RETOUR VERS LE FUTUR

LA NOSTALGIE, CAMARADES

PARIS MAQUIS

L’autonomie parisienne : protagonistes, chronologie, et commentaire.

Autonomie et amour fou.

Dernier souffle de la bourrasque de Mai ou version française de l'an neuf italien, l'autonomie restera le point culminant de la violence politique des seventies. Portée par la force de l'histoire qui déferle, elle disparaîtra avec le reflux des comportements qu'elle exaltait.

L'autonomie parisienne. Des larges masses aux marges lasses. Des années de braise aux années de cendre. Du premier cercle au dernier carré. Générique de fin.

Premières armes

8 juin 77 - Manif à la mémoire de Pierre Maitre, piquet de grève exécuté à Reims par les nervis de la CFT, les truands du patronat. 4000 personnes à l'appel de l'extrême gauche. 200 jeunes gens casqués précèdent le cortège serrés de près par le SO de la ligue. Première apparition des autonomes. « Ils ont eu Overney, on a eu Tramoni ». Déluge de coks sur une société de vigiles à Nation.

30 et 31 juillet 77 - Manif à Malville contre la construction du surgénérateur Superpholix. 50 000 personnes. 5000 CRS et GM équipés de grenades à effet de souffle. La manif écolo qui se voulait pacifique tourne à la bataille rangée.

Des centaines d'incontrôlés s'affrontent aux CRS et aux mobiles sur la zone interdite. Offs contre coks. Une centaine de blessés chez les manifestants. Un mort. 5 GM grièvement blessés. C'est le baptême du feu. « Malville a recomposé brutalement tous ceux qui étaient partis à la dérive depuis 72 ». Les gauchistes, qui ont perdu l'initiative, voient le mouvement se scinder de l'intérieur. Beaucoup évoluent vers des positions très offensives. la colère monte. Les idées font leur chemin.

Italie rouge et noire

En Italie, au printemps 77, l'histoire s'est embrasée. C'est l'explosion du mouvement des emarginati marquant une avancée sans précédent de la guerre sociale. Un formidable mouvement de révolte parcourt la péninsule. Les indiens métropolitains prennent le sentier de la guerre. Le vent d'illégalisme se transforme en ouragan. Les untorelli se lancent au pas de charge à l'assaut du ciel. Le camarade P. 38 fait une apparition remarquée dans les cortèges insurrectionnels de Autonomia Operaia, à Rome et à Milan. La jambisation devient sport national. La répression, pourtant meurtrière, ne peut endiguer l'extension de l'agitation. On n'arrête pas le printemps. Le ciel est enfin tombé sur la terre.

L'automne allemand

Le crépuscule de la décennie est marqué par un surprenant retour de flamme. L'agitation gagne tous les secteurs de la vie sociale. Le fond de l'air est rouge. La rupture de la gauche, l'agonie du gauchisme, la montée de la délinquance sociale accélèrent l'émergence du mouvement autonome qui naît de la coagulation de forces politiques dissidentes de l'extrême-gauche.

II lui reste à découvrir sa force et à l'essayer. C'est l'ivresse des commencements. Le mouvement qui se lance à l'assaut de l'histoire est porté par une génération qui n'a pas traversé la révolution mais que la révolution a traversé.

Stammheim (assassinats des militants de la RAF dans leur prison) sera le catalyseur d'un processus de recomposition politique accéléré. A l'automne, le mouvement est emporté dans les rapides de l'histoire. La vague initiale se transforme en déferlement. Des espaces infinis s'ouvrent à l'autonomie.

18 octobre 77 - Baader et ses camarades sont « suicidés » à la prison de Stammheim à Stuttgart.

21 octobre - A l'appel de l'OCL, manif à Saint Lazare aux cris de « Oui, Baader était un camarade! », « Autonomie! offensive! ouvrière! ». Elle deviendra vite une souricière pour des milliers de camarades. 300 interpellations.

23 octobre - Les locaux de Libération sont occupés par cent cinquante personnes se réclamant de l'Assemblée générale parisienne des groupes autonomes (Camarades, Marge, Poing Noir, OCL, Autonomie Ouvrière) pour obtenir la publication d'un certain nombre de textes. Après le torrent de boue déversé les jours précédents sur la RAF par ces « charognards de la marginalité » une mise au poing s'imposait. Le ton monte. Distribution de claques. Saccage. Inscriptions meurtrières. « Tout journaliste est un flic », « July, bientôt ton heure ». Libé

pris en otage.

