Au-delà de Kronstadt - les bolcheviks au pouvoir1

Mark

 

Le contrôle ouvrier avant la guerre civile. La démocratie soviétique avant la guerre civile. La démocratie soviétique pendant la guerre civile. La Terreur rouge. 1921 : la révolte ouvrière et Kronstadt. La descente au fond du 'stalinisme'. Les trotskystes et les bolcheviks au pouvoir.

Introduction

La compréhension de la révolution russe est essentielle pour saisir pourquoi la gauche a échoué au 20e siècle. Pourtant la plupart des discussions parmi les révolutionnaires ne dépassent jamais la dispute habituelle au sujet de la rébellion de Kronstadt. La crise actuelle de la gauche a contraint à la révision des positions dans quelques cercles mais bon nombre d'entre nous continuent à faire face à l'isolement en se raccrochant à ses traditions respectives. Les anarchistes et les communistes libertaires soulignent les politiques autoritaires de bolcheviks, les accusant de l'échec de la révolution, tout en sous-estimant les difficultés de construire une nouvelle société dans un pays isolé et dévasté par la guerre civile. En revanche, les trotskystes mettent en cause ces conditions matérielles exclusivement pour ce qui touche la dégénérescence de la révolution, écartant la plupart des critiques de gauche des bolcheviks comme donnant des arguments à la droite.

Cependant, il semble aller de soi qu'il y avait des facteurs idéologiques et matériels présents dans la dégénérescence de la révolution, et toute évaluation sérieuse des événements devrait tenir compte de ces deux facteurs. Malheureusement dans les rares occasions où le débat pourrait être poussé plus loin, comme lorsque Maurice Brinton a débattu avec Chris Goodey dans la revue Critique, la discussion n'a jamais été poursuivie.

C'est particulièrement malheureux parce que, depuis les années 80, il y a eu une littérature toujours plus abondante sur l'histoire sociale de la période : ainsi un travail comme le livre de S.A. Smith sur les comités d'usine ou l'ouvrage de William Rosenberg et de Jonathan Aves sur les vagues de grève de 1918 et de 1921. Bien que beaucoup d'historiens sociaux aient de la sympathie pour les bolcheviks, beaucoup de leur travail a été négligé par la gauche. Néanmoins un ex-membre des Socialistes internationaux, Sam Farber, a utilisé une partie de ce matériel pour fournir une critique intéressante, même si elle reste imparfaite, des bolcheviks dans le livre Before Stalinism - The Rise and Fall of Soviet Democracy. ("Avant le stalinisme - Essor et chute de la démocratie soviétique"). Ce livre complète le travail antérieur de Carmen Sirianni, Workers' Control and Socialist Democracy; The Soviet Experience ("Le contrôle ouvrier et la démocratie socialiste. L'expérience soviétique"), en analysant non seulement les aspects économiques mais également les dimensions politiques du pouvoir bolchevik.

Cet article est aussi une autre tentative de renouer avec cette histoire sociale pour contribuer au développement d'une politique révolutionnaire qui puisse échapper aux tragédies du socialisme au 20e siècle. Il veut démontrer que la politiques bolchevik était problématique dès le début. En 1917 Lénine a soutenu que, étant donné que le capitalisme privé ne pourrait pas développer la Russie, un Etat révolutionnaire devrait employer le "capitalisme d'Etat"pour établir les prolégomènes d'une transition vers le communisme. Cette approche était toujours susceptible d'entrer en conflit avec la classe ouvrière. Puis, alors que la révolution n'arrivait pas à s'étendre en dehors de la Russie, les bolcheviks ont imposé une discipline bien plus stricte aux ouvriers, abandonnant dans les faits l'insistance de Marx sur "l'auto-émancipation de la classe ouvrière ".

Ce concept d'"auto-émancipation" implique que la classe ouvrière peut uniquement créer le communisme par sa libre action et en défendant la révolution par elle-même. Ainsi l'action des ouvriers exerçant un contrôle quotidien sur chaque aspect de la société constitue en elle-même l'essence du processus révolutionnaire. Les compromis considérables avec les idéaux de l'auto-émancipation étaient inévitables dans les conditions handicapantes de la révolution russe, mais l'ampleur de tels compromis est le point à partir duquel une révolution prolétarienne est défaite. Cet article souhaite montrer que les 'compromis' faits par la direction bolchevik étaient si opposés à l'auto-émancipation ouvrière que la responsabilité principale des révolutionnaires d'aujourd'hui devrait être de remplacer plutôt qu'imiter leurs théories politiques. Ceux qui défendent les crimes du capitalisme n'ont aucun droit à critiquer la politique bolchevik mais les révolutionnaires ont le devoir de le faire.

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1917

L'effondrement de l'autocratie tsariste pendant la première guerre mondiale a mené à une explosion de nouvelles institutions populaires, des coopératives jusqu'aux organismes culturels. En octobre 1917 il y avait 900 conseils ouvriers ou Soviets, exerçant leur contrôle sur tout, du logement aux hôpitaux. Il y avait également plus de 2.000 comités d'usine élus qui étaient bien plus puissants parce qu'ils avaient été obligés de diriger les propriétaires d'usine et la production.

Le parti bolchevik était éclipsé par ces organes et a été souvent dépassé par la radicalisation rapide des ouvriers. Cependant, à la différence des mencheviks réformistes ou des socialistes-révolutionnaires (SR) orientés vers les paysans, il n'avait pas adhéré au gouvernement provisoire répressif; un régime qui s'était totalement déconsidéré par son échec à maintenir le nouveau de vie, à autoriser les occupations de terre ou à rétablir la paix. La franchise et la souplesse du parti bolchevik lui ont permis d'exprimer le désir des ouvriers d'instaurer un gouvernement de tous les partis soviétiques. Le 25 octobre, il a organisé le renversement du gouvernement provisoire et a installé un gouvernement des soviets dirigé par Lénine.1

LE CONTROLE OUVRIER AVANT LA GUERRE CIVILE

Une fois installée au pouvoir, le souci dominant de la direction bolchevik était la renaissance de l'industrie pour maîtriser une société en crise et en grande partie féodale. À cet effet, ils ont proposé de nationaliser les plus grands groupes, laissant au commencement le reste de l'industrie en l'état de propriété capitaliste, avec à côté le gouvernement et le contrôle ouvrier. C'était en accord avec les arguments de Lénine d'avant Octobre selon lesquels "le socialisme est simplement le monopole capitaliste d'État qui est créé pour servir les intérêts de l'ensemble du peuple et a cessé dans ce sens d'être un monopole capitaliste. "

Plus tard, il a dit, "nous reconnaissons seulement une voie - les changements par en bas; nous avons voulu que les ouvriers eux-mêmes, par en bas, élaborent les nouveaux principes économiques de base." Mais, comme la Deuxième internationale dont il était issu, Lénine n'a jamais développé une théorie cohérente de l'autogestion ouvrière, tendant à préconiser seulement l'"inspection ", la "comptabilité et le contrôle" par les ouvriers des décisions des autres.2 Ainsi dès le premier jour du nouveau gouvernement, Lénine a demandé à l'ex-menchevik Larine de commencer des pourparlers avec les capitalistes pour édifier des trusts capitalistes d'Etat. Il rencontra également les chefs, principalement bolcheviks, du Conseil central des comités d'usine de Petrograd (CCCUP) pour discuter leur proposition d'un Conseil économique suprême central (CES) chargé de coordonner l'économie. Lénine était intéressé par leur proposition mais refusa de la rendre officielle et à la place rédigea un décret qui soulignait les problèmes de la direction exercée par les ouvriers locaux que les comités d'usine de Petrograd tenaient déjà pour assurée. Ce décret affirmait que les décisions des comités lieraient les employeurs mais il indiquait également qu'elles pourraient être annulées par les syndicats.3

En novembre (1917), le document de Lénine était devenu un décret officiel en vertu duquel les comités d'usine étaient maintenant assujettis au Conseil (pan-russe) du contrôle ouvrier (CCO). Cet organisme était dominé par les représentants des soviets, des coopératives et des syndicats. Il a par conséquent émis des instructions qui subordonnaient les comités aux syndicats et déclaraient que les employeurs, et non les comités, contrôlaient la production.

Les chefs des comités d'usine ont accepté ce décret officiel mais ils ont ignoré le CCO. Ils ont alors publié des instructions tout à fait différentes qui exigeaient que les décisions des comités soient obligatoires pour la gestion et que les comités s'unissent en une hiérarchie de fédérations pour coordonner l'économie. Ces instructions ont reçu un appui considérable parmi les ouvriers et les bolcheviks. Cependant, Lénine ne les a jamais officialisées et en décembre son gouvernement avait mis en place sa propre version du CES. Cet organisme avait une minorité de représentants des comités, aucune vraie responsabilité devant les comités et il fut toujours éclipsé par le pouvoir des commissaires du peuple.4

Ces divergences à propos du contrôle ouvrier ont eu lieu dans un contexte d'approfondissement de cette même crise économique qui avait en premier lieu provoqué la révolution. Les ouvriers de Poutilov semblent avoir fait la grève dès décembre (1917) et les nouvelles autorités bientôt caressèrent l'idée d'accroître la discipline. Elles essayèrent d'interdire l'alcool. On a déjà une idée des conceptions de Lénine, seulement neuf semaines après Octobre, dans un projet d'article où il écrit : "pas un simple gredin (y compris ceux qui tirent au flanc) ne doit rester en liberté, mais il doit être jeté en prison, ou purger une peine de travail forcé dans sa forme la plus dure... [Pour] purifier la terre russe de toute sa vermine… En premier lieu, une dizaine de riches, une douzaine de vauriens, une demi-douzaine d'ouvriers tirant au flanc (à la manière de voyous, à la manière dont beaucoup de typographes de Petrograd, en particulier dans les imprimeries du parti, sabotent leur travail) devront être jetés en prison... En quatrième lieu, un oisif sur 10 sera fusillé sur place."

