loin, pour qu'elle fasse le tour du monde. La folle folie d'une convocation à cinq continents pour réfléchir de façon critique sur notre passé, notre présent et notre futur, a constaté qu'elle n'était pas seule dans son délire et, tout à coup, des folies de toute la planète se sont mises à œuvrer pour amener leur rêve se reposer à La Realidad, pour le laver dans la boue, pour le faire croître sous la pluie, pour le mouiller de sueur au soleil, pour en parler avec l'autre, pour le dessiner, lui donner forme et corps.
Sur ce qui s'est passé ces derniers jours, on écrira beaucoup par la suite. Aujourd'hui, nous pouvons dire que nous avons au moins une certitude : un rêve rêvé sur les cinq continents peut devenir réalité à La Realidad. Qui pourra nous dire que rêver est beau, mais inutile ? Qui pourra prétendre que les rêves, même quand les rêveurs sont nombreux, ne peuvent devenir réalité ?
Comment rêve-t-on la joie en Afrique ? Quelles merveilles traversent le rêve en Europe ? Combien de demains contient le rêve en Asie ? Sur quelle musique danse le rêve en Amérique ? Comment parle le cœur qui rêve en Océanie ?
Peu importe comment l'on rêve, ce que l'on rêve, ici ou n'importe où. Qui sont ceux qui ont osé convoquer à leur rêve tous les rêves du monde ? Que se passe-t-il dans les montagnes du Sud-est mexicains qui fasse écho et miroir aux rues d'Europe, aux banlieues d'Asie, aux campagnes d'Amérique, aux peuples d'Afrique et aux maisons d'Océanie ? Que se passe-t-il avec ces gens des cinq continents, qui - à ce que tous nous disaient - ne se rencontraient que pour faire la guerre ou s'affronter ? Cette fin de siècle n'était-elle pas synonyme de désespoir, d'amertume et de cynisme ? D'où sont venus, comment sont arrivés tous ces rêves à La Realidad ?
Que parle l'Europe et qu'elle raconte le grand pont par lequel son regard a traversé l'Atlantique et l'histoire, pour se découvrir à nouveau à La Realidad !
Que parle l'Asie et qu'elle explique le gigantesque saut de son cœur pour venir battre à la Realidad !
Que parle l'Afrique et qu'elle décrive la longue navigation de son image inquiète venue se refléter à La Realidad !
Que parle l'Océanie et qu'elle conte les multiples vols de sa pensée allant de rebond en rebond pour, enfin, se reposer à La Realidad !
Que parle l'Amérique pour rappeler le sentiment croissant de son espoir qui se souvient, puis se rénove à La Realidad !
Que parlent les cinq continents et que tous écoutent ! Que l'humanité suspende un moment son silence de honte et d'angoisse !
Que parle l'humanité !
Que l'humanité écoute...
Dans leur monde à eux, ceux qui vivent au pouvoir et qui tuent pour le pouvoir, il n'y a place pour aucun homme, il n'y a pas d'espace pour l'espoir, il n'y a pas où mettre demain. Esclavage ou mort, voilà l'alternative que leur monde à eux nous offre, offre à tous les mondes. Le monde de l'argent, leur monde à eux, gouverne depuis les places boursières. Aujourd'hui, la spéculation est à la fois la principale source d'enrichissement et la meilleure preuve de l'atrophie de la capacité de travailler de l'être humain. Il n'est pas nécessaire de travailler pour produire la richesse : la spéculation suffit.
Des crimes et des guerres se réalisent pour que les bourses mondiales soient mises à sac par certains.
Et, en même temps, des millions de femmes, des millions d'enfants, des millions d'Indiens, des millions d'homosexuels, des millions d'êtres humains, de toutes races et de toutes couleurs, ne participent aux marchés financiers que comme monnaie dévaluée, sans cesse à la baisse, la monnaie du sang produisant les bénéfices.
Globaliser les marchés, c'est effacer les frontières pour la spéculation et le crime, et les multiplier pour les êtres humains. Les pays sont obligés d'effacer leurs frontières extérieures pour la circulation de l'argent, mais ils multiplient les frontières intérieures.
