Une aventure autogestionnaire
dans le mouvement Freinet

Jean Le Gal

 

De la coopérative scolaire à l’autogestion

Naissance et vie d’une coopérative scolaire

En septembre 1959, après une visite de l’école Freinet de Vence qui m’a fortement impressionné, je me lance avec résolution dans une pédagogie qui m’est totalement inconnue. Pour m’aider j’ai deux ouvrages de Freinet : Les Dits de Mathieu et Les méthodes naturelles de la pédagogie moderne. Fini l’auditorium-scriptorium où l’on reste assis toute la journée ; finies les punitions, finis les classements : place à la démocratie pour mes 35 élèves de C.E.1. J’apprends alors, à mes dépens, que des enfants habitués à obéir ne peuvent user subitement et avec discernement de la liberté... une leçon que je n’oublierai plus ! Ayant pris conscience de la difficulté de la mutation que je leur demande, j’organise progressivement, avec eux, la mise en place d’un travail vivant et motivé. Je m’attache en particulier aux conditions matérielles et aux règles de vie en commun. Dans des discussions libres, nous abordons tous les problèmes qui se présentent à nous. Une à une, les techniques Freinet pénètrent dans la classe au fil de ma propre information et de nos tâtonnements : correspondance, travail individualisé, calcul vivant, journal, ateliers, sorties d’étude du milieu.

Nous voici placés devant la nécessité d’organiser la classe sur une base coopérative, avec une répartition des responsabilités. Dès le deuxième trimestre, une assemblée générale étudie, chaque samedi après-midi, nos succès, nos échecs, nos projets, les conflits. À la fin de l’année, nous avons notre loi, notre "code de coopérative":

Article 1. Chacun apporte sa part à l’œuvre commune : textes libres ; lettres propres et bien illustrées ; effort pour apprendre le calcul afin de pouvoir aider aux comptes de coopérative ; participation au rangement.

Article 2. Chacun respecte les travaux des autres et les outils collectifs.

Article 3. Chacun doit respecter les règles établies par tous : 3 en circulation dans les allées au maximum ; 1 à la bibliothèque ; 1 au bureau du maître ; celui qui est dans un atelier ne peut le quitter sans l’accord du responsable ; on ne peut ni courir, ni stationner dans le couloir ; lorsqu’un camarade parle à voix haute à tous, on se tait, on écoute : au cours d’une discussion, si l’on veut la parole, on la demande au président ; le maître doit respecter aussi la règle ; si le silence est nécessaire au travail, le responsable du travail le demande ; sinon, on parle à voix basse (même règle pour le maître) ; celui qui fait tort à la coopérative ou ne respecte pas les règles devra une réparation.

Article 4. Les droits : Chacun pourra participer à toutes les activités de la coopérative : peinture, bibliothèque, journal, ateliers de calcul, correspondance, enquêtes, études du milieu. Chacun pourra être chef d’équipe, membre du bureau de coopérative, président de coopérative. Chacun pourra écrire ses critiques et ses désirs au journal mural.

Ayant tiré un bilan positif de cette première tentative sur le plan des acquisitions scolaires et des relations et reçu un accueil favorable des parents, je décide de recommencer l’année suivante avec un nouveau groupe d’enfants car l’organisation de l’école ne me permet de garder les mêmes qu’une seule année.

L’année 1960-1961, sera marquée par trois innovations principales fondées sur mes nombreuses lectures et mes contacts avec Freinet et les militants du "groupe Freinet départemental" qui m’ont associé à leurs travaux :

• l’assemblée générale devient conseil de coopérative. Les enfants y établissent leurs lois, jugent les infractions commises, examinent les propositions concernant les activités et les relations au sein du groupe, mettent au point le plan collectif de travail pour la semaine, discutent de leur réalisation.

• le président de coopérative élu est supprimé et remplacé par un "président de jour". C’est une proposition que j’ai faite après avoir découvert l’expérience de Makarenko. Cette institution permet à chacun d’être responsable à son tour. La multiplication des responsabilités amène aussi chacun à être, tour à tour, celui qui dirige et celui qui exécute.

