DE FERRY JULES A FERRY LUC

OU

DE LA DICTEE A L’ADDICTION1

 

Gilbert Molinier2

Luc Ferry, naguère encore Président du Comité National des Programmes des ministères François Bayrou, Claude Allègre puis Jack Lang, devient Ministre de la Jeunesse, de l’Education nationale et de la Recherche du nouveau Gouvernement Raffarin, illustrant sans doute ainsi la nouvelle donne issue de ce que d’aucuns décrivent encore comme un "séisme politique" (On en rit encore !). En réalité, s’il y a eu une "surprise" ou un "séisme" au soir du premier tour des élections présidentielles, elle ne tient qu’au fait que le Front national a réussi à casser le consensus politico-syndical pendant quelques heures… pour le voir se reconstituer aussi sec, mais renforcé.

 

Le nouveau ministre assurera donc probablement la continuité dans la rupture, à moins que ce ne soit le contraire. Peut-on raisonnablement penser que, changeant de fonction, va se concrétiser sous nos yeux, un nouveau renversement dialectique ? Peut-on raisonnablement penser que, changeant d’équipe gouvernementale, le même devenant l’autre tout en restant identique, s’accomplisse sous nos yeux, un nouveau saut dialectique ? Rien n’est moins sûr ! Pour l’heure et pour nous, cette nomination symbolise la permanence du consensus en matière de politique d’enseignement.

 

Mais tenons-nous éloignés de ces conjectures politiciennes ! Restons sur le terrain plus solide des déclarations, des faits et de leurs effets réels !  Un propagandiste officiel nous l’assure : Luc Ferry "a supervisé la refonte et l’écriture de nouveaux programmes, de la maternelle au collège, l’objectif étant de définir ce que devra être la ‘culture générale’ de l’honnête homme du XXIe siècle."3 Et il ajoute : "Ce projet est vivement critiqué par des enseignants4 qui y voient une baisse généralisée des exigences de l’école." Pour notre part, nous retiendrons une de ses déclarations dignes de figurer dans une anthologie des classiques de la pédagogie moderne.

Dans une récente livraison, Le Point5 interrogeait Luc Ferry :

 

Question : "Les élèves apprennent-ils encore des récitations et font-ils des dictées ?"

Réponse : "Oui, on a récemment remis certaines formes de ‘par cœur’ au programme. Quant à la dictée, c'est un outil indispensable non seulement d'évaluation, mais aussi de formation. Je fais faire une dictée par jour à ma fille de 10 ans : elle est encore en vie et cela lui fait le plus grand bien !"

 

Genèse d’un nouveau concept : la "dictée à l’adulte"

 

Etrange réponse dans laquelle le Président du CNP indique que la "dictée" est délocalisée (elle passe de l’école à la maison) et "réévaluée" (elle est investie d’un nouveau contenu conceptuel : la "dictée à l’adulte"). En effet, si l’on reprend l’ensemble des nouvelles dispositions réglementaires, il n’y est jamais question de dictée au sens classique du terme et moins encore d’en indiquer les objectifs, la fréquence, les modalités et le rôle dans l’enseignement primaire. Pire encore, on entend par dictée soit quelque chose qui n’en est plus qu’une caricature ("copier sans erreur un texte de trois ou quatre lignes"…), soit quelque chose qui en renverse le contenu, le sens et la fonction (la dictée est la "dictée à l’adulte").

 

Nous avons donc recensé toutes les occurrences des plus récentes directives ministérielles6 en matière d’apprentissage de la dictée dans l’enseignement primaire et proposons ici quelques commentaires et observations.

Cette réponse a sans doute échappé au Directeur des programmes, en l’occurrence beaucoup moins kantien qu’il ne le croit et beaucoup plus marxiste qu’il ne le sait. Elle est d’une importance capitale. Elle expose à son insu le résultat d’un mouvement historique général qui conduit de la dictée à l’élève à la dictée à l’adulte. Nous en présentons schématiquement les moments à partir de cet exemple particulier.

 

a) a)      Premier temps (années 1960) : les programmes de l’enseignement public sont réduits. L’insupportable démocratisation de l’enseignement est toujours accompagnée de réductions de contenus des programmes. Progressivement, l’école lieu d’enseignement devient, pour tous, lieu d’éducation. Elle se décharge de sa mission d’instruction pour devenir d’abord lieu de contrôle social. Elle va progressivement renforcer les inégalités.

b) b)      ce premier moment, dès qu’il est socialement perçu (fin des années 1960), conduit nécessairement à la privatisation des activités autrefois publiques, d’abord sous les formes de la débrouillardise ou du petit artisanat (dictées faites à la maison ou petits cours particuliers assurés, en dehors de l’école, par des professeurs de l’enseignement public). L’école publique perdant de son prestige, les écoles privées se multiplient. Leur création fut encouragée par les politiques d’alors.

c) c)      Le développement de ces activités artisanales fait retour dans l’enseignement public (milieu des années soixante-dix, réforme Haby), sous la forme du "collège unique", assorti, par exemple, de mesures compensatoires : "aide aux élèves en difficulté", "aide aux élèves en grandes difficultés", "groupes de niveaux", aide samaritaine aux effets désastreux... Ceci constitue une deuxième atteinte à la classe de niveau dans son sens classique. Ici, la destruction des programmes s’institutionnalise. Dans le même temps, les activités privées naguère enseignées dans l’enseignement public se développent pour atteindre la taille de l’atelier de l’artisan (groupes de professeurs de différentes disciplines proposant des cours à la carte, notamment dans le cadre de la préparation des examens...) ou bien la taille de la manufacture (boîtes à bac...). Le sens des activités scolaires est déjà transformé : les résultats (mécaniquement mesurables), prévalent sur les chemins (l’exercice de penser) qui y conduisent. Toutes les fausses pathologies de l’intelligence (dyslexie, dyscalculie, débilités...) sont désormais produites et prises en charge industriellement par l’école (nouveaux métiers, nouveaux diplômes, nouvelles orthopédies...).

