Coup de gueule à propos du "Larzac 2003"1

Martin2

A l'intention de ceux qui envisageraient de construire un "autre monde".

Après une année de mobilisation intense qui a vu se succéder et parfois converger des mouvements contestataires, il semblait bien entendu légitime que nous nous retrouvions en grand nombre sur le causse afin d'échanger les points de vue, travailler sur les convergences entre nos luttes, préparer celles à venir et bien faire comprendre aux décideurs politiques et économiques que nous sommes une force politique incompressible, mobilisée et capable d'organiser son action.

Au moment où beaucoup se réjouissent d'une telle mobilisation (150 à 200 000 participants), certains d'entre nous sont choqués (d'autres ne s'étonnent plus) de ce qu'ils ont pu voir et vivre lors du rassemblement du "Larzac 2003". J'aimerai donc soulever quelques questions, parfois sur un ton un peu excédé il est vrai (c'est un "coup de gueule").

Qu'avons nous montré à ceux que nous désirions toucher ? Quelle image avons nous donné à nos détracteurs et aux tenants des idéologies que nous combattons ? Et surtout, quel autre monde avons nous construit pendant ces 3 jours ?

Donneur de leçon.

C'est pour ça que je vais passer en balançant ce texte. Avec quelques personnes nous avons organisé une manif autour des slogans LE RASSEMBLEMENT DU LARZAC N'EST PAS UN FESTIVAL et NON A LA MARCHANDISATION DE "LARZAC 2003". Beaucoup de gens avaient l'air de très bien comprendre ce que nous voulions dire, d'autres nous ont demandé ce que nous entendions par marchandisation. Il suffisait de regarder autour de soi je crois. Certains diront qu'on ne peut pas vivre sans argent. Faut-il pour autant transformer nos rassemblements en foire au pognon ? Certains m'ont reproché lors de cette "manifestation" de ne pas avoir pris part à l'organisation du rassemblement, sous-entendant que je n'avais donc pas voix au chapitre. Le problème du rassemblement du Larzac, c'est qu'il devient une vitrine de la contestation. Là, par vitrine, j'entends ce que l'on perçoit du monde militant. Et moi en tant que militant, je n'ai pas envie qu'on me ressorte les contradictions flagrantes entre les propos alter-mondialistes et le fonctionnement réel de leurs rassemblements.

En tant que personne ayant envie d'un autre monde, j'ai le droit, et même le devoir de protester quand je vois des conneries qui discrédite la faisabilité de cet autre monde. En tant que personne, je gueule quand on me prend pour un con. Il n'a pas fallu longtemps à certains bénévoles pour comprendre que leurs possibilités d'actions pour organiser les choses de manière plus cohérente et efficace était plus que limitée dans un système bien bureaucratisé et au mode de fonctionnement déjà bien lancé. En essayant de trouver un interlocuteur pour discuter du problème de la distribution de l'eau, j'ai vite compris que c'était comme d'habitude : les mecs aux talkies-walkies te disent que tout va bien ou qu'ils ne savent pas qui est responsable, ou bien ils disent qu'ils s'en occupent et tu les revois plus. Il n'y a pas que le stand PS qui mériterait d'être démonté.

J'ai vite compris que je m'étais trompé d'endroit et qu'il était hors de question que je sois bénévole dans ce genre de lieu. Par contre j'avais bel et bien le devoir d'y faire entendre mon désarroi.

Pour un autre Larzac

Quelques jours avant le rassemblement, 2 ou 3 personnes ont lancé sur le réseau un texte soulevant le problème du disque de la Confédération Paysanne distribué par la FNAC. Les gars ont pu organiser un forum sur le thème "pour un autre Larzac". J'ai pris la parole au cours de ce forum pour appeler à la création d'un comité pour la ré-appropriation du rassemblement du Larzac. Je m'explique.

Un processus constant : la perte de sens.

