ECHOUES A CALAIS

Le sort des « réfugiés » de Calais
depuis la fermeture du hangar de Sangatte.

Rapport rédigé par Mélanie Le Verger
En collaboration avec Soheila Mameli


Enquête réalisée auprès de la population étrangère de Calais, du 21 au 23 mars 2003

Equipe composant la délégation de France Libertés à Calais :
Soheila Mameli, chargée de mission
Mélanie Le Verger, chargée de mission
Sabrina Lamy, assistante

Sommaire


Préambule 4
Introduction historique : comment est né « Sangatte » 5
Introduction juridique sur le droit d’asile 6
I- La situation à Calais au 23 mars 2003 8
I-1°Logistique d’accueil 8
I-2°Analyse tirée des témoignages. 9
Les Kurdes d’Irak 9
Les Afghans 10
Autres populations 12
Situation des mineurs 12
II- Les causes de cette situation 12
II-1° Les raisons du choix de l’Angleterre 13
Les conditions d'hébergement espérées en Angleterre 13
Les possibilités d'embauche en Angleterre 13
Présence d’une personne accueillante au Royaume-Uni 14
Passage : un réseau bien organisé 14
II-2° Le refus de rester en France 14
Insuffisance de l’accès aux droits économiques, sociaux et culturels. 14
Les humiliations policières 16
III- La situation à Paris, avril 2003 17
Conclusion 19
Une politique incohérente et lacunaire, comblée par les associations et bénévoles 19
La clochardisation et l’exploitation des demandeurs d’asile 20
Le droit d’asile en péril 20
Une nécessaire solidarité internationale 20
Recommandations 21

Préambule

Le 5 novembre 2002, Nicolas Sarkozy annonçait la fermeture définitive du camp de Sangatte à tout
nouvel arrivant.
D’après lui, la fermeture de ce camp allait automatiquement réduire le flux des réfugiés arrivant
quotidiennement à Calais depuis des années.
Depuis cette date, peu d’information ont circulé et pour la plupart des Français, le problème est bel
et bien résolu.
Un matin, France Libertés a reçu un appel de détresse : une habitante de Calais, bénévole auprès des
« réfugiés », désemparée et découragée nous demandait de leur venir en aide.
Une délégation de France Libertés s’est donc rapidement rendue sur place pour rencontrer les
réfugiés, les membres d’associations locales, et toutes les personnes désireuses de témoigner.
Nous avons poursuivi notre enquête à Paris, dans le 10ème arrondissement, là où certains Kurdes,
Iraniens et Afghans refoulés de Calais se réfugient, dans la clandestinité.
Nous avons également effectué plusieurs demandes auprès de divers foyers hébergeant une partie
des demandeurs d’asile (SONACOTRA), afin de mieux connaître les conditions de vie des
demandeurs d’asile.
Afin de confronter les témoignages, nous avons également demandé à plusieurs reprises un entretien
avec le commissaire de police de Calais, sans jamais obtenir de réponse.
Grâce à ce travail d’enquête, France Libertés présente ce rapport pour alerter l’opinion et attirer
l’attention sur ce que pourrait être la future politique d’asile de la France et de l’Europe.
Notre délégation tient à remercier tous les membres du Collectif de soutien d’urgence aux réfugiés
(CSUR), et particulièrement Véronique Desenclos, Joël Loeuilleux, le père Boutoille, les personnes
qui ont accepté de témoigner de leur travail auprès des réfugiés, et les réfugiés eux-mêmes, qui nous
ont accueillies très chaleureusement.
France Libertés salue les habitants de Calais qui font preuve d’une solidarité sans faille.

Introduction historique : comment est né « Sangatte »

« A chaque fois qu’une minorité ou qu’une ethnie a subi une oppression dans un endroit du monde,
les victimes se sont retrouvées à Calais ». (Véronique Desenclos, présidente de La Belle Etoile)
La situation géographique de Calais fait de cette ville la dernière étape du candidat à l’exil en
Angleterre.
Les habitants de Calais le savent et vivent avec. Ils se sont organisés depuis des années pour faire
face et être solidaires avec des populations fuyant leur pays d’origine et à la recherche d’un
eldorado.
Afghans, Albanais, Kurdes, Somaliens, Soudanais, Tamouls, Tchétchènes, Tibétains… autant de
populations victimes des pires exactions ou des pires conditions de vie.
Dès 1994, l’association La Belle Etoile a pris en charge une partie de l’aide nécessitée par les
personnes étrangères en difficulté à Calais. En 1997, le Collectif de soutien d’urgence aux réfugiés
(CSUR) est né, rassemblant les bénévoles (environ 80) et associations locales venant en aide aux
populations réfugiées à Calais.
C’est aussi en 1997 que le sous-préfet a réquisitionné pour la première fois un local pour
l’hébergement des « réfugiés », alors Roms d’Europe centrale. En 1999, il a confié à la Belle Etoile
la gestion d’un hangar accueillant des Kosovars et des Kurdes, pour une période d’un mois. C’est à
la suite de l’occupation d’un parc, dans des conditions sanitaires déplorables, appartenant au
domaine privé de la commune que le hangar de Sangatte a été ouvert pour la première fois, en août
1999, cogéré par la Croix rouge dès le mois de septembre.
En janvier 2002, le hangar de Sangatte hébergeait environ 1800 personnes, majoritairement
afghanes et kurdes.
A l’origine d’un contentieux anglo-français, et, selon le gouvernement, d’un afflux de « réfugiés »
dans la région, le hangar a été interdit d’accès à tout nouvel arrivant le 5 novembre 2002 puis fermé
à la hâte fin décembre, plusieurs mois avant le terme de la décision initiale.
« La fermeture du camp n’a rien changé, 3000 personnes sont arrivées à Calais depuis le mois de
novembre. Le ministre de l’Intérieur a pris une décision sans se préoccuper du sort de milliers de
personnes, alors que l’hiver arrivait, et que la guerre en Irak menaçait », nous a confié Véronique
Desenclos.
Qui le sait à part les Calaisiens et les milieux associatifs ?
Les rues de Calais « accueillent », depuis la fermeture du camp, entre 200 et 300 personnes en
permanence.
D’après les membres du Collectif de soutien d’urgence aux réfugiés, une dizaine de personnes
arrive encore chaque jour à passer la frontière anglaise.
Pourquoi sont-ils bloqués à Calais? Que signifie cette situation et pourquoi les « réfugiés »
veulent-ils absolument aller en Angleterre ?
Les témoignages des réfugiés et des bénévoles de Calais offrent un point de vue permettant de
répondre à la plupart de ces questions.