d) d)      La machine arrive à ce moment où les conditions sont socialement réunies de l’invasion du marché par les calculatrices d’abord puis les ordinateurs. Ce moment se caractérise comme "la rencontre extraordinaire de l’objet et du besoin"7 selon l’heureuse formule d’Alexis Leontiev. Elle ne fait que mettre un point final à ce qui existe déjà en puissance socialement. Elle achève le processus de nivellement de toutes les activités particulières, publiques et privées en transformant le travail vivant en travail mort. Elle accélère le mouvement de transformation du travail de la pensée (dont la manifestation concrète est l’exercice) en travail de mécanisation de la pensée (dont la manifestation concrète est le contrôle). "L’intelligence" artificielle devient le modèle exclusif de toute "intelligence".

e) e)      Elle produit une déqualification du travail de l’enseignant en même temps qu’une requalification des métiers de la "rédemption" et du contrôle des populations. Elle produit simultanément un aplatissement des espaces institutionnels et, enfin, une indifférenciation des places (enfant/professeur, enfant/élève, professeur/père...) jusqu’à la caricature en créant des nouveaux types (l’adulte-enfant, l’enfant-maître, le maître-adulte...). Le cortège des "pathologies" de l’intelligence s’enrichit du cortège de toutes les fausses psychopathologies (fausses psychoses, faux troubles du caractère, faux troubles du comportement, conduites addictives...). Elles sont à leur tour prises en charge par ceux qui les produisent (psychologues cognitivistes, comportementalistes...) dans un cycle particulier de la rentabilité (industrie pharmaceutique...) et de la rééducation (CMPP...).

 

Les conséquences anthropologiques de ces transformations sont considérables. Ces nouvelles conditions deviennent à leur tour un nouveau point de départ de l’industrialisation des activités d’enseignement. Celles-ci doivent devenir éminemment rentables. Une nouvelle figure de la culture s’installe, où la catégorie public/privé est en voie de réaménagement. Nous assistons aujourd’hui aux dernières convulsions du moribond républicain et de ses défenseurs attardés. Dans la perspective de cette redéfinition, les principes juridiques qui gouvernaient l’école républicaine (neutralité commerciale et laïcité) sont complètement caducs ; ils sont depuis longtemps déjà, entrés en contradiction avec la réalité ; ils doivent être détruits. La privation des activités liées à l’enseignement public, par exemple, le fait de priver les jeunes élèves de dictées conduit à la privatisation de la sphère publique qui, rétrospectivement, devient un accident historique.

 

 

Dévalorisation, déritualisation de la dictée. Transformation des fonctions. Transformation des espaces institutionnels. Délégitimation du maître d’école.

 

Nous partons du seul endroit possible à partir duquel un enseignement peut exister. Celui-ci est fondé sur une inégalité de fait et de droit : celui qui enseigne sait, celui qui est enseigné ne sait pas encore. Ceci est au fondement de toute possibilité d’apprendre et d’enseigner. Bouleverser, inverser le sens de ce rapport, "[…] qu’un enfant commande à un vieillard, qu’un imbécile conduise un homme sage […]" c’est aller, dit Jean-Jacques Rousseau, "[…] contre la loi de nature, de quelque manière qu’on la définisse"8.

 

Que se passe-t-il avec les nouveaux "experts" ? On peut retrouver aisément tout le programme de modernisation  de l’enseignement dans ces deux mots : "la dictée à l’adulte". A un égard, mais un seul, l’ensemble de ces nouveaux règlements est frappé du sceau de la cohérence : la dictée est "dictée à l’adulte". Malheureusement, c’est bien cette "cohérence" de la répétition qui en fait le caractère scandaleux. Si, de l’avis du grand réformateur lui-même, la dictée est le plus sûr moyen, la voie royale, pour accéder à ces savoirs fondamentaux que sont la lecture et l’écriture, pourquoi la supprimer ? Certes, la "dictée ne peut pas tout régler", mais qui a jamais prétendu que la dictée "pouvait tout régler" ? Il est certain, a contrario, que sans dictée on ne peut rien régler du tout, tout simplement parce qu’il n’y a plus de règles. Monsieur Luc Ferry prend acte du rapprochement proposé entre le par cœur et la dictée. Assimile-t-il alors les partisans de la dictée, dont il est un vaillant défenseur, mais seulement à la maison et pour sa fille, à un mouvement rétro ? Le président du Comité National des Programmes devenu Ministre vante les mérites de la dictée mais en dispense les élèves des classes du primaire. L’ancien ministre vante les avantages de la grammaire, "le nerf de la pensée"9, dit si justement George Steiner et, prévoyant un temps pour l’apprentissage de celle-ci, balance le contenu par-dessus bord.

 

Révolutions. Que se passe-t-il à l’école de Ferry Luc ? Le maître ou le professeur disparaissent et deviennent adultes. L’élève disparaît et devient enfant. Plus de maîtres, plus d’élèves, plus d’école… Le maître perd le contrôle de sa discipline, est prié de passer son pouvoir à son voisin ; papa prend le relais et s’institue maître ou élève, adulte ou enfant ; il se fait dicter par sa fille et devient l’élève, ou dicte à sa fille et devient maître. Papa contrôle sa fille ou la fille de son papa contrôle son papa. La chose même, la dictée, perd son latin, elle n’est plus exercice exerçant à l’apprentissage des ruses et des particularités, des règles et des montages de la langue, dont l’agencement est producteur de sens, elle ne sert plus à rien d’autre que de contrôler et de mettre en statistique, enfants, parents, élèves et professeurs, les uns devenant les autres et réciproquement, selon un engendrement a-logiquement grammatical (Que deviennent : "Je" ?, "Tu" ?...).

 

Métamorphoses. Lorsque le Président du CNP devenu Ministre rentre à la maison, il redevient papa, et hop !, … il transforme la maison en école... et hop !, nouveau renversement, il devient maître d’école. Et ce sont les mêmes qui, sans ironie, parlent d’une perte de repères de la jeunesse ! Mais on ne veut pas voir que cette perte est organisée méthodiquement. Et nous, nous nous perdons en conjectures. Doit-on comprendre que mademoiselle Ferry "fait faire une dictée par jour" à son papa pour son "plus grand bien" en appliquant les directives ministérielles à la maison aussi, ou bien doit-on dire que papa Ferry "fait faire une dictée par jour à sa fille" parce que, à l’école, le professeur doit ne plus "faire faire" de vraie dictée, à l’élève Ferry aussi ?