• Nous accueillons des parents dans la classe. J’organise avec eux des réunions, le soir, pour élaborer un nouveau système d’évaluation des résultats, pour discuter d’éducation...

Cette expérience de coopérative scolaire dure jusqu’en juin 1964. La classe entière fonctionne comme une coopérative de travail et de vie. Durant ces cinq années de cours élémentaire, je n’assiste à aucune remise en cause des techniques et outils que j’ai proposés. Cela provient sans doute de deux facteurs :

• le fait que je suis très attentif à l’évolution des techniques, qui s’appuie sur les remarques des enfants mais surtout sur mes observations, mes échanges avec d’autres militants, et mes tentatives novatrices ;

• le temps d’expérimentation par les enfants, une année, est trop court pour qu’ils puissent apporter des changements importants.

Durant l’année scolaire l964-1965, je suis en stage de formation des maîtres de classes de perfectionnement, ce qui me donne du temps pour tirer des enseignements de cette première expérience et commencer la mise en place, avec Pierre Yvin, alors instituteur en classe de perfectionnement, des fondements de notre pratique autogestionnaire. Il est à noter que le terme "autogestion" apparaît aussi cette année-là, dans l’arrêté du 12 août 1964 concernant les "classes de perfectionnement pour débiles mentaux".

Avant de passer de la coopérative scolaire à l’autogestion, il me faut rétablir une vérité historique mise à mal par Georges Lapassade dans un article intitulé : "L’autogestion pédagogique : un dispositif de formation". Parlant de l’expérience de Raymond Fonvieille à Gennevilliers après 1962, il écrit : "À Gennevilliers, l’autogestion pédagogique à l’école primaire, c’est le passage du "conseil de coopérative" au "conseil de classe". Le conseil de coopérative était, dans les techniques Freinet (et aussi pour la "Coopérative Profit", du nom de son fondateur, l’inspecteur Profit) un moment d’autogestion dans la classe, mais pour les activités "dirigées" du samedi après-midi, un peu comme dans l’entreprise l’autogestion se limitait à "l’arbre de Noël" des enfants des salariés. Avec le conseil de classe, toute la classe, disions-nous alors, devenait une "coopérative"..."

Je réfute cette analyse de Georges Lapassade. Je ne sais qui a créé la classe coopérative et le conseil de classe mais, dans mon expérience, dont le démarrage est antérieur à l’expérience de Gennevilliers, le conseil gère bien toutes les activités de la classe, devenue classe coopérative. Or, pour l’organiser, je me suis principalement appuyé sur les conceptions de Freinet et les pratiques des militants de l’I.C.E.M., particulièrement celles des classes de perfectionnement.

Freinet, en 1932, définissait l’orientation à donner : "Théoriquement, si elle est comprise comme un moyen pratique, pour des enfants, de s’organiser librement et de gérer leurs propres intérêts, d’améliorer même leurs conditions de travail, la coopérative n’est-elle pas entièrement recommandable et ne peut-on vraiment saluer cette initiative comme un essai pratique de réaliser l’auto-organisation des écoliers ?" En 1946, il réaffirmera que "par la coopération scolaire, ce sont les enfants qui prennent en main, effectivement, l’organisation de l’activité, du travail et de la vie dans leur école. C’est cela, et cela seul, qui importe.".

En 1928, aux journées pédagogiques de Leipzig, il affirmait déjà : "L’auto-organisation des enfants et le travail communautaire à but social sont la base de la discipline nouvelle". Nous inscrivant dans la filiation des pédagogues libertaires et socialistes, tels Paul Robin, Francisco Ferrer, Sébastien Faure, Makarenko, Pistrak... nous ne pouvions qu’adopter nous-mêmes ce principe d’auto-organisation des élèves pour aller progressivement vers l’autogestion.