Introduction juridique sur le droit d’asile

La convention de Genève définit le droit d’asile en ces termes :

Le terme de réfugié s’applique à toute personne qui, « craignant avec raison d’être persécutée du
fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou
de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait
de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays, ou qui, si elle n’a pas de
nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels
événements, ne peut, ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner. »
Le droit d’asile est un droit fondamental, indépendant des politiques d’immigration. Il est une
protection accordée aux personnes qui se trouvent en danger dans leur pays.
L’asile est traditionnellement et historiquement à lier au caractère universel de la loi, dans l’esprit
de la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen et de la Déclaration universelle des droits de
l’Homme : la loi s’applique à toute personne, sans considération de nationalité, d’origine ethnique
ou sociale, de sexe, de religion… etc. Les personnes dont les droits universels ne sont pas respectés
peuvent trouver protection là où cette loi universelle revêt un sens.
Le droit d’asile a pourtant perdu une partie de son sens, au gré des aléas politiques et des
conjonctures économiques.
La mondialisation, la multiplication des moyens de communication, réelle ou virtuelle, ont facilité
l’échange et l’information.
Mais la peur de l’étranger, l’assimilation des candidats à des envahisseurs, la crise économique, les
besoins de flexibilité du marché, ont conduit les gouvernements à adopter une vision très étroite de
la convention de Genève, la rendant inapplicable à de nombreuses situations nécessitant pourtant
indéniablement une protection.
L’actualité le rappelle aussi presque quotidiennement : entre le 5 et le 10 avril dernier, cinq Kurdes
de Turquie, refoulés du droit d’asile, ont été reconduits en Turquie. Certains auraient été
directement incarcérés pour appartenance au HADEP, un parti pro-kurde modéré mais interdit. Par
ailleurs, plusieurs Afghans auraient été expulsés de France depuis notre visite à Calais, la France
considérant l’Afghanistan comme pacifié.
Rédigée dans un contexte d’après-guerre et de guerre froide, la convention de Genève ne permet pas
en outre d’envisager tous les cas nécessitant une protection de la part d’un Etat d’accueil. Malgré les
recommandations de la Commission européenne, les Etats membres n’ont pour le moment pas
affiché la volonté d’adapter les instruments juridiques de l’asile à ces nouvelles situations. Au
contraire, les « nouveaux conflits » (interethniques, extrémisme religieux, guerres civiles… ) et la
misère économique et sociale, ont provoqué la fermeture progressive des frontières des pays riches,
notamment de l’Europe.
Pourtant, l’Union européenne (UE) n’accueille que 10 à 15% des personnes déplacées dans le
monde. Ce sont les pays les plus pauvres qui accueillent le plus grand nombre de réfugiés.
En France, le nombre de personnes admises au statut de réfugié est passé de 13.586 en 1998 à
5 .185 en 2000, alors que le nombre de demandes a été multiplié par deux depuis 1997. Le nombre
de décisions d’octroi du statut de réfugié a été divisé par 3,5 depuis 1991.

Depuis 1997, les demandes augmentent devant l’OFPRA : 47.291 premières demandes ont ainsi été
déposées en 2001, contre 22.375 en 1998. Les demandes ont augmenté de moitié entre 1997 et
2000, mais leur nombre reste toujours inférieur au niveau atteint en 1989.
Faute de moyens supplémentaires suffisants, la procédure devant l’OFPRA est de plus en plus
longue, deux ans en moyenne, alors que les demandeurs sont quasiment dépourvus de tous droits
économiques ou sociaux.
Refusant de considérer pleinement le problème, les Etats, dont la France, ne se donnent pas les
moyens d’accueillir dignement les réfugiés, tant en droit qu’en fait.
L’Union européenne, comme les Etats la constituant, considèrent l’asile comme un des éléments de
la politique européenne d’immigration. Elle a officiellement défini sa politique lors du Conseil
européen réuni à Tampere les 15 et 16 octobre 1999.
C’est en effet à Tampere que les Etats de l’UE ont décidé la mise en place d’un « régime d’asile
européen commun, fondé sur l’application intégrale et globale de la convention de Genève », et
comportant « une méthode claire et opérationnelle pour déterminer l’Etat responsable de l’examen
d’une demande d’asile. »
Deux textes communautaires encadrent actuellement la « politique de l’asile » en Europe. Les
accords de Shengen, signés le 19 juin 1990 et entrée en vigueur le 26 mars 1995 et la convention de
Dublin, signée le 15 juin 1990. Le premier instaure une libre circulation des personnes à l’intérieur
de l’espace Shengen. Par conséquent, les personnes en provenance de la Turquie via l’Italie par
exemple, ne subissent pas de contrôle à la frontière franco-italienne. Par contre, dans la mesure où le
Royaume-Uni n’a pas signé ces accords, l’espace de libre circulation s’arrête à la frontière
franco-britannique. En vertu d’un accord passé entre les deux Etats, la France veille à la sécurité de
cette frontière.
La convention de Dublin instaure un « mécanisme de détermination de l’Etat responsable du
traitement d’une demande d’asile » qui s’est substitué, en 1997, à celui établi par la convention de
Shengen. Ce mécanisme rend l’Etat par lequel une personne a transité seul responsable de la
demande d’asile. Par conséquent, une personne passant par la France pour aller dans un autre pays
devra déposer une demande d’asile en France, ce qui l’interdira d’en déposer une autre dans un
autre pays.
La Commission européenne a, depuis le sommet de Tampere, fait plusieurs propositions de
directives pour mettre en place une véritable harmonisation des droits de Etats membres. Ayant
vocation à établir un ensemble de normes minimales et tentant une adaptation des instruments de
protection des personnes déplacées à des situations plus actuelles, les propositions de directives de
la Commission sont pour le moment interprétées de façon restrictives voire détournées par certains
Etats de l’Union, notamment par la France, dont le ministre de l’Intérieur prépare à cet effet un
projet de réforme du droit d’asile.

I- La situation à Calais au 23 mars 2003

D’après les bénévoles distribuant les repas, environ 250 personnes viennent chaque jour se nourrir
au hangar Paul Devot de Calais.
Le camp de Sangattte a été fermé mi décembre 2002. Depuis, les associations locales et les
bénévoles s’épuisent à prendre en charge les réfugiés.