La crainte des organisateurs de ce forum est bien légitime et très lucide. Il paraît clair qu'au-delà de la récupération qui nous attend à chaque coin de rue, le fait de faire appel à la FNAC pour distribuer le CD de la Confédération Paysanne sur la jaquette duquel on remercie Sony et Universal Music, d'organiser le FSE dans des locaux de Pathé-Gaumont, de demander des financements à n'importe qui, c'est se mettre en contradiction avec nos propos et nos desseins. Les réseaux alternatifs et indépendants sont fragiles mais ils existent. Si c'est pour leur défense que nous nous battons, pourquoi ne pas les faire fonctionner et les mettre en avant ? Si nous ne les faisons pas vivre, qui le fera ? Que penser de tout cela quand Co-errances met en place un mouvement des non-alignés pour débattre et développer des moyens de production, d'édition et de distribution indépendants ?

Dans le même ordre d'idée, vouloir donner des allures de grand festival de ralliement au rassemblement du Larzac peut rapidement amener ses organisateurs à faire des compromissions sur le financement et l'organisation qui iraient à l'encontre de ces autres mondes dont nous revendiquons le possible. Le rassemblement du Larzac étant un lieu de vie, y appliquer nos modes de vies alternatifs me semblait être un minimum. En lançant ce comité, nous avions dans l'idée, 2 amis et moi, de faire perdurer cet espace de réflexion sur le sens d'un rassemblement tel que "Larzac 2003" et d'agir rapidement pour sensibiliser les participants sur le danger qui nous guettent, nous, nos modes d'action en général et ce lieu de lutte en particulier : la perte de sens. Comme dans tout collectif, il est apparu au sein de ce "comité" certaines divergences d'opinions. La nécessité d'agir rapidement et le peu de temps qui nous était imparti pour débattre et nous structurer a fait que nous ne sommes restés qu'un petit groupe restreint (en moyenne une dizaine) toujours hésitant sur la radicalité de nos actions et de nos propos.

Et par conséquent le contenu du présent texte n'engage que moi.

Un grand spectacle.

Le lapsus apparut plusieurs fois. On parle de festival. Le festival du Larzac ? Tiens donc, je pensais qu'il s'agissait d'un rendez-vous militant. il est vrai que c'est le trentième anniversaire de la première mobilisation, l'ambiance se devait donc d'être particulièrement festive. Je n'ai rien contre les rassemblements festifs, bien au contraire, si nous construisons un autre monde, il n'est pas question de nous y faire chier. Mais la tournure que cela prend mérite d'être discutée. La fête serait donc obligatoirement synonyme de grandes stars, de grandes scènes, de gourous avec leurs adeptes ?

Nos détracteurs auront tôt fait de nous renvoyer dans la gueule le Star System du Larzac 2003. Je me faisais une autre idée de cet autre monde, et le construire, pour moi, c'est le vivre ici, maintenant sans attendre un quelconque Grand Soir.

Une autre fête est possible, avec des artistes dédéifiés, redevenus des hommes comme les autres, des groupes qui se forment, discutent, échangent, sans être étouffés par les watts. La fête des autres artistes, de cette autre culture, riche dans sa diversité, riche dans sa proximité pour laquelle se battent aussi les intermittents du spectacle. Que signifient ces grandes scènes à l'heure où les intermittents se demandent dans le déchirement s'il faut jouer ou pas et que bon nombre d'entre eux vont vers le blocage de ces grands festivals pour provoquer le débat, vont vers la grève pour organiser leur lutte ? Où donc était le respect de leur mouvement ici ? Ici, on a fait comme si de rien n'était.

Tiens j'étais venu avec un masque à gaz et des citrons.

