Place au Peuple, place à la Commune !
La fête - Le Cri du Peuple 30 mars 1871 La commune est proclamée !
Elle est sortie de l'urne électorale, triomphante souveraine et armée. Les élus du peuple sont entrés dans le vieil Hôtel de Ville qui entendu le tambour de Santerre et la fusillade du 22 janvier, sur cette place où le sang des victimes de l'honneur national et de la dignité parisienne vient d'être essuyé par la poussière soulevée en ce jour de fête sous les pas des bataillons victorieux.
On n'entendra plus le roulement du tambour de Santerre ; les fusils ne brilleront plus aux fenêtres de l'Hôtel communal et le sang ne tachera plus la place de grève si nous le voulons. Et nous le voudrons, n'est-ce pas citoyens ?
La commune a été proclamée. L'artillerie sur les quais tonnait ses salves au soleil qui dorait leur fumée grise sur la place. Derrière les barricades, où se tenait debout la foule : hommes saluant du chapeau, femmes saluant du mouchoir, le défilé triomphal, les canons abaissant leur gueules de bronze, humbles et paisibles, craignant de menacer la foule joyeuse.
Devant la Façade sombre, dont le cadran a sonné tant d'heures qui sont maintenant des siècles et au vu tant d'événements qui sont aujourd'hui l'histoire, sous ces fenêtres peuplées d'assistants respectueux, la Garde nationale défilait lui jetant les vivats de son enthousiasme tranquille et fier. Au-dessus de l'estrade se tenaient les élus du Peuple - braves gens à la tête énergique et sérieuse ; le buste de la République, qui se détachait blanche sur le tenture rouge, regardait impassible, reluire cette moisson de baïonnettes étincelantes au milieu de laquelle frissonnaient les drapeaux et les guidons aux couleurs éclatantes, tandis que montaient dans l'air le bourdonnement de la cité, les bruits du cuivre et de la peau d'âne, les salves et les acclamations.
La commune est proclamée dans une journée de fête révolutionnaire et patriotique, pacifique et joyeuse, d'ivresse et de solennité, de grandeur et d'allégresse, digne de celles qui ont vu les hommes de 93 et qui console de vingt ans d'empire, de six mois de défaites et de trahisons. Le Peuple de Paris debout en armes, a proclamé la Commune, qui lui a épargné la honte de la capitulation, l'outrage de la victoire prussienne et qui le rendra libre comme elle l'eût rendu vainqueur.
Que n'a-t-elle été proclamée le 31 octobre !
Qu'importe ! Morts de Buzenval, victimes du 22 janvier, vous êtes vengés maintenant !
La Commune est proclamée.
Les bataillons qui spontanément, débordant des rues, des quais, des boulevards, sonnât l'air les fanfares des clairons, faisant gronder l'écho et battre les coeurs avec les roulements du tambour, sont venues acclamer et saluer la Commune, lui donner cette promulgation souveraine de la grande revue civique qui défie Versailles, remontent l'arme sur l'épaule vers les faubourgs, remplissant de rumeurs la grande ville, la grande ruche.
La Commune est proclamée.
C'est aujourd'hui la fête nuptiale de l'idée et de la révolution.
Demain citoyen-soldat pour féconder la Commune acclamée et épousée la veille, il faudra reprendre, toujours fier, maintenant libre, sa place à l'atelier ou au comptoir.
Après la poésie du triomphe, ma prose du travail.
Jules Vallès