L'Almanach1

Émile Pouget

L'ÉTÉ

L'ÉTÉ rapplique le 21 juin. Riche saison que celle-là ! tout le monde s'en ressent. Tous ! jusqu'aux purotins. A ceux-ci, en leur réchauffant la carcasse, le soleil rend la mistoufle moins cruelle.

Les trimardeurs s'essaiment le long des routes ; ils font le lézard à l'ombre des grands arbres et bouffent moins mal que de coutume : ils peuvent se dispenser d'aller tirer le pied de biche et, sous le ciel en chaleur, y a plan de se pagnoter dans les gerbes et d'y roupiller en douce.

Ah, ce que l'Été serait chouette à vivre, si le populo n'était pas condamné aux travaux forcés ! On le passera, kif-kif les petits oiseaux, en de continuelles chansons et roucoulades.

Ces étouffoirs que sont les grandes villes et la hideuse lèpre des bagnes industriels auraient disparu. En place de ces agglomérations puantes on aurait des chapelets de maisons potables, panachées de verdure et serpentant au diable-au-vert.

Le travail industriel, qui, grâce aux machines bougrement perfectionnées qu'on aurait pondues, serait fait proprement et sans que les bons bougres s'esquintent le tempérament, serait quasi devenu une besogne d'hiver.

Quand viendrait la saison où, en nous faisant risette, le soleil nous invite à la flâne, on s'en irait prendre des bains d'air, en pleine campluche.

Au lieu d'aller faire les pantouflards, aux bouibouis des bains de mer ou des stations thermales, on trouverait plus chouette d'aller donner un coup de collier aux cul-terreux, au moment des récoltes. Et, là encore, grâce aux mirifiques mécaniques le boulot ne serait qu'une grande partie de rigolade.

Ceux qui, au lieu de se frotter le museau dans les sillons, préféreraient se laver le cuir dans la grande tasse, n'auraient pas à se gêner.

La contrainte serait de sortie ! chacun tirerait du côté où ses goûts le pousseraient.

Ceux qui aiment la mer, iraient donner un coup de collier aux pêcheurs et, ce serait pour eux autrement rupin que les trouducuteries auxquelles se soumettent aujourd'hui les types de la haute qui s'en vont moisir sur les plages à la mode.

L'AUTOMNE2

L'automne commence le 22 septembre 1896 : il ouvre la porte à l'année du calendrier révolutionnaire.

Chouette saison pour fêter l'année nouvelle !

Le blé est engrangé et voici que le vin nouveau giscle des pressoirs et mijote dans les cuves. Il est encore douceâtre et se laisse licher sans faire mal aux cheveux : pour se ramoner et se récurer les boyaux, y a rien de tel que le vin nouveau — c'est la meilleure des purges !

On trinque... "A la tienne, Étienne !" Et l'on s'en fourre une ventrée, et l'on espère en de meilleurs jours.

Ce qui ne serait pas du luxe pour le populo, fichtre non ! Car si le picolo giscle des pressoirs, avec l'automne, la lance pisse du ciel sur et ferme.

Or, c'est une triste saison pour les pauvres bougres qui n'ont ni feu ni lieu. Patauger dans la fange noire des villes ou barbotter dans la boue gluante des campluches, — ça n'a rien de réjouissant ! Surtout que, trop souvent, le défaut de piôle s'accompagne du manque de croustille. Alors, les pauvres déchards sont lavés de l'extérieur et nettoyés de l'intérieur, — ils font ballon !

Et tandis que les mistoufliers refilent la comète et que les trimardeurs vagabondent, n'ayant, les uns et les autres, d'autre perspective que de coucher dans les granges, les asiles de nuit et les prisons, les jean-foutre de la haute la mènent joyeuse.

Pour les pansus, l'automne ramène la saison des fêtes : gueuletons, théâtres, bals... Ils vont s'en payer jusque là !

Pendant ce temps, les paysans leur préparent de quoi nocer l'an prochain : ils font les semailles ! Pas à pas, ils vont dans les champs détrempés, et, à grande volée, ils éparpillent le bon grain.

