Dans les syndicales1

Émile Pouget

Eh oui, les fistons, le gniaff journaleux reprend sa plume et lève son tire-pied. Il repique à la bataille, plus hardi et plus enragé, après avoir, pendant quelques mois (tant qu'a duré le Journal du Peuple), profité de ce que d'autres étaient à la besogne pour souffler un brin. On est de vieilles connaissances ! Je pourrais donc, à la rigueur, ne pas me décarcasser pour expliquer ce que j'ai dans le ventre et dans la cafetière. Pourtant, comme j'espère bien qu'aux vieux amis, il va s'en ajouter des nouveaux, qui se paieront nos flanches, je vais me fendre de quelques palabres explicatives. MON PROGRAMME

Le programme du vieux gniaff est aussi connu que la crapulerie des généraux ; il est plus bref que la Constitution de 1793 et a été formulé, il y a un peu plus d'un siècle, par l'Ancien, le Père Duchêne : "Je ne veux pas que l'on m'em ... mielle !" C'est franc. Ça sort sans qu'on le mâche ! Et cette déclaration autrement époilante que celle des Droits de l'Homme et du Citoyen, répond à tout, contient tout, suffit à tout. Le jour où le populo ne sera plus emmiellé, c'est le jour où patrons, gouvernants, ratichons, jugeurs et autres sangsues têteront les pissenlits par la racine. Et, en ce jour-là, le soleil luira pour tous et pour toutes la table sera mise. Mais, mille marmites, ça ne viendra pas tout de go ! La saison est passée où les cailles tombaient du ciel, toutes rôties et enveloppées dans des feuilles de vigne. Pour lors, si nous tenons à ce que la Sociale nous fasse risette, il faut faire nos affaires nous-mêmes et ne compter que sur notre poigne. Certains types serinent qu'il y a mèche d'arriver a quelque chose en confiant le soin de nos intérêts à des élus entre les pattes desquels on abdique sa souveraineté individuelle. Ceux qui prétendent cela sont, ou bien aussi cruches, ou bien aussi canailles que les abrutisseurs qui nous prêchent la confiance en Dieu. Croire en l'intervention divine ou se fier à la bienveillance de l'Etat, c'est identique superstition.

Y a qu'une chose vraie et bonne : l'action directe du populo. Et, foutre, ceux qui s'imaginent que pour agir il faut que se présentent des circonstances exceptionnelles, se montent le bobêchon. Certes, pour faire le saut de la société bourgeoise dans la société galbeuse où il n'y aura plus ni riches, ni pauvres, ni dirigeants, ni dirigés, il y faudra un sacré coup de chambard. Mais, d'ici là, on peut préparer le terrain. C'est la besogne à laquelle est attelé le Père peinard. Il y a deux façons de comprendre la chose : en obliquant vers la politique ou en aiguillant sur les questions sociales et économiques.

La Politique ?

Le vieux gniaff s'en occupera juste assez pour en fiche la salopise en lumière ; par l'accumulation des faits, il prouvera la malfaisance permanente des gouvernants. Puis, c'est avec une faramineuse jubilation qu'il crossera les souteneurs de la société actuelle. Les Galonnards qui abrutissent nos fistons dans les casernes, au point de les transformer en assassins de leurs paternels, de leurs frangins et de leurs amis. Les Ratichons qui rêvent le rétablissement de l'Inquisition et qui, avec leurs cochonnes de Croix, empoisonnent le pays. Les Jugeurs qui distribuent l'Injustice au gré des dirigeants, sont patelin avec les gros bandits et teignes avec les mistoufliers. Pas un de ces chameaux, non plus que les autres vermines, ne passera au travers et n'évitera l'astiquage du Père peinard.

La question sociale

Ah. fichtre, ceci est une autre paire de manches !

C' est aux question s économiques, qui sont la trame de la Vie, que le Père peinard donnera la première place : il s'intéressera aux moindres rouspétances des exploités et jubilera chaque fois qu'il verra une floppée d'entre eux laisser les politiciens à leurs billevesées et partir carré- ment en guerre contre leurs singes. Les grèves et tout ce qui s'ensuit : exodes, boycottages, sabotages... de tout cela, le Père peinard ne perdra pas une bouchée. Et, comme de juste, il ne perdra pas un geste des groupements corporatifs qui, par la vulgarisation de l'idée de Grève générale, poussent richement à la roue de la Sociale.