Quant au "conseil de classe", c’est un concept utilisé et une pratique déjà courante chez les instituteurs de classes de perfectionnement de l’I.C.E.M., en 1961 : "Qu’on l’appelle conseil de classe, conseil de travail ou conseil de coopérative, c’est un moment privilégié de la classe..", écrivaient Pierre Yvin et Georges Gaudin dans l’introduction à la synthèse d’un échange mené, au sein de l’I.C.E.M., entre une dizaine d’enseignants de classes de perfectionnement, dont Oury et Faligand, durant l’année scolaire 1961-1962.

L’autogestion pédagogique

En 1965, je suis nommé dans une classe de perfectionnement qui accueille des enfants de 10 à l2 ans. Ils resteront dans la classe jusqu’à 14 ans. Ici la dimension "temps" nous est favorable.

Je redémarre avec les mêmes techniques qu’au cours élémentaire, mais, dès le départ, je propose un conseil de classe quotidien animé par le président de jour, en plus du conseil de coopérative hebdomadaire.

Durant les deux premières années, les enfants prennent progressivement en main, avec mon aide, la gestion des activités et des institutions, mais ne les font guère évoluer. Pourtant les capacités d’initiative, de critique, le goût de la liberté, le sens des responsabilités, se sont développés. Aussi, je décide, à la rentrée de 1967, d’être moins participant dans le groupe et, dans un premier temps, de ne répondre qu’à leur demande. C’est une situation que j’appellerai, ultérieurement, l’"autogestion obligatoire", un concept paradoxal. Elle implique que j’accepte non plus un perfectionnement de nos démarches, techniques et outils, mais une remise en cause allant jusqu’à leur abandon s’ils ne répondent plus aux besoins exprimés par les enfants. La décision appartient au groupe. Je viens là, sans doute, de franchir le seuil qui conduit de la coopérative scolaire à l’autogestion. Je vais pouvoir aussi vérifier si le tâtonnement expérimental du groupe, en autogestion, permet bien de dépasser les techniques et institutions initiales que j’avais mises en place. Il serait trop long de présenter, de façon exhaustive, toutes les remises en cause et les évolutions qui ont lieu durant cette année, qui sera marquée aussi par les manifestations de mai 1968. J’aborderai seulement, succinctement, le cas de deux institutions, le président de jour et le conseil de coopérative.

Le président de jour

Dès le jour de la rentrée, le président de jour est réinstallé par les enfants. Chaque matin, ils choisissent parmi les candidats qui se proposent. J’apporte une rupture à ce rituel au bout de quelques jours en ne donnant pas le signal de la rentrée le matin. Les enfants attendent devant la porte :

JLG : "Que faites-vous là ?"

Les enfants : "On attend !"

JLG : "Qu’attendez-vous ?"

Christian : "Que vous nous disiez d’entrer !"

JLG : "La règle ne dit pas que c’est à moi de faire entrer !

Immédiatement, Josée découvre ce qui ne va pas dans le système adopté par le groupe : "Il faudrait choisir un président le soir !"

Cette proposition est reprise au conseil de classe et le président du lendemain est immédiatement choisi.

Mais, quelques jours plus tard, le conseil oublie de choisir un président et, le lendemain, nous perdons du temps pour le lancement des activités. Je propose alors au conseil de classe que nous discutions du président de jour, sa fonction, son choix, les moyens de son fonctionnement... Mais nous ne disposons d’aucun temps pour cela. Guy propose d’utiliser le temps d’un entretien du matin. Nous l’appellerons "conseil extraordinaire".

Le débat nous permet d’affiner notre institution, de prendre des décisions qui seront mises en expérimentation, puis analysées. Ces analyses amèneront de nouvelles évolutions mais l’institution "responsable de jour" ne sera jamais abandonnée.