Le néolibéralisme ne convertit pas tous les pays en un seul, mais chaque pays en beaucoup de pays.
Le mensonge de l'unipolarité et l'internationalisation deviennent un cauchemar de guerre, une guerre fragmentée tant de fois que les nations sont réduites en poussière. Dans ce monde, que le pouvoir globalise pour éviter les obstacles à ses guerres de conquête, les gouvernements nationaux se convertissent en sous-officiers d'une nouvelle guerre mondiale contre l'humanité.
De la stupide course aux armements nucléaires, destinée à annihiler l'humanité d'un seul coup, on est passé à l'absurde militarisation de tous les aspects de la vie des sociétés et des nations, destinée à annihiler l'humanité en lui assénant plusieurs coups, partout, de bien des façons. Ce que l'on appelait auparavant des "armées nationales" se convertissent en simples unités d'une armée globale, que le néolibéralisme arme et dirige contre l'humanité. La fin de la guerre dite "froide" ne freine pas l'armement du monde, elle ne fait que changer le modèle de la marchandise mortelle en des armes de toutes tailles et aux goûts de tous les criminels. Sans cesse, on arme non seulement les "armées nationales", mais aussi les armées dont les trafiquants de drogues ont besoin pour asseoir leur empire. Plus ou moins vite, les sociétés nationales se militarisent, et les armées, supposées destinées à garder les frontières face à un ennemi extérieur, tournent les canons de leurs fusils vers l'intérieur.
Il n'est pas possible que le néolibéralisme se réalise dans ce monde sans la mort que répandent les armées institutionnelles ou privées, sans la morsure qu'infligent ses prisons et sans les coups et les meurtres que commettent policiers et militaires. La répression nationale est une prémisse nécessaire à la globalisation que le néolibéralisme impose.
Plus le néolibéralisme avance en tant que système mondial, plus s'accroissent l'armement et le nombre d'hommes en armes dans les armées et les polices, plus s'accroissent le nombre de prisonniers, de disparus et d'assassinés dans tous les pays.
Une guerre mondiale, la plus brutale, la plus complète, la plus universelle, la plus efficace.
Chaque pays, chaque ville, chaque campagne, chaque maison, chaque personne est un champ de bataille plus ou moins grand. D'un côté, le néolibéralisme, son pouvoir répressif et sa machine de mort. De l'autre, l'être humain.
Il y en a qui se contentent d'être un numéro de plus dans la gigantesque bourse du pouvoir. Il y en a qui se contentent d'être esclaves. Avec cynisme l'échelle horizontale fait de certains esclaves les maîtres d'autres esclaves. En échange d'une vie difficile et des miettes du pouvoir qu'on leur laisse, il y a en a qui sont satisfaits, qui se rendent et se vendent. Partout dans le monde, il y a des esclaves qui se disent contents de l'être. Partout dans le monde, il y a des hommes et des femmes qui cessent d'être humains et occupent leur place dans le gigantesque commerce des dignités.
Mais il y a ceux qui ne s'en contentent pas, il y a ceux qui se sentent mal, il y a ceux qui ne se rendent pas, il y a ceux qui ne se vendent pas. Partout dans le monde, il y a ceux qui refusent d'être annihilés dans cette guerre. Il y a ceux qui ont décidé de se battre.
En tout lieu, à tout moment, un homme ou une femme se rebelle et déchire l'habit que le conformisme lui a tissé et que le cynisme a teint de gris. Un homme ou une femme, n'importe qui, de quelque couleur ou de quelque langue que ce soit, dit aux autres et à soi même Ya basta !
Ya basta !, assez du mensonge, assez du crime, assez de la mort, Ya basta !
"Assez de la guerre", dit un homme ou une femme, n'importe qui Ya basta !
Et quelque part sur l'un des cinq continents, un homme ou une femme, n'importe qui, entreprend de résister au pouvoir, de construire son propre chemin, qui n'implique pas la perte de sa dignité et de l'espoir.