24 octobre - Premier procès Croissant. Manif devant le Palais de Justice à l'appel de l’AGPGA... 70 interpellations.

29 octobre - Première grosse AG autonome à Jussieu. 400 participants. L'assemblée est houleuse. Débat orageux sur la violence et les perspectives du mouvement.

15 novembre - A la veille du troisième procès Croissant, manif clandestine des orgas gauchistes. Cortège autonome. Un garage Mercedes et une agence Siemens se font allumer.

16 novembre - Extradition de Klaus Croissant, avocat de la RAF.

17 novembre - AG autonome à Jussieu. 600 participants.

18 novembre - Manif Répu-Nation. 10 000 personnes. 2500 autonomes.

Cortège compact. Cris de guerre. « Contre l'Europe des Etats policiers, offensive et autonomie! », « Contre le chômage et la vie chère: vol, pillage, sabotage! ». Affrontements tout au long du parcours. Nuée d'oiseaux de feu dans la nuit. Cars de flics incendiés. Flics brûlés . Heurts avec le S0 gauchiste. Banques dévastées et incendiées.

24 novembre - Affrontements et barricades dans le quatorzième après l'évacuation (illégale) des squats par les tuniques bleues.

26 novembre - Nouvelle manif. Un millier de personnes. Cocktail-party en fin de soirée. Le siège de la Semirep est incendié. Tirs d'offensives. Nombreux blessés.

19 décembre - Attentat contre Fauchon revendiqué par Les Smicards en pétard : « Ça vous évitera d'avoir à acheter, à bouffer, digérer et chier toute cette marchandise ».

21 décembre - Rassemblement autonome contre la répression à Strasbourg. Comité d'accueil: 4000 casqués. Gardes à vue en pagaille. Le flop. Crépuscule d'un blues ?

Frères d'armes

L'émergence du mouvement autonome est d'abord une tentative de dépassement des limites du gauchisme, de ses faiblesses, de ses aberrations (léninisme obtus, ouvriérisme primaire, boy scoutisme affligeant, opportunisme éhonté, électoralisme). Il incarnera longtemps la contestation de la contestation, en quelque sorte l'extrême-gauche de l'extrême-gauche, le grand refus.

Porté par une multitude de collectifs, il tente d'inventer une forme supérieure d'organisation; non plus verticale mais transversale, la coordination, chargée d'opérer la jonction entre toutes les composantes du mouvement. L'autonomie naît d'une volonté de vivre, tout de suite, autre chose. Ce que certains appellent la révolution de la vie quotidienne, le communisme immédiat.

Le mouvement agrège pêle-mêle des transfuges du trotskysme, les blousons noirs politisés de la GP (période Nouveaux partisans), Les maos spontex du FLJ et de VLR, les debordiguistes de l'ultra-gauche, les zonards du mouvement de mai, tous les soldats perdus de la guerre sociale. Cortèges et coordinations, le mouvement n’en reste pas moins une mouvance assez fluide, une constellation de collectifs, aux pratiques convergentes mais éclatées, un faux mouvement, un front du refus.

Très schématiquement, on peut y décerner trois tendances :

- L’autonomie dite organisée. Noyau dur du mouvement. La revue Camarades (Mascarade pour les intimes) née en 76. Ouvriéristes sauce bolognaise. Développent un certain nombre de thèses d’importation italienne (recomposition de classe, restructuration, précarité, auto-réductions ) ainsi qu’un discours sur la centralité de l’affrontement, l’illégalisme de masse. La GP moins le dogmatisme ?

- L’OCL, héritière de l’ORA, qui publie Front Libertaire. Indiano-libertaires. Anarcho-gratuiteros.

- L'aile désirante (dite parfois délirante). Les créatifs du mouvement. Marge (dit Barge). Matin d'un blues. Le désir et sa réalisation prime tout. Anti-nuc. Anti-psy. Lumpenintelligentsia échappée du Zoo de Vincennes. Glorification de la Marginalité.