I-1° Logistique d’accueil

Le Collectif de soutien d’urgence aux réfugiés gère presque seul la vie des personnes étrangères en
difficulté à Calais.
La Belle Etoile, association de coordination du collectif, a reçu le soutien financier du conseil
régional et de la municipalité de Calais.
Le Secours catholique distribue des repas. Depuis peu, France Libertés participe financièrement aux
dépenses alimentaires.
A Calais, quatre lieux sont mis à la disposition des réfugiés :
- Quai de la Moselle, un algeco accueille une permanence composée de trois personnes : un
représentant de la sous-préfecture, un représentant du CSUR et un interprète officiel.
La Belle Etoile distribue aux réfugiés un livret « demander l’asile en France », traduit en plusieurs
langues. La Préfecture a également édité un document informatif permettant aux personnes de
connaître leurs droits.
Les repas sont distribués à cet endroit entre 14 et 17h (4 midis sur 7 par le Secours Catholique, 3 par
La Belle Etoile). Le repas est distribué dans des sachets individuels comprenant du pain, du
fromage, des œ ufs durs, des fruits, des boissons et un bol de soupe chaude.
La camionnette de Médecins du monde sert de salle d’attente aux consultations des infirmières et
médecins bénévoles du Secours Catholique.
- Hangar Paul Devot : distribution des repas le soir, entre 17h et 19h.
- Eglise Saint-Pierre/Saint-Paul : distribution de vêtements, chaussures et couvertures les jeudis et
samedis. Les associations étaient lors de notre visite à court de vêtements chauds pour la première
fois depuis la fermeture du hangar de Sangatte.
- Eglise Notre-Dame : dans le jardin privé du presbytère, mise à disposition de douches (70 par jour)
et sanitaires dans le jardin. D’après les témoignages des membres du CSUR, certaines personnes
n’avaient pas pris de douche depuis 25 jours. Véronique Desenclos nous a dit qu’il n’était pas
possible de faire fonctionner plus de 70 douches, à cause des nuisances sonores causées au
voisinage par le groupe électrogène. EDF a en effet refusé de mettre à la disposition du collectif les
moyens nécessaires à l’alimentation électrique, refus vivement critiqué par les associations.
Tous ces endroits se situent dans le quartier nord de Calais, à quelques minutes à pied les uns des
autres. La distribution des repas a lieu dehors.
Aucun lieu ne leur permet de se reposer un moment. Après la fermeture du camp, les personnes à la
rue se réfugiaient dans les blockhaus longeant la côte mais tous ont été murés sur ordre des autorités
pour interdire ces abris de fortune.
Les plus chanceux sont hébergés pour la nuit dans les caves des maisons des habitants de Calais
(environ 70 personnes par nuit, les plus vulnérables : femmes, mineurs, personnes dont la santé est
fragile). La grande majorité d’entre eux dort donc dehors (cabanes de pêcheurs sur le port, cabines
téléphoniques, chantiers sur le port, champs à l’extérieur de la ville… ). La fermeture du centre de
Sangatte est intervenue en plein hiver, sans considération pour les personnes qui allaient arriver.
Rien n’a été prévu par les autorités pour venir en aide aux personnes en difficulté. Le soir même de
la fermeture du hangar, 80 personnes étaient sous la pluie, dans le froid et l’incompréhension la plus
totale.
Les personnes se trouvant à Calais et souhaitant demander l’asile bénéficient d’un traitement
accéléré de leur requête : elles sont transportées à la Préfecture et peuvent ainsi rapidement déposer
leur dossier à l’OFPRA. La Préfecture leur trouve en priorité un hébergement dans un centre
d’accueil .
Cinq mois après la fermeture de Sangatte, aucune demande d’asile n’avait obtenu de réponse de
l’OFPRA, alors que le gouvernement avait promis un traitement dans les trois mois à ces demandes.

I-2° Analyse tirée des témoignages.

La délégation de France Libertés se composaient de trois personnes qui ont interrogé une trentaine
de Kurdes, une trentaine d’Afghans, une dizaine d’Iraniens et deux Soudanais. L’envie de se
confier, le fait de pouvoir parler leur langue et d’être écoutés était très perceptible. Les questions se
sont donc très vite transformées en conversation., nous avons donc surtout écouté des récits.

Les Kurdes d’Irak

Les Kurdes en provenance d’Irak bénéficiaient d’une « garantie » de non expulsion, et le taux
d’acceptation de leurs demandes d’asile était, en 2001 de 62 %.
Lorsque nous étions à Calais, les Kurdes d’Irak bénéficiaient d’une procédure accélérée dans le
traitement de leur demande d’asile. Lorsqu’ils ont rempli un premier questionnaire auprès de la
permanence de la sous préfecture et du CSUR, un véhicule de La Belle Etoile les conduit
directement à la Préfecture pour déposer une demande de dossier.
En moyenne, cinq personnes par jour se présentent avec la volonté de faire une demande d’asile
pour rester en France. Plusieurs dizaines de Kurdes ont ainsi déposé une demande d’asile.
L’âge moyen du groupe était d’environ 25 ans, sauf deux personnes qui semblaient avoir la
quarantaine. Nous avons constaté la présence d’un enfant très jeune (âgé d’environ dix ans) en
compagnie de son père et nous avons entendu dire que la mère était également à Calais avec un
enfant plus jeune. Cependant la grande majorité était célibataire, et de sexe masculin ; en fait, nous
n’avons pas vu de femmes.
La plupart des personnes interrogées venaient de la région autonome kurde sous protection
anglo-américaine, notamment des villes de Sulémania et d'Erbil. Tous parlaient le dialecte sorani.
Nous sommes arrivées à Calais le lendemain de la rafle policière, embarquant plus de 100 personnes
vers des destinations imprécises. La plupart des candidats au départ vers la Grande-Bretagne étaient
issus des milieux ruraux.
Du point de vue professionnel, il y avait des commerçants, des vendeurs, des paysans et des
ouvriers. Le niveau scolaire nous a paru moyen, voire élémentaire.
D’après les témoignages recueillis, le parcours classique pour arriver jusque Calais est le suivant : le
Kurdistan d’Irak, la Turquie, la Grèce, l’Italie, la France, via Cannes. Quelques uns ont choisi
l’itinéraire passant par l’Ukraine. Deux personnes nous ont dit être arrivées directement par bateau
de la Turquie à Marseille.
La filière des passeurs semble être très bien organisée et le recours à un passeur est régulier.
Les motifs du départ sont les suivants :
- les atrocités du régime irakien à l’encontre des Kurdes ;
- la crainte d’une nouvelle guerre en Irak et la peur d’une répression farouche contre les Kurdes par
le régime irakien ;
- l’incertitude de l’avenir politique de la région kurde ;
- l’instabilité politique et les conflits entre les partis kurdes ;
- la présence des groupes islamistes tels que Junde-el-Islam ;
- la volonté de vivre dignement avec le droit de travailler, afin de se construire un avenir.