Avec la fin de guerre, les bolcheviks se trouvaient maintenant gérer l'effondrement de beaucoup d'industries de guerre à Petrograd. Il y eut une vague importante de crimes, et en janvier 1918 une diminution drastique de la ration de pain conduisit à un exode en masse de Petrograd pour trouver quelque nourriture. En attendant, la politique de maintenir les propriétaires capitalistes dans les usines encourageait des conflits qui en retour ne faisaient qu'aggraver cette crise. Les propriétaires de plus en plus refusèrent de se soumettre au contrôle ouvrier. Ils sabotaient la production ou s'enfuyaient, forçant ainsi les comités à prendre en charge un certain nombre d'usines et à exiger leur nationalisation. Cependant, incapable de prendre la responsabilité de la gestion de chaque usine, le nouveau gouvernement s'opposa fortement à ces actions et fit des tentatives répétées de proscrire les prises en main non autorisés. Au printemps (1918), seulement seize usines de Petrograd avaient été formellement nationalisées.5

LA MORT DES COMITÉS D'USINE

Les comités d'usine avaient créé les gardes rouges et avaient été les premiers organismes ouvriers à soutenir la politique des bolcheviks en 1917. Impliqués dans le fonctionnement au jour le jour des usines, ils avaient également plus d'expérience dans la gestion de l'industrie, et, comme S.A. Smith l'indique, les chefs des comités étaient "la section du parti la plus déterminée à encourager un système de planification économique centrale". Néanmoins les syndicats eurent tôt fait de persuader Lénine que les comités péchaient par trop de localisme et devraient leur être subordonnés.6

Il y avait certainement des cas de localisme, des comités vendant les stocks de l'usine ou amassant des ressources. Mais le CCCUP a essayé résolument de contrer ces tendances. Il a distribué matériaux et carburant et mis en place des organisations chargées de prodiguer des avis techniques. Il y avait des conseils semblables dans cinquante autres villes et un congrès national avait élu son centre pan-russe dès Octobre. En outre les comités n'étaient pas peu disposés à imposer la discipline au travail et un certain nombre d'entre eux utilisa même les gardes armées pour imposer l'ordre. Toutes leurs instructions officielles spécifiaient la conservation des spécialistes techniques et certains sont parvenus à doubler ou tripler les niveaux de production par rapport à ceux de 1916 et au-delà. En effet c'est principalement grâce aux efforts du CCCUP que l'industrie de Petrograd ne s'est pas effondrée totalement en hiver (1917).7

Le CCCUP connut des problèmes graves pour faire face à la crise, tout comme d'ailleurs les commissaires du peuple et le CES. Ces organismes avaient peu de connaissance de la situation locale et ont souvent donné des ordres contradictoires, encourageant aussi les usines d'ignorer le centre. En d'autres termes, les tentatives du gouvernement de centraliser menaient dans les faits au localisme.8

En janvier (1918), le congrès des syndicats approuva les instructions du CCO et réclama une reconstruction industrielle basée sur l'investissement étranger et le taylorisme. Le dirigeant bolchevik Zinoviev explicitement rejeta le droit de grève et demanda au congrès de "proclamer les syndicats organismes d'Etat". Le chef syndical bolchevik Riazanov également invita les comités d'usine à choisir le "suicide" et une semaine plus tard la direction du parti persuada la dernière conférence des comités d'usine de dissoudre les comités dans les syndicats.9

Bien que les chefs des comités d'usine aient accepté cette absorption par les syndicats, ils n'ont toujours pas voulu être subordonnés à eux et leur conférence proposa que les comités eux-mêmes devraient élire les instances syndicales. Elle réaffirma les propositions d'un contrôle ouvrier plus radical et exigea la nationalisation complète de l'industrie. Cependant, à cette époque, le gouvernement avait davantage le souci de tenter d'installer des trusts conjointement avec les capitalistes, et un certain nombre de bolcheviks étaient même favorables à une reprivatisation des banques. Dans les faits, il se heurta à une forte opposition des ouvriers métallurgistes et de la forte fraction communiste gauche du parti bolchevik, au point de rompre en avril (1918) les négociations avec les propriétaires de l'industrie métallurgique.10

LES TROTSKYSTES ET LE CONTROLE OUVRIER

L'attitude de la direction bolchevik envers les comités d'usine et l'autogestion est un exemple classique de la pensée limitée développée par le marxisme dans la Deuxième internationale. Pourtant, aucun trotskyste contemporain n'a jamais eu le moindre doute sur leur programme dès le départ capitaliste d'Etat, et tout simplement dénigrent les comités comme localistes. Dans Critique n° 4, Goodey reconnaît que les comités ont voulu construire un appareil économique centralisé. Mais il argue du fait également que, s'il y avait une bureaucratie embryonnaire en 1917, les comités en étaient vraiment une partie. Il précise que les chefs des comités ont souvent avec succès résisté à la réélection, que beaucoup ont soutenu la centralisation pendant la guerre civile et que certains sont devenus des partisans de Staline. En d'autres termes, l'isolement de la révolution a encouragé des tendances bureaucratiques à chaque niveau et celles-ci ne devraient pas être mises sur le compte des chefs bolcheviks.

Ce sont des arguments percutants. Mais ils n'excusent pas le fait que tous les plans de la direction bolchevik étaient considérablement moins démocratiques que ceux des comités ou que la direction n'a pas insisté sur la démocratie au sein des comités. L'action des comités a certes dégénéré mais il en est de même de l'attitudes des fonctionnaires de chaque partie du nouvel Etat, y compris Lénine et Trotsky. Goodey évite de reconnaître que leurs vues étaient aussi limitées par les conditions historiques que celles des chefs de comités.

Les comités également ont employé une très sévère discipline. Mais au moins ceci comportait un élément d'autodiscipline bien différent de ce qui était imposé par l'Etat. En outre, les comités présentaient une capacité d'essayer de créer un système d'autogestion qui aurait ralenti le processus de la dégénérescence. C'est ce que le bolchevik Tsyperovich indiquait en 1927 : "ce sont plus que quelques anciens membres des comités d'usine qui pensent, que les comités... ont contenu, par essence, assez pour un développement ultérieur de leurs cadres originels."11

D'autres trotskystes laissent entendre qu'il était juste de laisser de côté les comités d'usine parce que les soviets étaient plus représentatifs de l'ensemble de la population. Non seulement cette approche sous-estime le déclin rapide de la démocratie soviétique elle-même, mais suggère que la séparation d'avec les moyens de production pourrait avoir été sensiblement réduite en permettant aux ouvriers de participer de temps en temps à la planification nationale. Pourtant les gens auraient souffert des mêmes relations au travail que sous le capitalisme. Certainement on ne peut édifier le communisme dans un seul pays.

Toutefois il devrait être évident pour les marxistes que les capitalistes peuvent conserver un pouvoir considérable, qu'il y ait ou non une démocratie formelle, en possédant les moyens de production, mais les ouvriers peuvent seulement agir ainsi s'ils contrôlent démocratiquement la production.

LÉNINE DEBAT AVEC LES COMMUNISTES DE GAUCHE

Le traité de paix de Brest-Litovsk céda les trois quarts du fer et du charbon de l'Etat soviétique à l'Allemagne et, au printemps 1918, la moitié de la main-d'oeuvre de Petrograd était sans emploi. Alors il se développa tout un débat sur la façon de survivre à cette crise tout en attendant la révolution en Occident. Lénine a argué du fait que "nous devons 'suspendre' notre offensive" sur le capital parce que la priorité était d'organiser la production dans les entreprises déjà expropriées. Il a commença à faire campagne pour 'la gestion d'un seul" au travail, proclamant qu'il n'y avait "absolument aucune contradiction de principe entre la démocratie soviétique (c'est-à-dire socialiste) et l'exercice d'un pouvoir dictatorial par les individus." Il écrivit aussi : "nous devons apprendre à combiner la démocratie de 'la réunion publique' exercée par les travailleurs - turbulente, houleuse, débordant de ses rives comme une inondation printanière - avec une discipline de fer pendant le travail, avec l'obéissance sans réplique à la volonté d'une seule personne."12

Aucun des chefs communistes de gauche, tels que Boukharine, Préobrajenski, Radek, Bela Kun ou Osinsky, n'avait soutenu les comités d'usine mais leur approche n'était pas différente. Osinsky arffirma que le programme de Lénine de combiner des "capitalistes et centralisation semi-bureaucratique", avec "le travail obligatoire" mènerait "à la centralisation bureaucratique, au pouvoir des différents commissaires, à la perte de l'indépendance des soviets locaux, et dans la pratique au rejet du modèle de l'"Etat-Commune" administré par en bas." Ayant présidé le CES, Osinsky saisissait la profondeur de la crise économique mais il préconisait néanmoins un système alternatif de démocratie économique basé sur les Conseils économiques.13

Malheureusement Lénine a écarté ses arguments. Dans "Infantilisme de gauche et mentalité petite-bourgeoise", il écrit : "tandis que la révolution en Allemagne est encore lente 'à pointer son nez', notre tâche est d'étudier le capitalisme d'Etat des Allemands, de faire tout le possible pour le copier et de ne pas se priver d'adopter des méthodes dictatoriales pour en accélérer le copiage. "

En mars (1919), les bolcheviks résolurent d'adopter "des mesures impitoyablement résolues, et draconiennes" d'intensifier la discipline et Lénine affirma que "les peines [pour des infractions à la discipline du travail] pourraient aller jusqu'à l'emprisonnement". Les autorités nommèrent des commissaires pour diriger un certain nombre d'usines et elles introduisirent des méthodes "dictatoriales" pour tenter de contenir la crise des chemins de fer. Préobrajenski répondit en avertissant "que la dictature des individus s'élargira … de l'économie jusqu'au parti communiste russe", et en mai quelques communistes de gauche étaient en effet expulsés.14

Il fallut la menace des capitalistes de transférer la propriété de leurs entreprises aux Allemands en vertu du traité de Brest-Litovsk, mais aussi le déferlement de troubles ouvriers, pour contraindre finalement le gouvernement à annoncer en juin (1919) la nationalisation des grands secteurs de l'industrie. Toutefois, la nationalisation a souvent mené les comités d'usine à limiter leur action à leur rôle originel de surveillance, et, une fois la guerre civile en cours, en décembre, il fut décidé de faire toute la gestion par le haut.15

LA DÉMOCRATIE SOVIÉTIQUE AVANT LA GUERRE CIVILE

A la différence de son attitude envers l'autogestion, la direction bolchevik a réclamé un engagement à l'égard de la démocratie soviétique. Leur dissolution de l'Assemblée constituante peut se justifier comme défense de cette démocratie et leur coalition avec les SR de gauche reçut un appui dans tout le pays. Néanmoins dans son étude d'un de soviets locaux de Pétrograd, Alexander Rabinowitch précise que "la détérioration des pratiques démocratiques... a commencé presque immédiatement après Octobre." À un niveau plus élevé le gouvernement central a seulement soumis une petite partie de ses décrets au comité exécutif central du soviet national. Quatre-vings pour cent des plus hauts bureaucrates avaient été fonctionnaires avant la révolution et T.H. Rigby indique que les changements structurels étaient à peine plus grands que ceux accompagnant parfois des changements de gouvernement dans les systèmes parlementaires occidentaux." 16

En dépit d'une certaine opposition, les autorités commencèrent à absorber les milices ouvrières dans l'Armée rouge à partir de janvier 1918. Lénine supprima la condition de l'enrôlement volontaire et, après l'échec de contenir l'armée allemande, Trotsky essayait bientôt de dissoudre les comités de soldats et de mettre fin à leur droit d'élire les officiers.

