Pour en finir avec la nation

Philippe Pelletier

Ainsi donc, malgré les horreurs que le nationalisme inflige encore à cette fin de siècle, malgré les batailles sanglantes que se livrent en ce moment même les Serbes et les Croates, les Azéris et les Arméniens, ou, peut-être, les Gagaouses du nord et les Gagaouses du sud, il se trouve un libertaire pour défendre l'idée de nation (1). Pis encore, pour justifier l'injustifiable, ce néo-nationaliste ressort l'argument classique mais toujours aussi faux politiquement et historiquement : le principe de nation serait indépendant de celui d'Etat, sous-entendant ainsi que les anarchistes, qui sont par définition adversaires de l'Etat, pourraient bien s'accommoder de la nation. Pourtant, des siècles d'histoire nous révèlent bien au contraire que le principe de nation est inséparable du principe d'Etat, autrement dit de la structure politique d'autorité et de coercition contre laquelle les anarchistes se battent depuis le même nombre de siècles.

C'est un vieux débat que de savoir ce que signifie exactement l'idée de nation, et les intellectuels n'ont pas fini d'en discuter (2). Mais de ces débats de spécialistes, il serait vain d'en tirer une énième tentative de définition ; il importe plutôt de comprendre pourquoi la nation peut être revendiquée partout dans le monde par des individus et des groupes d'individus souvent très divers, du moins en apparence. A cet égard, la plupart des théoriciens, politologues, sociologues, économistes ou historiens victimes de leurs spécialité, libéraux ou marxistes dépendant de leurs présupposés idéologiques, ont souvent négligé un élément fondamental : la constitution socio-politique de l'Etat-nation moderne est inséparable de sa dimension spatiale, territoriale, autrement dit de sa construction géographique. Jusqu'à la Renaissance, les contrôles sociaux ou économiques de type autoritaire n'avaient certes pas manqué, mais il existait alors une forte dissociation entre leur expression politique et leur application spatiale : de vastes espaces plus ou moins contrôlés par les seigneurs, des groupes plus ou moins indépendants, des frontières politiques qui ne correspondaient pas forcément aux frontières douanières ou militaires, des glacis, des marches, des finistères, des poches ou des réduits. C'est ainsi que purent subsister en relative tranquillité les différents groupes d'hérétiques soucieux d'échapper à la vindicte de la religion dominante, les protestants du Désert cévenol ou les Vaudois des vallées alpines pour ne prendre que l'exemple français, vie collective à l'écart pratiquement impensable de nos jours.

Le but premier de l'Etat, centralisateur par définition, et quel que soient les degrés de fédéralisme ou de régionalisme qu'il peut admettre, c'est la juridiction : une législation, un territoire. C'est de soumettre à sa botte les habitants, leurs activités et leur pensée, sur un espace donné, précis et bien délimité. Ce processus est valable en tout temps et en tout lieu, que ce soit l'Etat de l'absolutisme monarchique, avec sa dynastie régnante, son Versailles mais ses Etats généraux de province, l'Etat de la République une et indivisible, avec d'abord son idéal révolutionnaire mais ensuite sa conquête européenne, l'Etat de l'unification en Allemagne, en Italie, rapidement devenu totalitaire, ou encore l'Etat de la décolonisation en Amérique Latine, en Afrique ou en Asie. Précurseur, Vauban, symbole de l'Etat colbertien encore monarchique, fut ainsi au XVIIème siècle un ferme partisan de la coïncidence spatiale entre frontière militaire et frontière douanière par l'abolition des douanes intérieures.