Et qu'avons nous fait pour les militants et tous les autres qui restent incarcérés, qui sont inculpés. La criminalisation, à la mode depuis quelques temps, n'a pas touché que José Bové. Lui est dehors maintenant, mais il reste tous les autres. Alors oui la fête me laisse un goût amer, a fortiori quand aucune action ne se met en place. Pas besoin d'être 100000 pour aller visiter un champ, un MacDo ou une prison, et pourtant, là nous étions le double et nous n'avons rien fait, rien. L'AGCS s'en est bien tiré, nous aurions pu aller le populariser sur l'autoroute, toutes les caméras étaient sur nous. Non, nous avons attendu que les journalistes daignent pointer leurs nez dans les forums et retranscrivent ce qu'ils comprendront, ce qu'ils choisiront du discours de Bové. Qu'on ne s'étonne pas non plus si les médias préfèrent montrer le concert de Manu Chao. "On a fait mieux que les paysans il y a trente ans", ceux qui tiennent de tels propos mériteraient de se faire réveiller à coup de fourche. A l'époque, face aux militants, il y avait l'armée, il y avait une lutte sur le causse. Aujourd'hui, sur le causse, il y a du spectacle. Applaudissons, tous. Nous avons réussi à transformer un lieu de combat en lieu d'orgie. Gloire à nous. Joli palmarès au tableau des alter-mondialistes. Unissons-nous dans l'euphorie des paillettes, célébrons l'avènement d'un nouvel être social : le décérébré strass-contest. Je pollue mais c'est au nom de l'écologie. J'achète un T-shirt pour dire qu'il faut consommer moins. Plus rien n'a de sens. Mais voilà un nouveau style dans lequel une jeunesse sans cerveau va pouvoir puiser son identité. La mode est à la politisation. Le problème c'est qu'être politisé, c'est se poser des questions, la première étant "quel est le sens de mes actes ?". Invitons plus de stars "engagées" ou pas, rameutons 500000, 1 million de personnes à qui l'on sert "la contestation sur un plateau". Pas de problème, vous pouvez avoir bonne conscience, vous avez fait votre pèlerinage au Larzac.

Qu'on se le dise, il n'y a plus rien à craindre de ce rassemblement, la Terre entière pourra bien s'y retrouver, elle n'y fera que boire des bières et les paroles de son prophète. Messieurs les décideurs, vous avez relâché José, nous aurions pu vous montrer que nous ne sommes pas dupes, mais non, nous vous remercions bien bas, nous allons faire la fête et nous ne vous embêterons pas.

La tyrannie du toujours plus nombreux.

Qu'est-ce donc que cette folie des grandeurs ? Bien évidemment, il y a eu, de la part des organisateurs, la volonté de rassembler pour démontrer que la contestation est nombreuse. La volonté d'organiser le soutien à José Bové. Et bien nous avons été nombreux mais à quel prix ? Les organisateurs se sont dits surpris puis dépassés par le grand nombre. Qu'y a t'il de surprenant quand on sait que les concerts de Manu Chao et d'Asian Dub font se déplacer les foules par dizaines de milliers de personnes ? Quelle est la valeur dans ces conditions de ce chiffre de 200000 personnes ? Peut-on vraiment être surpris quand on organise un rassemblement à la manière d'un festival, que celui-ci prenne en effet l'aspect d'un festival ? avec ce qu'il peut avoir de plus décadent. Peut-on s'étonner, quand on génère une telle concentration de personnes, un tel "marché potentiel", de voir débarquer les marchands de malbouffe, de coca, de biscuits LU et de tabac ? Peut-on s'étonner même de voir des organisations militantes servir leurs assiettes entre 4 et 6 ? ? Ici, on est venu faire du business. Un distributeur de fric est là pour nous y aider. Parce qu'ici on a créé pendant 3 jour l'équivalent d'une cité urbaine, avec sa pollution, son ingérabilité, ses dérives, ses clochards qui font les poubelles (et oui) . Ce n'est pas pour rien que, dans ces "autres mondes possibles" pour lesquels nous luttons, le développement de l'économie locale tient une place importante. C'est parce que dans le petit groupe, la communauté à taille humaine, réside la possibilité de l'autogestion, du rétrocontrôle, du dialogue, de l'organisation autonome. Soyons clairs, il est hors de question que la qualité de notre organisation, que le cour même des modes de vies que nous défendons soient mis à mal au profit du grand nombre et de la recherche de ralliement. Intolérance ? Il y a des choses qu'un alter-mondialiste ne peut pas tolérer. Je crois.

Cet autre monde n'est pas le notre.