Les Afghans

Lorsque l’équipe de France Libertés est arrivée sur place, le 21 mars, les Afghans n’avaient plus la
possibilité de faire une demande d’asile auprès des services préfectoraux de Calais depuis plusieurs
semaines, en violation de la convention de Genève selon laquelle toute personne a le droit de
déposer une demande d’asile. Chaque demande doit être étudiée et il est interdit de refuser une
demande en fonction de critères préétablis reposant par exemple sur la nationalité. L’une des
exigences de la convention est le traitement individuel de chaque demande.
Le gouvernement, par le biais de l’Office des migrations internationales (OMI), offre une aide au
retour aux Afghans : le voyage pour l’Afghanistan est gratuit et 2000 euros étaient offerts à chaque
personne.
D’après les témoignages recueillis, aucun Afghan n’a accepté cette aide au retour. La plupart des
Afghans avec qui nous avons parlé ironisaient même sur cette proposition : « On n’a pas fait tout ce
chemin et payé si cher pour revenir à la case départ. »
Le caractère déshonorant d’un retour était également un facteur majeur du refus de cette aide. Les
« réfugiés » nous ont en effet dit la honte qu’ils éprouveraient en cas de retour, alors que bien
souvent, leur famille avait payé un prix élevé pour permettre à l’un de ses membres de quitter le
pays.
Le 2ème jour de la mission, un agent de liaison avec le Haut Commissariat aux Réfugiés (HCR)
était présent pour annoncer que les Afghans, grâce à la pression exercée par le HCR pouvaient de
nouveau effectuer leurs démarches de demande d’asile à Calais. L’agent de liaison était également
sur place pour informer les Afghans de l’existence d’une aide au retour et pour les informer que ce
droit serait de courte durée puisqu’ils étaient déjà expulsables.
Depuis le 1er mars 2003, les Afghans sont en effet officiellement expulsables. L’Afghanistan étant
considéré comme pacifié par les autorités françaises, le gouvernement se réserve la possibilité
d’expulser les ressortissants Afghans entrés ou séjournant irrégulièrement sur le territoire français.
Les Afghans étaient en général plus jeunes que les Kurdes présents. La plupart déclarent avoir quitté
leur pays par crainte des persécutions. La majorité des Afghans rencontrés venaient de Kaboul et du
nord est du pays, ils étaient principalement Tadjiks (parlant le dari) et Hazarahs (de confession
chiite).
Certains Afghans étaient partis depuis des mois, voire des années, s’arrêtant dans plusieurs pays
étapes, comme l’Iran, la Turquie, l’Italie, l’Allemagne.
De nombreux jeunes hommes disaient être partis d’Afghanistan au moment où les Taliban étaient
encore au pouvoir.
La plupart d’entre eux souhaitaient avant tout pouvoir s’épanouir, en travaillant ou en faisant des
études. Ils refusaient de rester dans un pays détruit sans aucune perspective d’avenir à court terme.
Leur niveau scolaire était variable. Les jeunes de Kaboul avaient un niveau collège-lycée, certains
parlaient anglais. Les jeunes de la région nord, plus rurale, semblaient avoir une éducation d’un
niveau inférieur et faisaient preuve de plus de timidité.
Du point de vue professionnel, leurs activités en Afghanistan allaient de celles de lycéen à celles de
commerçants et artisans (boulangers, coiffeurs, restaurateurs, menuisiers… ).
Un grand nombre de mineurs afghans non accompagnés composaient le groupe : Joël Loeuilleux,
président de la Ligue des droits de l’Homme locale, a accueilli chez lui un jeune réfugié afghan. Son
témoignage fait prendre conscience de l’ampleur et de la gravité de certaines situations.
Agé de 15 ans, l’adolescent vivait à Kaboul. Son père a été assassiné devant lui par les Taliban et
deux de ses frères ont péri dans l’explosion d’un bus. Il est parti avec sa mère en Iran. De retour à
Kaboul, sa mère est morte dans l’explosion d’une bombe sur un marché et il est arrivé seul à Calais
en janvier 2003. Un de ses frères, âgé de treize ans, vit encore à Kaboul. Le 3 janvier, la police aux
frontières lui a délivré un sauf-conduit. Il a alors été emmené à Soissons par la police mais est
revenu seul à Calais, pour tenter le passage vers l’Angleterre. Un soir, alors qu’il s’apprêtait à passer
la nuit dehors près du quai de la Moselle, Joël Loeuilleux et sa femme l’ont hébergé chez eux.
Depuis, il y est resté et le couple a engagé la procédure permettant de lui faire acquérir la nationalité
française.

Autres populations

Parmi les autres populations rencontrées, deux Soudanais ont témoigné, fuyant leur régime, dans
une situation d’isolement et de détresse profonde. Ils refusaient de demander l’asile en France. Pour
eux, courir le risque d’attendre deux ans pour une réponse incertaine était impensable. Rester en
France sans titre de séjour ne semblait pas non plus avoir été envisagé. Les deux personnes
prétendaient ne pas se connaître, mais disaient avoir des relations avec des personnes habitant
Londres.
Un groupe d’une dizaine d’Iraniens, jeunes hommes de 20-25 ans, est venu également témoigner.
Le manque de libertés et la violation systématique de nombreux droits fondamentaux étaient les
principaux motifs invoqués de départ. Le manque de perspective et l’impossibilité de mener une vie
normale, notamment pour leur femme, ont été invoqués pour expliquer l’exil.

Situation des mineurs

Le nombre important de mineurs non accompagnés présents parmi les réfugiés a été un fait
marquant. L’agent de liaison avec le HCR a d’ailleurs confié qu’il était très préoccupé par leur sort
et celui de centaines de demandeurs d’asile mineurs et non accompagnés en France. Il venait ce jour
là à Calais notamment pour informer les autorités préfectorales qu’un mineur de 16 ans a le droit de
demander seul l’asile. Par contre, en tant que mineurs, ils ne peuvent être hébergés dans les CADA
traditionnels (Centres d’accueil pour les demandeurs d’asile). Or, en France, il n’existe que deux
centres spécialisés dans l’accueil des demandeurs d’asile mineurs isolés ce qui équivaut à environ
80 places pour 200 à 300 demandes d’hébergement. Les mineurs sont donc hébergés dans des
foyers de jeunes délinquants, ils sont confrontés à une situation souvent difficile que certains ne
surmontent pas.
En Europe, le cas des mineurs isolés devient un véritable enjeu, faisant l’objet d’une réflexion et de
propositions de la Commission Européenne.
A Calais, les mineurs sont le plus souvent accueillis chez les habitants. Véronique Desenclos a
demandé la mise en place d’un système d’accueil d’urgence : une liste de familles a été établie et
acceptée par le Procureur de la République.
Un foyer d’accueil pour les mineurs isolés devrait être mis à leur disposition. L’Etat a en effet le
devoir de prendre sous sa protection des mineurs isolés.

II- Les causes de cette situation

Même si les raisons du choix de l’Angleterre sont très difficiles à distinguer, les témoignages
recueillis à Calais permettent de classer les raisons en deux catégories.
Il y a des raisons qui tiennent aux conditions de vie qui les attendent en Grande-Bretagne, ou du
moins celles dont ils ont eu connaissance, et les conditions d’accueil qu’ils ont connues en arrivant
en France, qui les poussent à quitter le pays.
Certains étaient dès le départ déterminés à se rendre en Angleterre, pour une ou plusieurs raisons.
D’autres par contre, souhaitent surtout quitter la France qui n’a pas donné aux « réfugiés », selon
eux, la possibilité de rester sur le territoire dans des conditions acceptables.