Il va sans dire que cette volonté étatique de juridiction est inséparable des nécessités du développement capitaliste animé par la bourgeoisie : rationalisation des techniques, des mesures et des productions d'un côté, libéralisation de la main d'oeuvre via l'affranchissement des serfs et prolétarisation de l'autre. L'Etat féodal pouvait à la limite supporter des formes hétérogènes de domination, l'Etat bourgeois ne le peut plus. Il a besoin d'un nouveau cadre socio-spatial. Comme viennent de le rappeler opportunément trois géographes dans un ouvrage volumineux mais précieux, la << forme d'unification territoriale, de réification territoriale est un élément fondamental de la construction étatique [...] Cette homogénéisation ne signifie pas pour autant l'uniformisation du territoire, confusion fréquente >> (3). Car la bourgeoisie, qui émerge progressivement à partir de la Renaissance, doit faire face à des situations particulières. Déjà, en elle-même, elle est particulière : ni spécifiquement nationale, ni complètement cosmopolite. Si la désagrégation des anciennes structures féodales et l'unification territoriale du nouveau domaine passe par la liquidation des aristocrates ou des féodaux qui défendent leur pré carré, ce qui ne lui pose aucun problème éthique ou technique, la suppression des contraintes entravant la libre circulation des hommes et des marchandises entraîne fatalement des contradictions : comment donner d'un côté une liberté qu'elle va reprendre de l'autre ? Cela nécessite donc de nouvelles formes de contrôle de ces hommes et de ces marchandises. Le contrôle des marchandises : c'est l'Etat, avec ses différentes politiques de protectionnisme ou de libre-échange, d'interventionnisme ou de libéralisme. Le contrôle des hommes : c'est la nation, avec la fabrication subtile ou brutale d'une identité collective permettant le fonctionnement efficace d'une nouvelle société ; et ceci grâce à de nombreux moyens : l'école obligatoire, la conscription obligatoire et l'illusion du suffrage universel, lui-même parfois formellement obligatoire (comme en Belgique) et, en tous les cas, idéologiquement présenté comme la solution définitive, et donc obligée, du politique.

Comme l'a dit si expressément Raymond Aron, idéologue du système s'il en est, << la nation a pour principe et pour finalité la participation de tous les gouvernés à l'Etat >> (4). Comment la délimiter ? Par la guerre ou par la diplomatie. Au nom de quoi ? Au nom du peuple, vers l'intérieur mais aussi vers l'extérieur, car la nation suppose un ailleurs, un autre, un étranger, un ennemi donc, ce qui permet de souder les rangs en transcendant les antagonismes de classe. Comme le disait si bien Voltaire, << souhaiter la grandeur de sa patrie, c'est vouloir du mal à ses voisins >> (5). Par définition, par obligation même, la nation se forge par différence ; elle est forgée par des différences. Elle est, dès le départ et jusque dans ses ultimes conséquences, principe d'exclusion. Mieux que le contrôle brutal, toujours susceptible de provoquer la révolte des esclaves contre les maîtres, ce qui est à terme dangereux pour le système, c'est l'adhésion nationalitaire qui l'emporte, la servitude volontaire, grâce à l'idée de nation, de consensus national, et donc social. Ne l'oublions pas : dictateurs ou démocrates, tous les dirigeants ont cherché, cherchent, et chercheront la légitimité. L'appel incantatoire à voter la ramification des accords de Maastricht, pour n'importe quelle raison, pour ou contre, peu importe, mais pour voter quand même, représente à cet égard la dernière tentative de la classe politique en France de se refaire une vierge légitimité. D'ailleurs, tous les politiciens ne manquaient pas de saluer << le fort taux de participation >> (qui n'est pas si fort que cela...) le soir même du scrutin.

Jusqu'au XVIème siècle, les termes d'Etat (status en latin) et de nation (natio) n'étaient jamais employés seuls, et ils étaient toujours accompagnés d'épithètes (status regis par exemple). Ce n'est qu'ensuite que l'usage se modifie, simultanément pour les deux termes. Et ce n'est pas un hasard. L'Etat moderne ne va pas sans la nation. La nation moderne ne va pas sans l'Etat. Bien entendu, selon les degrés de développement économique, d'avancement politique de la bourgeoisie, les situations et les conceptions Etat-nation seront relativement variables dans l'espace et dans le temps. Suivant les cas, les dirigeants useront, ou seront eux-mêmes abusés, de conceptions différentes de la nation. On oppose ainsi habituellement deux approches. L'une, notamment héritée de la Révolution française, mais que l'on rencontre également à l'origine des Etats-Unis d'Amérique ou de certains pays colonisés du tiers-monde, est de type volontariste, constructiviste, artificialiste ou contractuel ; issue de la philosophie des Lumières et du Contrat social de Rousseau, elle met l'accent au-delà d'une possible, probable ou même souhaitable communauté ethnique, linguistique, religieuse ou culturelle, sur une << volonté de vivre ensemble >> ; ainsi, Sieyès parle de la nation révolutionnaire comme << un corps d'associés vivant sous une loi commune et représentée par la même législature >>. L'autre approche de la nation, généralement assimilée à l'Allemagne, mais également applicable à d'autres pays, est de type vitaliste, esthétique, culturaliste ou naturaliste : c'est la nation romantique, la nation-génie, issue de l'esprit du peuple (le Volkergeist du philosophe romantique allemand Herder), de son sang, de sa race, de son identité, de sa spécificité linguistique, ethnique ou culturelle. Pour elle, la nation correspond bien à son étymologie de nation, c'est-à-dire naître, grandir ensemble.