À ce moment de notre expérience, je vois mieux comment évolue notre système, selon un processus naissance-équilibre-rupture : rupture, non-participation du maître, le premier jour ; naissance, choix par vote du président de jour ; équilibre, consolidation de ce système de choix ; rupture, le maître ne fait pas l’entrée du matin ; naissance, nécessité de choisir le président le soir ; équilibre, consolidation du système ; rupture, oubli de choisir un président le soir ; naissance, nécessité de trouver un système évitant les oublis : liste alphabétique des présidents, suppression du vote.

Notre processus d’évolution permanente a maintenant un outil fonctionnel : le conseil extraordinaire. Il sera réinstitué, chaque année, par les anciens, jusqu’en juin 1991, date à laquelle je quitte la classe de perfectionnement de Ragon à Rezé.

Le conseil de coopérative

Ce conseil va prendre diverses formes au cours de cette année. Pour illustrer l’attitude du groupe et la mienne, je vais décrire une séance d’analyse de cette institution, parmi d’autres : l’analyse de nos institutions et techniques est devenue une pratique habituelle.

Nous sommes en janvier 1968. Les enfants ont programmé, pour le lundi, un conseil de coopérative. Il ne me semble plus répondre à une nécessité profondément ressentie : les propositions sont rares et le président a fort à faire pour secouer l’inertie des participants.

Je demande alors : "Désirez-vous conserver le conseil de coopérative ?". Les enfants, unanimement, veulent le maintenir afin de pouvoir donner leur avis sur les activités et le fonctionnement de la classe. Je propose alors un conseil extraordinaire.

Je suis choisi pour animer ce conseil. Je demande : "À quel moment donnerons-nous notre avis ?". Renée répond : "Il faudrait qu’il n’y ait plus de critiques ; il faudrait qu’il y ait des félicitations. Quand les gens viennent, ils voient les critiques !" (Elles sont écrites sur le journal mural.) Anita : "S’il n’y a pas de critiques, on viendra rapporter." L’argument d’Anita emporte la décision : les critiques sont maintenues.

Gérard propose de les écrire sur un cahier. Après discussion, Annie est choisie pour tenir le cahier des critiques et pour les lire au conseil.

JLG : "Que ferons-nous au conseil ?"

Françoise : "Le travail fait pendant la semaine."

Dominique : "Faire le plan de l’autre semaine ; voir ce que l’on n’a pas fait et les ateliers qui marchent."

JLG : "Quand verrons-nous le cahier des critiques ?"

Françoise : "... Et l’examen des propositions ?"

Gérard : "Sur le journal mural resteront les félicitations et les propositions."

JLG : "Qui est d’accord ?" Douze. "Quand examinerons-nous les propositions ?"

Martine : "On devrait faire tous les deux jours l’examen des propositions." Après discussion, il est décidé que le conseil aurait lieu le vendredi de 14 h 15 à 15 h 15, car les filles travaillent en atelier, avec une institutrice, de 15 h 30 à l6 h 30.

JLG : "Qui présidera le conseil de coopérative ? Ce ne sera jamais moi."

Le premier trimestre, les enfants avaient décidé de choisir Dominique comme président unique, car il leur paraissait seul capable de donner la parole. Il est à remarquer qu’en 1965 ils étaient 14 à vouloir présider : cette décision est la conséquence de la prise de conscience des difficultés d’animation du conseil.

Guy demande qu’il y ait deux présidents, afin de pouvoir se remplacer en cas d’empêchement.

Martine : "Il faut prendre ceux qui n’ont jamais été président..."

Renée : "Non, chacun son tour..."

Guy : "Ceux qui ne président pas bien sont enlevés."

Après discussion, six candidats sont retenus.

Le conseil ne sera jamais remis en cause. Il est une des pièces maîtresses de notre pratique autogestionnaire, avec le conseil de classe quotidien et le président de jour. Mais il continuera à évoluer dans son organisation et son animation. À travers de multiples tâtonnements, nous continuerons à chercher la structure qui permet le mieux à chacun de présenter ses propositions et de donner son point de vue dans les discussions, au groupe de prendre des décisions et de veiller à leur application.