Et, pas bien loin, la petite bergère garde vaches ou moutons — toujours pour engraisser les richards ! elle non plus, n'est pas heureuse : elle grelôte, mal enveloppée dans sa mante qui ne la garantit guère de la pluie.

Quand donc enverrons-nous paître le troupeau des richards ?

VENDÉMIAIRE fleure bon, mille marmites ! Nous voici à l'an 103 : les vendanges s'achèvent, le raison boût dans les cuves. Quel meilleur moment pour fêter l'année nouvelle que celui où le vin nouveau giscle des pressoirs ?

Épaisse comme du macadam, la bonne vinasse se laisse boire dans la tasse des vignerons. Douçâtre, sucrée, elle relâche les boyaux : c'est la plus chouette des purges... On commence l'année nouvelle, par un renouvellement de tout.

Puis, outre les vendanges, voici les semailles : dans les champs déjà brumeux, à grandes volées, les campluchards éparpillent le grain qui, après avoir roupillé tout l'hiver, montrera en germinal sa frimousse verdâtre.

De la vendange, les prolos des villes s'en foutent ! Le picton qui leur passe par le trou du cou est une poison de la famille du Château-la-Pompe, n'ayant pas deux liards de parenté avec les raisins.

Quant aux picolos veloutés, ils sont pas nés pour leurs fioles !

A ces bons bougres, que je jaspine une découverte épastrouillante qui va réjouir tous les boit-sans-soif. Pour le vinochard nature, il faut des raisins, tout comme pour le civet il faut un chat ou un lapin. Lorsque le vigneron est un sale fricotteur bourgeois, il salopise son picolo avec des drogues infernales. S'il est bon fieu, il laisse mijoter les raisins à leur fantasia.

Eh bien, voici que les chercheux de bestioles invisibles viennent de dégotter un fourbi galbeux : ils ont pris au nid la levure du vin !

Oui, nom de dieu, le vin a sa levure, tout comme la bière a la sienne, comme le lait a sa présure, le pain son levain. Et, turellement, autant de qualités de vin, autant de levures différentes.

Vous voyez d'ici le tableau : dans une cuve qui n'aurait donné qu'un verjus dégueulasse, on fourre la levure du vin qu'on veut avoir, et vas-y mamzelle Nature ! Ça lève ! On obtient du bordeaux, du bourgogne... à son goût !

Enfoncés les picolos de la haute, mille sabords ! Seulement pour qu'un si riche mic-mac profite au populo, y aura rien de fait tant que la racaille exploiteuse ne sera pas foutue à cul.

BRUMAIRE n'engendrera vraiment pas la gaieté ni les beaux jours. A preuve, c'est que le soleil se collera de la suie sur la gueule en guise de poudre de riz.

Peut-être, pour l'été de la Saint-Martin qui s'amènera le 11 novembre, nous fera-t-il un tantinet moins grise mine ?... Mais ne nous y fions pas ! La brouillasse, la pluie, aussi quelques paquets de neige, nous pendent plus au nez que les coups de soleil.

Les arbres perdront leur perruque, la terre se déplumera, les chauves se feront des cheveux et les blancs-becs boufferont de la barbe de capucin.

Les culs-terreux fumeront leurs champs, — et ils fumeront encore en payant l'impôt ! Dans leur rage, ils butteront les artichauts, se faisant ainsi la main pour butter les richards avec adresse, quand l'occase s'en présentera.

Les ramoneurs récureront les cheminées, les ménagères les culs des chaudrons et les frocards celui des bigottes. Pour ce qui est des marchands d'injustice, y a pas de pet qu'ils récurent leur conscience : plus noire elle est, mieux ça va.

Le chauffage sera bougrement de saison, nom de dieu !

Les amoureux chaufferont leurs amoureuses ; les dépotés chaufferont leurs chèques, les ambitieux leur réputation, les notaires, la braise des jobards. Les roussins manœuveront pour chauffer les violateurs de cette poufiasse de mère Loi, — et ces bougres auront la jugeotte si biscornue qu'ils ne se laisseront chauffer qu'à regret.

Pour ce qui est des pauvres prolos qui n'auront pas pu chauffer de turbin, ils chaufferont mille misères et tout ce qui s'ensuit !... Ils chaufferont tout, excepté leurs pauvres carcasses.