En attendant, une crise économique désespérée conduisit en hiver à une chute significative du soutien aux bolcheviks. Les effectifs du parti temporairement chutèrent de 70 % et l'augmentation concomitante du soutien aux mencheviks et aux SR entraîna que les membres de ces partis furent chassés de quelques soviets. Ceci peut avoir été justifié pour les SR mais, bien que les mencheviks aient été très hostiles au nouveau régime, la plupart d'entre eux s'étaient cantonnés dans une opposition non violente. En effet, les bolcheviks ont eu une certaine difficulté trouver des justifications pour interdire leur presse et ils tentèrent de le faire en arguant simplement qu'ils avaient parlé des conflits entre les ouvriers et le gouvernement.17

Il n'est pas étonnant que les mencheviks et les activistes SR aient alors soutenu que les soviets n'étaient plus représentatifs et en mars ils avaient mis en place une "Assemblée des représentants d'usine" à Petrograd. Ses délégués ont reporté la responsabilité entière de la crise économique des comités d'usine au gouvernement et même à toute l'"expérience du socialisme soviétique". Riazanov nota sarcastiquement que la situation semblait être à l'opposé de celle régnant une année auparavant et la représentation bolchevik dans le soviet de Kronstadt tomba de 46 à 29 %. Le parti perdit au printemps également chaque élection enregistrée tenue dans les capitales provinciales, et l'historien anti-bolchevik Vladimir Brovkin prouve que les bolcheviks locaux ont recouru aux arrestations, aux fusillades et à la dispersion par la force de plusieurs des soviets nouvellement élus.18

La première action concertée de la police politique, la Tchéka, a eu lieu à cette époque, quand elle fit des descentes sur les centres anarchistes à travers toute la Russie. À Moscou elle assaillit 26 centres, ce qui coûta la vie à 12 tchékistes et à 40 anarchistes tués au cours de l'opération. Ces anarchistes étaient armés et pourraient avoir constitué quelque menace physique. Mais, d'autre part, le dirigeant de la Tchéka, Peters, a écrit que "à Moscou en général à ce moment-là l'ambiance était paisible, et le commissariat militaire de Moscou fournissait même des armes au siège anarchiste". Ainsi ces raids ont certainement eu des motifs politiques et en mai les autorités supprimèrent plusieurs publications anarchistes.19

L'ÉTÉ DE 1918

Toutes les restrictions à la démocratie ouvrière décrites se sont produites avant la guerre civile ouverte. À partir de mai le gouvernement soviétique a dû traiter les premiers désaccords principaux de ce conflit, mais la guerre n'est pas devenue sérieuse jusqu'à octobre. D'ailleurs il est frappant de voir à quel point les bolcheviks avaient perdu tout appui populaire avant même le premier anniversaire d'Octobre.

Beaucoup d'ouvriers bolcheviks ont quitté leurs usines pour travailler ou combattre pour le nouvel Etat. Cependant, le fait que bien des ouvriers restés à l'usine semblent être restés loin des célébrations du Premier mai dut inquiéter les nouvelles autorités. Contre les souhaits du parti, les soviets locaux de Petrograd mirent alors en place des conférences pour les ouvriers "sans-parti". Lors de ces réunions, les délégués firent maintes critiques du traitement par le gouvernement de la crise économique mais aussi des réquisitions des céréales des paysans. Certains ont aussi exigé un gouvernement à base plus large et une nouvelle convocation de l'Assemblée constituante.

Le massacre d'au moins d'un ouvrier lors d'une manifestation pour le pain a alors conduit plusieurs réunions d'usine à faire des demandes semblables et à prendre des mesures de grève. Ce qui en retour conduisit à des arrestations qui provoquèrent une vague de manifestations, de meetings et dix-huit grèves, principalement contre les actes de répressions, tels que les fusillades et la censure. La plupart des travailleurs impliqués dans cette agitation étaient des ouvriers métallurgistes qui avaient été les principaux défenseurs des bolcheviks en Octobre, mais étaient sévèrement touchés par le chômage.20

La faim était une cause importante de mécontentement. L'Etat soviétique avait perdu un quart de ses terres arables au profit de l'Allemagne et ceci, s'ajoutant aux difficultés de transport, déboucha sur une situation où pendant quelques mois seulement 6 % des céréales assignées à Petrograd et à Moscou furent livrées. Des mesures d'exception étaient certainement nécessaires si les villes ne voulaient pas mourir de faim mais la vision de Lénine était désastreuse. Il mit la crise sur le compte de la rétention des grains par les paysans aisés, des koulaks. "Une guerre sans merci" était déclarée contre eux et les réquisitions forcées du produit des paysans commencèrent en mai.

Ceci rapidement se transforma en un pillage aveugle qui découragea les semailles et contribua à alimenter plus de cent révoltes rurales à grande échelle rien que pour cette seule année. Ces soulèvements armés impliquèrent tout le paysannat, et pas simplement les koulaks. Il y eut cette réponse furieuse de Lénine à une révolte à Penza : il donna ses instructions aux bolcheviks locaux de pratiquer "une terreur de masse impitoyable" et de "pendre pas moins de cent koulaks bien connus, avides et suceurs de sang (s'assurer que cette pendaison ait lieu à la vue de tous)".21

La direction menchevik expulsa ses membres qui soutenaient activement de telles révoltes armées. Cependant ils restèrent neutres lors des premiers affrontements de la guerre civile et en juin le soviet national exclut tous ses délégués mencheviks et invita les soviets locaux à en faire autant. En attendant l'humeur régnant dans les usines persuada finalement le Soviet de Petrograd de tenir les élections qui auraient dû se dérouler en mars. Pendant la campagne électorale, le commissaire du peuple Volodarskii fut assassiné et, bien que les autorités de Petrograd aient ignoré l'appel de Lénine à "la terreur de masse", elles proclamèrent la loi martiale et interdirent les meetings.22

Les résultats des élections dans les usines donnèrent aux bolcheviks environ 50 % des voix, ce qui, avec en plus l'appui significatif de l'Armée rouge, leur donnait une majorité démocratique à Petrograd. Néanmoins, ils avaient dû recourir aux licenciements, aux lock-outs et à des vagues d'arrestations pour contenir les protestations de l'été, et les Assemblées des représentants d'usine avaient continué à se propager dans d'autres régions. Les Assemblées firent des préparatifs pour un congrès national et appelèrent à une grève générale pour le 2 juillet. En conséquence, le soviet nouvellement élu de Petrograd décida d'interdire le mouvement. Des mitrailleuses furent placées aux points stratégiques de Petrograd et de Moscou, et l'Assemblée de Moscou, qui avait apparemment attiré 4.000 ouvriers, vit ses délégués arrêtés.

Le résultat fut que, bien que quelques grèves et protestations aient continué cet été, l'écho rencontré par cet appel de l'Assemblée à la grève générale resta très limité et le mouvement eut tôt fait de s'effondrer. Pourtant la répression n'était pas le seul facteur expliquant cet effondrement. L'indifférence des ouvriers était également importante et les Assemblées semblent ne pas avoir fourni une alternative à la politique bolchevik. D'autre part, contrairement à la vue que la guerre civile a simplement créé des problèmes aux bolcheviks, on pourrait affirmer que la menace des Blancs a consolidé le soutien au gouvernement et l'a sauvé de troubles ouvriers bien plus préjudiciables.23

Ce n'étaient pas les seuls problèmes auxquels les bolcheviks durent faire face cet été. Leur représentation dans les soviets régionaux était tombée de 66 à 45 %. Ils ont répondu en congédiant plusieurs soviets, en écrasant violemment les grèves de protestation et en gonflant artificiellement la représentation de leur parti au congrès des soviets. Incapables de changer démocratiquement la politique soviétique, les récents alliés des bolcheviks, les SR de gauche, recoururent alors à l'assassinat de l'ambassadeur allemand le 6 juillet afin d'essayer de redémarrer la guerre. Le commandant des troupes bolcheviks avoua plus tard que "il y avait peu de formations militaires sur lesquelles la parti bolchevik put réellement compter" et que "la masse des ouvriers de Moscou a gardé une position neutre aussi." Ce fut seulement parce que les SR de gauche n'avaient aucun plan de renverser le gouvernement que les bolcheviks purent les supprimer rapidement le jour suivant. Les bolcheviks n'eurent aucune hésitation à exclure beaucoup de SR de gauche des soviets et à interdire leur presse.

Des tas d'autres publications socialistes avaient déjà été supprimées et les journaux non bolcheviks eurent tôt fait de disparaître de la Russie des soviets.24

La cause fondamentale de cette scission des SR de gauche était leur opposition à la politique du gouvernement envers les paysans. Leur répugnance à remettre leurs grains, particulièrement quand les bolcheviks avaient tellement peu de marchandises à donner en l'échange, rendaient les réquisitions inévitables. Toutefois les réquisitions étaient souvent inefficaces et négatives, retournant la majorité de la population contre le nouvel Etat. Des solutions de rechange possibles auraient pu être l'utilisation plus grande de l'impôt en nature, des prix plus élevés des céréales, un libre échange limité ou des soviets locaux faisant juste les réquisitions nécessaires. Il aurait été très difficile de mettre en application de telles politiques mais elles n'auraient pas demandé plus d'effort que imposer les réquisitions d'Etat et elles auraient pu réduire l'appel à la coercition externe.25

LA DÉMOCRATIE SOVIÉTIQUE PENDANT LA GUERRE CIVILE

Pendant la guerre civile, les Blancs ont été aidés par quatorze armées alliées. Cependant, aucune de ces armées n'a combattu dans les batailles principales et les deux camps ont passé beaucoup de leur temps à combattre des minorités nationales et des paysans insurgés. Par exemple il est évident que en juin 1919 l'arrière de l'Armée rouge était submergé par les soulèvements ruraux contre la conscription.