En mai 1968, avant la grève, nous discutons chaque jour des événements. Les enfants prennent alors fortement conscience qu’ils détiennent un pouvoir de se gérer qui est proche de ce que réclament les étudiants.

Ces trois années de recherche m’ont amené à cerner une partie du problème posé par l’évolution du groupe enfants-maître vers l’autogestion, autour de quatre points que nous retrouvons tant pour les activités que pour les institutions de la collectivité : proposer, discuter, décider, appliquer.

Proposer :Qui propose des activités et des institutions ? Le maître (structure directive), les élèves (structure non directive), le maître et les élèves (structure démocratique avec le maître participant) ? Comment ? Oralement, par écrit (journal mural, cahier spécial de propositions...) ? Quand ? Au moment du conseil, à tout moment ?

Discuter :Qui discute ? Les élèves seuls, le maître et les élèves ? Quand ? Chaque jour ? À quel moment de la journée (le matin ou le soir) ? Chaque semaine ? À quel moment de la semaine ? Comment ? Quelle sera la structure de la réunion ? Qui présidera ? Le maître, un élève ? Qui choisira le président, et comment ? Quel sera le rôle du maître ? Participant au même titre que chaque élève, non participant, animateur, président ?

Décider : Qui ? Le maître (structure directive et autoritaire), les enfants seuls (structure non directive), le groupe enfants-maître (structure démocratique avec le maître comme membre du groupe coopératif) ? Comment ? Par vote ? À l’unanimité ? À la majorité (laquelle) ? À main levée ? À bulletin secret ?

Appliquer : Qui ? Le maître ? Les enfants seuls ? Le président de jour ? Un responsable d’activité ? Comment ? Sanctions pour ceux qui ne respectent pas les décisions ? Punitions ? Réparations ? Récompenses ? Ni punitions ni récompenses ? Qui prend les décisions de sanctions éventuelles : le maître, le président de jour, le conseil ?

En mai 1968, je présente aux 150 enseignants de l’assemblée générale du comité de grève autogéré des enseignants de Rezé notre pratique autogestionnaire et mon analyse. Mon schéma "proposer-discuter-décider-appliquer" servira d’ailleurs de grille d’analyse de notre organisation. Je suis mandaté, par la "commission éducation" pour aller présenter notre expérience dans les usines en grève. Et, au moment des élections, je présente l’autogestion à l’école dans un meeting, où sont développées les dimensions politiques, sociales et économiques. J’affirme avec force qu’"il n’y aura pas de socialisme autogestionnaire sans une éducation autogestionnaire et c’est dès aujourd’hui que, à l’école, dans la famille, dans les centres pour enfants, dans les maisons de jeunes, nous devons commencer". La classe doit être la maison des enfants. Ils doivent pouvoir y exercer droits et libertés car "liberté d’expression et liberté d’information, droit de création, libre disposition des outils, sont les points d’appui d’une éducation qui permet à l’enfant de marcher vers son autonomie au sein d’une collectivité en marche elle-même vers l’autogestion...".

Après mai 1968, les pratiques pédagogiques autogestionnaires au sein de l’I.C.E.M. vont fortement se développer. Des "chantiers autogestion" sont créés et des débats, souvent passionnés, ont lieu jusque dans les années 1980. Mais, malgré la permanence des pratiques et des réflexions, le mouvement Freinet, dans son ensemble, n’a jamais intégré l’autogestion comme un principe fondamental. L’expérience autogestionnaire est demeurée le fait des militants les plus engagés dans la mise en place d’une éducation sociale et politique. De nombreux écrits témoignent de ces échanges. On y aborde des aspects théoriques et pratiques : pouvoir, non-directivité, stratégie éducative et part du maître, âge des enfants, apprentissages, institutions, lois... Pour ma part, avec le club Freinet de Loire Atlantique, j’opte pour une formation à l’autogestion à partir d’hypothèses nées de nos observations : "Pour qu’un enfant puisse participer à une expérience d’autogestion, il doit être capable de s’exprimer au sein d’un groupe ; de faire des propositions claires et d’expliciter leurs implications ; de participer aux débats, donc de suivre le fil du discours, de donner son avis ; de faire un choix conscient ; d’analyser une situation globale ; d’animer un conseil ; de respecter des décisions collectives ; de se souvenir des activités."