Sur ce, je pose ma chique. Il fait soif... On s'en va boire une versée de picolo, avec. quelques copains... et on va trinquer à la santé des lecteurs du Père peinard et à la prochaine venue de la Sociale.

LA GRÈVE GÉNÉRALE

Nom de dieu, ça a l'air de chauffer bougrement dans tous les patelins. Si ça marche sur ce pied, nous allons en voir de belles : ça pourrait bien être le commencement de l'entrée en danse.

Dans le Pas -de-Calais et dans le Nord, les mineurs se remuent et font du pétard. En Belgique, dans un patelin qui est tout noir de charbon, le Borinage, et où les pauvres bougres triment dur et gagnent peu, ça bibelotte aussi. Les Angliches eux, font des réunions épastrouillantes, dans les rues et sur les places. Ils sont des millier, et des milliers à discuter la question de la Grève Générale. Y a pas jusqu'aux Alboches qui n'aient des intentions de faire du chabanais. Les mineurs de Westphalie ont été roulés comme des couillons par leur cochon d'empereur et leurs salops de patrons. Ils ont ça sur le coeur, et ils n'attendent qu'une occase pour recommencer plus hardiment que la première fois. Ah, mille tonnerres, l'hiver s'annonce bougrement mal pour les richards ; tout ça va leur foutre une frousse du diable !

Ils pourraient bien piquer un de ces chahuts, très hurf, quelque chose dans les grands prix, qui les ferait rire jaune. Et nom de dieu, m'est avis que ça ne serait pas trop tôt. Seulement les amis, si on veut que ça aille comme sur des roulettes, faut pas faire les daims comme on a fait jusqu'ici. Faut plus se foutre en branle les uns après les autres, on n'y gagne que de se faire assommer chacun à son tour, - et sans profit pour personne. Aujourd'hui c'est la Grève Générale qu'il faut. Par exemple, pour le moment c'est les mineurs qui font du pétard ; le plus beau coup serait que tous les bons bougres qui travaillent dans les mines cessent illico de sortir du charbon.

Puis, qu'il y ait de l'entente, que les uns ne tirent pas à hue, les autres à dia ! D'autant plus que s'il n'y a pas de solidarité entre les bons bougres, c'est eux qui en supportent les conséquences. A preuve les mineurs de Lens ; ils s'étaient foutus les premiers en grève, et les premiers ils ont repris le turbin. La Compagnie leur avait promis 10 pour 100 d'augmentation, les types étaient contents, ils croyaient avoir dégotté le Pérou, parce que leurs singes leur foutaient dix sous de plus par jour! Tas de couillons. Or, savez-vous ? La Compagnie les a augmenté de dix sous, mais du même coup, elle les a diminué de quinze ; bénéfice net : cinq sous de perte par jour !

Ah, nom de dieu, les patrons sont de meilleurs calculateurs qu'on ne pense : à chipotter sur les centimes avec eux, le populo sera toujours foutu dedans. Je vois d'ici la gueule que vont faire les Lensois le 6 novembre, qui est le jour de sainte Touche pour eux. Quand ils vont voir que leur quinzaine après leur victoire est moins forte qu'avant, ils allongeront un de ces nez, - qui pourrait bien porter malheur aux crapules de la Compagnie. Voilà ce qu'ils ont gagné à vouloir faire la grève partielle !

Oui, nom de dieu, y a plus que ça aujourd'hui : la Grève Générale !

Voyez-vous ce qui arriverait, si dans quinze jours ou trois semaines y avait plus de charbon. Les usines s'arrêteraient, les grandes villes n'auraient plus de gaz, les chemins de fer roupilleraient.

Ça serait la grève forcée pour un tas de métiers. Du coup le populo presque tout entier se reposerait. Ça lui donnerait le temps de réfléchir, il comprendrait qu'il est salement volé par les patrons, et dam, il se pourrait bien qu'il leur secoue les puces dare-dare ! Mais nom de dieu, faudrait pas se borner à la grève toute pure. C'est une blague infecte, qui ne procure que davantage de mistoufle, si au bout d'un mois ou deux, il faut rentrer couillons comme la lune, dans le bagne patronal. Faut plus de ça mille tonnerres ! Les bons bougres comprendront qu'ils ont mieux à faire qu'à s'enfermer dans leurs piaules, ou à se balader en rangs d'oignon, en gueulant des chansons pacifiques.