II-1° Les raisons du choix de l’Angleterre

Les conditions d'hébergement espérées en Angleterre

Les « réfugiés » de Calais semblaient renseignés sur les conditions d’accueil de l’autre côté de la
Manche, jusqu’à récemment meilleures qu’en France, notamment sur le plan de l’hébergement.
Pour les « réfugiés», la question du logement est en effet fondamentale, comme l’explique Smaïn
Laacher : « Le logement va stopper la privation d’un abri, les mettre à l’abri de l’arbitraire, leur
permettre de se reconstituer, en un mot de se re-posséder (… ). Il(s) ser(ont) identifié(s) et
identifiable(s). »
Cependant, les informations données par les « réfugiés » étaient souvent erronées et pouvaient être
perçues comme une image parfois « dorée » des conditions d’accueil en Grande-Bretagne. En
discutant avec les plus âgés d’entre eux, il semblait que le fait de croire l’Angleterre accueillante
relevait plus d’un espoir les empêchant de se décourager que d’une certitude fondée.

Les possibilités d'embauche en Angleterre

Ce sont souvent des raisons très pragmatiques qui poussent la population réfugiée de Calais à
vouloir passer en Angleterre. Le groupe nous a dit avoir dépensé entre 5 500 et 9 000 US$ pour
arriver à Calais. L’entreprise semble familiale : les frais de départ sont supportés par les familles.
Tous ont évoqué l’endettement de leur famille et la nécessité de rembourser les dettes. Le retour au
pays n’est envisagé qu’à condition d’avoir réussi à rembourser les dettes, et suffisamment
d’économies pour se faire une « situation » au pays ; notamment par l’achat d’un logement au
Kurdistan.
Tous nous ont dit qu’à Londres, ils trouveraient vite le travail qui leur permettrait de rembourser
leur(s) dette(s) rapidement. Souvent, en s’arrêtant quelques mois en Turquie ou en Iran, ils ont déjà
commencé à rembourser leur dette. L’assurance de trouver un travail rapidement en Angleterre les
détermine donc à vouloir s’y rendre. Jusqu’il y a très récemment, les demandeurs d’asile en
Angleterre avaient le droit de travailler légalement.
Au delà des informations détenues sur les droits au travail et à un logement en Angleterre, jusqu’à
présent plus avantageux qu’en France, deux éléments étaient systématiquement invoqués comme
des facteurs déterminants : l’importance de leur communauté sur le territoire britannique et
l’organisation du passage en Angleterre.

Présence d’une personne accueillante au Royaume-Uni

Tous ceux que nous avons interrogés veulent aller en Grande-Bretagne parce qu’ils prétendent y
avoir des relations familiales ou amicales.
Pour les Afghans comme pour les Kurdes d’Irak, leur communauté est beaucoup plus présente à
Londres qu’en France.
L’opposition au régime de Saddam Hussein se trouvant pendant longtemps sur le sol britannique,
une grande population irakienne et kurde s’y est réfugiée. Le réseau des passeurs est par conséquent
bien organisé et permettait jusque là aux réfugiés de passer assez facilement la frontière.
Quant à la communauté afghane, elle s’est beaucoup plus concentrée au Royaume-Uni qu’en France
ces dernières années et aujourd’hui, les jeunes ayant quitté le pays souhaitent y retrouver un oncle,
un cousin, un frère ou une personne provenant de la même région qui lui permettra dans un premier
temps d’avoir un toit et de trouver facilement un travail.

Passage : un réseau bien organisé

A notre question sur la présence de passeurs dans le groupe, ils répondent par la négative :
« il n’y a pas de passeurs parmi nous, ils sont tous partis avec les gens de Sangatte ». D’après les
membres du CSUR que nous avons rencontré, les passeurs se fondent à cette population pour mieux
travailler et rester discrets. D’après l’Abbé Boutoille, qui accueille chez lui un jeune homme kurde,
le réseau serait de plus en plus organisé. Aujourd’hui, de nombreux réfugiés seraient ainsi en attente
de faux passeports pour embarquer sur un ferry ou prendre l’Eurotunnel, vêtu d’un costume et bien
apprêté. Mais le passage coûte très cher, environ 1500 euros, c’est peut être pour cette raison que
tous les soirs, certains tentent de passer par leurs propres moyens.
Un autre réseau permet aux personnes de transiter par la Norvège pour tenter le passage vers
l’Angleterre.
D’après les membres du CSUR, 10 personnes en moyenne arrivent tous les jours à passer la
frontière.
Le retour dans leur pays d’origine est envisagé seulement si, après avoir remboursé leur dette et
« amorti » les dangers encourus, ils auraient la possibilité de vivre dignement dans leur pays.
« Nous avons vu des gens qui, déboutés du droit d’asile en Grande-Bretagne, au bout de 4 ans, sont
de retour au Kurdistan. Ils ne regrettent rien, parce qu’ils ont remboursé leurs dettes, et acheté au
15
moins une maison au pays ».
Le retour au pays leur semble inimaginable, le facteur d’honneur est très souvent évoqué. Même
rester en France est considéré comme un échec aux yeux des « candidats ».

II-2° Le refus de rester en France

Insuffisance de l’accès aux droits économiques, sociaux et culturels.