- Les militaros-loubs-baskets. Veuves maos, rescapés des orgas militaros nées dans le sillage de mai. Incontrolados du mouvement. Autonomes dans l'autonomie. Lonesome cow-boys. Des voyous dans la guerre sociale unis par une même volonté de ne pas laisser leur révolte se noyer dans la théorie. Discours « les masses, c'est nous ». Ils parlent de prendre ce qu'on leur refuse. Exaltation de la dévastation.

L'autonomie offensive hantée par le mythe du guerrier (Baader, Mesrine & Co). La composante la plus exposée du mouvement sur laquelle la répression va s'acharner.

L'autonomie consiste avant tout, dans la convergence d'un certain nombre de comportements de masse, à savoir:

La fauche. Rebaptisée par certains "réappropriation prolétarienne". Considérée comme un sport d'équipe. Le "libre service" se développa à la fin de la décennie dans des proportions vertigineuses. "Voler ensemble et le revendiquer ensemble". L'union de la fauche, un programme peu commun.

Le refus du travail. Défense inconditionnelle de l'inaliénable droit à la paresse. Ennemis déclarés de l'esclavage salarié. Prônent l'absentéisme de masse. « Les 35 heures, on s'en fout, on veut pas bosser du tout! »

Le squat. Le réflexe logement. Le seul foyer honnête est celui qu'on ne paye pas. Parlent d'habiter l'espace sans l'acheter ni le vendre. Bases de repli du mouvement. Lieux d'agrégation. Le squat: un soviet en modèle réduit?

Occupations, grèves sauvages. L'autonomie de la classe ouvrière.

Autoréductions. Désobéissance civile.

Faits d'armes

Emergeant de phénomènes qui se produisaient dans les profondeurs de la société, partie visible de l'iceberg, portés par une lame de fond, celle de la délinquance sociale généralisée, ils croient à la progression géométrique de la subversion. Ils se sentent portés par le vent de l'histoire. Misant sur la contagion de l'exemple pour propager l'agitation , le mouvement prend désormais l'initiative des opérations. II intervient sur le terrain des petites violences, multiplie les opérations de harcèlement, apprend à frapper là où ça fait mal. Il s'appuie sur tous les fronts ouverts, au besoin en ouvre d'autres (squats, radios pirates, tarifs publics) tandis que se développent une multitude d'initiatives transversales. Le rythme s'accélère. L'activisme autonome touche à son paroxysme. La ligne est tracée. Ce n'est pas encore la guerre mais elle est déclarée.

5 avril 78 - Une cinquantaine d'autonomes attaquent par surprise au Bataclan le SO KCP qui prend la correction de sa vie. Revendiqué par Marée Noire.

7 mars 78 - Journée d'action des autonomes pour protester contre la mort d'un taulard. Partie d'un amphi de Jussieu, dérive armée dans la métropole. Attaque d'un café où Lelouch tourne un film. Bombage de pervenches. Le paradis Latin attaqué à coups de coks. Un ordinateur du service informatique de la fac détruit à coups de barre. Raid éclair, rue Lafayette. Une centaine de vitrines par terre. Ça sert à rien mais ça soulage. Un camarade, arrêté porteur d'un flingue prendra trois ans dont un avec sursis.

6 avril - manif contre la marée noire. Une nuée d'incontrôlés ouvre la marche. « C'est pas la Bretagne qu'il faut nettoyer C'est la capital qu'il faut liquider ». Affrontements. Une bagnole de perdreaux cramée. Les flics sifflent la fin de la récré. Intervention des voltigeurs. 21 interpellations.

Premier Mai - Anars et autonomes débordent la manif syndicale et s'affrontent avec

les flics et le SO CGT. 200 personnes prennent la tête du cortège. Enfoulardées, encagoulées, horde sauvage sur les boulevards.

Les flics, attaqués par surprise, laissent plusieurs motos en flammes. « Ni trop tôt, ni trop tard, nitroglycérine! ». Gros baston. 83 vitrines brisées. Pillages en règle. Cinq barricades. Une trentaine de blessés. 48 personnes emballées.

2 mai 78 - « Travail, ça va être ta fête! ». Attentats contre trois ANPE à Paris. Revendiqués par le Groupe pour l'extension du premier mai aux jours suivants, qui appelle les travailleurs de tous les pays à se reposer. Le 9 mai, celle de Poissy y aura droit (revendiqué par Marée rouge)

12 mai 78 - Les Bombeuses à chapeaux, amazones du mouvement, saccagent la Librairie des Femmes. Jeunes femmes rouges, toujours plus belles.