Tout au long de la guerre, environ huit millions de vies ont été perdues. La maladie, la malnutrition et l'insécurité constante, plus l'analphabétisme généralisé, rendaient toute participation démocratique difficile à l'extrême. De plus, bien des actes politiques des bolcheviks découragèrent toute participation pratique.26

Après leur expulsion des soviets, les dirigeants mencheviks eurent des difficultés à empêcher quelques membres de province de soutenir des révoltes antibolcheviks. Mais à l'automne ils avaient regagné le contrôle de leur parti et les bolcheviks rétablirent les mencheviks dans un certain nombre de soviets et légalisèrent leur presse. Néanmoins ils interdirent bientôt leurs publications et les arrestations répétées des chefs et le bannissement dans quelques villes rendirent toute existence organisée de parti extrêmement difficile. Cette répression continua même lorsque les mencheviks recrutèrent pour l'Armée rouge à partir de l'automne 1919.27

Sakwa indique que "il y a une massive évidence permettant de soutenir les accusations de malversations électorales. "La représentation non bolchevik au congrès national des soviets tomba à seulement 3 %. Mais Lénine n'a pas été particulièrement perturbé par le fait que beaucoup d'ouvriers ne pouvaient plus élire les représentants de leur choix. Il dit ouvertement : "oui, c'est la dictature d'un seul parti! C'est ce que nous revendiquons et nous ne démordrons pas de cette position parce que c'est ce parti qui a gagné... la position d'avant-garde... de l'ensemble du prolétariat. Ce parti avait gagné cette position bien avant la révolution de 1905." Il ajouta : "tout ce tapage au sujet de démocratie doit cesser", et dans "La maladie infantile du communisme", il écarta toute crainte concernant le substitutionnisme, "au sujet de la dictature des chefs ou de la dictature des masses, comme "absurdité ridicule et puérile". 28

La répugnance de Lénine à permettre une réelle démocratie soviétique n'étonne pas, vu que, en dépit de toute la répression, les candidats non bolcheviks parvenaient toujours à gagner un tiers des sièges dans les usines de Petrograd en 1920. Cependant le résultat de cette politique était maintenant une dictature contre le prolétariat plutôt qu'une dictature du prolétariat. Dans les provinces il s'avérait que la même personne occupait fréquemment un poste dans le parti, le soviet et la Tchéka, et, en dépit de son inquiétude, un culte de la personnalité de Lénine commença bientôt à se développer. Des membres du parti de haut rang dans le groupe centraliste-démocratique et l'Opposition ouvrière dans les syndicats firent beaucoup de critiques de cette situation. Ils plaidèrent pour des élections, des appointements, des postes, et l'opposition militaire réclama une discipline moins dure dans l'armée. L'ordre de Trotsky de fusiller "tout" déserteur sur le Front Sud ne fut jamais entièrement mis en application mais il préconisa l'exécution de ceux qui avaient simplement hébergé des déserteurs. De fait Lénine admit que la discipline de l'Armée rouge était beaucoup plus "stricte" que celle "de l'ancien gouvernement".29

LA TERREUR ROUGE

La Terreur rouge fut en partie une réaction aux horreurs plus grandes de la terreur anti-bolchevik au cours de laquelle 23.000 Rouges ont été tués en Finlande et 100.000 juifs assassinés en Ukraine. Néanmoins Lénine à plusieurs reprises préconisa la terreur bien avant l'attentat perpétré contre lui en septembre 1918. Par exemple pendant une révolte anti-bolchevik, il demanda aux autorités d'organiser "la terreur de masse, de fusiller et déporter les centaines de prostituées qui transforment les soldats en ivrognes."

De telles attitudes ont permis à la Tcheka d'acquérir un pouvoir croissant sans pratiquement aucun contrôle de l'extérieur. Vers la fin de la guerre son chef, Dzerjinsky, pouvait dire que "les prisons sont remplies principalement d'ouvriers et de paysans au lieu de la bourgeoisie" , et un de ses adjoints, Latsis, écrivit : "il n'y a aucune sphère de la vie qui soit en dehors du regard de la Tcheka." Lénine lui-même affirmait que "pendant la guerre - quiconque plaçait son propre intérêt au-dessus des intérêts communs... était fusillé… nous ne pouvions sortir de la vieille société sans recourir à la contrainte ; cela valait pour la partie arriérée du prolétariat."

Les évaluations du nombre des exécutés oscillent entre 50.000 et 140.000 et George Leggett fait état d'accusations non prouvées de torture. Victor Serge plus tard a affirmé que "pendant la guerre civile il y avait un ordre parfait derrière le front lui-même... Cela n'a pas empêché le fonctionnement de tribunaux réguliers." Mais la plupart des personnes exécutées le furent sans procès et un membre de la Tchéka rappelait que "nos détachements rouges voulaient "nettoyer" les villages exactement à la manière des Blancs. Ce qui restait des habitants, vieillards, femmes, enfants, était passé à la mitrailleuse pour avoir apporté de l'aide à l'ennemi."30

La direction bolchevik a parfois clairement encouragé la brutalité. Par exemple, alors que Petrograd était menacée par les Blancs, Lénine demanda Trotsky : "Est il si impossible de mobiliser encore 2.000 ouvriers de Petrograd plus 10.000 membres de la bourgeoisie, d'installer des canons derrière eux, de fusiller une centaine d'entre eux et d'obtenir un réel impact de masse sur Youdenitch?" Trotsky heureusement n'en tint pas compte, mais les bolcheviks employèrent la terreur contre des groupes sociaux entiers tels que les cosaques ou les paysans de Tambov. La rébellion de Tambov de 1920-21 fut extrêmement brutale et l'Armée rouge écrasa le soulèvement en incendiant des villages et en recourant à des exécutions de masse. Un ordre du gouvernement exigea que des paysans fussent fusillés simplement pour avoir "donné l'abri aux membres d'une ' famille de bandits ".

La terreur a encouragé beaucoup d'anarchistes à rejoindre le mouvement paysan de Nestor Makhno en Ukraine. Ce mouvement était beaucoup plus populaire que les bolcheviks dans certaines régions au point que l'Armée rouge fit trois alliances réussies avec lui contre les Blancs. Dans ces régions seuls les "travailleurs" pouvaient participer aux élections des soviets, pas les bolcheviks ou les SR, mais il n'y avait aucune restriction à leur presse pour autant qu'ils n'aient pas préconisé un soulèvement armé. Cependant, à l'été 1919 les bolcheviks exécutèrent plusieurs officiers de Makhno et tentèrent d'interdire les congrès de paysans makhnovistes. Puis des deux côtés on se combattit violemment chaque fois que la menace blanche diminuait. Les deux parties exécutaient leurs prisonniers mais l'armée de Makhno tenta de limiter ces exécutions aux autorités tandis que les bolcheviks fusillaient beaucoup de makhnovistes du rang.31

LE "COMMUNISME DE GUERRE"

Pendant que la guerre s'intensifiait, beaucoup d'ouvriers quittaient les usines à la recherche de nourriture et la production industrielle s'effondra. Lénine avait préconisé "la conscription du travail obligatoire" avant la révolution, et en 1919 la militarisation du travail était largement répandue pour faire face à cette situation désespérée, tous les citoyens étant soumis au devoir de travail obligatoire en 1920. Lénine aussi bien que Trotsky a préconisé l'utilisation de "camps de concentration" pour mettre fin à l'absentéisme et, rien qu'à Moscou, les autorités ont exécuté 47 personnes pour " désertion du front du travail".32

Pour soutenir la guerre contre les Blancs, beaucoup d'ouvriers ont travaillé jour et nuit juste pour la nourriture mais, quand les rations sont devenues intolérables, des grèves ont souvent éclaté. Elles se sont produites dans toutes les principales villes et le travail forcé et la répression étaient les questions importantes soulevées dans un certain nombre de conflits. Les arrêts de travail dans Petrograd en 1919 ont impliqué au moins la moitié de la main-d'œuvre, mais Mary MacAuley soutient qu'ils "n'ont constitué aucune réelle menace pour la domination bolchevik". Ceci n'a pas empêché les autorités de répondre par ce que Lénine à un endroit a appelé "des arrestations impitoyables". Il y eut également des exécutions, et quand une grève a coïncidé avec une révolte armée dans une ville stratégiquement importante comme Astrakan, peut-être 2.000 personnes furent tuées lors des affrontements de rue.33

De tels événements étaient un produit des conditions de la guerre civile mais les mesures "communistes de guerre" comme la militarisation du travail ont été également intensifiées lors de la reconstruction d'après-guerre. En effet, Boukharine a admis qu'elles avaient conçu "le communisme ... de guerre comme non lié à la guerre", et il écrit : "la contrainte prolétaire, sous toutes ses formes, des exécutions au travail forcé, constitue, aussi paradoxal que cela peut sembler, une méthode de formation d'une nouvelle humanité communiste." Ce texte fut publié avec des notes de Lénine et en regard de cette phrase le chef bolchevik a simplement écrit le mot "justement" . À un autre endroit, Lénine indiqué qu'il "n'y a rien de communiste dans notre système économique". Pourtant, en plusieurs autres occasions, il décrit la politique envers le paysannat comme communiste" et en 1919 il déclara : "l'organisation de l'activité communiste du prolétariat et toute la politique des communistes ont maintenant acquis une forme finale et durable."34

Trotsky a également indiqué qu'ils avaient espéré "transformer directement ces méthodes d'enrégimentement en un système d'économie planifiée... En d'autres termes, ' à partir du communisme militaire' on espérait graduellement, mais sans détruire le système, arriver au communisme véritable." Lénine plus tard l'a convaincu qu'ils avaient eu tort d'assurer qu'on pourrait alors diriger l'économie en suivant une "ligne communiste". Mais, en 1920, Trotsky écrivit que la "militarisation du travail... représent(ait) la méthode inévitable d'organisation et de discipline de la force de travail pendant la période de transition du capitalisme au socialisme", et que "le chemin du socialisme (passait) par une période d'intensification la plus élevée possible du principe étatique... qui embrasse la vie des citoyens autoritairement dans tous ses aspects".