 

Questions. Si la dictée fait "le plus grand bien" à mademoiselle Ferry, pourquoi alors en priver les autres élèves ? Si on connaît le "plus grand bien", pourquoi en interdire l’accès à tous ? Si on connaît le vrai, pourquoi ne pas le dire à tous ? D’autant que, mais nous le savions déjà, après expérimentation à haut risque effectuée sur sa propre enfant, le savant ès pédagogie a fait une nouvelle découverte géniale : "on n’en meurt pas" ! Si la dictée "fait le plus grand bien", tout ce qui se présente comme ersatz de dictée sera un "bien moindre", voire même "un grand mal". Alors, pourquoi imposer un "moindre bien" voire "un grand mal" lorsqu’on connaît le "plus grand bien" ? Pour quoi ? N’est-ce pas Galilée qui disait : "[…] celui qui ne connaît pas la vérité, celui-là n’est qu’un imbécile. Mais celui qui la connaît et la qualifie de mensonge, celui-là est un criminel."10 A bon entendeur, on adresse son salut !

 

 La dictée Ferry Luc, transformée en simulacre de dictée Ferry Jules est incapable d’aiguiser l’attention11[10] car elle est trop courte ; elle est incapable d’assurer quelque fonction d’apprentissage orthographique et grammatical car elle ne porte que sur un seul point grammatical : c’est une pure "dictée de contrôle" . Elle devient instrument de pouvoir pur, sans phrase : "La dictée, quant à elle, est un outil indispensable d’évaluation."12. On a volontairement oublié son rôle formateur de l’attention de l'élève sur un texte et son "[…] rôle généralement incompris et peu soupçonné : insuffler dans l’inconscient des gosses une dose de langue française qui l’alimentait d’une manière des plus subtiles et des plus efficaces, parce que détournée…"13. Rappelons que le débat sur la dictée s'est enfermé dans une compréhension étriquée, partagée par les soi-disant modernes et les ci-devant anciens, les uns et les autres évaluant son importance exclusivement en regard d’une fonction répressive de contrôle de l’apprentissage des règles grammaticales et orthographiques.

 

En même temps, comme dans la publicité, la pauvreté des contenus réels s’enrobe de prétentions insensées. Par exemple, il est aujourd’hui question de "faciliter la prise de notes en sixième"14, objectif que le lycée ne pouvait même pas atteindre alors qu’il recrutait deux élèves par classe de CM2. Ceci, alors qu’aujourd’hui, même l’ambition de faire en sorte que des élèves moyens de sixième fassent preuve d’une attention leur permettant, non pas de prendre des notes, mais simplement de copier, non pas "au tableau", mais "sous la dictée", un exercice d’arithmétique ou de tout autre nature, est devenue démesurée. De la même façon, quand va-t-on nous dire que les élèves savent faire des divisions en CM2, c’est-à-dire, pour ceux qui ne se payent pas de mots, qu'ils en ont compris l'algorithme, qu'ils savent donc faire toute division, alors que le programme les limite aux divisions d’entiers où le dividende a au maximum quatre chiffres et le diviseur au maximum deux chiffres15 (compétences inférieures à celles requises en C.E. jusqu'en 1970).

 

On comprendra que les conservateurs et autres réactionnaires ainsi désignés rencontrent encore d’énormes difficultés à comprendre que ces textes pédagogiques contredisant vingt-cinq siècles de pédagogie artisanale devenue naguère discipline scientifique à part entière opèrent, en réalité, une véritable révolution copernicienne dans l’ordre de l’apprentissage. C’est la raison pour laquelle les jeunes élèves, pris de vertige, perdent la boule.

 

Par pure démagogie politicienne, on refuse de discuter de ce qui faisait réellement la valeur de l’école de Jules Ferry et on ne retient que les aspects les plus négatifs de ses côtés négatifs. Plutôt que bavarder sur les bienfaits ou les méfaits de "l’école de Jules Ferry"16, ne serait-il pas plus utile de poser les problèmes réels des contenus à enseigner dans les matières fondamentales que sont l'arithmétique et la langue ? Le faux débat organisé entre ceux qui s’opposent au "apprendre par cœur" les tables de multiplication parce que ce serait "fasciste" et ceux qui, partant des mêmes prémisses, y sont favorables car ils y voient un retour à l’ordre, est un débat truqué : on passe de la négation de la nécessité d’apprentissages mécaniques reconnus comme tels à la glorification du mécanisme en lui-même comme apprentissage de la servilité. L’Ecole de Jules Ferry, outre son éloge historique du "moteur à bananes" et de l’Empire tendait, vers les années cinquante-soixante, à réduire de plus en plus l’enseignement du "Lire, écrire, compter, calculer" à leurs aspects mécaniques17[16]. Rappelons que le débat sur la dictée s’est enfermé dans une compréhension étriquée, partagée par les soi-disant modernes et les ci-devant anciens, les uns et les autres évaluant son importance exclusivement en regard d’une fonction répressive de contrôle de l'apprentissage des règles grammaticales et orthographiques. L’école de Ferry Luc ne reprend que le pire de ce que fut l’école de Ferry Jules, le contrôle et l’asservissement des populations. Nous entrons dans la société du contrôle continu généralisé. Dans ce cadre, on ne doit pas oublier que les réformes introduites dans la même période faites au nom de l’intelligence18 n’ont, le plus souvent, fait qu’aggraver les aspects qu’elles prétendaient combattre19.

Le vide organisé se transforme en spectacle. Dans la sorte de mise en scène télévisée des Dicos d’or, le maître de cérémonie n’est plus qu’un faux comédien, figure grotesque de l’instituteur. La blouse grise de Bernard Pivot est un habit de clown triste. Il est autrement instituteur que Bruno Cramer est professeur de philosophie dans Les noces blanches. Cette mise en scène produit un leurre de l’ordre de l’escroquerie au lieu de produire l’illusion propre à la représentation. La première présente, sans médiation, la résolution d’un conflit imaginaire (l’exercice classique, dictée, comme souffrance infligée), tandis que la seconde représente, médiatement, l’exposition d’un conflit réel (le glissement d’une relation pédagogique vers une relation amoureuse).