Mais il n'est pas nécessaire d'être grand clerc pour savoir que ces deux approches de la nation, somme toute théoriques, furent en réalité fortement mêlées dans la plupart des cas et des pays. Pour un Herder ou un Fichte, combien de Kant, pour un Siéyès combien de Barrès, Maurras ou autre Joseph de Maistre ? Pour des dizaines de pays africains, où les dirigeants créent de toutes pièces une mystique nationale à faire entrer de force dans les frontières géométriques héritées de la bureaucratie coloniale, combien de Pays basque, de Catalogne, de Québec ou de Croatie arguant d'un droit historico-ethnique ? Combien de balkanisation nationale et de libanisation religieuse ?

Ces différences sont malgré tout utiles à connaître pour comprendre certaines spécificités, comme les différentes conceptions juridiques de la nationalités, reposant sur le "jus soli" (droit du sol), dans des pays comme la France, la Suède, la Grande-Bretagne, les Etats-Unis ou le Canada, ou sur le "jus sanguinis" (droit du sang), en Allemagne ou au Japon ; pour comprendre aussi que chaque bourgeoisie ou les différentes factions de la bourgeoisie utilisent tels ou tels arguments pour soumettre plus efficacement les peuples, c'est-à-dire les individus. L'austro-marxiste Otto Bauer peut d'ailleurs mettre tout ce beau monde d'accord avec sa définition (datant de 1924) : << La nation est l'ensemble des hommes liés par une communauté de destin en une communauté de caractères >> (6). Ou encore le célèbre historien nationaliste du XIXème siècle, Ernest Renan (1832-1892), avec sa formule : << L'oubli et, je dirais même, l'erreur historique, sont un facteur essentiel de la création d'une nation >>. On ne peut mieux dire sur le mélange constitutif de rationalité (oubli, fabrication d'oubli et falsification de l'histoire ou de la géographie), qui est le véhicule indispensable à l'Etat pour la fabrication de la nation.

L'Etat-nation moderne met à bas les antiques formes de domination socio-territoriale. Il entre notamment en opposition avec le vieux principe de l'Empire plus ou moins hérité de la Rome antique, aux aspects hétérogènes, pluri-religieux ou pluri-ethniques, que ce soit le Saint-Empire romain-germanique, l'empire Ottoman ou l'empire tsariste, toutes structures peu à peu condamnées par les bourgeoisies modernes. Il est à noter que l'Eglise catholique, qui avait fait sien l'antique principe de l'imperium, en séparant habilement son pouvoir temporel d'une enveloppe territoriale trop précise, a toujours su s'accommoder des nouvelles situations, en particulier à la suite de la menace protestante qui, beaucoup plus stricte et rigoureuse, donna naissance à des prises de conscience et des organisations particularistes (l'Angleterre anglicane, la Suisse ou les Pays-Bas calvinistes, la Prusse luthérienne). Ainsi, de même qu'elle soutint la dynastie capétienne dès ses origines, la Papauté ne tarda pas, faisant un temps contre mauvaise fortune bonne intelligence, à bénir les drapeaux de la République. Actuellement, elle tente un retour en force sur ses propres bases idéologiques, par le biais de l'idée européenne et de la subsidiarité régionaliste. Après tout, le Vatican est le plus petit Etat du monde en surface mais assurément pas le moins puissant. C'est le rare mais archaïque exemple d'un Etat sans nation, à moins de parler de nation chrétienne mondiale dans le sens pré-moderne du terme. Il faut également souligner que l'Eglise vient de gagner une bataille idéologique en propageant dans les années 70 et 80 le culte hypocrite et cynique de la différence, celui-là même sur lequel s'appuient

les nouveaux partisans de la nation.