Après avoir militarisé le syndicat des cheminots, Trotsky proposa alors que chaque syndicat devrait être complètement subordonné à l'Etat. D'abord Lénine le soutint, mais environ 80 % de la main-d'œuvre de Petrograd se mit en grève cette année et les chefs des syndicats persuadèrent bientôt Lénine que le totalitarisme manifeste de Trotsky était imprudent. Aussi Lénine maintenant s'opposa à lui employant l'argument que les syndicats avaient besoin d'autonomie, qu'ainsi ils pourraient protéger les ouvriers contre leur '"Etat ouvrier à distorsion bureaucratique". Il a alors organisé la défaite de la fraction de Trotsky au congrès de 1921 du parti, un coup dont le chef de l'Armée rouge ne s'est jamais entièrement remis.35

L'étonnant soutien de Lénine à l'autonomie des syndicats n'a jamais dépassé le stade de la rhétorique. Son gouvernement a par la force purgé tous les syndicats indépendants, tels que les imprimeurs, boulangers ou les syndicats des femmes, et quand le congrès de 1921 du syndicat vota pour l'autonomie des syndicats il fit annuler la décision du congrès et rétrograder les chefs de ce congrès. En outre, bien que les syndicats, la CES et le parti à Moscou rencontrèrent tous une résistance considérable 'à la gestion d'un seul', Lénine continua à s'opposer à l'administration collégiale, disant qu'ils devaient "lutter contre les restes de [ce] démocratisme notoire... tous ces vieux déchets nocifs."

Lénine et ses partisans étaient bien plus hostiles à Alexandra Kollontai et à l'Opposition d'ouvrière qui proposait que les syndicats élisent les différents organes économiques. La direction du parti imposa ses hommes à elle au syndicat des ouvriers métallurgistes, démit le comité central ukrainien, expulsa un certain nombre d'oppositionnels et interdit toutes les fractions dans le parti.

1921: LA REVOLTE DES OUVRIERS ET KRONSTADT

Après les massives désertions du début de la guerre, le retour de beaucoup de paysans à l'Armée rouge contribua à parachever la victoire sur les Blancs. Mais une fois que cette menace fut jugulée avec la fin des combats en novembre 1920, le mécontentement se répandit à travers tout le pays. Rien qu'en février 1921, il y eut 118 révoltes rurales. Les troubles dans l'Armée rouge étaient comparables à ceux de l'armée impériale en 1917, et la Tcheka dut écraser un certain nombre de mutineries. On rapporte que Zinoviev indique que 90 % de la base des syndicats était opposée au gouvernement, et les graves pénuries de nourriture provoquèrent une vague énorme de manifestations et de grèves dans tout le pays. Ces protestations venaient surtout des ouvriers plutôt que des activistes de l'opposition. Leurs revendications étaient des élections libres, la reconvocation de l'Assemblée constituante et la fin des privilèges des commissaires. En dépit de ses sympathies pour les bolcheviks, Lewis Siegelbaum écrit qu'"il s'avérait que l'hostilité des ouvriers envers l'autorité communiste était aussi intense qu'elle l'avait été quatre ans plus tôt pour le régime tsariste." 37

Les bolcheviks ont essayé de contenir les protestations par la loi martiale, la purge des activistes dans les usines, les arrestations en masse et plusieurs exécutions. Cependant les marins de la base navale de Kronstadt pouvaient continuer d'exiger des réformes politiques telles que la libération des prisonniers socialistes, des nouvelles élections aux soviets et la liberté pour chaque parti socialiste de gauche y inclus les bolcheviks. La majorité des Bolcheviks de Kronstadt soutint ces demandes mais la direction du parti ne fit aucune tentative sérieuse de négocier et rapidement se déplaça pour supprimer la rébellion. Ils commandèrent à leurs soldats d'attaquer la base bien fortifiée au canon et il s'avère que des centaines de rebelles capturés furent fusillés ultérieurement. 38

Les trotskystes justifient habituellement les actions des bolcheviks en arguant que les marins héroïques de 1917 avaient été remplacés par des paysans nouvellement recrutés, facilement influencés par les idées contre-révolutionnaires. Mais Evan Mawdsley et Israel Getzler citent une recherche soviétique qui prouve que les trois quarts de tous les marins de Kronstadt en 1921 étaient probablement là depuis le début de la guerre mondiale. Elle démontre également clairement que 90 % des marins avaient servi sur les deux principaux cuirassés avant 1918.39

Les exilés blancs avaient essayé d'aider les mutins et le chef principal de la rébellion, Petrichenko, rejoignit les Blancs juste après que la révolte eut été liquidée. Encore maintenant, il n'y a aucun argument convaincant que les mutins auraient eu des liens avec les Blancs pendant la rébellion elle-même, et il s'avère qu'aucune puissance étrangère n'a même essayé de profiter militairement de la situation. D'ailleurs Lénine lui-même a indiqué : "là ils ne veulent ni des gardes blancs ni de notre gouvernement". Ainsi le besoin du régime bolchevik de supprimer toute rébellion réclamant la démocratie était bien plus un facteur dans son attitude face aux marins que la menace de l'intervention extérieure.40

LA DESCENTE VERS LE STALINISME

Les politiques communistes de guerre avaient mené à la désintégration administrative et à un recours généralisé au marché noir et à la corruption. Pourtant Lénine signait toujours des ordres de militarisation des industries en février 1921 et Siegelbaum indique : "l''étatisme'... a atteint son point culminant dans l'après-1917 au moment même où la menace militaire... s'estompait. Ce n'est pas avant que le parti ait été confronté à une révolte majeure (en 1921)... que la direction du parti se persuada que ce n'était pas le chemin à suivre."

L'introduction de la Nouvelle politique économique (NEP) ne put empêcher une masse de grèves à l'été mais elle empêcha leur extension. De cette façon ce furent les mécanismes du marché, plutôt que le gouvernement, qui pouvaient être rendus responsables de la situation difficile des ouvriers. La famine épouvantable de 1921-22 tua de 3 à 6 millions de personnes et rendit toute renaissance de la démocratie ouvrière difficile à l'extrême. Néanmoins, la dictature bolchevik avait aggravé les pertes humaines en ne stoppant pas à temps les réquisitions de céréales et en retardant l'appel à l'aide internationale. En effet, bien que la guerre civile fut terminée, l'utilisation de la répression devint plus systématique que jamais.41

Trotsky a argué du fait que le parti bolchevik "a été obligé de maintenir sa dictature... indépendamment des vacillations provisoires même dans la classe ouvrière." Tandis que Lénine indiquait : "nous ne promettons aucune liberté, ou aucune démocratie". Il rejeta les recommandations d'un rapport de la Tcheka appelant à la légalisation d'une partie de l'opposition socialiste, et son gouvernement répondit à la réapparition dans tout le pays des mencheviks, des SR et des anarchistes en les arrêtant par milliers, y compris les députés des soviets et d'anciens bolcheviks. Cette année (1922), les autorités condamnèrent plus de 3.000 ouvriers au travail forcé pour des infractions à la discipline du travail et l'Armée rouge envahit la Géorgie faisant face à hostilité de la majorité de la classe ouvrière.42

En 1922 Lénine recommanda que "l'application de la peine de mort devrait s'étendre (commutable en déportation).... à toutes les formes d'activité des mencheviks, des SR et ainsi de suite", et que "les tribunaux ne doivent pas interdire la terreur... mais la légaliser comme principe." Il fit expulser 150 intellectuels du pays et les chefs du parti interdirent l'importation des livres qu'ils considéraient comme "idéalistes" ou "anti-scientifiques". Les autorités censurèrent des pièces de théâtre et des livrets de musique et en 1924 il y eut même des tentatives d'interdire l'exécution publique du fox-trot. Quelle que fut l'attitude de Trotsky dans cette affaire, il a certainement préconisé l'art "censuré" à cette époque.43

Avant sa mort en 1924, Lénine commença véritablement à manifester de l'inquiétude pour la bureaucratisation. Cependant, bien que son régime ait été moins brutal que celui de Staline, il n'avait toujours aucun mandat démocratique à diriger venant de la classe ouvrière. Bien des trotskystes d'aujourd'hui suivent Lénine en arguant que la guerre civile avait été si destructive que le prolétariat russe "avait cessé d'exister en tant que prolétariat", et qu'un tel mandat n'avait plus de sens. Cependant, même si le prolétariat avait disparu, l'idée de rester au pouvoir sans classe ouvrière contredit tout principe d'auto-émancipation des ouvriers. D'ailleurs les historiens sociaux ont prouvé que le prolétariat a survécu à la guerre civile, quoique son nombre fut tombé de 3,5 à 1,5 million.