En France, les demandeurs d’asile n’ont cessé de voir leur accès aux droits économiques et sociaux
restreint, pour ne quasiment plus exister aujourd’hui. En 1989, trois droits au bénéfice des
demandeurs d’asile avaient été supprimés : l’aide au logement, les prestations familiales et l’accès à
la formation professionnelle rémunérée. En 1991, le gouvernement supprime la possibilité de
travailler aux demandeurs d’asile, marquant la fin de toute possibilité de vivre autrement que dans
l’assistanat. C’est le début du phénomène de « clochardisation » des demandeurs d’asile.
Légalement, un demandeur d’asile a des droits en matière de logement et de sécurité sociale.
Chaque demandeur d’asile est normalement hébergé dans un centre d’accueil spécialisé (CADA ou
SONACOTRA). Mais actuellement seulement 8000 places sont disponibles dans ces foyers, alors
qu’en 2002, plus de 47 000 demandes ont été déposées à l’OFPRA.
Les autres bénéficient d’une allocation d’attente de 304 euros par mois, versée en une seule fois. Il
existe aussi une allocation d’insertion de 282 euros par mois, pour une durée maximale d’un an. Ces
revenus sont largement insuffisants pour assurer aux demandeurs d’asile une vie digne.
Actuellement, de nombreux demandeurs sont hébergés dans des foyers pour SDF, ou sont à la rue.
A Paris, les refoulés de Sangatte et de Calais se rassemblent dans plusieurs quartiers : 10ème et
13éme arrondissements. Les associations caritatives qui distribuent des repas à Paris ont constaté
l’augmentation de personnes venant chercher un repas, elles sont pour la plupart kurdes. Certains
partenaires de France Libertés, comme par exemple le Comité des Sans Logis, disent accueillir de
plus en plus de personnes fuyant leur pays, et susceptibles de bénéficier du statut de réfugié. Mais
souvent, les délais devant l’OFPRA sont tellement longs que les demandeurs potentiels se
découragent.
France Libertés poursuit actuellement son enquête dans ces quartiers et également dans les centres
d’accueil, afin de mieux connaître les réelles conditions de prise en charge des demandeurs d’asile
en France.
De nombreux jeunes hommes rencontrés à Calais étaient revenus de CADA ou SONACOTRA,
refusant d’y vivre en attendant une réponse de l’OFPRA. Certains d’entre eux avaient été hébergés
dans un centre, mais les conditions étaient telles qu’ils avaient préféré partir et tenter leur chance en
Angleterre. D’après certains réfugiés, ils se seraient retrouvés placés dans des lieux peu accueillants
et l’idée d’y rester toute la durée de la procédure leur était insupportable : « j’ai mieux à faire et
personne ne s’occupait de moi. On m’avait promis des cours de français, des formations, je n’ai rien
eu de tout cela, nous étions laissés là, nous n’avions rien à faire que d’attendre que ça se passe, avec
des toxico et des gens avec qui je me sentais mal l’aise, j’ai préféré partir. ».
« A cinq heures du matin, on vous met dehors, il fait encore nuit », « on nous met avec des drogués,
on risque de le devenir, ce n’est pas pour cela que nous avons quitté notre pays.»
La jeunesse des « réfugiés » de Calais doit être prise en compte pour comprendre pourquoi certains
ont préféré quitter les centres. A 20 ans, un jeune homme a besoin d’activités, physiques et
intellectuelles. Il cherche à construire sa vie, souhaite peut être apprendre un métier ou commencer
des études. Il ne peut rester oisif en attendant la réponse de l’OFPRA, or en France, il ne peut pas
travailler et tous les demandeurs n’ont pas accès à une formation.
D’autres personnes ont dit avoir été accueillies convenablement dans les centres, mais étaient
toujours déterminées à traverser la Manche.
« En France, il faut attendre très longtemps avant d’avoir la réponse définitive et même si le statut
est accordé, qu’allons nous faire avec 300 Euros par mois et pendant un an, et puis, en attendant,
qu’allons nous devenir ? »
La question de l’accès à l’alphabétisation, à l’éducation, et à la formation est essentielle dans la
réflexion autour des conditions d’accueil des demandeurs d’asile.

Les humiliations policières

Outre les mauvaises conditions dénoncées par les « réfugiés », les comportements policiers font
l’objet de fortes critiques à Calais, tant par les membres du CSUR que par les « réfugiés ».
La présence policière dans Calais et aux alentours est massive. Un fourgon est posté en permanence
devant la gare, les voitures sillonnent la ville de façon quasi constante.
La majorité des personnes en difficulté à Calais séjournent irrégulièrement sur le territoire français.
Elle sont donc susceptibles d’une arrestation. Les témoignages recueillis à Calais sont concordants
sur un point : les arrestations se multiplient. Lorsque nous sommes arrivées à Calais, une centaine
de Kurdes avaient été arrêtés la veille, il régnait donc une tension et une angoisse parmi les réfugiés
qui attendaient des nouvelles des personnes embarquées.
Les « réfugiés » ainsi arrêtés n’étaient jusque-là pas expulsables (ce n’est plus le cas des Afghans et
il plane de sérieux doutes concernant les Kurdes d’Irak depuis la fin de la guerre). Par conséquent,
l’arrestation n’implique aucune conséquence sur le séjour en France de ces personnes. Les Kurdes
d’Irak par exemple, sont arrêtés puis relâchés, quelques heures ou parfois quelques jours après. De
nombreux « réfugiés » se sont plaints de la brutalité des arrestations et surtout de l’acharnement
policier. Un jeune Afghan de 17 ans nous a confié s’être fait arrêté trois fois la veille, pendant la
nuit. Souvent, la police arrête les « réfugiés » et les conduit à plusieurs dizaines de kilomètres, dans
une autre ville ou en pleine campagne, afin de les tenir éloignés un temps de la frontière.
Immanquablement, les personnes reviennent à pied Calais, pour tenter à nouveau leur chance.
Même des mineurs non accompagnés ont été ainsi éloignés de Calais.
Las des arrestations à répétition et des longs trajets à pied, certains « réfugiés » ont, sous la pression
indirecte des policiers, effectué les démarches pour faire une demande d’asile, non pas par volonté
de rester en France, mais par souci d’éviter une nouvelle arrestation. En effet, lorsqu'ils ont effectué
les premières démarches auprès de la préfecture pour demander asile en France un « sauf conduit »
(autorisation provisoire de séjour) leur est délivré, les réfugiés l’appellent ironiquement la « green
card », à cause de sa couleur. Muni de ce document, les « réfugiés » ne peuvent plus être arrêtés, du
moins pendant la période au cours de laquelle ils doivent déposer leur dossier à l’OFPRA.
Cette pratique est défavorable aux personnes qui souhaitent vraiment demander l’asile en France
dans la mesure où elles les privent d’une place déjà rare dans les CADA ou SONACOTRA. Mais
c’est pourtant la seule susceptible d’éviter de nouvelles arrestations, en attendant le passage vers
l’Angleterre.
Peu après la fermeture de Sangatte, les policiers surveillaient les « réfugiés » pendant leur repas,
autour des lieux d’accueil mis en place par le CSUR. Les membres du collectif ont dénoncé cette
pratique qui plaçait les personnes étrangères dans une situation de surveillance et de traque
constantes. Ils ont obtenu que la police se tienne éloignée de ces lieux au moins pendant les heures
de distribution (repas, vêtements, douches).
Les membres du CSUR et les bénévoles de Calais se sont interposés plusieurs fois entre les
étrangers et les policiers, pour éviter de nouvelles arrestations. Aujourd’hui, les relations entre ces
personnes et la police sont très tendues.
Par ailleurs, les autorités françaises ont pris des mesures pour limiter le passage : des fils barbelés
entourent l’Eurotunnel. Un « réfugié » afghan avait les mains blessées par ces barbelés. Il nous a
aussi confié que des alarmes avaient été placées et que dès qu’une personne s’approche du tunnel,
l’alarme se met en route.
C’est au risque de leur vie que les candidats à l’exil tentent de monter dans les trains en marche. Les
dispositifs ne freinent pas leur détermination. Ils ont traversé des pays, des épreuves difficiles et rien
ne les arrête.
La présence policière autour du tunnel et près de la zone d’embarcation des ferries est constante et
importante.
L’épuisement physique était perceptible chez certains, mais nous avons constaté une très grande
détermination, beaucoup de dignité et de courage. Le sentiment d’humiliation était général : «nous
ne voulons rien de la France, mais que la police nous laisse tranquille », «c’est comme dans le
dessin animé Tom et Jerry. Nous sommes les souris et la police le chat », «nous avons honte de
nous, qu’avons-nous fait pour mériter cela ? », «nous voulons tout simplement vivre librement et
avoir le droit de travailler », «nous ne demandons aucune charité, aucune aide, seulement la liberté
de gagner la Grande-Bretagne ». Certains vont jusqu’à comparer le comportement de la police
française au sort subi par la population kurde en Irak : «nous avons deux ennemis : Saddam et la
police française ».
Beaucoup de propos violents ont été prononcés, reflétant le malaise grandissant de cette population
humiliée.