Il ne faudrait pas pour autant en déduire que la nation est le meilleur rempart contre l'empire, ou le nationalisme contre l'impérialisme. Ces fadaises propagées aussi bien par les fascistes (l'Europe des nations contre l'impérialisme américain) que par certains marxistes (les nations prolétaires s'émancipant des puissances impérialistes), et qui reviennent à nous faire choisir entre la peste et le choléra, constituent en fait des écrans de fumée qui ne suppriment pas pour autant toutes les formes que prend l'impérialisme contemporain à partir de sa base initiale, celle de l'Etat-nation, Etats-Unis d'Amérique, Chine, Japon ou ex-Union soviétique. L'impérialisme utilise de diverses manières le principe de nation pour ses conquêtes. Mais, effet de retour en force des manipulations socio-idéologiques, la conception de la nation imposée par l'Etat surdétermine aussi la façon dont cet Etat traite les autres. Ainsi, le caractère minable du colonialisme italien par rapport à d'autres colonialismes, n'était pas dû à une quelconque incapacité militaire des Italiens ;

il s'explique davantage par la manière dont l'Etat utilisa la force collective et morale de la nation en Italie, fouillant dans des pulsions qui produisirent le fascisme, archaïque dans son bazar idéologique mais ultra-moderne dans sa fonction de contrôle social.

Il revient à l'anarchisme et aux anarchistes d'avoir été et d'être encore ceux qui dénoncent le plus vigoureusement la mystique de la nation, que celle-ci se pare de différents oripeaux comme patriotisme, chauvinisme, lutte de libération nationale ou droit des peuples à disposer d'eux-mêmes. Pour la bonne et simple raison qu'à l'origine, à la base et à la conclusion de la philosophie et de l'action anarchistes, il y a l'individu et la défense de cette liberté. Et les plus conséquents des anarchistes ont toujours fait leur l'admirable devise de Bakounine : << Ma liberté n'est rien sans celle des autres >>. Autrement dit : pas de liberté individuelle sans liberté sociale.

L'individu, le seul être, comme son nom l'indique, qui ne soit pas divisible. La diversité est là, et pas ailleurs. C'est celle des individus. D'abord celle des individus, surtout celle des individus. Ceux qui raisonnent déjà en termes de communauté organique ou de volonté populaire ont déjà un revolver dans la tête ou dans les mains pour faire marcher les autres individus au pas cadencé ou au son de l'hymne national. La diversité, ou mieux : la pluralité ne réside pas dans les fétiches de ces pseudo-communautés linguistiques, où le patron et l'ouvrier se sentiraient unis parce que babillant les mêmes phonèmes, de ces fantasmagories ethniques qui tentent de réhabiliter le concept de race (mais pour le profit de qui ?), de ces attrape-nigauds qui fonctionnent parce que l'aliénation est quasi totale. L'individu est seul face au monde, quoiqu'on en dise. Bien sûr, cette relation que l'individu entretient avec le monde, dont on ne dira jamais lequel est l'infiniment grand et l'autre l'infiniment petit, cette relation qu'il doit entretenir et assumer n'est pas facile à réaliser.

C'est précisément la difficulté inhérente à cela qui est à l'origine de la formidable tension qui agite l'anarchisme, tension entre individu et société, entre conscience et impératif catégorique, tension libertaire par excellence ! Etant, comme tous les autres, faits de chair et de coeur, les anarchistes n'ont pas, individuellement ou collectivement, manqué d'avoir été influencés, détournés, par la question nationale. Je dis : heureusement, car la pensée anarchiste n'évolue pas en vase clos, elle est aussi faite des contradictions de son temps ou de son espace, même si elle tente d'y échapper. On cite souvent Bakounine, de nouveau lui, pour ses positions qui furent à un moment donné en faveur des luttes de libération nationale mais on oublie bien souvent de citer la conclusion qu'il en avait tiré à la fin de sa vie, fort de sa réflexion et de son expérience : << Rien n'est plus absurde et en même temps plus néfaste, plus mortel pour le peuple que de faire du pseudo-principe de la nationalité l'idéal de toutes les aspirations populaires >> ... << la question nationale, selon nous, doit s'effacer entièrement devant les grands problèmes de la lutte sociale >> (8).