Turellement, comme il n'y a pas de fumée sans feu, les mineurs s'échaufferont à bile à tirer le charbon du fin fond de la terre.

Qu'il vente ou qu'il pleuve, à peine s'ils le sauront : enfouis dans leurs taupinières, ils useront leur sang à gaver les richards.

Si la rancœur leur vient, ils saisiront le retour de brumaire et dans l'espoir d'ensoleiller leur existence, ils se foutront en grève.

S'ils avaient le nez creux, ils seraient les bons ! En effet : qui a creusé la mine ? C'est eux ! Qui tire le charbon ? C'est eux !

Qui en retire le bénef ? Les capitalos !

Pour changer le fourbi et l'équilibre naturellement, ils n'auraient qu'à continuer la série, sans changer le mouvement : puisque c'est eux qui ramènent du bas le charbon... il est tout simple que ce soit eux qui en aient le bénef !

Partant de ce pied, ils prendraient possession de la mine... et réserveraient un pic pour les actionnaires, au cas où l'envie viendrait à ces feignasses de turbiner kif-kif les frères et amis.

FRIMAIRE a une sale frimousse, bondieu de bois ! Le soleil se bécotte avec le Sagittaire, aussi le populo est-il obligé de s'agiter bougrement pour se réchauffer les abattis.

Sacré crampon de soleil ! Il nous montre sa tronche toute de travers, et ne nous chauffe qu'en biseau... Faut de l'aplomb pour appeler ça "chauffer" ! C'est si peu que les étrons en gèlent.

C'est qu'aussi le chameau d'hiver n'a pas attendu son ouverture pour faire des siennes : il a devancé l'appel !

En frimaire, les mois seront aussi rétrécis que la jugeotte des grosses légumes : ce sont les plus courts de l'année. A cela, les purotins n'y verront goutte : les jours sans pain étant tous d'une longueur abominable.

Encore quelques tours de cadran, et voici la fin de l'année crétine : un brin d'empiétement sur Nivôse, et ça fera le joint !

Les gosses jubileront ! Bonhomme Noël n'est pas loin : par la cheminée, il versera dans leur petit godillot une kyrielle de bricoles... à condition que la maman soit un tantinet argentée.

Hélas, combien n'auront pas cette veine ! Combien passeront leur hiver sans jamais voir de bûche dans l'âtre, encore moins à Noël que les autres jours,... et ça, parce qu'ils n'ont pas d'âtre !

Ah, l'Hiver ! quel grand mangeur de pauvre monde : ce qu'il a tôt fait de déquiller les prolos, c'est rien de le dire ! On croirait l'entendre ronchonner : "Puisque vous êtes trop nigauds pour vous caler les joues, c'est moi qui vous bouffe !"

Mais, voici que dans le grisâtre du soir on entendra des gueulements de cochon qu'on saigne... Eh oui, foutre ! Pour la Noël, on va s'empiffrer de boudin.

Quel boudin ?... Sera-ce celui du porc gras à lard qui, depuis une enfilée de siècles s'engraisse de la vie du populo ?

L'heure serait donc enfin sonnée où les mistoufliers trouveront trop coriaces les briques à la sauce aux cailloux ?

Ah, mille marmites, si c'était vrai, j'en ferais des bonds de cabri !

L'Hiver3

L'hiver s'amène officiellement le 20 décembre, - mais le charognard n'a pas attendu jusque-là pour nous geler les arpions et le bout du nez, - fichtre non !

Nous voici à la saison où le soleil a grise mine, il a des gueules de papier mâché et n'est pas plus faraud qu'un fromage blanc. Comme chaleur, il ne nous envoie guère plus qu'un glaçon et ça, parce qu'au lieu de nous servir ses rayons d'aplomb, l'animal ne nous les expédie qu'en biseau - de sorte qu'ils se tireflutent par la tangente, sans se donner la peine de dégeler nos abattis.

C'est aussi l'époque de l'année où les jours sont les plus courtauds et où les mouches blanches font leur apparition.

Le populo ne rigole pas de tout ça ! Pour lui, c'est une sacrée rallonge à la mistoufle. Les croquemorts en savent quelque chose ; le turbin abonde, - les fosses communes s'emplissent !