13 mai 78 - Ten years after. Les squats autonomes de la rue Nationale et Lahire, transformés en bunkers, sont encerclés par 150 CRS. Places fortes de la front line parisienne. Forts Apache des faubourgs, tranchées de la guerre sociale. Les occupants de Nationale attendent casqués sur les terrasses l’assaut final. Tenir ou mourir. ,

25 mai 78 - Manif autonome contre le Mundial en Argentine. 400 personnes équipées, barres et coks, partent en cortège très mobile dans les rues de Paris. « Fafs, on vous attend plus, on vous cherche! ». La lac d'Assas est attaquée. Vitres brisées. Pluie de coks. Les troquets du quartier où se réunissent les fafs y passent aussi. Des CRS pris par surprise laissent un car en flammes. Grand est le désordre sous le ciel, la situation est donc excellente.

27 mai 78 - Fête de Rouge... Bataille rangée entre le SO de la Ligue et les zautognômes. Un grand classique. Le soir même, en représailles, le local des trotsks est attaqué par l'autonomie prolétarienne.

8 juin 78 -113 appareils de contrôle du tromé sont détruits par le GRATP. Résistance à l'augmentation des tarifs publics.

11 juin 78 - Attentat contre le Club Méd revendiqué par les smicards en pétard.

14 novembre 78 - Intervention violente de la police contre une assemblée autonome à Tolbiac, bastion du mouvement. Toute la fac est vidée à la matraque. Une centaine d'interpellations.

13 janvier 79 - Action éclair à Saint Lazare. Samedi après-midi sur les grands boulevards, une centaine d'autonomes armés de barres et de coks partent en cortège derrière une banderole « Contre la vie chère, autonomie et offensive ». C'est la tornade. Ils descendent une douzaine de vitrines, pillent une armurerie, attaquent au cok deux agences d'intérim et la recette générale des impôts (objectif militaire de l'opération). Six keufs se font sérieusement allumer. Les flics font quatre prisonniers de guerre. Ils vont déguster. Les Brigades autonomes révolutionnaires revendiquent I'opération « Contre la hausse vertigineuse des prix ». Dans l’opinion, tollé général. VGE parlera en Conseil des ministres à propos de Saint Lazare de manifestation de « décomposition sociale ». L'autonomie commence où finit tout le reste.

17 janvier 79 - Rafle dans le mouvement autonome. 17 interpellations dans deux courants de l’autonomie. Les camarades de Camarades et les militaros du squat Hébrard , dernière position du mouvement depuis la disparition de Nationale et Lahire, où les keufs trouvent un pompe et deux colts. Ils feront tomber trois personnes sur une affaire de braquos.

22 janvier 79 -150 personnes se font embarquer autour du Palais de Justice au moment du procès des « Quatre de Saint Lazare ». Verdict: entre deux et quatre ans fermes. La folie. L'un d'eux se dressera, poing levé, pour crier « Faut pas pleurer, faut se battre ».

31 Janvier 79 - Un commando armé attaque un magistrat parisien à son domicile, le juge Berger et dévaste son appart. En réponse au jugement de Saint Lazare. « La mise en cages de nos camarades ne nous laisse que le choix des armes. La rafle suit très vite. Une quinzaine d'interpellations par la Crime et une perquize au siège de l'OCL. L'engrenage ?

5 février 79 - 98 parcmètres mis hors d'état de nuire à Paris. 10 interpellations. Revendiqué par le PARC, Pour une autonomie radicale contre le capital.