Diane Koenker prouve que, bien que la population de Moscou chuta de moitié pendant la guerre, seulement un tiers de ceux qui étaient partis était ouvrier. S.A. Smith indique qu'un noyau prolétarien a subsisté dans tous les centres industriels pendant la guerre civile, puis, qu'après la guerre, beaucoup d'ouvriers retournèrent dans les villes. Tandis qu'Aves indique que l'évidence suggère que ce sont les ouvriers de longue date qui ont pris l'initiative des grèves de 1921. Ainsi il s'avère que Koenker a raison de conclure que le gouvernement a fait de la "désurbanisation" et du "déclassement" les "boucs émissaires" de ses difficultés politiques.44

La direction bolchevik a également étouffé la démocratie dans le parti et Lénine ne semble jamais avoir eu en tête l'idée de lever l'interdiction des fractions. Beaucoup d'oppositionnels bolcheviks démissionnèrent, ou furent expulsés, et certains rejoignirent des groupes tels que la Vérité ouvrière ou le Groupe ouvrier. Le mécontentement s'exprimant sous forme d'absentéisme et de ralentissement de la production était toujours très commun et après environ 500 grèves en 1922 certains de ces oppositionnels sont intervenus dans la grande vague de grèves de 1923. Ceci a mené à leur arrestation et aux premiers emprisonnements significatifs des oppositionnels bolcheviks. En revanche, l'Opposition de gauche a tourné ses regards vers Trotsky, quoique, dans les années 20, il n'ait rien fait pour critiquer l'interdiction des fractions, et encore moins l'Etat-parti unique. En effet, comme Ernest Mandel le dit, il "a frayé la voie en exprimant sa condamnation" de groupes comme le Groupe ouvrier. 45

En 1927, le chômage dépassait les deux millions et l'hésitation des paysans à vendre leurs grains compromettait les plans ambitieux d'industrialisation. Le régime a répondu à cette crise en retournant à l'esprit du 'communisme de guerre', par des attaques contre les ' koulaks, par le travail forcé et la terreur. Au cours de la décennie suivante peut-être dix millions de personnes périrent, y compris beaucoup de vieux bolcheviks. L'exclusion de Trotsky du pouvoir lui permit de porter des critiques graves contre la direction de Staline. Mais pendant son exil, en 1932, il ne cessait de proclamer que les réalisations de l'industrialisation soviétique ont signifié que "le socialisme en tant que système démontrait pour la première fois dans les faits sa victoire historique". Il soutint que l'Opposition "(pouvait) devoir temporairement soutenir " Staline et aussi tard qu'en 1933 il écrivit même au Politburo pour prêcher un "accord" et la "pleine coopération" avec eux si l'opposition revenait à la direction du parti. En effet, quelque critique Trotksy devînt à l'égard de l'Union soviétique, jamais il ne cessa de défendre cette barbarie sans précédent comme étant une sorte d'"Etat ouvrier".46

LES TROTSKYSTES ET LES BOLCHEVIKS AU POUVOIR

Cet article soulève de nombreuses questions théoriques au sujet de la nature précise de la dégénérescence de la révolution russe. Cependant le surprenant manque de connaissances de la part de même les meilleurs révolutionnaires d'aujourd'hui rend nécessaire de souligner les arguments historiques de base plutôt que la théorie. Il y a l'espoir qu'une telle histoire élémentaire pourrait maintenant aider à fournir des soubassements à une analyse et à discuter de ce qui est basé sur les réalités empiriques du temps plutôt que de préjuger.

Deux thèmes principaux devraient se clarifier. Le premier, habituellement souligné par les trotskystes, est l'ampleur de la crise économique et sociale tout au long de cette période, rendant toutes les tentatives de démocratie ouvrière difficile à l'extrême. Le second, mis en avant par des anarchistes et des libertaires, est la totale faillite de la direction bolchevik à encourager la démocratie ouvrière au plus grand degré que cela était praticable dans ces circonstances. Cet échec fit que les ouvriers perdirent le pouvoir plus rapidement que cela aurait dû être et cela créa une situation où la répression priva la classe ouvrière soviétique de toute capacité à résister au développement du ' stalinisme'.

Les trotskystes ont raison de dire qu'une cause importante de la dégénérescence de la révolution était son incapacité à s'étendre, ce qui signifia qu'elle a été paralysée par des facteurs objectifs tels que le retard économique, l'isolement et la guerre civile. Néanmoins, ils ont tort de prêcher un déterminisme rigide, réduisant à sa plus simple expression l'importance des facteurs idéologiques. C'est particulièrement vrai quand à chaque étape de la bureaucratisation du régime il y eut des critiques ouvertes dans le parti bolchevik lui-même qui proposaient des politiques de rechange qui auraient pu ralentir ce processus.

Même si les conditions épouvantables de la guerre civile justifiaient ces politiques, elles ne peuvent excuser la répression avant et après la guerre. Naturellement, les trotskystes pourraient arguer que la guerre civile et l'effondrement économique ont commencé en 1917 et qu'ainsi l'attitude de Lénine était justifiée dès le départ. Mais la démocratie soviétique a résisté aux crises de 1917 et puis a augmenté suffisamment pour faire une révolution en Octobre. Ainsi elle devait avoir la potentialité de survivre aux menaces de 1918 mieux qu'elle ne le fit, particulièrement quand elle était censée détenir le pouvoir d'Etat.

La guerre civile ne peut également servir d'excuse au manque de remords des chefs bolcheviks dans leur utilisation de la répression. Par exemple, bien que Lénine ait décrit la NEP comme 'une défaite', à aucun moment il n'a utilisé un tel langage au moment de la suppression de la démocratie soviétique et du contrôle ouvrier. En effet, les bolcheviks ont même qualifié leurs politiques de guerre civile de "communistes" bien qu'elles aient été à l'évidence l'antithèse du communisme véritable.

Il est facile de critiquer avec l'avantage de la rétrospective historique. Pourtant, il y a quelque chose de très dérangeant dans le fait que les trotskystes proclament toujours que les bolcheviks agissaient comme des communistes après 1918 alors qu'ils agissaient clairement plus comme des agents de la dégénérescence de la révolution. Les conditions matérielles ont tout limité mais ceci inclut des idées de Lénine et de Trotsky et leur applicabilité quatre-vingts ans après est sûrement également extrêmement limitée.

Efficacement, beaucoup de trotskystes arguent du fait que, si nécessaire, l'insistance de Marx sur l'"auto-émancipation" et une république démocratique des ouvriers pouvait être remise à plus tard vu que des personnes comme Lénine et Trotsky ont dirigé l''Etat ouvrier" et levé le drapeau rouge de la révolution internationale. Pourtant le fait que les bolcheviks aient supprimé la classe ouvrière russe - au nom d'une classe ouvrière mondiale qui n'avait pas son mot à dire dans cette politique - contredit toute conception d'auto-émancipation prolétarienne. Des ouvriers ne seront jamais inspirés par un marxisme qui offre comme possibilité celle d'être assujettis à l'Etat, avec comme plan celui de "tenir" jusqu'à ce que le monde entier ait eu sa révolution. Cet argument suppose également que l'internationalisme de Lénine pouvait rester intact tandis que la révolution dégénérait tout autour de lui. Mais un ultérieur écrit prouvera que son internationalisme s'est compromis peu de temps après Octobre.

Certains trotskystes critiquent certains points de la politique bolchevik, telles que les restrictions d'après-guerre à la démocratie soviétique. Cependant, aucun d'eux n'est disposé à s'écarter trop des propres réserves de Trotsky qu'il a vraiment exprimées seulement quand il eut perdu le pouvoir. Leur manque d'appréciation de ce qui pourrait être valable dans la tradition bolchevik se démontre par le fait qu'aucune organisation trotskyste ne permet aujourd'hui le déploiement de la gamme de vues qui ont coexisté dans le parti bolchevik même pendant la guerre civile. En outre, vu l'ampleur de la répression exercée par le régime de Lénine, la priorité n'est pas de critiquer des politiques d'individus, mais d'essayer d'établir en premier lieu comment les révolutionnaires auraient pu éviter de s'enfoncer dans cette situation épouvantable.

Si les bolcheviks avaient respecté la démocratie ouvrière, ils auraient certes pu perdre le pouvoir. Néanmoins c'aurait été le risque du jeu, comme la révolution d'Octobre, qu'ils auraient eu raison de prendre, ce qui en soi aurait restauré une partie de la popularité du parti. Cela aurait également eu plus de chance de succès que les tentatives bureaucratiques de Trotsky d'empêcher la dictature de Staline. Même si le jeu avait échoué, les résultats n'auraient pas été plus mauvais que le 'stalinisme', qui a non seulement massacré des millions de personnes, mais l'a fait au nom du communisme et ainsi a asphyxié dans le monde entier les perspectives de révolution pour le reste du siècle.

En outre, une partie de la conscience révolutionnaire de la classe ouvrière russe aurait pu survivre à une restauration capitaliste, tandis que le 'stalinisme' l'a totalement détruite. Le seul problème réel avec cet argument est qu'il marginalise le rôle de la classe ouvrière en soulignant les choix que les chefs bolcheviks pourraient avoir faits.

Ces choix étaient limités, en partie, par les limitations de toute la démarche bolchevik; par exemple même l'Opposition ouvrière s'est associée à l'écrasement de Kronstadt.

Les trotskystes pourraient employer de tels exemples pour défendre Lénine parce que même ses critiques étaient d'accord avec lui sur le besoin de répression. Cependant, il semble meilleur de les utiliser pour indiquer les limites les plus criantes de l'idéologie et de la pratique entières du socialisme révolutionnaire du 20e siècle, qu'il soit anarchiste ou marxiste.

Cette politique a toujours été freinée par l'exigence de développer les forces productives. Comme Goodey le montre, les comités d'usine étaient aussi enthousiastes que Lénine pour ce 'productivisme'; mais rendre simplement cette sorte de socialisme plus démocratique, comme Farber et Sirianni le suggèrent, est une alternative insuffisante.

D'autre part, la Russie révolutionnaire aurait dû développer la production industrielle; une société communiste idéale n'était évidemment pas une possibilité immédiate.

Finalement, peut-être l'aspect le plus intéressant de toute cette étude est pourquoi tant de marxistes qui prétendent croire à l'auto-émancipation des ouvriers défendent une politique qui la nie dans les faits. Une raison en est que ni les anarchistes ni les communistes libertaires n'ont réussi à développer entièrement une critique qui pourrait fournir une alternative pratique à la vision hiérarchique des bolcheviks. Sans révolution à l'Ouest, la révolution russe était condamnée à l'échec. Mais à moins que la gauche révolutionnaire puisse développer une politique auto-émancipatrice cohérente, qui se dissocie entièrement de cette dégénérescence terrifiante, la classe ouvrière, à juste droit, continuera à rejeter nos idées. J'ai l'espoir de discuter d'une telle politique dans un autre écrit.

NOTES

[Rosenberg, McAuley, Rabinowitch, Malle, Smith et Rigby ont des sympathies évidentes pour les bolcheviks. Medvedev, Fitzpatrick, Sirianni, Avrich, Sakwa, Remington, Aves et Service sont plus critiques. Leggett, Figes et Shkliarevsky sont orientés à droite.]

1. S.A. Smith dans H. Shukman, The Blackwell Encyclopaedia of the Russian Revolution (Encyclopédie Blackwell de la révolution russe); Goodey, Critique, n° 3; R. Suny dans D. Kaiser, The Workers' Revolution in Russia (la révolution ouvrière en Russie), 17.