Ce qu'il en défile, des prolos, quand vient l'hiver ! Malheur de malheur, si on en connaissait la litanie complète, notre sang ne ferait qu'un tour.

Et on aurait bougrement raison de se fiche en colère car, y a pas à tortiller, y a mèche de s'aligner pour éviter ce déquillage.

Il suffirait que chacun ait des godillots qui ne soient pas à soupape, des frusques chaudes, une tenue galbeuse et du bon frichti pour se garnir le fusil.

C'est-il impossible ?

Non pas ! rien de plus simple que d'arriver à ça : il s'agit de le vouloir !

Du coup, les croquemorts pourraient se rouler les pouces ; leur clientèle diminuerait en un clin d'oiil !

C'est en hiver, - un jour quelconque, choisi au hasard de la fourchette par des pantouflards de la haute, - que s'amène le commencement de l'année crétine : le premier Janvier, en style esclave.

Il tombe moins de mouches blanches en tout l'hiver qu'il ne se débite de faussetés ce jour-là.

On se rend des visites à contrecœur, on s'expédie des bouts de carton en ronchonnant et on s'écrit des babillardes jésuitiques où le sucre et la pâte de guimauve cachent le fiel.

C'est la journée des mensonges, des fourberies, des hypocrisies et des reniements.

Nivôse, le mois de la neige, brouh ! Ohé, les fistons, prenez soin de votre blair : si vous ne voulez pas qu'il coule, kif-kif une fontaine Wallace, collez-lui un caleçon.

Et vous autres les niguedouilles qui, pour prendre femme, avez demandé permission au mâre ou au ratichon, tenez vos moitiés à l'œil. L'insigne du mois étant le Capricorne, les bougresses auront le diable au corps et voudront être chauffées de partout. Quoique le printemps soit encore loin, elles ne rateront pas une occase de faire pousser cornes au front de leur mari... Si celui-ci a seulement pour quat' sous de philosophie dans son sac, il se consolera, - le désagrément qui lui arrive étant preuve que sa femme est gironde.

Ce mois-là, la bise buffera ferme, coupant les visages en quatre, - tandis que le gel fendra les pierres et emboudinera les doigts des prolos.

Finaud sera, le mariole, qui fera le compte des mouches blanches voletant dans l'air. A celui-là, le père Peinard promet pour étrennes trente centimètres de ruban wilsonien.

Heureux seront les bidards qui auront pour couverte autre chose que le grand édredon qui emmaillotera la terre.

Turellement, ces sacrés bidards seront ceux qui méritent le moins cette veine. Ceux qui ne souffleront pas dans leurs doigts, parce qu'ils auront des gants et des mitaines, - qui ne battront pas la semelle, parce qu'ils auront leurs pieds de cochons bien au chaud, - ce sont les richards ! Ces birbes-là ne se plaindront pas du frio ; engoncés dans leurs fourrures, ayant dans leurs caves du soleil en bouteilles, c'est-à-dire du chauffage pour se roussir à gogo leurs poils du creux de la main, ils trouveront la saison admirable.

Pour ce qui est des déchards, nom d'une pipe, ce sera une autre paire de manches : les refileurs de comète se patineront ferme pour arriver aux asiles de nuit, avant qu'on ne colle à la porte, kif-kif au cul des omnibus, le triste mot "complet !"

C'est en Nivôse que les crétins et les jean-foutre de la gouvernance font commencer leur année. Turellement, elle débute par une chiée d'hypocrisies et de menteries.

Des birbes de tout calibre s'enfarineront la gueule, pour faire des mamours à des types qu'ils ne peuvent voir en peinture.

Les fils souhaiteront à leurs vieux de vivre kif-kif Mathieu-Salé, jusqu'à 834 ans, - tandis qu'en réalité ils voudraient les voir crampser illico, afin d'hériter vivement.

Et tous feront pareillement, mille dieux : du plus gros matador au plus petit larbin, c'est à qui fera sa bouche en cul de poule, disant le contraire de ce qu'il pense.

L'année s'ouvrira donc par des mensonges. Quoi d'étonnant qu'elle se continue par mille misères, par des crimes, par des horreurs sans nom, dont sera victime le populo..., tant qu'il sera assez poire pour se laisser faire.