24 février 79 - Putains d'aciéries. A Longwy, affrontements entre sidérurgistes et GM. Plusieurs centaines d'ouvriers casqués et armés de barres de fer attaquent le commissariat, bulldozer en tête. Bagarre colossale. Déluge de caillasses, de cocktails, de boulons, de billes d'acier. Coulées de chaux vive. Tirs d'armes automatiques (22 LR). La haine de classe est impitoyable. Le siège dure toute la nuit. 14 bagnoles de keufs détruites. La vingtaine de flics assiégés dans le commissariat utiliseront 800 grenades lacrymos et offensives. L'Union patronale métallurgique est mise à sac. Les brasiers de la colère éclairent l'aube rouge de la revanche. Les syndicats n'arrivent pas à reprendre le contrôle de leurs troupes. Dans les jours suivants, l'incendie s'étend. Le 7 mars, la Chambre patronale de la sidérurgie de Valenciennes est dévastée. Ceux d'Usinor Denain ouvrent un deuxième front de la violence ouvrière. Le commissariat morfle sec assiégé par des centaines de prolétaires magnanimes et vindicatifs. Le souffle de la guerre se propage. Longwy, Denain nous montrent le chemin!

Cette grande lueur à l'Est

Le réveil de la violence ouvrière ouvre de vertigineuses perspectives. On a tiré à Denain. L'affrontement a franchi un seuil décisif. Les syndicats sont contraints de désavouer les prolétaires porteurs de la peste radicale. Ce qui embrase Longwy couve un peu partout. Certains parlent de poursuivre l'avancée, de précipiter l'épreuve de force décisive et inéluctable. Le ciel se couvre. L'orage approche. Vienne la tempête.

22 mars 79 - Rafle préventive de la PJ dans les milieux autonomes. Blitz au squat Saint Blaize. 83 interpellations.

23 mars 79 - L'apothéose. Le Little big Horn des indiens métropolitains. Marche des sidérurgistes lorrains. Manif monstre de la CGT. 100 000 personnes. Cortège autonome impressionnant. « Des jeunes prolétaires à la classe ouvrière: autonomie et offensive! », «  Union, action, dévastation ». Dés 15 heures, les enragés ouvrent le bal. 200 mobiles remontent la manif accueillis par une formidable huée. Rapidement encerclés, ils prennent une monumentale dégelée, écrasés sous un déluge de boulons et de cocktails (plus d'une centaine). Très amochés, ils refluent sous la grêle, protégés tant bien que mal par le SO CGT. En fin de parcours, le cortège autonome s'attaque aux CRS puis aux vitrines, Place de l'Opéra, entouré de centaines de spectateurs sympathisants et rigolards.

Une centaine de vitrines sont descendues.

Les métallos rentrent dans la danse. Ce n'est plus une offensive, c'est un déferlement. Ouvriers et prolétaires, unis par les liens sacrés du pillage dévastent le coeur de la ville. Cocktails et ras l'bol seront utilisés en quantité industrielle. Des voitures brûlent sur tout le boulevard. II y aura quatre heures d'affrontements. Les charges massives ne balayeront que très tard les barricades. A la tombée de la nuit, une centaine d'irréductibles se replient dans la gare de l'Est et s'y barricadent, assiégés par les Gardes mobiles: Des coks en stock avaient été planqués dans les consignes. L'assaut final sera une apocalypse. Résultat des courses: 200 blessés. 116 parmi les CRS (dont deux commissaires divisionnaires) 8 blessés graves parmi les manifestants. 121 vitrines détruites. 54 magos pillés. La totale. Devant l'ampleur des dommages de guerre subis par leurs boutiques, les petits coms exigent l'interdiction des manifs dans la capitale. Les loups sont entrés dans Paris.

24, 25 mars 79 - En riposte à la rafle, quatre commissariats parisiens (inoccupés) sont attaqués au cok Revendiqué par Le groupe d'offensive pour la radicalisation des luttes.

Premier Mai - Des camarades sabotent la traditionnelle Fête de l'aliénation organisée par la charogne stalinienne. Banderole « Arbeit macht frei » au dessus du cortège. Le SO de la Ligue charge les autonomes à plusieurs reprises sur le trajet. A Bastille, ils protégeront les CRS contre les jets de boulons et autres babioles. La Ligue a tort. Les keufs se vengeront sur ses militants. Douze d'entre eux sont grièvement blessés. Dans la soirée, tournée générale de cocktails. Les keufs laissent deux cars enflammés.

Dans la nuit, tapis de bombes sur Paris. Nuit bleue autonome. Une douzaine d'attentats. Entre autres, une permanence UDF, deux commissariats, une ANPE, la Banque Rotschild, le siège du CNPF mitraillé. La Coordination d'actions révolutionnaires revendique la petite sauterie « l'heure est à l'offensive prolétaire ». Les autonomes inorganisés revendiqueront une vingtaine de vitrines brisées dans le 6ème.