 

Les dictées des Dicos d’or ne retiennent de la grammaire que les exceptions (pluriel des noms composés, imparfait du subjonctif des verbes irréguliers...). Elles sont exercices à froid de pure virtuosité technicienne. Préparées pour la circonstance par des techniciens de la langue, elles nient l’existence de la littérature. Elles sont à la littérature ce que les arpèges sont à la symphonie. La connaissance des règles de grammaire, de conjugaison n’est plus au service de la production d’un sens, mais soumise au classement d’un championnat. A la production du sens, elles opposent l’injonction du vide. Transformées en jeu télévisé, elles tuent l’idée même de jeu sur la langue. Elles sont à l’écriture ce que la tératologie est à l’anatomie. Elles ne saisissent du vif du Witz que le mort du phonème.

 

Par exemple, l’an dernier encore, le recteur-banquier de l’académie de Strasbourg, représentant direct du ministre de l’Education nationale, organisait Les Dicos d’or sur son territoire en fournissant les infrastructures scolaires et les enseignants à ladite banque. Dans une note de service adressée aux inspecteurs d’académie, il écrivait : "Ces championnats, organisés par le Crédit Agricole d’Alsace, permettent de faire mieux connaître au grand public la qualité de l’enseignement dispensé dans nos établissements et de récompenser des élèves à l’excellente maîtrise de l’orthographe et de la langue."20 ?

 

Et pourtant, le 30 novembre 1993, le Tribunal administratif de Caen "annulait" l’action de l’inspecteur d’académie qui avait "autorisé l’organisation d’un concours d’orthographe, avec la participation d’un organisme de crédit agricole [parce qu’il] avait méconnu le principe de neutralité scolaire"21. Pourquoi, bien qu’interdit par tous les règlements, ce jeu d’orthographe est, aujourd’hui, encore, organisé par le Crédit agricole avec le soutien logistique du ministère22[21] ? Nous sommes devant des difficultés paraissant absolument insolubles23.

 

Nous assistons à un double mouvement, l’un renforçant l’autre : d’un côté, les programmes disciplinaires sont détruits (ils doivent s’adapter à la nouvelle définition de l’élève-enfant-consommateur rentable) et, de l’autre, on assure la promotion des jeux dits pédagogiques . Il faut en convenir : cette réforme est le contraire de ce qu’elle prétend être ; elle ne vise à rien d’autre que saper méthodiquement les fondements qu’elle prétend édifier. Pour reprendre à l’endroit un slogan publicitaire ministériel récent, on pourrait dire : "Avant tout, au collège, et comme principe absolu, on apprend à ne pas apprendre la langue française." L’école primaire est en voie de destruction, elle est organisée par les plus hautes autorités du Ministère de l’éducation nationale dans une indifférence politique inquiétante. Des voix se lèvent, trop peu nombreuses encore, pour dénoncer une entreprise que George Steiner nommait naguère "une mort de l’esprit"24 ou que Bertrand Poirot-Delpech nommait hier "dinguerie meurtrière du ministère."25

 

Faits et effets

 

Un autre propagandiste officiel nous l’assure : Luc Ferry, dit Le Monde, "plaide pour l’‘élagage’  de programmes, qu’il juge trop ‘lourds’. Pour lui, il faut recentrer l’enseignement sur les notions essentielles, malgré les critiques de ceux qui craignent une ’baisse de niveau’ ou qui, à son grand agacement, l’accusent de prôner un lycée ‘light’"26. L’élagueur n’a-t-il pas tendance à confondre les branches superflues et le tronc de la connaissance ?

 

Les directives ministérielles indiquent : "Aucun élève ne doit quitter l’école primaire sans avoir cette assurance minimale dans le maniement du langage oral et du langage écrit qui lui permette d’être suffisamment autonome pour travailler au collège."27 On peut juger des effets d’"excellence" de cette directive ministérielle, non pas tant en regard de ce que "des professeurs y voient", mais aux résultats réels. Il suffit de se mettre modestement à l’écoute des jeunes élèves promis à l’"excellence". Il suffit pour cela de constater ce qu’il en est de l’acquisition de ce "‘socle commun’ de connaissances et de compétences que les élèves doivent acquérir."28 Mais écoute-t-on encore ses enfants ?

 

Vous étiez avec votre père au comptoir d’un bureau de tabac. J’étais derrière vous. Il a acheté ses cigarettes et vous a demandé : "Choisis le billet que tu veux !" Vous étiez déjà assez grande pour n’avoir pas à vous dresser sur la pointe des pieds pour regarder les liasses de billets de loto, bingo, black jack, millionnaire,... qui étaient posées sur le comptoir. Je n’ai pas vu votre visage, mais à en juger à votre voix et votre taille, vous deviez bien avoir 13 ans. 13 ans ! Vous êtes donc née en 1989, date célèbre entre toutes, moment où la France fêtait le deux centième anniversaire de la Grande Révolution. A l’époque, sans doute pour marquer la différence, et ceci n’est pas indifférent à notre propos, le Président de la République reléguait ses trente invités africains de seconde zone dans des grands hôtels parisiens, tandis qu’il invitait ses pairs du G7 au… Château de Versailles. Vous étiez donc bien au-delà du cycle III de l’enseignement primaire. Vous avez répondu en montrant du doigt : "J’en voudrais un de cette race-là."

 

Singulière réponse. Inquiétante réponse. N’avez-vous pas appris toutes ces belles choses dont nous parlent les directives ministérielles ? N’avez-vous pas appris, vous déjà si grande, à faire autre chose que montrer du doigt ? N’avez-vous pas appris en classe ces autres mots de sorte, genre, catégorie, classe, espèce… pour rester dans les abstractions ; ou ceux de bingo, loto, millionnaire, black jack, solitaire…, pour rester dans le concret ? Classer les objets est une des premières opérations intellectuelles accomplies par les jeunes enfants. Avec si peu de mots à sa disposition, le monde doit être bien triste ! Mais dites-moi ? Voyez-vous des "Peugeot", "Fiat", "Renault", "Volkswagen", "Toyota"… ou ne voyez-vous que des races de voitures ? Si, pour distinguer des choses, vous ne disposez que de ce mot de "race", comment donc distinguez-vous les chiens ? Voyez-vous des setters, bouledogues, teckels, épagneuls, dalmatiens… ou seulement des  races  de chien ? Comment distinguez-vous les hommes ? Et plus encore, voyez-vous des hommes ? Et comment voyez-vous, comment nommez-vous leurs différences ? Des hommes et des femmes ? Voyez-vous des sexes différents (masculin ; féminin) ou des races de sexe ? Rien n’est moins sûr, parce que les yeux ont besoin des mots pour voir ! Mais nous sommes sûrs, absolument sûrs, que vous ne voyez que des races : des blancs, des jaunes et des noirs. Il se pourrait même que vous ne voyez que cela, peut-être même de façon obsédante.