2. Lénine, Collected Works (Oeuvres) (en abréviation anglaise : LCW) v25, 361-4; v26, 467-8; S.A. Smith, Red Pétrograd (Pétrograd la Rouge), 228. Voir le numéro 3 de Radical Chains sur les vues de Lénine avant Octobre. http://www.hrc.wmin.ac.uk/guest/radical/RC-INTRO.HTM

3. C. Sirianni, Workers' Control… (Contrôle ouvrier…) (plus loin Sirianni), 150-1, 116, et Economic and Industrial Democracy (Démocratie économique et industrielle) v6n1 (dorénavant Sirianni, Economic), 65; LCW v26, 264-5.

4. Smith, 209-14, 259; Sirianni, 100-1, 116-20; T. Remington, Builiding Socialism in Soviet Russia (Construire le socialisme en Russie soviétique), 38-45; Remington dans D. Koenker, Party, State and Society in the Russian Civil War (Parti, Etat et société pendant la guerre civile russe), 213-5, 228.

5. G. Shkliarevsky, Labour in the Russian Revolution (Le travail sous la révolution russe), 150; S. White, Russia goes dry, 17; LCW v26, 414; Smith, 239; Sirianni, 123, R. Service indique que ces ouvriers imprimeurs étaient des mencheviks qui menaçaient de faire grève contre les restrictions à la liberté de la presse. Lénine, A political life (une vie politique) v2, 301-2.

6. Sirianni, Economic, 79-80; Smith, 203-4, 226, 256-9; Smith in Kaiser, 71; S. Malle, The Economic Organisation of War Communism (l'organisation économique du communisme de guerre), 94-5; Sirianni, 130-3. Shkliarevsky (117-19, 172-5) raffirme que Lénine avait seulement soutenu les comités parce qu'il a avait besoin d'un allié pendant les premières semaines du nouveau régime. Ceci pourrait expliquer son manque de soutien d'elles une fois que les bolcheviks obtinrent l'allégeance des syndicats en janvier. G. Swain, Sbornik, n12.

7. Sirianni, Economic, 72-77; Sirianni, 109-15; Smith dans Shukman, 23; Smith, 247, 260; Malle, 101. Les comités d'usine ont même réclamé la conscription du travail.

8. Sirianni, Economic, 72-3; Sirianni, 118-20; W. Rosenberg, v44n2, 227 Slavic revue (aussi dans Kaiser).

9. Smith, 218-21; Sirianni, 125-7.

10. Sirianni, Economic, 65; Smith, 222-5, 239-40; M. MacAuley, Bread and Justice; State and Society in Petrograd 1917-1922 (Pain et justice; État et société à Pétrograd 1917-22), 216; Sirianni, 151-3; R. Pipes, La Révolution Russe, 676-7; Malle, 56-7, 159; E. Carr, la révolution v2, 90n, 253 de Bolchevik.

11. Goodey, 30-45 (et Critique n° 4 et 5); Smith, 203-8, 305; McAuley, 218.

12. LCW v27, 245-6, 253, 267-71. Lénine défendait toujours des nationalisations locales en janvier mais avait clairement changé d'avis au printemps.

13. R. Daniels, A Documentary History of Communism (Une histoire documentaire du communisme), v1, 100; Sirianni, 146-9.

14. R. MNEAL, Resolutions and Decisions of the CPSU (résolutions et décisions du PCUS) v2, 48; LCW v27, 300, 338-40; v42, 86; Smith, 247-5; Malle, 112; Brochure n° 1 de Critique, "thèses des communistes de gauche", 5; R. Kowalski, The Bolshevik Party in Conflict (le parti Bolchevik en conflit), 21. Shkliarevsky (188) cite les propos de Lénine: "On devrait confier aux entrepreneurs le soin de créer les normes de la discipline du travail".

15. Rosenberg, 236; David Mandel, The Petrograd Workers' (les ouvriers de Pétrograd...) v2, 378. Lénine rejeta avec colère les propositions que les ouvriers dans des industries nationalisées devraient élire la majorité de leurs managers quoiqu'ils soient toujours assujettis au CES. En conséquence le congrès de juin des conseils économiques a décidé que seulement un tiers des gestionnaires devait être élu par les ouvriers et le reste par les conseils économiques ou le CES. Le CES pourrait permettre aux syndicats régionaux de nommer un tiers de la gestion mais les chefs des syndicats devenaient de plus en plus dépendants du nouveau régime pour les fonds et le travail et les syndicats se sont même opposés aux ouvriers se réunissant pendant les heures de travail. Smith, 241; Sirianni, 123-9.155-7, 213-7, 225-7; Malle, 115-7.

16. Rabinowitch dans Koenker, 153, 138; Sirianni, 204; T. Rigby, Lenin's Government (le Gouvernement de Lénine), 51, 62.

17. McAuley, 91-4, 62; Adelman, Russian history (histoire russe) v9, 93; P. Kenez, The Birth of the Propaganda State (la naissance de l'Etat propagandiste), 43; R. Wade, Red Guards and Workers' Militias… (gardes rouges et milices ouvrières, 318-29; Shukman, 186.

18. Farber, Before Stalinism… (Avant le Stalinisme...) 22-3, 194-5; Remington, 101-5; McAuley, 94; V. Brovkin, The Mensheviks after October (les mencheviks après Octobre) (dorénavant Brovkin, Mensheviks), ch.5; LCW v27, 126, 133, 272. Shkliarevsky (154) indique que les gardes rouges ouvrirent le feu pour disperser des ouvriers à Tula en janvier 1918 et Brovkin que 28 furent fusillés dans les Monts Oural, au cours de ce printemps..

19. P. Avrich, Les Anarchistes russes, 183-9; R. Sakwa, Soviet Communists in power: a study of Moscow (les communistes soviétiques au pouvoir, une étude de Moscou), 171. Serge plus tard a écrit que les contre-révolutionnaires avaient infiltré ces centres, mais la Tchéka n'a pas alors justifié ses raids en ces termes.

20. Rosenberg, 230-8; McAuley, 99-108; Shkliarevsky, 155; J. Von Gelderen, Bolchevik Festivals, 88-91.

21. R. Medvedev, La Révolution bolchevik, 156-9; O. Figes, Peasant Russia, Civil War 197-8, 253-7, 335; Sirianni, 177-9, 189; LCW v36, 489, 695n; Farber, 46; R. Service, Lenin, a political life (Lénine, une vie politique) v3, 43. Dans State Within a State (97), E. Albats cite des documents de la Tchéka autorisant les "camps de concentration" pour les mencheviks dès le printemps de 1918.

22. I. Getzler, Martov, 181; Farber, 124, 27; LCW v35, 336; McAuley, 103-7, 381; Rosenberg, 236. Des trotskystes affirment que Martov le chef menchevik dit aux cheminots qu'"ils devraient être "amicaux aux Tchèques et hostiles aux bolcheviks", mais la seule source en est un menchevik de droite qui était "en train de se gagner les faveurs des bolcheviks". D. Footman, The Russian Civil War (La Guerre civile russe), 101.

23. D. Mandel, 356, 381, 406; Sakwa, 72; Rosenberg, 236-8; Smith, 250.

24. Medvedev, 148; Brovkin, v44n3, 244-9 Slavic revue; Rabinowitch, Russian Review v54, 426; G. Leggett, The Cheka (La Tchéka...), 74-82; V. Brovkin, Behind the Front Lines of the Civil War (derrière les lignes de front de la guerre civile) (dorénavant Brovkin); Brovkin, Mensheviks, 123-4; P. Kenez dans Shukman, 154. Les SR de gauche dirent à Dzerzhinsky : "vous pouvez conserver le pouvoir". L. Hafner indique que des actions telles que des prises d'otages et la révolte d'un commandant du front oriental se sont seulement produites après que les bolcheviks eurent commencé à les réprimer, par exemple en arrêtant les délégués des SR de gauche au congrès des soviets. Et l'auteur du télégramme habituellement cité pour affirmer que les SR de gauche pensaient avoir pris le pouvoir n'était nullement un SR de gauche. Russian Review v50, 329-42.

25. Malle, 373-5, 498-9; Farber, 48; Sirianni, 189-197; Medvedev, 183-4; L. Lih, Bread and Authority (pain et autorité), 147, 168, 187; L. Siegelbaum, Soviet State and Society beween Revolutions (Etat soviétique et société entre les révolutions), 43-5. En 1920 Lénine semble avoir rejeté des propositions de Trotsky et du congrès des Conseils économiques de réduire les réquisitions. Ceci et le fait que des bolcheviks locaux affirmaient que les soviets locaux pourraient faire les réquisitions et que la NEP se présentait dans des conditions encore plus mauvaises que celles de 1918, tout indique que des solutions de rechange étaient possibles. Nove dans T. Brotherstone, Trotsky Reappraisal (réestimation de Trotsky), 193.

26. Figes, Past and Present, n129, 182.

27. Brovkin, Mensheviks, ch. 9; Farber, 99, 124-5; J. Aves, Workers against Lenin (les ouvriers contre Lénine), 37, 18-20, 56, 72; V. Broido, Lenin and the Mensheviks (Lénine et les mencheviks), 39; Brovkin, 63-6, 119, 167, 284-7; McAuley, 137-8. Le Comité central recommanda instamment aux bolcheviks "d'emprisonner et parfois même fusiller des centaines de traîtres parmi les Cadets, les politiquement neutres, les mencheviks et les socialistes-révolutionnaires, qui agissent (certains avec des armes, d'autres par la conspiration, d'autres encore par une agitation contre la mobilisation, comme les imprimeurs et cheminots parmi les mencheviks) contre le gouvernement soviétique, c.-à-d. pour Dénikine. " Leggett, 319.

28. Sakwa, 178; Farber, 27; LCW v29, 535; v30, 506; v31, 175-6, 40-1, 49. En 1919, les anarchistes jetèrent une bombe sur des dirigeants bolcheviks de Moscou pour se venger des arrestations continues. L'attaque fut désavouée par la plupart des chefs anarchistes mais elle provoqua davantage de répression. Avrich, The Russian Anarchists (Les Anarchistes russes, Maspéro, Paris).

29. McAuley, 135-9; D. Gluckstein, The Tragedy of Bukharin (la tragédie de Boukharine), 38; N. Tumarkin, Lenin lives!, ch.13; Farber, 173; B. Pearce, How the Revolution was armed (comment la révolution s'est armée), 487-8; LCW v33, 70-1.

