La prise de contrôle de l’Education par les entreprises privées est encouragée pour relancer les exportations1

George Monbiot

Mardi 8 janvier 2002

(Voilà plus de 18 mois que des gens s'étaient déjà mobilisés !)

Pour de nombreux enfants, un nouveau trimestre à l’école commence avec une certaine appréhension. Mais hier les enfants n’étaient pas les seuls à s’inquiéter de ce qu’ils risquaient de rencontrer. A chaque trimestre coïncide maintenant un nouveau plan gouvernemental de refinancement, de délocalisation, de sous-traitance, de reclassification, de re zonage ou de regroupement de quelque aspect de la façon de traiter nos enfants. Et les parents, avec raison, deviennent de plus en plus méfiants.

Ce que ces changements signifient, aussi confus soient-ils, c’est "PRIVATISATION". Cela ne se passera pas immédiatement, car le Parti Travailliste est soucieux d’éviter les confrontations qui ont pris place aux Etats Unis entre les parents et les entreprises privées? Mais il faudrait être idiot pour ne pas voir les objectifs du gouvernement. La privatisation de l’Education en Grande Bretagne a commencé.

On a avancé plusieurs théories pour expliquer l’étrange enthousiasme des Travaillistes à vouloir se débarrasser de nos écoles, mais la plus convaincante qu’il m’ai été donné de voir est celle soutenue l’an dernier par un universitaire de Central England, Richard Hatcher, dans la revue "Education and Social Justice".

Il y a des années maintenant, Tony Blair, poussé par la puissante European Roundtable of Industrialists (la Table Ronde Européenne des Industriels), reconnaissait en l’économie de la connaissance le futur moteur de la croissance britannique. Le Royaume Uni se spécialiserait dans des secteurs tels que la technologie de l’information, la biotechnologie, et les services de seconde génération. Alors que la valeur des exportations de produits manufacturés, agricoles et que même certaines industries de services conventionnels sont en déclin, la Grande Bretagne deviendrait ainsi un leader en exportant un nouveau type d’activité internationale : la privatisation.

Cette stratégie a rencontré jusqu’à maintenant, un succès retentissant. Les initiatives de financement privé ont commencé au Royaume Uni, puis ont été exportées par des firmes britanniques vers des pays tels que la Finlande, le Canada et l’Afrique du Sud. Bien que les ventes des hôpitaux, des routes, des prisons et des systèmes d’adduction d’eau soient douteuses pour les bénéficiaires, elles sont excessivement profitables à nos firmes, d’autant qu’étant les premiers sur ce marché, ces dernières ne souffrent d’aucune concurrence étrangère. Blair veut maintenant faire la même chose dans l’Education.

L’industrie privée de l’Education au Royaume Uni, soutient Hatcher, "doit être encouragée et alimentée par l’Etat jusqu’à ce qu’elle soit assez forte pour concurrencer les Etats Unis et d’autres concurrents". Une fois qu’elles auront acquis suffisamment d’argent et d’expérience sur le marché intérieur, les firmes spécialisées dans l’Education pourront alors tenter de pénétrer les marchés d’autres pays. Tandis que les écoles britanniques peuvent un jour rapporter 25 milliards de livres par an aux investisseurs potentiels, le système américain a été évalué à 700 milliards de dollars. A travers le monde, l’Education vaut des trillions. Si le Royaume Uni peut s’emparer très vite d’une part substantielle de ce marché, notre économie deviendra, virtuellement libre de toute forme de récession.

Nos enfants sont donc, dans ce tableau les hommes de paille avec lesquels le Royaume Uni expérimente ses futures politiques d’exportation. Les entreprises expérimenteront sur eux jusqu’à ce qu’elles trouvent la bonne formule économique et atteignent des économies d’échelle suffisantes. Elles appliqueront ensuite cette formule partout dans le monde.