 

Ne voyez-vous en ce monde que du noir et du blanc ? Un monde gris ? Sans couleur ? Point de bleu et de jaune, de rouge et de vert dans votre monde ? En regardant un arc en ciel, ne voyez-vous que des races de couleurs ? Colombine, comment choisirez-vous vos robes ? Avec quels yeux verrez-vous votre Arlequin ? Et même, voyez-vous ce costume et ces couleurs ? Et que lui direz-vous ? Saurez-vous lui parler à mot couverts, à demi-mot, vous qui ne vivez sans doute qu’avec des mots-choses ? Plus de couleurs, plus d’amour. Plus de couleurs, plus de joies. Plus de mots, plus rien. Le chaos, chaos mental, chaos du monde. Quel désastre ! Mademoiselle, vous si jeune ; l’école vous a volé vos yeux ! J’aurais alors voulu vous lire ces phrases, mais… : "Prétendons que le sens naît les yeux dans les yeux des sons… prétendons, voulez-vous, que toute pensée au départ n’est qu’une rime qu’on oublie, après, quand elle a pris la voix humaine. Et je n’étais que cette rime, et suis devenu cet amour. Et j’ai pris, moi, la haute mer."29

 

La même directive ministérielle indique : "Si, en mathématiques, une réflexion nouvelle sur l’apprentissage du calcul se fait jour, qui prend en compte les machines susceptibles de suppléer l’homme dans ce domaine, l’essentiel du programme réside dans l’orientation pragmatique d’un enseignement des mathématiques centré sur la résolution de problèmes."30[29] A titre d’exemple, examinons-en un résultat miraculeux.

 

Comment vous appeliez-vous ? Je n’ai même pas eu la courtoisie de vous le demander. Un vrai mufle ! Un mercredi matin de juillet 2001, vous vendiez de la charcuterie sur le marché de Belleville. Habillée d’un tablier blanc, vous aviez l’air fier d’aider votre maman. Déjà grande, vous aviez chaussé des talons un peu trop hauts pour ce genre de travail. Mais à votre âge, on a bien le droit d’être coquette. Je m’amusais à vous regarder compter et couper les merguez avec une maladresse appliquée, un tantinet trop sérieuse. Je les voyais déjà dans mon assiette. Vous aviez du mal à cacher votre dégoût de prendre ces choses dans vos mains ; c’est tout gras et ça glisse entre les doigts. Et puis, il vous fallut passer aux exercices intellectuels : la pesée. La balance électronique fait tout le travail… ou presque. Il a bien fallu que vous lisiez le nombre de francs indiqué sur le cadran bleu. C’était écrit : 57,86 francs , cinquante sept francs quatre vingt six. Vous avez dit : "Ça fait 57 francs et… Il y a une virgule ?! Et après…, je sais pas lire."31

Vous aviez 13 ans à ce que vous m’avez dit. Votre maman a accueilli mes remarques avec agacement lorsque je vous ai dit ma surprise de voir qu’à votre âge, déjà en classe de cinquième, vous ne saviez pas encore lire les chiffres après la virgule.

 

Ne voyez-vous le monde que d’un œil ? Ne voyez-vous que la partie du monde située à gauche de la virgule ? Ne voyez-vous le monde que dans ses parties entières ? Pensez-vous que ce qui vient après la virgule soit quantité négligeable, donc à négliger. Etes-vous déjà prête à croire que 79,90 euros marqués sur une paire de chaussures, c’est plus près de 60 euros que de 70 ? Si on vous propose une part de tarte qui représente 75 % de la tarte, soit les ¾, alors vous considérerez que c’est "beaucoup" mais, comme cela n’en représente que 0, 75, alors ce n’est pas beaucoup ! Je me demande si vous avez une notion empirique de ce qu’est une fraction, un pourcentage…, Vous partagez probablement des difficultés largement observées chez les élèves de sixième, attestées par les évaluations officielles : l’incompréhension des nombres décimaux, pris pour deux nombres distincts, juxtaposés, séparés par une virgule comme des mots le sont dans une énumération, dans une phrase. Comme l’école ne vous apprend plus à les construire par vous-même par l’opération de division effectuée à la main, les nombres décimaux deviennent incompréhensibles, et proprement illisibles, même - et surtout - quand une machine les affiche automatiquement.

 

Faut-il alors que quelques journalistes-courtisans feignent de s’étonner que des professeurs lancent des cris d’alarme ? Jean-Pierre Demailly écrivait récemment : "Face à la tendance actuelle qui semble être à une réduction systématique des horaires d’enseignement en mathématiques et des moyens alloués à cette discipline, il y a donc lieu d’exprimer une grande inquiétude."32 Cette inquiétude va au-delà de l’impossibilité d’enseigner ; à mon sens, elle atteint même la possibilité de vivre ! La question ne se situe plus seulement en cet endroit des "exigences de l’école" mais bien plutôt en cet autre de savoir si la vie, la simple, toute simple vie a, elle, baissé ses exigences, mêmes les plus simples !

 

Transportez-là, cette virgule, dans un texte littéraire. N’avez-vous pas appris que la virgule sépare ? N’avez-vous pas appris que la virgule sépare et lie ? En littérature, la virgule est peut-être aussi importante que l’est la barre de fraction en algèbre. Prenez ceci :

"Ariane, ma sœur, de quel amour blessée

"Vous mourûtes au bord où vous fûtes laissée."

Supprimez les virgules, il ne reste plus rien, et de Phèdre, et de Racine.