Un homme ou une femme, n'importe qui, décide de vivre et de lutter sa part d'histoire. Ce n'est plus le pouvoir qui lui dicte ses pas, ce n'est plus le pouvoir qui administre sa vie et décide de sa mort.
Un homme ou une femme, n'importe qui, répond à la mort par la vie. Au cauchemar, il répond en rêvant. À la guerre, il répond par la lutte. Au néolibéralisme, il répond par l'humanité.
Parce que nous luttons pour un monde meilleur, nous sommes tous encerclés, menacés de mort. L'encerclement est global. Sur chaque continent, dans chaque pays, dans chaque province, dans chaque ville, dans chaque campagne, dans chaque maison, l'encerclement guerrier enferme les rebelles, que l'humanité remercie toujours.
Mais les cercles se rompent. Dans chaque maison, dans chaque campagne, dans chaque ville, dans chaque province, dans chaque pays, sur chaque continent, les rebelles, que l'histoire de l'humanité trouve toujours pour assurer l'espoir, luttent et l'encerclement se fissure.
Les rebelles se cherchent entre eux. Ils marchent les uns vers les autres. Ils se trouvent et, ensemble, ils rompent d'autres cercles. Dans les campagnes et les villes, dans les provinces, les nations et les continents, les rebelles commencent à se reconnaître, à se savoir égaux et différents. Ils continuent leur marche fatigante, ils cheminent comme l'on doit cheminer aujourd'hui : en luttant.
C'est alors qu'une réalité leur a parlé. Les rebelles des cinq continents ont entendu et se sont mis en route.
Pour arriver à La Realidad intercontinentale, chacun a suivi son propre chemin. Depuis les cinq bras de l'étoile mondiale sont arrivés à La Realidad des pas d'hommes et de femmes dont la parole juste cherchait où être dite, où être écoutée. Le lieu de la Rencontre.
Il a fallu rompre bien des cercles pour rompre le cercle de la réalité. Il y a de multiples cercles. Ici, il faut franchir les cercles des policiers, des douaniers, des chars, des canons, des tranchées, des avions, des hélicoptères, de la pluie, de la boue, des insectes. Chaque rebelle des cinq continents a son propre cercle, sa propre lutte, et tout cercle rompu s'ajoute à la mémoire des autres rebelles.
C'est ainsi qu'a commencé cette Rencontre intercontinentale. Elle a commencé sur tous les continents, dans tous les pays, partout où un homme ou une femme, n'importe qui, a commencé à dire aux autres et à soi-même Ya basta !
Qui peut dire où exactement, à quel moment exactement a commencé cette Rencontre intercontinentale pour l'humanité et contre le néolibéralisme ? Nous ne le savons pas. Mais nous savons bien qui l'a commencée. Tous les rebelles du monde l'ont commencée. Ici, nous ne sommes, bien sûr, qu'une petite partie des rebelles du monde. Mais à tous les cercles que tous les rebelles du monde rompent tous les jours, vous, vous en avez ajouté un : vous avez rompu le cercle entourant la réalité zapatiste.
Pour y parvenir, vous avez dû lutter contre vos propres gouvernements, affronter des cercles de paperasses et de démarches auprès du gouvernement mexicain qui prétendait vous retenir. Vous êtes tous des lutteurs et des lutteuses, des briseurs et des briseuses de cercles. Et vous êtes donc arrivés à La Realidad. Peut-être n'avez-vous pas vu l'ampleur de votre exploit, mais nous, nous l'avons vue.
Nous voulons vous demandez pardon de la stupidité du gouvernement mexicain, dont les agents d'immigration ont fait tout ce qu'ils pouvaient pour empêcher votre arrivée en terre zapatiste. Ces agents de l'idiotie faite gouvernement croient toujours que passeports et autorisations sont nécessaires pour parler et entendre parler de dignité. Nous sommes sûrs que vous comprendrez tous pourquoi l'imbécillité fait que les nationalités divisent les êtres humains. Nous vous demandons de leur pardonner. Après tout, nous devons remercier le gouvernement mexicain de nous avoir rappelé que nous sommes différents, même s'il l'a fait de bien triste façon ! Mais il nous faut aussi remercier les communautés indigènes, qui nous ont reçus ces jours-ci, de nous avoir rappelé que nous sommes égaux.