Cette théorie semble expliquer la remarquable diversité de plans de privatisation totale et partielle testés en ce moment en Grande Bretagne. Les zones d’actions éducatives et les établissements d’enseignement technologique n’ont pas réussi à produire l’argent nécessaire. Ils ont donc été remplacés par une nouvelle expérience – les "city academies". Ces établissements reçoivent 80% de leur budget de l’Etat, mais sont contrôlés par des entreprises privées. Ailleurs, des écoles telles que King’s Manor à Guildford et Abbeylands à Addlestone (les deux dans le Surrey), ont été franchisées à des firmes privées. Les écoles privées peuvent maintenant envisager l’achat de parts dans le secteur public.

Le gouvernement a aussi tenté des expériences dans les rectorats, en privatisant soit certains services ou, dans le cas de Leeds, l’entière structure. Dans certains lieux, le gouvernement a vendu les services d’inspection; ailleurs ce sont les services de trésorerie générale et des retraites. On a expérimenté plusieurs versions différentes d’initiative de financement privé dans lesquelles des entreprises fournissent les bâtiments et les services aux autorités responsables de l’Education, moyennant finance.

On a développé un marché, déjà estimé à 1 milliard de livres, dans l’éducation par l’Internet ou fondée sur l’informatique. Ces efforts ont établi une situation qui permet aux grands groupes d’atteindre les écoliers comme jamais auparavant.

L’année dernière, par exemple, l’agence gouvernementale Scottish Enterprise a distribué 20000 exemplaires d’un magazine appelé "Biotechnology and You" aux écoles. Ceci prétendait être un guide permettant aux enseignants d’expliquer aux élèves la complexité scientifique de la question des céréales génétiquement modifiées.

Mais "Scottish Enterprise" a "oubliéé" de préconiser que l’Institut de biotechnologie qui publie le magazine est parrainé par Monsanto, Norvatis, Pfizer et Rhône-Poulenc. La revue ne cesse de répéter l’assertion de Monsanto selon laquelle l’herbicide le plus vendu est moins nuisible que le sel de table. Il s’attaque à l’agriculture biologique et laisse entendre qu’il serait "immoral" de ne pas développer les céréales génétiquement modifiées.

En Angleterre, le vieux service d’orientation dirigé par le Ministère de l’Education est progressivement remplacé par une nouvelle agence appelé "Connexions". Une fois qu’ils y sont enregistrés, les enfants reçoivent une carte qui leur vaut des points chaque fois qu’ils se présentent à l’agence. Ces points finissent par leur valoir des remises sur les produits offerts par "Connexions" sur l’Internet. Leurs habitudes de consommation sont communiquées aux partenaires commerciaux de l’agence

L’année dernière, la firme "Capita", qui dirige "Connexions" pour le gouvernement, déclarait au supplément éducation du Times que des entreprises comme McDonalds et Playstation Magazine auraient "la possibilité de voir comment ces jeunes envisagent leur avenir car ils peuvent constituer un groupe difficile à atteindre".

Pris séparément, peu de ces changements risquent de provoquer des manifestations de rues. "Le Parti Travailliste", prédit Richard Hatcher, "avancera prudemment et progressivement, en préparant soigneusement chaque étape idéologiquement".

Ou bien, comme le directeur général de la firme Nord Anglia spécialisée dans l’"edubusiness" le déclarait après lecture du livre blanc que le Gouvernement publiait en septembre : "Ceci est un point de transition incroyablement important. C’est expérimental parce que politiquement sensible, mais cela ouvre des portes au secteur privé pour s’implanter, petit à petit".

On pourrait se demander si ces avancées vers une totale privatisation vont améliorer ou détériorer les niveaux d’éducation. Aux Etats Unis, il est clair que la privatisation a été un désastre. Au Royaume Uni, pour le moment, les résultats sont mitigés. Mais ceci n’est pas vraiment le sujet.

Nos écoles sont en train d’être privatisées non pas dans l’intérêt de nos enfants ; mais bien au profit de nos grands groupes, et aux exportations auxquelles le gouvernement espère bien qu’ils contribuent un jour.

Les enfants sont simplement une matière première avec laquelle ils travaillent. A moins que les parents exigent de mettre un terme à cette expérience, les jeunes seront échangés en bourse comme de vulgaires barils de pétrole.


1 Traduit d'un article paru dans Le Guardian.