Comment, arrivée en terminale, pourra-t-on essayer de vous expliquer qu’écrire : "Je pense, (virgule) donc je suis.", c’est tout autre chose que "Je pense : (deux points, ouvrez les guillemets) ‘donc je suis’." ? Transportez la virgule dans les airs. Comment alors, pourra-t-on vous expliquer que : "Je la prends.", c’est à la fois pareil et pas pareil que : "Je l’apprends ." ? Pire encore. Comment pourrez-vous lire Jean-Pierre Brisset ? J’aurais voulu vous lire ceci, par exemple, "Soit :  Les dents, la bouche. Je trouve : Les dents la bouchent. L’aidant la bouche. L’aide en la bouche. Laides en la bouche. Laid dans la bouche. Lait dans la bouche. Les dents-là bouche, et autres."33. Ce texte n’a-t-il pas quelque chose de magique ? On ajoute une virgule, on la retire, on la change de place, et hop, en même temps, tout reste pareil et tout change. Et on rit. Quel désastre ! Mademoiselle, vous si jeune ; l’école vous a volé votre rire !

 

La même circulaire ministérielle indique : "C’est dans ses dernières années d’école primaire qu’il [l’élève] apprend véritablement à construire, avec ses camarades et avec ses enseignants, des relations de respect mutuel et de coopération réfléchie qui l’introduisent aussi à une première sensibilité aux valeurs civiques."

 

J’ai récemment reçu d’un collègue d’Evreux un modèle du genre combinant l’exercice suivant de dictée et de vertu morale, sorte de réduction monnaiétique de la grammaire et de l’orthographe pour lequel 1 mot = 1 euro.

"Au profit du séjour à la mer du CP-CE1, du séjour à Poses des CM , de la journée du cirque des maternelles

Organisé par l’Association Scolaire

Nom de l’enfant :

Complétez la partie intérieure de ce livret. La somme gagnée par l’enfant vous sera demandée pour le 29 avril.

Règle du jeu :

. Pour l’enfant : il s’agit de trouver le maximum de sponsors pour sa dictée avant le 15 avril (l’engagement par mot ne doit pas dépasser 1 euro)

. Pour vous, sponsors : il vous faut déterminer combien vous désirez donner à l’enfant (en euros ou centimes d’euros) par mot écrit correctement durant la dictée qui aura lieu le 19 avril

Merci de votre aide".

 

En cet endroit, n’atteint-on pas des sommets ? S’il ne s’agit pas d’une entreprise de prostitution des jeunes élèves, alors peut-être s’agit-il de développer leurs "compétences transversales", celles dont nous parlent les experts en pédagogie : "saisir rapidement l’enjeu de l’échange et en retenir les informations successives."34 ? Tout cela s’organise sur fond de tartufferie ministérielle. N’est-ce pas Jack Lang qui, présentant sa campagne publicitaire "L’école du respect", déclarait : "Que nous présente-t-on trop souvent comme dignes de respect ? la richesse triomphante, l’ignorance cynique et la célébrité sans mérite ?". L’école n’est-elle pas alors perverse Pénélope, défaisant et détruisant tout ce qu’elle fait semblant de faire ? La parole n’est-elle pas séparatrice ? N’est-elle pas parole qui organise le chaos du monde ? N’est-elle pas celle qui lui donne sens ? N’est-elle pas celle qui le constitue ? Comme elle est constituante du sujet ? A propos du Dieu Hermès, Socrate dit : "Ainsi donc, double activité constituante, celle de tramer la parole et celle de tramer des paroles, voilà ce Dieu ; on dirait le législateur nous prescrivant : ‘Hommes, celui qui trama la parole, eïreïn émèsato, c’est à juste titre que par vous il serait appelé Eïré-mès !’"35

 

L’argent n’est-il pas cet objet qui introduit la confusion et la guerre en toutes choses ? Introduire l’argent comme valeur des valeurs dans l’école, et d’une façon si vulgaire, n’est-ce pas y introduire en même temps le désordre et le chaos, la confusion dans les têtes..? "L’argent […] confond et échange toutes choses, il est la confusion et la permutation universelles de toutes choses, donc le monde à l’envers, la confusion et la permutation de toutes les qualités naturelles et humaines."36 Sait-on dans quel épouvantable pétrin vont se retrouver tous ces jeunes à qui l’école aura appris que, pour inverser la formule de Hegel, "L’argent est la logique de l’esprit." ? N’avons-nous pas autre chose "à transmettre à ceux qui naîtront après nous ?"37 On vous vole, et votre cœur et votre âme.

 

La diction et l’addiction

 

Etant sourds et aveugles à ces sortes de lames de fond dont, comme tant d’autres, vous nous montrez la crête depuis longtemps déjà38, bien trop nombreux sont ceux qui font mine de s’étonner au soir d’un 21 avril de l’existence d’un "séisme politique" ? Mesdemoiselles, c’est que ceux-là ne vous ont jamais vraiment écoutées. Ceux-là ne voient et n’entendent quelque chose qu’au moment où leur poste est menacé ou leurs privilèges atteints. Ne sont-ce pas les mêmes qui produisent ce qu’ils prétendent combattre ? Le véritable séisme est à venir. Bientôt ? En attendant, ils fabriquent des bombes à retardement.

 

Quel est alors le sens de cette véritable révolution culturelle conduite sous la haute autorité du ministère de l’Education nationale en liaison avec les banques ? Une seule chose est absolument sûre : papa Ferry sait très bien que le Président du Conseil National des Programmes, monsieur Luc Ferry a, en réalité, supprimé ce "plus grand bien" pour les jeunes enfants, la dictée. Que fera le nouveau ministre portant le même nom ? Et l’un, et l’autre, savent parfaitement ce qu’ils font et vendent en matière de dictée. Ils savent parfaitement ce que vaut la cohérence administrative et pédagogique qu’ils mettent en place, exactement comme le Président de Phillip Morris sait parfaitement ce qu’il fait et vend en matière de cigarettes. A une question posée par une journaliste américaine : "Mais vous-même, Monsieur le Président, fumez-vous des Phillip Morris ?", celui-ci répondit sèchement avec cette sorte de délicatesse propre aux hommes qui ont beaucoup d’argent : "Pensez-vous que je sois assez con pour fumer ces saloperies !?"