23 avril 79 - Meeting à la Mutu organisé par les collectifs autonomes en soutien aux inculpés du 25 mars et du 7 avril. 2 000 personnes. Débat chaotique.

7-8 juin - Actions éclatées. Percée en territoire ennemi. Raid dévastateur sur Passy: Neuf autonomes brisent des vitrines et lancent des coks. "Une seule solution: la dévastation ». Cinq arrestations. Peines d'assises. Trois ans fermes et un an avec sursis.

26 juin - Attentat mystérieux contre les locaux de la coordination des collectifs autonomes parisiens.

Paris, dernière

Mais à l'automne, le mouvement s'essouffle. La période bascule. Le reflux est inévitable. L'Etat a mis en place une logistique de guerre implacable (planques, écoutes, filoches, perquizes, rafles). Il pilonne méthodiquement les positions du mouvement. Privé de centre de gravité, toute une mouvance s'émiette et se dissout. C'est le repli. Le mouvement est entré dans une perspective crépusculaire. Certains manifestent néanmoins la volonté de ne pas laisser s'éteindre les braises au moment où vacille la flamme des révolutions.

L'autonomie sera t-elle emportée dans la débâcle qui ravage la génération de mai ? Se laissera telle aspirer par la dynamique de l'implosion? Qu'adviendra t-il de la nouvelle figure de classe antagoniste confrontée à la glaciation de la vie sociale? Vous l'apprendrez dans un prochain numéro. Si Nogent sur Seine nous prête vie.

CHRONOLOGIE ÉTABLIE PAR CHICO PRAXIS, EX-FAN DES SEVENTIES

AUTONOMIE, LA STRUCTURE QUI CONNECTE

Eléments de définition d'un projet de libération, autonomie et organisation, autonomie ou organisation…

L'Autonomie effectue une inversion radicale des perspectives stratégiques. Elle refuse l'aplatissement idéologique des différences opéré par la politique traditionnelle, reflet d'un mode de production parvenu à une totale hégémonie. Elle n'est pas le but à atteindre mais le mouvement réel des identités différentes exprimant une pluralité de besoins antagoniques à l'état de choses présent. Elle est recomposition de ces identités en un réseau de contre-pouvoirs.

Cela n'implique pas pour autant la réduction o4 l'annulation de la question de l'organisation. Celle-ci doit se poser dans un contexte social et politique profondément modifié. Cela est d'ailleurs arrivé chaque fois que le mouvement radical s'est trouvé (ace à la nécessité d'actualiser sa forme organisationnelle par rapport à une nouvelle réalité historique. Il est aujourd'hui nécessaire d'en finir avec la notion d';" avant garde " s'incarnant dans un parti; seule l'organisation du mouvement peut permettre le maintien de la fonction d'indication politique.

Communauté en mouvement, l'autonomie est le plus petit dénominateur commun de conditions et de situations subjectives différentes qui tendent à la réappropriation de la coopération sociale productive, qui s'affirment et se développent dans la pratique du contre-pouvoir: En ce sens, l'autonomie est immédiatement auto-organisation.

Aujourd'hui, l'auto-organisation devient la structure qui connecte le réseau des contre-pouvoirs, le dispositif de communication des composantes singulières de l'antagonisme. Elle devient une machine politique qui a substitué à la vieille' chai-ne de transmission de l'homogénéisation forcée un réseau de terminaux sociaux qui échangent des langages divers à travers le code d'identification de l'antagonisme.

A travers cette nouvelle catégorie, l'autonomie comme structure qui connecte, il est possible de lire les tendances à la " pratique de l'action directe" comme émergence possible d'un nouveau besoin d'auto-gouvernement par le bas. 'il est possible de recomposer la partialité des luttes dans la physionomie d'un sujet collectif en mouvement qui se pose lui-même au quotidien comme projet social autonome, incompatible avec le système actuel et porteur d'aucune médiation possible.

Contrairement au communisme traditionnel, l'autonomie n'est pas un objectif atteint 'à l'issue d'une période de transition mais subjectivité active, mouvement de la transformation. Elle fait vivre au quotidien des luttes le sens de la société à venir.

STAN LAUREL