Pluviose, le mois de la flotte. S'il pleut ferme, bons bougres, ne vous en foutez pas la tête à l'envers : y aura moins de poussière par les chemins. Ceux qui ne geindront pas, si ça dégouline comme vache qui pisse, ce sont les campluchards. Pour eux, pluie de février, c'est jus de fumier. En fait de fumier, que je leur dise : y a rien d'aussi bon que les carcasses de richards et de ratichons, mises à cuire six mois dans le trou à purin. Ça dégotte tous les engrais chimiques du monde. En effet, le jour où les culs-terreux utiliseront ces charognes, ils n'auront plus ni impôts, ni dîmes, ni rentes, ni hypothèques, ni foutre, ni merde, à payer, conséquemment, aussi maigre que soit la récolte, elle sera toujours assez grasse pour eux.

Il se peut qu'au lieu de nous verser de l'eau à pleines coupes, Pluviôse nous amène un temps humide, brouillasseux, avec des bourrasques de neige à la clé ; ceux qui ne suceront pas les pissenlits par la racine m'en diront des nouvelles.

Sûrement, les purotins trop nombreux, qui auront des ribouis à soupapes, ne trouveront pas chouette d'avoir les pieds à la sauce. S'ils sont malins, ils se trotteront à la grande cordonnerie à 12 fr. 50 ; puis, une fois gantés à leurs pieds, ils se tireront des flûtes vivement, prouvant ainsi au marchand que sa camelotte est extra.

Dans la deuxième décade, mardi gras s'amènera, rudement maigre pour le populo. Les bouchers étaleront des boeufs, des moutons, des veaux à leurs devantures : cette carne dodue mettra l'eau à la bouche du pauvre monde et ce sera tout... Ces tas de mangeaille iront entripailler les bourgeois.

Un tas de jean-foutre, qui vivent déguisés d'un bout de l'an à l'autre, n'auront pas à se fiche en frais, pour être en costumes de carnaval.

Primo, c'est la frocaille : moines moinillant, nonnes et nonnains, évêques, curés, vicaires, cagots et ostrogots... au total tout le paquet de la puante ratichonnerie.

Deuxièmo,c'est leurs copains, enjuponnés comme eux, les marchands d'injustice : chats-fourrés, grippe-minauds, chicanous, avocats-bêcheurs, et toute la vermine qui vit de leur maudit métier.

Troisièmo, c'est les militaires : les ronchonnot, les vieilles badernes, les culottes de peau, depuis l'adjuvache jusqu'aux généraux, tous ces massacreurs patentés, baladant leur ferblanterie en plein soleil, - avec beaucoup de rouge, sur leurs frusques théâtrales, afin que le raisiné du populo qu'ils ne se privent pas de faire giscler, ne fasse pas tâche dessus.

Puis c'est les polichinelles de la politiquerie : quoique n'étant pas costumés, ces birbes-là n'en sont pas moins des pierrots de carnaval.

A toute cette engeance, - et à celle que j'oublie de citer - l'année sera mauvaise ; sera-t-elle aussi mauvaise que le souhaite le grand gniaff ? C'est là le grand hic !...

Ventôse, aura beau faire venter le vent, il ne déracinera pas la Tour Eiffel, ne rasera pas la foêt de Bondy, ne changera pas de place les rochers, ne rendra pas les poids de vingt kilos aussi légers qu'une plume d'oie, ne fera pas voleter les hippopotames et les éléphants kif-kif les oiseaux-mouches. Par contre, les petits capels de plus d'une gironde fille s'envoleront par-dessus les moulins, présageant la prochaine venue des hirondelles.

Les pointilleux prouveront que si les capels des jeunesses sont si batifoleurs, la faute n'en est pas au vent, mais bien à de gros boufils à cul doré.

A ces tatillons, je répliquerai, que si les gosselines pouvaient s'attiffer gentiment, s'enrubanner à leur fantasia, sans besoin de pièces de cent sous, elles ne se laisseraient pas conter fleurettes, ni chatouiller le menton, par les vieux birbes, non plus que par les singes.