 

Cette réponse du feu Président du CNP valait bien un commentaire. En attendant, au nom de l'égalité des chances dont il nous rebat les oreilles en toute occasion, le Président du CNP devenu ministre pourra-t-il intégrer à sa réflexion ce fait massif que tous les parents ne sont pas en mesure de faire à la maison ce qu'on ne fait plus à l'école ? Ne laissons surtout pas les alexandrins de Racine, la ponctuation, les rires sérieux de Jean-Pierre Brisset, l’univers de la précision comme celui du raisonnement… aux seuls enfants de ministres et de banquiers ! Sinon, quel sera l’avenir radieux de l’égalité des chances promise par le grand réformateur de la dictée ? Tout est-il déjà écrit ? En attendant, pendant que mademoiselle Ferry s’épanouit dans l’excellence avec son papa en faisant une dictée par jour, les autres se consolent chaque jour de leur misère sur des consoles de jeux ; la première prise sous le charme de la diction parfaite de son papa, les autres pris dans l’enfer de l’addiction aux jeux informatiques…


1 Ce texte est la reprise augmentée d’un texte écrit en collaboration pour Sauver les Lettres.

http//:www.sauv.net

2 Professeur de philosophie. Auteur de La gestion des stocks lycéens, L’Harmattan, 1999

3 A. Auffray, E. Davidenkoff, Libération, 09 mai 2002.

4 Les auteurs de l’article font sans doute allusion à l’Appel lancé par Michel Delord, professeur de mathématiques ; "Nouveaux ‘programmes’ de l’école primaire. Ne plus apprendre à lire, écrire, compter et calculer. Proscrire toute forme de pensée cohérente." http://www.sauv.net/prim.php

5 Le Point, 25/ 01/ 02, N°1532, Page 55.

6 I MATERNELLE

http://www.eduscol.education.fr/D0048/MATERNELLE.pdf

P.7 : “ Cela suppose de la part du maître d’incessantes interactions venant soutenir les tentatives de chaque élève. La dictée à l’adulte est, dans ce cas, un instrument utile dans la mesure où elle permet de réviser les premières tentatives. ”

P.14 : “ Restaurer la structure syntaxique d’une phrase non grammaticale dans une dictée collective à l’adulte,

proposer une amélioration de la cohésion du texte (pronominalisation, connexion entre deux phrases, restauration de l’homogénéité temporelle…) dans une dictée collective à l’adulte […] . ”

P.21 : “ Il dessine, produit des représentations schématiques, élabore des textes qui rendent compte de son activité (dictées à l’adulte). ”

P.22 : “ L’enregistrement écrit des observations (dictée à l’adulte) permet de se donner les moyens de mémoriser des connaissances, de structurer les relations spatiales et temporelles, de rendre compte de liens de causalité. ”

II CYCLE DES APPRENTISSAGES FONDAMENTAUX

http://www.eduscol.education.fr/D0048/CYCLE2.pdf

P.4 : “ L’alternance entre lecture de l’enseignant, rappel par un ou plusieurs élèves reformulant le texte dans leurs propres mots, dialogue sur les difficultés, nouvelle lecture de l’enseignant, nouvelle formulation par les élèves, par exemple, sous la forme d’une dictée à l’adulte, est un exemple d’activité susceptible de faciliter une meilleure maîtrise de ce langage.”

P.4 : “ Là encore, production et compréhension se complètent : parcours en commun d’un document, dialogue sur les aspects successifs des éléments d’information, synthèses partielles demandées aux élèves et relancées par le maître, synthèse finale qui peut être là encore obtenue par une dictée à l’adulte. ”

P.7 : “ C’est par l’écriture, plus encore que par la lecture, que ces régularités sont mises en mémoire production de syllabes à partir d’une consonne ou d’une voyelle, écriture de syllabes sous dictée, découpage d’un mot écrit régulier en syllabes […]. ”

P.8 : “ L’écriture d’un mot que l’on ne sait pas encore écrire permet, en effet, de revenir à une activité de synthèse qui vient compléter l’analyse. La dictée n’en est pas le seul moyen. ”

P.10 : “ L’écriture étant encore difficile pour les élèves du cycle des apprentissages fondamentaux, il sera nécessaire de privilégier la dictée à l’adulte ou, progressivement, l’écriture appuyée sur des matériaux pré-rédigés. ”

P.12 : “ Ces compétences sont relativement différentes et supposent des situations d’apprentissage spécifiques (la dictée ne peut tout régler). ”

P.13 : “ On peut considérer que, au cycle des apprentissages fondamentaux, la mise en mots des textes produits passe encore de manière privilégiée par la dictée à l’adulte ou l’emprunt de fragments copiés dans des répertoires. ”

P.14 : “ Participer activement à l’élaboration collective (dictée à l’adulte) d’un récit, d’un texte documentaire […] ”

P.15 : “ Ecriture et production de textes. Etre capable de : orthographier la plupart des “ petits mots ” fréquents articles, prépositions, conjonctions, adverbes…), écrire la plupart des mots en respectant les caractéristiques phonétiques du codage, copier sans erreur un texte de trois ou quatre lignes en copiant mot par mot, utiliser correctement les marques typographiques de la phrase (point et majuscule), commencer à se servir des virgules, en situation d’écriture spontanée ou sous dictée, marquer les accords en nombre et en genre dans le groupe nominal régulier (déterminant, nom, adjectif ), en situation d’écriture spontanée ou sous dictée, marquer l’accord en nombre du verbe et du sujet dans toutes les phrases où l’ordre syntaxique régulier est respecté […]. ”

III CYCLE3

http://www.eduscol.education.fr/D0048/prim-Cycle-3.pdf

P.13 : “ L’orthographe du verbe concerne essentiellement l’accord avec le sujet. Elle suppose que cette relation soit bien perçue par l’élève et qu’il sache mobiliser son attention pour marquer l’accord dans toutes les activités d’écriture (y compris d’écriture sous la dictée), du moins lorsqu’elle survient dans une situation régulière. ”

P.13 : “ Le repérage des chaînes d’accord dans le groupe nominal est une condition essentielle de la maîtrise de l’orthographe grammaticale. L’élève doit apprendre à mobiliser son attention pour marquer l’accord lorsqu’il écrit (y compris sous la dictée). ”

7 A. Leontiev, Activité. Conscience. Personnalité, Moscou, Editions du Progrès, 1984, traduction de Geneviève Dupont avec la collaboration de Gilbert Molinier.