Ils comprendront que le moment est venu de foutre les pieds dans le plat. Tant que le populo ne se sera pas foutu dans la caboche qu'il doit se passer de patrons, y aura rien de fait. Or pour apprendre à se passer de cette sale vermine, faut faire comme si elle n'existait pas. Ainsi par exemple les mines, c'est les mineurs qui les ont creusées, c'est Le eux qui les entretiennent et les pomponnent, c'est eux qui en sortent le charbon : les grosses légumes ne font qu'empocher les picaillons, et rien de plus. Donc, une fois que les mineurs seraient tous en l'air, que la grève serait quasiment générale ; après avoir affirmé en quittant le turbin, qu'ils en ont plein le cul de travailler pour leurs singes.

Faudrait, nom de dieu, qu'ils se foutent à turbiner pour leur propre compte ; la mine est à eux, elle leur a été volée par les richards, qu'ils reprennent leur bien, mille bombes ! Et si les mineurs travaillaient pour eux, s'ils refusaient aux exploiteurs les gros bénéfices, y aurait plus les avaros qu'il y a : plus de grisou, plus de types écrabouillés, plus de purée pour les vieux, plus de mistoufle pour les estropiés ! Oui, ce nom de dieu, voilà ce qu'il faudrait! Et le jour où assez marioles, y aura une tripotée de bons bougres qui commenceront le chabanais dans ce sens, eh bien, nom de dieu, foi de Père peinard, le commencement de la fin sera arrivé !

Le syndicalisme révolutionnaire possède une méthode d'action bien à lui: l'action directe. Il est, je crois, nécessaire d'en donner une définition aussi précise que possible. Cela me paraît même d'autant plus nécessaire que des erreurs de compréhension au sujet de l'action directe sont plus graves et risquent d'être plus dangereuses.

Qu'est-ce donc que l'action directe?

Une action individuelle ou collective exercée contre l'adversaire social par les seuls moyens de l'individu et du groupement. L'action directe est, en général, employée par les travailleurs organisés ou les individualités évoluées par opposition à l'action parlementaire aidée ou non par l'Etat. L'action parlementaire ou indirecte se déroule exclusivement sur le terrain légal par l'intermédiaire des groupes politiques et de leurs élus. L'action directe peut être légale ou illégale. Ceux qui l'emploient n'ont pas à s'en préoccuper. C'est avant tout et sur tous les terrains, le moyen d'opposer la force ouvrière à la force patronale. La légalité n'a rien a voir dans la solution des conflits sociaux. C'est la force seule qui les résout.

L'action directe n'est pas, cependant, nécessairement violente, mais elle n'exclut pas la violence. Elle n'est pas, non plus, forcément offensive. Elle peut parfaitement être défensive ou préventive d'une attaque patronale déclenchée ou sur le point de l'être, d'un lock-out partiel ou total, par exemple, déclaré ou susceptible de l'être à brève échéance.

Quelques exemples me semblent nécessaires pour bien fixer les esprits:

1. L'ouvrier qui discute avec son patron, soit pour conserver des avantages acquis, soit pour faire triompher des revendications nouvelles, fait un acte d'action directe. Il se place, en effet, seul, directement en face de son employeur sans recourir à des concours étrangers au conflit social: parlementaires, arbitres, etc.

Qu'il obtienne ou non satisfaction, que le patron reconnaisse de bonne foi le bien-fondé des desiderata qui lui sont soumis et accorde satisfaction ou qu'il les rejette, il y a toujours action directe. Que le patron cède par impuissance momentanée ou par calcul -ce qui est fréquent - ou bien qu'il résiste, parce qu'il se croit assez fort pour braver la force collective qu'il sent derrière l'ouvrier qui réclame et discute, il y a, de la part de l'individu qui mène la lutte sur ce terrain, action directe.

Que la discussion reste courtoise, qu'elle dégénère en dispute et même en rixe, l'action de l'ouvrier reste, dans tous les cas, une manifestation d'action directe. C'est la discussion de classe.

Ce que l'ouvrier ne doit pas perdre de vue dans cette discussion, c'est son devoir de classe. Il ne doit jamais céder de terrain à l'adversaire. Il ne doit conquérir des avantages qu'en conservant sa dignité d'homme. Il ne doit, à aucun prix, vendre sa conscience, ni ses connaissances professionnelles, même s'il est miséreux, en acceptant de recevoir en échange de sa trahison : un poste de commandement ou de maîtrise, un salaire occulte supérieur à celui de ses camarades, etc., etc.