Ce que nous avons montré pendant ces 3 jours, c'est que nous n'étions pas plus capables que le monde libéral d'organiser une distribution démocratique de l'eau. Ressource essentielle et vitale, surtout par cette chaleur. Ceux qui en avaient les moyens achetaient leur bouteille 1 ? voir 2,50 ? en période de pénurie, les autres faisaient la queue aux citernes pendant parfois plus de 3/4 d'heure sous le cagnard. Sur le camp, ce problème devient presque un sujet tabou, "la région manque d'eau". Certes. Et quand bien même, les pacs ne manquaient pas, si la logistique de ce rassemblement coûtaient cher, il était scandaleux que son financement se fasse sur la vente d'eau. Mais le prix prohibitif de la bouteille d'eau était peut-être bien un moyen trouvé pour en modérer la consommation. Si les ressources en eau de la région posaient problème, encourager la venue d'autant de personnes sur le site était criminel. Si l'arrivée de personnes pouvait être stoppée, c'est bien avant qu'elle aurait dû l'être.

Apprendre à vivre autrement.

Si mon désarroi est grand, c'est que je pensais vraiment entrevoir la construction d'un autre monde sur le Larzac, la mise en application de principes simples instituant des rapports différents entre les individus et entre les individus et leur milieu. Rapidement la boue se forme au bas des robinets des citernes. La récupération d'eau est un réflexe que nous devrions assimiler rapidement. Une technique assez efficace est d'intercaler un récipient entre le trou d'évacuation et le sol (balaise). Une citerne de récupération à coté et l'affaire est réglée. Les paysans du coin auraient sûrement su quoi en faire.

Une autre curiosité du camp étaient ces toilettes (chimiques ?) qui n'ont mis qu'une journée à se boucher et dégager une bonne odeur de marée. Les toilettes sèches existent, écologiques, compostables, pédagogiques, un exemple pas si compliqué et éloquent pour faire comprendre qu'on peut agir intelligemment même avec son trou du cul. Non finalement, à ma connaissance, les seuls à nous avoir fait vivre un autre possible, ce sont les anars, c'est à dire la cantine autogérée, et le car de la Vieille Valette. Ces deux groupes ont institué le prix libre dans leur fonctionnement, permettant à bon nombre d'entre nous de pouvoir se nourrir pour des sommes raisonnables et adaptées et ainsi de ne pas mettre un terme prématuré au séjour pour des raisons d'argent ! Ces mecs là ont mis un claque à tout le monde. Le prix libre incite à devenir responsable en consommant, à se poser la question de la réelle valeur de la marchandise, du travail et de l'argent. Finalement, des gens, des communautés qui instaurent un mode de vie alternatif, il y en a peut-être plein nos campagnes. Ils ont certainement un grand nombre de choses à nous apprendre. Il n'y aura rien d'étonnant à ne pas les voir dans ce genre de foires.

La solution à tous les problèmes de dysfonctionnement : l'appel à la solidarité.

On pouvait en effet parler de "tous ensemble", mais du "vivre ensemble", c'était déjà plus audacieux. Vivre ensemble, ça se pense, ça s'appelle l'autogestion, et cela suppose au départ d'encourager les initiatives individuelles, de favoriser la vie communautaire, le dialogue, la responsabilisation de chacun par sa participation effective et lisible dans la vie de la communauté. Organiser cette masse de personnes en petites communautés, chacune gérant son eau, ses déchets, ses places de camping pour faire des zones d'ombre sous le soleil, aurait peut-être été possible (à condition de penser ce rassemblement différemment). C'est peut-être aussi cela lutter contre un mode de vie consumériste. Qu'on arrête avec ces appels à la solidarité. Si à chaque fois qu'on met en place une organisation déresponsabilisante il faut demander aux uns, par pure charité chrétienne, de réparer les conneries des autres, on risque de voir nos rangs désertés par ceux en recherche d'une autre au logique et se remplir d'autres en quête d'une nouvelle religion, sans grand sens critique. Réparer les pots cassés dans un système incohérent, c'est ce qui se fait déjà tous les jours autour de nous, et c'est ce contre quoi nous luttons je crois.

Peut-être en effet que je suis un donneur de leçon et que je n'ai rien de consistent à proposer. Cela ne doit pas me faire fermer les yeux sur ce que je vois de dangereux. Ce rassemblement du Larzac peut apparaître aux yeux d'une majorité comme étant une réussite, pour ma part, il est le révélateur de nos lacunes, de nos incohérences sur lesquels il conviendrait de réfléchir ensemble dès maintenant si nous ne voulons pas tous passer pour des rigolos.


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