C'est pourquoi, nous, les zapatistes, proposons de lutter pour un meilleur gouvernement ici, au Mexique. Nous luttons pour un gouvernemnt qui soit un petit peu intelligent, qui comprenne que la dignité ne sait rien de passeports, visas et autres choses ridicules. Nous luttons et nous sommes sûrs d'y arriver.
Mais, en attendant, au nom des communautés indigènes, nous vous demandons, quand vous passerez les contrôles d'immigration, de féliciter le gouvernement mexicain pour le succès qu'il a obtenu dans l'encerclement d'un mouvement rebelle qui, c'est évident, n'a d'influence que dans quatre municipalités d'un État du sud-est du Mexique : le Chiapas.
Quelques-uns des meilleurs rebelles des cinq continents sont arrivés aux montagnes du Sud-est mexicain. Tous ont apporté beaucoup. Ils ont apporté des mots et des oreilles pour les écouter. Ils ont apporté leurs idées, leurs cœurs, leurs mondes. Ils sont venus à La Realidad rencontrer d'autres idées, d'autres cœurs, d'autres mondes.
Un monde fait de beaucoup de mondes s'est trouvé ces derniers jours dans les montagnes du Sud-est mexicain. Un monde fait de beaucoup de mondes s'est ouvert un espace et a conquis le droit d'être possible, a levé l'étendard d'être nécessaire, s'est planté au milieu de la réalité de la Terre, pour annoncer un futur meilleur. Un monde fait de tous les mondes qui se rebellent et résistent au pouvoir, un monde fait de tous les mondes qui s'opposent au cynisme de ce monde, un monde qui lutte pour l'humanité et contre le néolibéralisme. Voilà le monde que nous avons vécu ces jours derniers, voilà le monde que nous avons trouvé ici.
Cette Rencontre ne s'achève pas à La Realidad. Elle doit seulement chercher maintenant un autre lieu pour se poursuivre.
Et quelle est la suite ?
Un nouveau numéro dans l'inutile énumération des Internationales ?
Un nouveau schéma, qui tranquillise et soigne l'angoisse d'un manque de recettes ?
Un programme mondial pour la révolution mondiale ?
Une théorisation de l'utopie pour qu'elle garde sa prudente distance vis-à-vis de la réalité qui nous angoisse ?
Un organigramme qui nous assure à chacun un poste, une charge, un nom... et aucun travail ?
La suite est l'écho, l'image reflétée du possible et de l'oublié, la possibilité de parler et d'écouter.
Non pas l'écho qui s'éteint doucement, ou la force qui décroît à partir de son point le plus haut.
Mais l'écho qui rompt et perdure.
L'écho du petit, du local, du particulier, qui se répercute dans l'écho du grand, de l'intercontinental, du galactique.
L'écho qui reconnaît l'autre, sans vouloir le dominer ou le faire taire.
L'écho qui a sa propre place, parle de sa propre voix et de celle de l'autre.
L'écho qui reproduit son propre son, et le son de l'autre.
L'écho de cette voix rebelle, qui se transforme et se rénove en d'autres voix.
L'écho qui se convertit en beaucoup de voix, un réseau de voix, qui, devant un pouvoir sourd, choisit de se parler, se sachant un et nombreux, connaissant autant son désir d'écouter que son désir d'être écouté, se reconnaissant dans la diversité des voix et des tonalités qui le forment.
Un réseau de voix qui résistent à la guerre que leur fait le pouvoir.
Un réseau de voix qui parlent, mais aussi résistent et luttent pour l'humanité et contre le néolibéralisme.
Un réseau de voix qui naissent en résistant, reproduisent leur résistance dans d'autres voix, encore muettes et solitaires.
Un réseau qui couvre les cinq continents et aide à résister à la mort promise par le pouvoir.