Composer avec le patron, recevoir de lui des satisfactions personnelles refusées aux autres, c'est commettre un acte de trahison vis-à-vis de ses frères de misère et de travail. Si on ne se sent pas capable de résister aux propositions mielleuses du patron, il vaut mieux se taire que de se faire l'instrument, même inconscient, de l'asservissement des camarades.

L'ouvrier qui se charge de revendiquer ses droits et ceux de ses camarades doit avoir un profond sentiment de ses devoirs de classe. S'il les ignore il doit les apprendre avant d'agir.

2. Le syndicat peut, bien entendu, employer collectivement, le même moyen de lutte. Il doit se conduire de la même façon que l'ouvrier qui agit seul. Lui non plus ne doit ni promettre, ni donner à l'adversaire des concours moraux et techniques qui renforceraient la puissance patronale au détriment des ouvriers. Un syndicat qui accepterait que ses membres, contrôlés ou non par lui, pénètrent dans les organismes de direction et de gestion capitalistes ne pourrait plus, en aucun cas, pratiquer l'action directe, puisque les intérêts des ouvriers et des patrons, même inégaux, se confondraient.

La discussion collective de classe ne peut donner lieu ni à compromis, ni à abandon. Elle peut revêtir tous les caractères de la discussion individuelle. Cependant, elle diffère de celle-ci sur un point important. Tandis que l'acte individuel, qui s'exerce souvent dans en milieu, réfractaire à l'esprit de classe, ne comporte généralement que le renvoi ou le départ volontaire de l'ouvrier lésé mais impuissant, la discussion collective de classe aboutit presque toujours, en cas d'insuccès, à la grève, si les forces ouvrières sont alertées, cohérentes et organisées pour la lutte prévue et en vue des batailles à livrer.

Dans tous les cas, la grève est un acte grave. Il convient de n'utiliser cette arme qu'à bon escient, avec circonspection, en toute connaissance de cause, après un examen très attentif de la situation et de la position du conflit, de ses conséquences possibles. Il convient aussi de se rendre compte des résultats qu'on peut atteindre, des conditions exactes de la lutte à engager, des répercussions en cas de succès ou d'insuccès.

Lorsque, par exemple, la décision de grève est prise, il faut mettre tout en oeuvre pour rendre effective la cessation du travail, agir avec vigueur, courage et méthode. Une grève victorieuse est un facteur de développement, de rayonnement et d'attraction pour l'organisation syndicale. Par contre, une défaite diminue, généralement, la confiance et la combativité des individus. Elle provoque souvent la désertion des syndiqués. Elle émousse toujours leur ardeur et leur esprit de solidarité.

3. L'ouvrier qui, au cours d'un conflit social, décide d'accomplir, selon sa conscience, un acte de destruction ou mise hors d'usage du matériel ou des outils de travail, qui exerce une action violente sur un représentant de la force adverse ou un de ses camarades inconscient de son devoir de classe, fait aussi un acte d'action directe. Il se peut qu'on en discute la valeur, il est impossible, cependant, d'en méconnaître ou d'en nier le caractère.

Il semble bien qu'un tel acte ne doit avoir lieu que s'il est réellement un facteur de succès, de réussite de l'action engagée. Dans le cas contraire, si l'acte est inconsidéré ; s'il est une simple manifestation de mauvaise humeur ou de colère, il risque de desservir - et souvent considérablement - le mouvement en gestation ou en cours.

Avant d'employer ce moyen d'action - qui peut cependant s'imposer - l'individu doit se rendre compte, par avance, de la portée de son acte, de ses conséquences probables. Il ne doit l'accomplir que s'il l'estime réellement utile au succès de la cause qu'il défend.

Se laisser aller à l'accomplissement irraisonné d'un acte de violence ou de sabotage, inutile ou inopportun, c'est faire preuve de faiblesse, d'inéducation, d'incompréhension ; c'est prêter le flanc à l'adversaire et, souvent, justifier la violence adverse, même si on est provoqué, ce qui arrive couramment.