8 J.-J. Rousseau, Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes.

9 G. Steiner, Errata, Paris, Gallimard, Folio, 1998, p. 41, traduction de Pierre-Emmanuel Dauzat.

10 B. Brecht, ouvr. cit., scène 9, p. 102.

11 Concept important de la psychologie, voir par exemple les travaux méconnus en France d’Alexis Leontiev, “ Questions psychologiques de la conscience réfléchie en pédagogie ” in Activité. Conscience. Personnalité, Moscou, Editions du Progrès, 1984, p. 262-338, traduction de Geneviève Dupont avec la collaboration de Gilbert Molinier, le problème de l’attention est complètement bazardé par les spécialistes des sciences de l’éducation. Dans les travaux modernes, mêmes ceux qui se réclament d’un certain “ marxisme ”, devenu marxisme de chiffonnier, on la réduit à un “ comportement ” spécifique déterminé par un type spécifique de contrôle. L’attention devient, par exemple, “ vigilance orthographique permanente ”, parce que soumise aux “indispensables évaluations ”.

12 CNDP,  Qu’apprend-on au collège ? Pour comprendre ce que nos enfants apprennent ? , ouvr. cit, p.80.

13 Claude Duneton, A hurler le soir au fond des collèges, Paris, Points, 1984, p. 189.

http://www.sauv.net/dictee3.htm

14[13] Le Parisien, 23 Janvier 2002, " Les élèves qui débutent le collège sur de bonnes bases sont ceux qui prennent des notes vite et bien, sans rature ni surcharge." http://jdj.leparisien.com/jdj/Wed/VIE/2758229.htm

15 Document d'accompagnement du programme de mathématiques du cycle 3, page 17

http://www.eduscol.education.fr/D0048/docamath.pdf

Le projet de "programme", véritable publicité mensongère, présente, lui, la chose sous un air avantageux : "Calculer, par écrit, …, le quotient entier et le reste dans la division euclidienne d’un nombre entier par un nombre entier." Donc, 436 n’est pas un nombre entier s’il occupe la place du diviseur...

16 Michel Delord, "Huile de ricin et Coca cola : Aux sources troubles de la pédagogie de projet", in Panoramiques, Janvier 2001 En bonnes feuilles : www.sauv.net/ricin.htm

17 C’est sans doute pour cette raison qu’elle n’a ni su ni pu s’opposer au modernisme technocratique et gestionnaire de l’OCDE.

18 C. Duneton, ouvr . cit., p. 189, : “ Pendant les années cinquante, les gens voulaient être intelligents à tout prix. Il y eut un grand vent d’intelligence qui souffla partout. La décennie 40 ayant été particulièrement obtuse, une sorte de faux pas tragique dans le siècle le plus éclairé, le plus en progrès de l’histoire de l’humanité, on éprouvait un besoin de compensation. Il faut dire que la connerie à l’ancienne avait poussé un peu loin le bouchon, en effet… Le Maréchal Pétain, enfermé à l’Ile d’Yeu, n’en finissait pas de s’attarder parmi nous comme un remords : la bicyclette et l’intelligence furent donc, alors, les deux petites reines des Français. On analysait tout, tous les trois pas on se demandait quelle était la signification du premier, et du second, en relation avec le quatrième qui allait venir, ce fut naturellement une sorte d’âge d’or de la pédagogie. La mode devint qu’il ne fallait plus faire, dans les écoles, que des choses strictement intelligentes : il fallait tout expliquer, tout comprendre au fur et à mesure. C’était extrêmement louable. Afin de mieux raisonner on décida de désencombrer la mémoire des enfants, de rompre radicalement avec l’enseignement millénaire et moyenâgeux des apprentissages ‘par cœur’, une expression qui signifiait jadis ‘en pensée’, mais dont le mot ‘cœur’ sentait à présent l’irrationnel. ”

http://www.sauv.net/delord/calcul/documents.html

19 Sur la fausse opposition entre mécanisme et intelligence, voir :

Hung-Hsi Wu, Basic skills versus conceptual understanding a bogus dichotomy in mathematics education.

http://www.aft.org/publications/american_educator/fall99/wu.pdf

20 Le Recteur, Claude Lambert, Académie de Strasbourg, Rectorat, Les dicos d’or scolaires 2001 (championnats d’orthographe de langue française).

21 Tribunal administratif de Caen, Jugement lu le 30 novembre 1993. Jean-Pierre Ponthus, N° 91 696.

22 Les Dicos d’or sont devenus une véritable institution nationale. Plus de 500 000 élèves sont inscrits chaque année. La transformation de l’«élève" en "enfant" équivaut à la transformation de l’"enfant" en "consommateur".

23 Ces questions importantes, d’ordre juridique, économique, politique feront l’objet d’un traitement séparé.

24 G. Steiner, “ Le miracle creux ”, in Langage et silence, Paris, 10/18, 1999, p. 109, Traduction de Jean-Pierre Faye.

25 B. Poirot-Delpech, “ Appel à la désobéissance ”, in Le Monde, 05 février 2002.

26 Le Monde, 09 mai 2002.

27 Ministère de l’Education nationale. La consultation sur les nouveaux programmes de l’école primaire. Cycle des approfondissements. Projet proposé par le groupe d’experts. www.eduscol.education.fr

28[27] Le Monde, 09 mai 2002.

29 L. Aragon, La mise à mort, Paris, Gallimard, Folio, 1993, p.187.

30 Projet proposé par le groupe d’experts, Ibid., p.3.

31 Bien que spectaculaire, ce genre d’exploit est tout à fait ordinaire. La semaine dernière, une caissière d’une vingtaine d’années a automatiquement pris sa calculette pour diviser 1,60 euro par 10 !

32 J.-P. Demailly, Sur l’enseignement des Mathématiques et des Sciences au Lycée et à l’Université : un cri d’alarme,

http://www-fourier.ujf-grenoble.fr/~demailly/programmes.html

33 P. Brisset, Les origines humaines, Paris, Editions Baudouin, 1980, p.25.

34 La consultation sur les nouveaux programmes de l’école primaire, texte cité. Projet proposé par le groupe d’experts.

35 Platon, Cratyle, Paris, Gallimard, La pléiade, Tome I, 1971, p.645, 408 ab, traduction de Léon Robin (C’est moi qui souligne, M.G.).

36 K. Marx, Manuscrits de 1844, Paris, Editions sociales, 1972, p.123, traduction d’Emile Botigelli.

37 D. Collin, Morale et justice sociale, Paris, Seuil, 2001, p.7.

38[ G. Molinier, La gestion des stocks lycéens. Idéologies, pratiques scolaires et interdit de penser, Paris, L’Harmattan, 1999, p. 172-175.