La suite, c'est une grande bourse pleine de voix et de sons, qui cherchent leur place aux côtés des autres.
La suite, c'est une grande bourse déchirée, qui garde le meilleur d'elle-même et s'ouvre pour le meilleur qui naît et croît.
La suite, c'est une bourse, miroir de voix, un monde où les sons peuvent être écoutés séparément, en reconnaissant leurs spécificités, un monde où les sons peuvent faire partie d'un grand son.
La suite, c'est la reproduction des résistances, du "je ne suis pas soumis, je suis rebelle".
La suite, c'est un monde avec les nombreux mondes dont le monde a besoin.
La suite, c'est l'humanité se reconnaissant plurielle, différente, globalisante, tolérante avec elle-même, pleine d'espoir.
La suite, c'est la voix humaine et rebelle consultée sur les cinq continents, pour se faire réseau de voix et de résistances.
La suite, c'est la voix de nous tous, la voix qui dit cette Seconde Déclaration de La Realidad.
Deuxième déclaration de La Realidad, pour l'humanité et contre le néolibéralisme
Frères et sœurs d'Afrique, d'Asie, d'Amérique, d'Europe et d'Océanie :
Considérant que, tous et toutes, nous sommes :
Contre l'internationale de la mort, contre la globalisation de la guerre et de l'armement ;
Contre la dictature, contre l'autoritarisme, contre la répression ;
Contre les politiques de libéralisation économique, contre la faim, contre la pauvreté, contre le vol, contre la corruption ;
Contre le patriarcat, contre la xénophobie, contre la discrimination, contre le racisme, contre le crime, contre la destruction de l'environnement, contre le militarisme ;
Contre la stupidité, contre le mensonge, contre l'ignorance;
Contre l'esclavage, contre l'intolérance, contre l'injustice, contre l'exclusion, contre l'oubli ;
Contre le néolibéralisme,
Considérant que, tous et toutes, nous sommes :
Pour l'internationale de l'espoir, pour la paix nouvelle, digne et juste ;
Pour la nouvelle politique, pour la démocratie, pour les libertés politiques ;
Pour la justice, pour la vie digne et le travail digne ;
Pour la société civile, pour que les femmes aient pleinement leurs droits sur tous les plans, pour le respect des vieux, des jeunes, des enfants, pour la défense et la protection de l'environnement ;
Pour l'intelligence, pour la culture, pour l'éducation, pour la vérité ;
Pour la liberté, pour la tolérance, pour l'inclusion, pour la mémoire ;
Pour l'humanité ;
Nous déclarons
1°) Que nous formerons un réseau collectif de toutes nos luttes et résistances particulières. Un réseau intercontinental de résistance contre le néolibéralisme, un réseau intercontinental de résistance pour l'humanité.
Ce réseau intercontinental de résistance cherchera, en reconnaissant les différences, en découvrant les similitudes, à rencontrer d'autres résistances dans le monde entier. Ce réseau intercontinental de résistance sera le moyen qui permettra aux différentes résistances de se soutenir mutuellement. Ce réseau intercontinental de résistance n'est pas une structure d'organisation, n'a ni centre qui oriente ou décide, ni direction centrale, ni hiérarchie. Le réseau, c'est nous tous qui résistons.
2°) Que nous formerons un réseau de communication entre toutes nos luttes et résistances. Un réseau intercontinental de communication alternative contre le néolibéralisme, un réseau intercontinental de communication alternative pour l'humanité.
Ce réseau intercontinental de communication alternative cherchera à tisser les voies qui ouvriront à la parole tous les chemins de résistance. Ce réseau intercontinental de communication alternative sera le moyen qui permettra aux diverses résistances de communiquer entre elles.
Ce réseau intercontinental de communication n'est pas une structure d'organisation, n'a ni centre qui oriente ou décide, ni direction centrale, ni hiérarchie. Le réseau, c'est nous tous qui parlons et écoutons.
Nous déclarons ceci :
Parler et écouter, pour l'humanité et contre le néolibéralisme. Résister et lutter, pour l'humanité et contre le néolibéralisme.