4. Un syndicat peut, lui aussi, décider d'employer la violence et le sabotage. Toutefois, il ne saurait en imposer l'exécution à ceux de ses membres qui n'accepteraient pas ces moyens de lutte ou qui ne désireraient pas les utiliser eux-mêmes.

Dans ce cas, seule la conscience de chacun décide pour l'accomplissement des actes reconnus nécessaires. Il est bon que les participants ou exécutants soient seuls au courant des projets, des tentatives à exécuter et arrêtent entre eux les moyens d'action. Le secret est de rigueur. Seuls, ceux qui ont décidé d'agir dans le bien commun sont juges de leurs actes. Par contre, les autres sont juges des résultats. Ils ne doivent pas hésiter à en condamner l'emploi à nouveau, si les résultats sont défavorables à la cause commune. Pas plus qu'une collectivité n'a le droit de s'opposer aux actes nécessaires, des individualités qui se prétendent conscientes ne doivent perpétrer des actes qui vont à l'encontre du résultat recherché. C'est affaire de conscience et de circonstances. Ce qui était mauvais hier peut être excellent demain et vice versa.

5. L'homme qui abat un tyran, un oppresseur redoutable, par quelque moyen que ce soit, accomplit aussi un acte d'action directe, bien qu'il ne s'attaque pas au régime lui-même et qu'il ne mette que très rarement ce régime en péril. Il agit directement contre un adversaire social particulièrement redoutable.

6. Un groupement peut être appelé à agir dans les mêmes conditions. Dans ce cas, il est nécessaire que les participants acceptent cette façon de mener la lutte, comme ils le feraient pour un acte de sabotage, de violence ou de destruction collective. Les conditions dans lesquelles cet acte doit s'accomplir sont les mêmes que celles qui sont exposées au paragraphe 4. Un tel acte peut parfois s'imposer et devenir un facteur important et même décisif du succès en période révolutionnaire.

Comme on le voit, l'action directe peut se présenter sous des aspects très différents, suivant les circonstances et les buts poursuivis.

Si l'on tient compte des exemples qui précèdent on peut dire qu'elle revêt les caractères suivants : discussion individuelle ou collective de classe ; grève avec ses multiples aspects ; sabotage et sévices contre le patronat et les ouvriers inconscients ; attentats contre un oppresseur ou un groupe de représentants du pouvoir.

De même qu'il peut y avoir discussion de classe sans grève, il peut y avoir grève sans sabotage, sans sévices, sans chasse aux renards. Une seule de ces manifestations caractérise l'action directe. Il suffit qu'elle s'exerce individuellement ou collectivement, de classe à classe, sans recourir à des forces étrangères au conflit lui-même.

En période révolutionnaire, l'action directe prend immédiatement le caractère de grève générale insurrectionnelle. Elle a pour but de permettre à la classe ouvrière de s'emparer des moyens de production et d'échange qui assurent, en tout temps, la continuité de la vie sociale. Dans ce cas, l'action directe devient nécessairement violente puisqu'elle s'exerce contre un adversaire qui se défend par la force.

Elle est le premier acte révolutionnaire d'un prolétariat qui vise à remplacer le pouvoir politique existant par l'organisation sociale, après avoir détruit la propriété individuelle et instauré la propriété collective. Elle s'oppose à l'insurrection, arme des partis politiques, qui tous, sans exception, ont pour but de prendre le pouvoir et de le garder.

L'action directe est la seule et véritable arme sociale du prolétariat. Nulle autre ne peut, quelqu'emploi qu'on en fasse, lui permettre de se libérer de tous les jougs, de tous les pouvoirs, de toutes les dictatures, y compris la plus absurde d'entre elles : celle du prolétariat.

Quoi qu'en disent nos adversaires de classe, l'action directe n'est nullement, on le voit, un acte ou une série d'actes désordonnés, brutaux, violents sans raisons ni motifs, destructeurs pour le plaisir ou la satisfaction de ceux qui les accomplissent. J'affirme, au contraire, que l'action directe est ordonnée, méthodique, réfléchie, violente quand il le faut seulement, dirigée vers des buts concrets, nobles et largement humains.

Mais pour que cette méthode puisse être employée avec chances de succès, il est absolument indispensable que les individus acquièrent une conscience élevée et que l'organisation syndicale dispose de tous les rouages qui lui sont nécessaires pour agir par ses propres moyens et en toutes circonstances.


1 Extrait de : Les syndicats ouvriers et la révolution sociale.