III- La situation à Paris, avril 2003

Depuis la fermeture du hangar de Sangatte, les « réfugiés » venant du Kurdistan irakien, d’Iran,
d’Afghanistan et d’autres pays qui ne sont plus hébergés à Calais viennent à Paris, ils se réunissent
dans le 10ème arrondissement.
La concentration d’associations kurdes (Turquie) dans cet arrondissement de Paris explique que les
réfugiés kurdes s’y réunissent.
Leur nombre est difficile à déterminer mais il est raisonnable de parler d’une centaine de personnes.
Leurs parcours sont variés. Nous avons retrouvé quelques personnes que nous avions rencontrées à
Calais. De nombreuses personnes reviennent en effet de Calais, las d’attendre le passage vers
l’Angleterre, découragés par la barrière policière.
Les populations réfugiées dans ce quartier, et plus particulièrement dans le square Alban Satragne,
sont jeunes, entre 17 et 25 ans. Ce sont pour la plupart des Kurdes d’Irak, les plus âgés sont souvent
iraniens.
Nous avons croisé un couple de Kurdes d’Irak, arrivé depuis trois jours. Certains « réfugiés » sont
arrivés depuis plusieurs mois en France. Certains ont passé l’hiver à Paris.
Dans le 13ème arrondissement de Paris, en face de l’université de Tolbiac, de nombreux Kurdes se
seraient réfugiés dans une rue souterraine, pour dormir à l’abri du froid pendant l’hiver Nous nous
sommes rendues dans ce quartier et un concierge ainsi que des habitants ont confirmé cette
information et ont aussi dit avoir distribué des couvertures pendant l’hiver à des personnes sans abri
d’origine étrangère, principalement Sri lankaises, Kurdes et Africaines.
L’accueil qui leur est réservé à Paris, n’est pas meilleur que celui de Calais. Les « réfugiés » du
10ème que nous avons interrogé le 18 avril n’avaient qu’un morceau de pain en guise de déjeuner.
Certains vont demander à manger aux mosquées du quartier. Le soir, les « réfugiés » se rendent
dans les lieux de distribution de repas organisée par le secours populaire, les Restos du cœ ur… etc.
mais ces distributions s’arrêtent pour la plupart à la fin du mois d’avril.
La Mie de Pain, dans le 13ème arrondissement de Paris, assure l’hébergement, la douche et le repas
du soir à plus de 400 personnes par jour. Au mois d’avril, les centres d’accueil pour SDF de Paris,
dont la mie de pain, étaient tous remplis. Le 30 avril, la mie de pain ferme ses portes jusqu’à l’hiver
prochain, des centaines de personnes n’auront d’autre choix que dormir dans la rue.
L’engorgement de ces centres ou foyers d’accueil est en partie due à l’afflux de « réfugiés » venant
de Sangatte à Paris. Il y a eu un transfert évident, absolument pas pris en compte lors de la décision
de fermer le hangar de Sangatte.
Les personnes « réfugiées » dans le square ont le même profil que les personnes rencontrées à
Calais. Certaines sont toujours déterminées à quitter la France ou à rejoindre à tout prix
l’Angleterre, pour le mêmes raisons.
Nous avons rencontré des « réfugiés » qui avaient été refoulés d’Allemagne ou d’Angleterre, en
vertu de la convention de Dublin. Ces personnes, reconduites en France, ne sont pas pour autant
prises en charge par les autorités. Un Iranien, demandeur d’asile, avait obtenu un rendez-vous à la
Préfecture pour le mois de juillet. En attendant ce rendez-vous, il était contraint de dormir dans les
foyers d’hébergement pour SDF mais préférait dormir dehors. « Je n’ai pas pu fermer l’œ il de la
nuit, il y avait des puces partout, je préfère dormir dehors ».
Les problèmes de santé, et notamment les maladies de peau sont répandues parmi ces « réfugiés ».
Un homme plus âgé, ingénieur iranien, nous a confié que ces jeunes couraient de graves dangers :
« Les jeunes qui sont dans la rue depuis plusieurs semaines commencent à avoir de mauvaises
fréquentations, la prostitution, les vols… tout peut arriver dans la rue »
Un collectif a été créé pour soutenir cette population, mais beaucoup d’obstacles restent à
surmonter. Il tente de trouver des solutions satisfaisantes pour ces « réfugiés », mais quelques
bénévoles et membres d’associations ne suffisent pas, d’autant que de plus en plus de Kurdes
souhaitent demander l’asile en France. Au fil des permanences organisées par le collectif, à
proximité du square, nous constatons que de plus en plus de Kurdes viennent à nous pour s’informer
sur les démarches permettant de demander l’asile.
Le réseau de passeurs semble très bien organisé et certains réfugiés disent se rendre en Norvège, en
train. Les mineurs, qui sont nombreux, sont souvent sous leur influence. Un mineur de moins de 16
ans, alors que le Comité des Sans Logis lui avait trouvé un hébergement, s’est enfui juste avant de
partir, interpellé par une personne le dissuadant de nous suivre. Les Kurdes du 10è arrondissement
sont très méfiants, même vis-à-vis des bénévoles et membres du collectif, ils craignent d’être arrêtés
par la police, ce qui arrive régulièrement.
Les jeunes hommes qui vivent dans la rue depuis des semaines ont souvent vécu des moments très
difficiles, ils sont physiquement marqués, ce qui complique les démarches auprès du service de
l’aide sociale à l’enfance, très méfiant, et une expertise osseuse est systématiquement demandée par
le service.
L’épuisement et la grande méfiance des « réfugiés » complique également leurs démarches. Ils ont
passé souvent plusieurs frontières, et ont parfois été interrogé plusieurs fois sur leur parcours. Ils
sont las de répéter leur histoire. Alors qu’ils se trouvaient au service de l’aide sociale à l’enfance,
deux nous ont confié ces propos :« On a eu tellement d’ennuis qu’on ne veut plus les raconter, on
n’a même pas parlé de notre enrôlement dans l’armée de Sadam. »
L’un d’eux avaient des marques d’impact de balles dans le bras. Il y a pourtant peu de chances
qu’ils soient pris en charge par l’Etat.