Avec l’accord du conseil de coopérative, des stagiaires du centre de formation au C.A.E.I. de Nantes participent à notre expérience. Avec les enfants, je mets aussi en place une recherche sur la mémoire des activités de 1973 à 1976. Nous y mettrons au point des outils nouveaux pour l’organisation des "activités à décision personnelle" et des "activités à décision collective".

L’expérience militante de coopérative scolaire et d’autogestion ne pouvait que m’amener à agir pour la promotion des droits de l’enfant et l’exercice du droit de participation.

De l’autogestion au droit de participation

Notre mouvement, par sa philosophie de l’éducation et par ses pratiques de libre expression, d’auto-organisation et de pouvoir collectif et individuel des enfants sur leurs apprentissages et leur vie, témoignait de son attachement aux droits de l’enfant. Mais il se devait d’aller plus loin. Aussi, à son congrès de Nantes, en 1957, il adopte une "charte de l’enfant" en 16 articles qui est transmise aux Nations unies. L’article 15 est significatif de notre conception constante :

"Les enfants ont le droit de s’organiser démocratiquement pour le respect de leurs droits et la défense de leurs intérêts."

En 1983, à son congrès de Nanterre, l’I.C.E.M. organise un "colloque sur les droits et les pouvoirs des enfants et des adolescents". Animateur de la commission "Les enfants, acteurs institutionnels", je demande un statut légal pour la classe coopérative "fondé sur les droits de l’enfant citoyen et ceux d’un éducateur responsable". J’ai d’ailleurs fait parvenir, en 1982, à la demande de notre comité directeur, à Alain Savary, ministre de l’Éducation nationale, un rapport sur l’éducation et la démocratie : "L’expérience des classes coopératives témoigne que les enfants peuvent être les acteurs responsables de leur vie scolaire lorsque le droit et les moyens leur en sont donnés. Une véritable classe coopérative doit être, pour les enfants et les éducateurs, le champ expérimental de l’éducation et de la démocratie. Ils auront ensemble à autogérer les activités, l’organisation et les institutions..."

Je demande la reconnaissance de "l’enfant citoyen"... Demande restée sans réponse...

Aussi, c’est avec joie que je salue l’adoption de la convention internationale des droits de l’enfant, le 20 novembre 1989, et que je m’engage pleinement dans sa mise en œuvre, appuyé par l’I.C.E.M. qui m’en confie la responsabilité. Désormais, l’enfant est une personne à part entière dont la dignité doit être respectée. Il peut prétendre à l’exercice des libertés d’expression, d’association, de pensée, de religion, et au respect de sa vie privée. Il peut prendre la parole, seul et avec les autres, sur les affaires qui le concernent, et participer aux décisions.

L’école ne pourra plus ignorer longtemps, dans son organisation et ses pratiques, les libertés de l’enfant. Elle devra même les lui apprendre et l’aider à exercer sa nouvelle citoyenneté.

Notre expérience autogestionnaire nous permet aujourd’hui de montrer que l’exercice par les enfants d’un véritable droit de participation est possible et d’y former les enseignants "pour pouvoir accompagner les enfants dans leurs tâtonnements sociaux, dans leur processus d’autonomisation, pour savoir poser les limites nécessaires à leur sécurité affective et juridique, pour aider efficacement à la création d’instances collectives de décision et de régulation, il nous semble nécessaire que les stagiaires puissent vivre eux-mêmes l’expérience qui sera celle des enfants au cours de leur formation.

Ainsi, fondée sur les mêmes principes et les mêmes valeurs, de l’éducation coopérative et autogestionnaire aux droits de l’enfant, mon action militante continue.