Pour le monde entier : Démocratie ! Liberté ! Justice !
Depuis n'importe quelle réalité de n'importe quel continent...
Frères et sœurs,
Nous proposons que tous ceux qui sont ici signent cette déclaration, et que cette Rencontre ne se termine pas aujourd'hui.
Nous proposons que cette Rencontre intercontinentale pour l'humanité et contre le néolibéralisme continue, dans chaque continent, dans chaque pays, dans chaque campagne et chaque ville, dans chaque maison, école ou lieu de travail où vivent des êtres humains qui veulent un monde meilleur.
Les communautés indiennes nous ont enseigné que pour résoudre un problème, si grand qu'il puisse être, il est toujours bon de consulter les tous que nous sommes. C'est pourquoi nous proposons de réaliser une consultation internationale sur cette déclaration. Nous proposons que cette déclaration soit distribuée dans le monde entier et qu'on réalise, au moins dans chacun des pays qui sont ici représentés, une consultation sur la question suivante :
Es-tu d'accord pour souscrire à la Deuxième Déclaration de La Realidad, pour l'humanité et contre le néolibéralisme"?
Nous proposons que cette Consultation intercontinentale pour l'humanité et contre le néolibéralisme se réalise sur les cinq continents pendant la première quinzaine du mois de décembre 1996.
Nous proposons qu'on organise cette consultation comme on a organisé la Rencontre, que tous ceux qui sont ici et ceux qui n'ont pas pu venir mais qui nous ont accompagnés de loin organisent et réalisent ensemble cette consultation. Nous proposons qu'on utilise tous les moyens possibles et impossibles pour consulter le plus grand nombre d'êtres humains sur les cinq continents. La consultation internationale est un moment de la résistance que nous organisons, une façon d'entrer en contact et de rencontrer d'autres résistances. Moment d'une nouvelle façon de faire de la politique dans le monde, voilà ce que la consultation internationale veut être.
Ce n'est pas tout. Nous proposons d'appeler, dès maintenant, à la
Deuxième Rencontre intercontinentale pour l'humanité et contre le néolibéralisme.
Nous proposons qu'elle se tienne pendant la deuxième moitié de l'année 1997, et que le siège soit le continent européen. Nous proposons que la date précise et le lieu de la rencontre soient définis par les frères et les sœurs d'Europe au cours d'une réunion qu'ils tiendront après cette première rencontre.
Nous espérons tous que cette deuxième rencontre intercontinentale se tiendra et que ce sera, bien sûr, sur un autre continent. Quand elle se réalisera, nous tenons à le dire clairement tout de suite, nous verrons comment faire pour y participer directement, quel que soit le lieu.
Frères et sœurs,
Nous sommes toujours des gêneurs. Ce que nous disent les théoriciens du néolibéralisme, à savoir qu'ils ont tout bien en main, y compris ce qui leur échappe, est faux.
Nous ne sommes pas une soupape de sécurité pour la rébellion qui peut déstabiliser le néolibéralisme. Il est faux que notre existence rebelle légitime le pouvoir.
Le pouvoir nous craint. C'est pour cela qu'il nous pourchasse et nous assiège. C'est pour cela qu'il nous emprisonne et nous tue.
Nous sommes, en réalité, une possibilité qui peut le vaincre et le faire disparaître.
Nous ne sommes peut-être pas très nombreux, mais nous sommes des hommes et des femmes qui luttons contre le néolibéralisme.
Nous sommes des hommes et des femmes qui luttons partout dans le monde.
Nous sommes des hommes et des femmes qui voulons, pour les cinq continents
Démocratie !
Liberté !
Justice !
Depuis les montagnes du Sud-est mexicain,
Comité Clandestin Révolutionnaire Indien
Commandement Général de l'EZLN.
La Realidad, planète Terre, août 1996.
La montagne
est aussi une bourse
pour garder nos frères.
Parfois
la montagne semble être une mer
Parfois
la nuit semble être un matin
Une mer. Un océan
Un matin. Une aurore
Mer et matin
n'ont pas de sexe.