30. Farber, 117-19; LCW v35, 349; v30, 510; Leggett, 465, 198, 184, 328-33, 349; E. Poretsky, Les Nôtres, 214. Au cours des premiers mois la répression était relativement douce et beaucoup de prisons avaient des moyens d'éducation. Cependant des camps de concentration ont été installés à partir de juillet 1918 et la mortalité atteignit 30 % dans ceux du Nord. Leggett indique qu'ils étaient parfois "nettoyés" par des exécutions de masse. La peine de mort a été formellement supprimée en 1920, mais les Tchékas locales n'en tinrent pas compte et cette tentative fut abrogée à l'été. M. Jakobson, The Origins of the Gulag (les origines du Goulag), 37, 23-4, 40.

31. Farber, 123; Service, 43; M.Palij, The Anarchism of Nestor Makhno (l'anarchisme de Nestor Makhno), 151-2, 175-7, 212-19; M. Malet, Nestor Makhno..., 32, 39, 100, 129, 136.

32. Sakwa, 62-90; LCW v26, 65, 467-8; v42, 170; J. Bunyan, The Origin of Forced Labour in the Soviet State (l'origine du travail forcé dans l'Etat soviétique), 127, 166. Dzerjinsky a même recommandé "les camps de concentration" pour les retards. Pipes, 834.

33. McAuley, 239-52; Aves, 69, 41-55; Sakwa, 94-5; R. Pipes, The Unknown Lenin (Lénine inconnu), 66; Brovkin, 67-95.

34. Aves, 5, 37; L. Szamuely, First Models of the socialist economic system (Les premiers modèles du système économique socialiste). p108n; Boukharine, L'économie de la période de transition, 160, 221; LCW v30, 143-4, 286; v27, 439; v33, 58-64, 421-2.

35. Trotsky, La révolution trahie, 28-9, 169-70, 137 et Terrorisme et communisme, 143, 162-3; LCW v33, 58; Tsuji, Revolutionary Russia (la Russie révolutionnaire) v2n1, 67-8, 59; Service, 153; Brovkin, 287-99; Aves, 81, 33, 69; S. Fitzpatrick, The Russian Revolution (La Révolution Russe) (' 94), 100; Maurice Brinton, The Bolsheviks and Workers' Control (les bolcheviks et le contrôle ouvrier), 61-4. Trotsky a également indiqué que "la classe ouvrière...doit être jetée ici ou là, assignée à son poste, commandée, tout comme les soldats" et que le travail forcé "est la base du socialisme ". Cette année, au moins 82 cheminots furent passés par les armes.

36. Farber, 84-6, 30; Sirianni, 232-3; Aves, 57, 66-7, 178, 167-9; Siegelbaum, 36, 82; Fitzpatrick, 101. Serge fut témoin du trucage d'une élection pour assurer la victoire de Lénine au cours du débat sur les syndicats. Lénine dit qu'ils "devraient ne pas s'emporter" à propos de la fusion "Etat/syndicats", "parce que cela se produisait de toute façon, et, bien qu'il ait préconisé des fonds de grève pendant la NEP, la plupart des grèves se sont produites sans l"aval des syndicats. Serge, Mémoires d'un révolutionnaire, 123, 115; LCW v32, 26-7, 61; Hatch dans Fitzpatrick, Russia in the era of the NEP, 64-5.

37. Figes, Past and Present, n129, 199; P. Avrich, Kronstadt 1921, 14, 20; Hagen dans Fitzpatrick, Russia in the era of the NEP (la Russie à l'époque de la NEP), 161; Farber, 88; Siegelbaum, 77. Service indique qu'il y avait déjà des magasins secrets pour des fonctionnaires bolcheviks, et que plus de 4.000 soldats ont été exécutés en 1921. New Statesman, janv. 27, ' 95, 22-3; Volkogonov, Trotsky..., 181.

38. McAuley, 407-9; Aves, 62, 72, 114-29, 139-54, 165-82; Farber, 125, 188-9; Sakwa, 241-7; Brovkin, 392-9; Avrich, 6, 47, 71-87, 135-44, 154, 181, 207, 215-20. Les ouvriers ont également exigé que soient retirés les pelotons armés des usines. Le soviet de Pétrograd proposa de rendre visite à Kronstadt mais ce fut après que le régime ait exécuté 45 mutinés désarmés à Oranienbaum et eut exigé qu'ils "se rendent sans condition'. Avrich indique que le slogan des marins ne fut jamais des "soviets sans communistes" mais "tout le pouvoir aux soviets pas aux partis". Il dit également que "le sympathise de bidon d'historien avec les rebelles et concède toujours que les bolcheviks ont été justifiés et Serge a choisi les bolcheviks au-dessus des rebelles. D'autre part, Serge plus tard a écrit que "il aurait été facile d'éviter le pire : il était nécessaire d'accepter seulement la médiation offerte par les anarchistes". D. Cotterill, The Serge-Trotsky Papers (Les Papiers de Serge-Trotsky), 164, 171.

39. I. Getzler, Kronstadt 1917-21, 207-8; Mawdsley, Soviet studies v24, 509; Farber, 192-3.

40. Avrich, 94-5, 118-22, 217; McAuley, 389; LCW v32, 184, 228. Avrich indique que, même si les rebelles avaient reçu une aide considérable, "tôt ou tard ils étaient condamnés à succomber ". Il y avait de l'anti-sémitisme à Kronstadt comme à Pétrograd mais il n'était pas pire que dans l'Armée rouge et Trotsky reçut des centaines de rapports concernant ses soldats s'en prenant physiquement aux juifs. Figes, 196.

41. Gluckstein, 47; Siegelbaum, 37, 89; Malle, 501-6; T. Friedgut, Iuzovka and Revolution v2, 429-33; Edmondson, Soviet studies v29, 507ff.; Lih, 254. In Peasant Russia… (En Russie rurale...) (268-72) Figes indique que les réquisitions se poursuivirent en dépit "des signes clairs" de famine. En attendant la Tchéka recommandait toujours de battre les récalcitrants. Albats, 98.

42. LCW v32, 494-5; v45, 84; Deutscher, The Prophet Armed (Le Prophète armé), 508-9; Sakwa, 245-6; Farber, 134-5, 197; Hacher, Soviet Studies v39, 560, 570; Siegelbaum, 77, 84, et dans la v51, 712-4 de Slavic revue; Sakwa dans J. Cooper, Soviet History, 47; R. Debo, Survival and Consolidation (survie et consolidation), 178-9, 358-63; G. Suny, The making of the Georgian nation (la formation de la nation géorgienne), 205. Lénine indiqué, une offensive de bourgeoisie "n'est jamais exclue. Jusqu'à l'issue finale, cet état terrible de guerre continuera. Et nous disons : 'à la guerre comme à la guerre'; nous ne promettons aucune liberté, ou aucune démocratie '. Nous disons aux paysans tout à fait ouvertement qu'ils doivent choisir entre la domination de la bourgeoisie ou la domination des bolcheviks. " Il était hésitant à envahir la Géorgie mais son Comité central a soutenu les préparatifs de guerre et il n'a jamais plaidé pour un retrait des troupes.

43. LCW v33, 358; v42, 419; v45, 555; Falaise, Trotsky v2, 25; C. Read, Culture and Power in Revolutionary Russia (culture et pouvoir dans la Russie révolutionnaire), 181; Fox, Soviet Studies, v44n6, 1053-8; Service v3, 245-6; Trotsky, Literature and Revolution (littérature et révolution), 221. L. Schapiro indique que Lénine a brièvement envisagé la "légalisation" des mencheviks en 1922 mais a bientôt abandonné cette idée. Cf. The Origins of the Communist Autocracy (Les origines de l'autocratie communiste), 208.

44. Smith dans Shukman, 25; Siegelbaum et Chase, Modern Encyclopaedia of Russian and Soviet History (encyclopédie moderne de l'histoire russe et soviétique) v55, 59-64; Koenker, 91-100; Aves, 48-51, 91, 125-6, 148; N. Harding, (la pensée politique de Lénine) v2, ch.13. Beaucoup de nouveaux ouvriers étaient l'épouse et l'enfant d'ouvriers des villes de longue date et, bien que beaucoup des ouvriers les plus politisés aient quitté les usines de Moscou, quand ils rejoignaient l'Armée rouge ils étaient souvent en poste dans la ville. Puis de 1922-23 à 1925-26 le nombre de salariés augmenta de 50 %. McAuley (244-5) souligne qu'en traitant les oppositionnels d'éléments arriérés les bolcheviks recouraient aux même accusations que les SR et les mencheviks avaient portées contre leurs défenseurs en 1917. Rassweiler, The Journal of Social History v17, 149-50; P. Bellis, Marxism and USSR (le marxisme et l'URSS), 79.

45. Service, The Bolshevik Party (le parti bolchevik), 165; et International Socialism, n° 55, 79; W. Chase, Workers, Soviets…, 258-9, 222; Aves, 184; Siegelbaum, 104-8, 130-6; E. Mandel, Trotsky as alternative, 37; T. Cliff, Trotsky v3, 17, 56, 154. Avrich indique le GPU fit une tentative avortée d'exécuter le chef du Groupe ouvrier en 1922. Russian Review v43, 16.

46. Fitzpatrick, 120; Writings of Leon Trotsky (Écrits de Léon Trotsky), 1932, 260; 1932-33, 142; Deutscher, Prophet Outcast (Le Prophète hors la loi), 175; Getty, Soviet studies v38, 25-30. Serge a indiqué que le bolchevisme peut avoir contenu les germes de stalinisme mais il a contenu "une masse d'autres germes ". Cependant en 1921 il a identifié ces germes "staliniens ' en disant : "l'erreur centrale du régime russe actuel est son établissement d'un mécanisme complet bureaucratique d'Etat pour administrer la production, au lieu (comme dans le syndicalisme) de laisser ceci aux ouvriers organisés par industrie. Et son malheur principal est qu'il a combattu toute initiative individuelle, chaque opposition, toute critique - même fraternelle et révolutionnaire - toute expression de la liberté, par des méthodes de discipline centralisée et de répression militaire." Cotterill, 14.


1 Texte de Mark (Escape). (Traduit en français par Ph. B.). Les commentaires et les critiques de cet article sont les bienvenus. Les envoyer à :escape6@hotmail.com ; ou à la boîte postale suivante : Escape, c/o PO Box 2474, London N8 OHW, Grande-Bretagne.Web: http://www.hrc.wmin.ac.uk/guest/radical/ES-LINK2.HTM