Du coup, on ne verrait point pr les rues et les chemins de pauvres filles bedonant du tiroir ou remorquant un môme.

Être mère, sans permission des autorités, ne serait plus une honte !...

En Ventôse, le soleil nous montrera une frimousse encore pâlotte, mais chaude quand même ; pour chasser le brouillard, le vent lui soufflera dans le nez.

Cependant, faudra pas avoir trop de confiance ! Gare aux bons bougres qui se baladeront sans pépins ! S'ils reçoivent sur le râble quelques giboulées de mars, qu'ils ne s'en prennent qu'à eux. Il est vrai que, s'ils en pincent pour l'équilibre, ils pourront, après l'arrosage extérieur des averses, s'humecter l'intérieur d'une choppe de bière de mars.

Ce mois-là, le soleil vadrouillera dans le signe des poissons : les gouvernants, les rentiers, les patrons et leurs contremaîtres, les aristos et les feignasses, étant tous de la famille des maquerautins, seront heureux de vivre trente jours sous leur emblême.

De bonnes bougresses, qui n'étant pas de la même parenté, non plus que de celle des canards, n'ont pas le goût de l'eau chevillé au corps, ce sont les blanchisseuses. Fatiguées de barbotter dans le liquide, sans que jamais leur battoir ou leur savon soient mordus par une baleine, elles profiteront de ce que la mi-carême s'amènera un jeudi, 1er mars, pour s'en donner à cœur joie. Mince de chahut qu'elles se paieront ce jour là ! On pourra se croire arrivés à la semaine des quatre jeudis.

Pour ce qui est de nous, bon populo, en fait de poissons, nous continuerons à avaler des couleuvres et aussi à trimer pire que des galériens afin que les mornes de la haute se baladent dans de riches falbalas.

Si seulement nous suivions l'exemple que nous donneront les paysans !

A ce moment, ils finiront l'échenillage des arbres, enlèveront les mousses, les lichens et autres salopises qui sucent les troncs et les branches.

Jusqu'au gui des pommiers, qui malgré sa gueule verte, ne trouvera pas grâce : ils lui couperont la chique carrément.

Le Printemps

C'est le 20 mars que s'amène le PRINTEMPS et voici que Germinal montre sa crête verte.

Quoique ça, les bidards qui avez des paletots et des nippes de rechange, ne vous pressez pas trop de quitter vos attifeaux d'hiver. Ce gaillard-là a de sales revenez-y.

On aura encore de la froidure, nom de Dieu !

Pourtant, quoique le soleil soit encore pâlot, déjà on se sent plus gaillards : notre sang, kif-kif la sève dans les veines des végétaux, s'éveille et bouillonne.

Nous voici à la riche saison des bécottages : les oiselets font leurs nids, se fichent en ménage à la bonne franquette et, pour s'embrasser, ne sont pas assez cruchons d'aller demander la permission à un pantouflard ceinturonné de tricolore, comme môssieur le maire, ni à un crasseux amas de graisse ensaché dans une soutane.

Il s'aiment et ça suffit !

Aussi, ils récoltent !

Tandis que, chez les humains, grâce à toutes les salopises légales qui font du mariage la forme la plus répugnante de la prostitution, les gosses ne germent pas vite.

Quand, au lieu de se marier par intérêt, pour l'infect pognon, les gas seront assez décrassés pour s'unir parce qu'il en pincent l'un pour l'autre, et quand, par ricochet, on aura perdu l'idiote habitude de reluquer de travers une jeunesse qui a un polichinelle dans le tiroir, sans que les autorités aient passé par là, c'en sera fini de la dépopulation.

Mais pour ça il faut que les abrutisseurs se soient évanouis de notre présence !

En attendant, à la campluche, on est moins serins : y a des andouillards moralistes qui nous vantent ce qu'ils appellent les «vertus champêtres», qui ne sont qu'une épaisse couche de préjugés.

Ces escargots, plus moules qu'une dizaine d'huîtres, n'ont jamais vu ni un village, ni un paysan, sans quoi ils sauraient qu'aux champs on est bougrement plus sans façons.

Quand vient la fenaison, filles et garçons se roulent dans les foins et, sans magnes, ils vont derrière les buissons, sous l'œil des oiseaux, faire la bête à deux dos.