Conclusion

Une politique incohérente et lacunaire, comblée par les associations et bénévoles

Plusieurs questions ont été soulevées par les membres du CSUR et les réfugiés eux-mêmes :
pourquoi la France empêche-t-elle ces personnes de quitter le territoire? Et pourquoi alors ne pas
leur offrir des conditions d’accueil dignes en France ?
Les « réfugiés » comprenaient mal la situation. D’abord parce que jusque-là, ils n’avaient pas
rencontré d’obstacles à leur parcours. « Pourquoi on nous laisse entrer en France mais pas en
sortir ? » nous ont-ils demandé. Ensuite, parce qu’ils ne demandaient rien à la France, pas même le
droit d’y rester. Enfin, parce qu’ils se sentaient traités comme des délinquants dangereux.
Les discussions avec les bénévoles, membres du CSUR, ainsi qu’avec les agents officiels,
amenaient aux mêmes questions : pourquoi à la fois prôner la libre circulation dans un espace, et
instituer un mécanisme d’asile empêchant cette liberté ? Pourquoi ne pas laisser le choix aux
demandeurs de leur pays de destination dans l’espace européen ? Que gagne la France à mobiliser
sa force policière pour empêcher le passage vers l’Angleterre ?
La situation de Calais s’étend aujourd’hui à de nombreuses villes du nord de la France, comme du
Sud. Fermer les yeux ou camoufler le problème ne le résout pas, bien au contraire. Jusque là, les
associations et bénévoles de Calais, comme d’autres villes, font preuve d’un élan de solidarité
exemplaire, mais ils s’épuisent. Grâce à eux, les réfugiés ne sont pas obligés de mendier ou de
commettre des infractions pour pouvoir manger. Grâce à la solidarité, la ville de Calais est « sûre ».
Pourtant, sous prétexte de sécurité, c’est l’inverse qui pourrait se produire : d’abord pour les
réfugiés eux-mêmes, en proie à tous les dangers comme les jeunes du 10ème arrondissement,
ensuite pour les habitants de villes frontières, qui pourraient être débordées par l’afflux de
personnes errantes.

La clochardisation et l’exploitation des demandeurs d’asile

D’après François Julien-Laferrière, les conditions déplorables d’accueil des demandeurs d’asile et la
quasi absence de droits économiques et sociaux « officiellement justifiées par ²l’effet d’appel d’air²
que provoquerait un statut trop protecteur, donc trop attractif, et les abus qui en découleraient-non
seulement contribuent à dégrader l’image des demandeurs d’asile et à dévaloriser le droit d’asile
lui-même, mais en outre incitent certains à recourir à des expédients tels que le travail au noir ou,
plus graves, les trafics divers ou la prostitution. »
Les demandeurs d’asile sont donc de plus en plus assimilés aux étrangers en situation irrégulière,
s’ajoutant au nombre de travailleurs clandestins, dont les filières sont particulièrement bien
organisée et dont le travail peu rémunéré satisfait à de nombreuses entreprises, notamment de
travaux publics.
Les chiffres de demandes d’asile depuis la suppression de la plupart des droits économiques et
sociaux des demandeurs montrent également que la demande d’asile ne dépend pas de conditions
d’accueil, mais plutôt des conditions de vie dans le pays d’origine. En effet, si les demandes ont
baissé entre 1991 et 1997, elles ont augmenté depuis, sans que les conditions d’accueil se soient
améliorées, bien au contraire.

Le droit d’asile en péril

Le projet de Loi du ministre de l’intérieur est préoccupant, parce qu’il poursuit la politique en
commencée à Calais. Les lignes communes adoptées par le Conseil européen constituent un
ensemble de normes minimales en deçà duquel les Etats ne peuvent aller. Elles ne constituent donc
absolument pas un plafond, bien au contraire, c’est d’ailleurs la raison pour laquelle les normes ont
été prises sous la forme de directives, instruments juridiques les moins contraignants de l’Union
Européenne.
Au lieu d’appliquer les propositions de la Commission européenne tendant à compléter le statut de
réfugié et de l’adapter à l’actualité, par l’instauration d’une protection subsidiaire, le les 15 de
l’Union Européenne, et le ministre de l’Intérieur les interprètent de façon à les vider de leur sens et à
supplanter le droit d’asile, droit fondamental.

Une nécessaire solidarité internationale

Les « réfugiés » de Calais et de Paris que nous avons rencontrés ne sont pas des réfugiés
économiques, ce sont des jeunes qui ont quitté un pays dans lequel ils souffraient d’un manque de
libertés, d’une absence de perspectives d’avenir et souvent d’une peur face à l’incertitude politique
de leur pays. Ils ont donc choisi de quitter leur pays pour des raisons autres que purement
économiques. Ils souhaitent par contre pouvoir choisir le pays où ils vont s’installer un temps, et ils
le choisissent en fonction de critères souvent économiques : la possibilité de trouver rapidement un
emploi en fait partie. En France, ils doivent attendre deux ans sans être sûr d’obtenir un statut et
sans pouvoir travailler. Ils préfèrent aller dans un pays qui leur offre plus.
Le terme de réfugié économique est de plus en plus utilisé, parce qu’il est indéniable que certaines
personnes, non persécutées dans leur pays, vivent dans des conditions économiques insupportables
qui les poussent à tout quitter. Les droits économiques, sociaux et culturels ont la même valeur que
les droits civils et politiques, ils sont, d’après la déclaration de Vienne de 1993, indivisibles et
universels. La prise en compte de ces droits dans un régime de protection se justifie pleinement et
implique également que l’on permette aux demandeurs d’asile de pouvoir jouir de ces droits dans le
pays d’accueil.
C’est aussi et surtout en agissant directement sur les causes de l’exil que la situation peut être
améliorée.
C’est donc par la solidarité internationale, dans les pays d’où viennent les réfugiés et dans nos pays
riches que la solution peut et doit être trouvée.
« La solution satisfaisante des problèmes dont l’Organisation des Nations Unies a reconnu la portée
et le caractère internationaux, ne saurait (… ) être obtenue sans une solidarité internationale. »
(Préambule de la convention de Genève relative au statut des réfugiés)

Recommandations

France Libertés recommande aux autorités françaises :
- de respecter l’article 13 de la déclaration universelle des droits de l’Homme et l’article 2 du
4ème protocole additionnel à la convention européenne des droits de l’Homme en vertu
desquels « Toute personne est libre de quitter n’importe quel pays. » ;
- de donner aux demandeurs d’asile l’accès aux droits économiques et sociaux pour leur permettre
de vivre dignement, cela passe notamment par la reconnaissance du droit au travail, et par
l’accès à l’alphabétisation et à la formation professionnelle ;
- de donner aux demandeurs d’asile la possibilité de pouvoir être hébergés dignement pendant
toute la durée de la procédure, avec une priorité urgente au bénéfice des mineurs isolés :
- de donner à l’OFPRA des moyens de traiter les demandes d’asile dans un délai raisonnable ;
- d’ouvrir des lieux d’accueil dans les villes de passage où les demandeurs d’asile potentiels sont
susceptibles d’arriver ;
- de compléter le statut de réfugié politique par un statut bénéficiant aux personnes nécessitant
une protection mais ne relevant pas de la convention de Genève, dans l’esprit des propositions
initiales de la Commission européenne ;
S’agissant du projet de réforme du droit d’asile actuellement en cours, France Libertés s’associe aux
recommandations de la Coordination française pour le droit d’asile.