Les expériences passées des tentatives d'émancipation l'ont bien montré : elles ont capoté quand elles se sont accommodées de l'idée nationale, c'est-à-dire de l'idée étatique. La Révolution française a failli dans sa propagation mondiale quand Valmy a fini par se confondre avec la défense de l'Etat français, pour finalement donner un Napoléon ; la révolution russe a également failli quand la défense des idéaux socialistes revint en fait à protéger la pseudo-dictature du prolétariat en Russie, pour finalement donner un Staline. Si ces expériences ont échoué malgré leur potentiel révolutionnaire réellement libertaire, que nous laissent alors imaginer les misérables qui se mettent dans le sillage du séparatisme basque, version lutte armée-romantico-radicale, ou du séparatisme québecois, version réformiste père-tranquille, pays où la lutte anti-capitaliste paraît bien faible !

Aujourd'hui, après la tragédie des ultra-nationalismes fasciste, nazi, stalinien, maoïste ou khmer, après la boucherie des deux guerres mondiales et les batailles larvées de la troisième guerre mondiale, après l'échec terriblement sanglant des décolonisations dans les pays du tiers monde, à l'heure où la première préoccupation des nouvelles nations issues de l'empire soviétique consiste à se doter d'une armée et d'une police nationales, autrement dit des premiers outils de répression sociale qui se cache derrière les symboles du nouveau drapeau ou de la liberté linguistique, face, enfin, aux impasses irlandaise, israélo-palestinienne ou yougoslave, pour ne prendre que ces trois exemples, il n'est décemment pas possible de tenter de réhabiliter l'idée de nation. Au contraire, les anarchistes sont les seuls, mais pas les moins nombreux, à soutenir dans ce monde déchiré l'idée de citoyenneté mondiale et d'a-nationalité, unique voie théorique et pratique pour que l'humanité se sorte enfin des luttes fratricides, sachant que cette voie n'est praticable qu'à condition d'en finir simultanément avec l'exploitation économique et l'oppression sociale, bref avec le capitalisme. Dans un monde économiquement uni, culturellement métissé, écologiquement intégré, la nation représente décidément le principal et stupide obstacle, avec ses corollaires l'Etat et la religion, pour que les hommes sortent enfin de la barbarie.

Oui, vraiment, à l'heure où la comète écolo, de moins en moins baba et de plus en plus gestionnaire, s'enfonce dans la bourbe politicienne, étatique et, partant, fatalement nationalitaire, nationaliste, les anarchistes sont les seuls à s'affirmer porteur du véritable progrès, d'une nouvelle modernité. Mais pour avancer, il faudra se débarrasser d'un certain angélisme qui consiste à se poser en défenseur systématique, et donc aveugle, irrationnel, de certaines forces qui se proclament opprimées ou minoritaires mais qui sont déjà candidates au nouveau pouvoir. Nous n'avons rien à faire de ces bourgeoisies régionalistes désireuses de se débarrasser d'un Etat central et qui ressemblent à ces maquereaux indignés d'être enfermés derrière les barreaux mais qui n'ont qu'une idée en tête sitôt sortis de tôle : remettre leurs victimes sur le trottoir. Les ennemis de nos ennemis ne sont pas forcément nos amis.

Philippe Pelletier

(1) cf. ML no 885

(2) Gil Delannoi et Pierre-André Taguieff, éd. (1991) : Théorie du nationalisme - nation, nationalité,

ethnicité. Paris, Kimé, 328 p.

(3) Marie-Françoise Durand, Jacques Levy et Denis Retaille (1992) : Le monde : espace et systèmes,

Presse de la Fondation nationale des sciences politiques & Dalloz, Paris, 570 p.

(4) Raymond Aron (1962) : Paix et guerre entre les nations, Calmann-Lévy, Paris.

(5) Voltaire (1756) : Essai sur les moeurs et l'esprit des nations.

(6) Georges Haupt, Michel Lowy et Claudie Weill (1974) : Les marxistes et la question nationale

1848-1914, Maspéro, Paris, 398 p.

(7) Le rapport impérialisme/nationalisme sera traité dans un prochain article.

(8) Michel Bakounine (1873) : Etatisme et Anarchie. Leiden E.J. Brill éd. 1967, introduction et annotations

d'Arthur Lehning, traduction de Marcel Body, 471 p., citation p. 238 et p. 404.

source : Le Monde Libertaire , No 888

12 au 18 novembre 1992