Germinal, rien que le nom vous ragaillardit, nom d'une pipe ! Il semble qu'on entend les nouvelles pousses crever leur coque et sortir leur nez vert hors de terre.

Ce chouette mois nous amènera le printemps, et l'espoir des beaux jours. Rien que l'espoir, hélas !... Faudra pas trop se presser de faire la nique à l'hiver. En Germinal, y a le premier avril, et gare au poisson, foutre ! Les bons amis chercheront à nous monter le job, et le frio pourra bien s'aviser de nous geler le pif et de semer du grésil où il y a que faire.

Des croquants, assez finauds pour se mordre les oreilles, chausseront des lunettes bleues pour foutre en déroute la lune rousse : malgré cette riche précaution, qu'ils ne s'épatent pas trop, si leurs bourgeons sont fricassés.

Pour se rattraper, ceux-là sèmeront des citrouilles. Comme s'il n'y en avait déjà pas assez d'espèces, depuis les actionnaires du Panama, jusqu'aux abouleurs des emprunts Russes.

Les vaches s'en iront aux prés, et quoique bouffant de la verdure, elles continueront à fienter noir.

Des vaches qui, pour n'avoir que deux pattes, mériteront rudement qu'on les envoie paître, ce sont les proprios. En Germinal, de même qu'à chaque renouvellement de saison, leur fête tombera sur la gueule des parigots.

Qué tristesse, cette maudite fête !

Certes, les déménageurs à la cloche de bois ne chômeront pas, et les bouifles auront un turbin du diable pour rapetasser les bouts des grolons, usés à botter le cul des vautours.

Ça ne ronflera pourtant pas suffisamment. A preuve, que beaucoup de désespérés ne trouveront pas d'autre moyen de se dépêtrer de leur vampire qu'en allumant un réchaud de charbon.

Et Germinal mentira à son nom : au lieu de faire pousser la vie, il aura fait germer la mort !

Floréal, bourdonne la mouche : tout est à la joie : les fleurs font risette au soleil qui est maintenant à peine tiède. Les oiseaux cherchent femme, faisant des mamours aux femelles, et se fichent en ménage sans bénédiction du maire et du curé.

Bon sang, avec un temps pareil, le populo devient peut-être aussi heureux que les bestioles qui, sans souci, agitent la rosée du matin.

Il n'en sera rien, foutre !

C'est ici que les ratichons vont sortir de leurs usines à prières, se baladant à travers champs, et un pinceau à la main, aspergeant d'eau sale les récoltes en fleurs. C'est les rogations ! Quand la frocaille rapliquera, les oiseaux se cacheront, les bestioles tairont leur bec, les chouettes cligneront leur œil. Comment le populo pourrait-il être heureux tant qu'il endurera des horreurs pareilles ? Pas plus qu'aux paysans, Floréal n'amènera la joie aux prolos des villes : c'est à peine s'ils verront fleurir les pissenlits.

Mais voici qu'un matin les usines s'arrêteront de cracher du noir et on reluquera le bleu du ciel, débarbouillé de suie.

Qu'y aura-t-il donc d'épastrouillant ? Ce qu'il y aura ? C'est que le 1er Mai fera risette au populo. Et sans qu'on sache trop comment, un vent de rebiffe soufflera de partout.

Ce riche trimballement foutra la trouille aux richards : les pots-de-chambre, les guoguenots, les tinettes renchériront.

Pour parer à tous ces avaros, la gouvernance nous turlupinera avec des élections. Il s'agira, en province, de renouveler les collections municipales.

Un tas de bougres qui, sans ce dada, n'auraient songé qu'à étripailler les richards, feront des yeux de merlans frits aux Volières : ils nous serineront que la conquête des municipalités est un truc galbeux.

A cela, les paysans pourront répondre que c'est de la couille en bâtons : pour ce qui les regarde, y a une quinzaine d'années qu'ils ont fait cette garce de conquête et ils n'en sont pas plus bidards pour ça. Aujourd'hui, dans les campluches, les conseillers cipaux sont tous des bons bougres : les richards leur ont laissé cet os sans moelle à ronger.

Pour ne rien entendre de ce raisonnement, les conquétards colleront six kilos de ouate dans leurs plats à barbe. Ils auront leur plan, kif-kif Trochu ! S'ils en pincent tant que ça pour se percher dans les Volières, c'est qu'ils voient plus loin : c'est un grade ! Une fois accrochés là, y a mèche de grimper plus haut, de devenir bouffe-galette pour de vrai.

Les fistons à la redresse ne couperont pas dans un pareil pont : pour voter, ils iront s'affaler derrière une haie. Là, ils s'accroupiront, prendront leurs aises et poseront une belle pêche sur le nez des fleurs ; puis, sortant leur bulletin de vote, ils s'en torcheront proprement.

Et les baladeurs qui passeront sous le vent, en prenant plus avec leur tube qu'avec une pelle, conclueront : «Décidément, floréal ne fleure pas bon !»

Prairial, foutra à tous des fourmis dans les pattes. Les plus casaniers auront des envies folles d'aller plumarder dans les prés et les garde-champêtre brailleront comme des pies borgnes en découvrant dans les grandes herbes la bête à deux dos, qui abondera bougrement ce mois-là.

Les cerises auront le museau rouge et le noyau en dedans ; les dindonneaux sortiront de leur coquille pour n'y plus rentrer ; on ne ramera pas encore les choux ; par contre, la carotte commencera à donner ferme. Il y a une foultitude de variétés dans cette légume ! Sur l'une d'elle, la tabac-carotte, la gouvernance continuera de nous carotter dans les grands prix.

Les cul-terreux se foutront perruquiers : ils feront la barbe à leurs prés et raseront la laine de leurs moutons.

Pour ce qui est d'eux-mêmes, ils n'auront pas attendu Prairial pour se faire tondre : c'est du premier de l'an à la sylvestre, qu'ils seront plumés par les messieurs de la ville, les recuteurs d'impôt, les feignasses de tout calibre.

Avec Prairial s'amènera la saison des villégiatures : les richards s'en iront soiffer des eaux dans les trous chouettes ou nettoyer leur sale peau aux bains de mer.

En fait de bains, ils n'en méritent qu'un, ces chameaux-là : un plongeon dans les égouts ! Ça leur pend au nez.

D'ici là, ils jouiront de leurs restes, usant nos chandelles par les deux bouts.

En même temps qu'eux, les trimardeurs, baluchon sur l'épaule, se foutront carrément en campagne.

Chacun se met au vert selon ses moyens. Ceux-ci, n'ayant pas la profonde farcie de pépettes, n'auront pas la veine d'aller se pavaner dans les endroits chiques. Pour ce qui est de se faire charrier par la vache noire, ce sera aussi comme des dattes : ils s'embarqueront sur le train onze. De cette manière, ils pourront, tous les kilomètres, faire une croix sur les bornes des chemins.

Prenant le temps comme il viendra, ils éviteront les grands arbres quand y aura de l'orage à la clé, ils se tasseront sous les buissons lorsqu'il pleuvra, et se foutront le ventre à l'ombre quand le soleil tapera trop dur sur les cocardes.

Là où ils arriveront, ce sera le bon !

Quoiqu'ils aient l'air de ne pas craindre le travail fait, ils n'auront pas un trop grand poil dans la main : c'est avec nerf que, pour la fenaison ou autres bricoles, ils donneront un coup d'épaule aux paysans.

Outre ça, pendant les maigriotes collations, soit dans les granges où l'on plumarde tous en chœur, ils jaspineront de l'espoir du populo. Dans le siphon des plus bouchés, ils colleront une idée de révolte : ça ne tombera pas en mauvaise terre ! Laissez faire, et que vienne le temps du grabuge : les culs-terreux ne seront pas les derniers à se rebiffer, on a beau leur seriner que la révolution de 89 leur a donné la terre, ils n'ont pas assez de bouze de vache dans les mirettes pour ne pas voir que la bonne terre est accaparée par les richards et les jésuites.


1 Almanach du Père Peinard, 1897

2 L'Almanach du Père Peinard, 1896 (1894 pour les mois...)

3 L'Almanach du Père Peinard, 1897 (1894, pour les mois révolutionnaires)