Émile POUGET

L'AUTOMNE

L'Almanach du Père Peinard, 1896

(1894 pour les mois...)

Voir aussi les Calendriers du passé, le romain, le républicain

L'automne commence le 22 septembre 1896 : il ouvre la porte à l'année du calendrier révolutionnaire.

Chouette saison pour fêter l'année nouvelle !

Le blé est engrangé et voici que le vin nouveau giscle des pressoirs et mijote dans les cuves. Il est encore douceâtre et se laisse licher sans faire mal aux cheveux : pour se ramoner et se récurer les boyaux, y a rien de tel que le vin nouveau — c'est la meilleure des purges !

On trinque... «A la tienne, Étienne !» Et l'on s'en fourre une ventrée, et l'on espère en de meilleurs jours.

Ce qui ne serait pas du luxe pour le populo, fichtre non ! Car si le picolo giscle des pressoirs, avec l'automne, la lance pisse du ciel sur et ferme.

Or, c'est une triste saison pour les pauvres bougres qui n'ont ni feu ni lieu. Patauger dans la fange noire des villes ou barbotter dans la boue gluante des campluches, — ça n'a rien de réjouissant ! Surtout que, trop souvent, le défaut de piôle s'accompagne du manque de croustille. Alors, les pauvres déchards sont lavés de l'extérieur et nettoyés de l'intérieur, — ils font ballon !

Et tandis que les mistoufliers refilent la comète et que les trimardeurs vagabondent, n'ayant, les uns et les autres, d'autre perspective que de coucher dans les granges, les asiles de nuit et les prisons, les jean-foutre de la haute la mènent joyeuse.

Pour les pansus, l'automne ramène la saison des fêtes : gueuletons, théâtres, bals... Ils vont s'en payer jusque là !

Pendant ce temps, les paysans leur préparent de quoi nocer l'an prochain : ils font les semailles ! Pas à pas, ils vont dans les champs détrempés, et, à grande volée, ils éparpillent le bon grain.

Et, pas bien loin, la petite bergère garde vaches ou moutons — toujours pour engraisser les richards ! Elle non plus, n'est pas heureuse : elle grelôte, mal enveloppée dans sa mante qui ne la garantit guère de la pluie.

Quand donc enverrons-nous paître le troupeau des richards ?

VENDÉMIAIRE fleure bon, mille marmites ! Nous voici à l'an 103 : les vendanges s'achèvent, le raison boût dans les cuves. Quel meilleur moment pour fêter l'année nouvelle que celui où le vin nouveau giscle des pressoirs ?

Épaisse comme du macadam, la bonne vinasse se laisse boire dans la tasse des vignerons. Douçâtre, sucrée, elle relâche les boyaux : c'est la plus chouette des purges... On commence l'année nouvelle, par un renouvellement de tout.

Puis, outre les vendanges, voici les semailles : dans les champs déjà brumeux, à grandes volées, les campluchards éparpillent le grain qui, après avoir roupillé tout l'hiver, montrera en germinal sa frimousse verdâtre.

De la vendange, les prolos des villes s'en foutent ! Le picton qui leur passe par le trou du cou est une poison de la famille du Château-la-Pompe, n'ayant pas deux liards de parenté avec les raisins.

Quant aux picolos veloutés, ils sont pas nés pour leurs fioles !

A ces bons bougres, que je jaspine une découverte épastrouillante qui va réjouir tous les boit-sans-soif. Pour le vinochard nature, il faut des raisins, tout comme pour le civet il faut un chat ou un lapin. Lorsque le vigneron est un sale fricotteur bourgeois, il salopise son picolo avec des drogues infernales. S'il est bon fieu, il laisse mijoter les raisins à leur fantasia.

Eh bien, voici que les chercheux de bestioles invisibles viennent de dégotter un fourbi galbeux : ils ont pris au nid la levure du vin !

Oui, nom de dieu, le vin a sa levure, tout comme la bière a la sienne, comme le lait a sa présure, le pain son levain. Et, turellement, autant de qualités de vin, autant de levures différentes.

Vous voyez d'ici le tableau : dans une cuve qui n'aurait donné qu'un verjus dégueulasse, on fourre la levure du vin qu'on veut avoir, et vas-y mamzelle Nature ! Ça lève ! On obtient du bordeaux, du bourgogne... à son goût !

Enfoncés les picolos de la haute, mille sabords ! Seulement pour qu'un si riche mic-mac profite au populo, y aura rien de fait tant que la racaille exploiteuse ne sera pas foutue à cul.

BRUMAIRE n'engendrera vraiment pas la gaieté ni les beaux jours. A preuve, c'est que le soleil se collera de la suie sur la gueule en guise de poudre de riz.

Peut-être, pour l'été de la Saint-Martin qui s'amènera le 11 novembre, nous fera-t-il un tantinet moins grise mine ?... Mais ne nous y fions pas ! La brouillasse, la pluie, aussi quelques paquets de neige, nous pendent plus au nez que les coups de soleil.

Les arbres perdront leur perruque, la terre se déplumera, les chauves se feront des cheveux et les blancs-becs boufferont de la barbe de capucin.

Les culs-terreux fumeront leurs champs, — et ils fumeront encore en payant l'impôt ! Dans leur rage, ils butteront les artichauts, se faisant ainsi la main pour butter les richards avec adresse, quand l'occase s'en présentera.

Les ramoneurs récureront les cheminées, les ménagères les culs des chaudrons et les frocards celui des bigottes. Pour ce qui est des marchands d'injustice, y a pas de pet qu'ils récurent leur conscience : plus noire elle est, mieux ça va.

Le chauffage sera bougrement de saison, nom de dieu !

Les amoureux chaufferont leurs amoureuses ; les dépotés chaufferont leurs chèques, les ambitieux leur réputation, les notaires, la braise des jobards. Les roussins manœuveront pour chauffer les violateurs de cette poufiasse de mère Loi, — et ces bougres auront la jugeotte si biscornue qu'ils ne se laisseront chauffer qu'à regret.

Pour ce qui est des pauvres prolos qui n'auront pas pu chauffer de turbin, ils chaufferont mille misères et tout ce qui s'ensuit !... Ils chaufferont tout, excepté leurs pauvres carcasses.

Turellement, comme il n'y a pas de fumée sans feu, les mineurs s'échaufferont à bile à tirer le charbon du fin fond de la terre.

Qu'il vente ou qu'il pleuve, à peine s'ils le sauront : enfouis dans leurs taupinières, ils useront leur sang à gaver les richards.

Si la rancœur leur vient, ils saisiront le retour de brumaire et dans l'espoir d'ensoleiller leur existence, ils se foutront en grève.

S'ils avaient le nez creux, ils seraient les bons ! En effet : qui a creusé la mine ? C'est eux ! Qui tire le charbon ? C'est eux !

Qui en retire le bénef ? Les capitalos !

Pour changer le fourbi et l'équilibre naturellement, ils n'auraient qu'à continuer la série, sans changer le mouvement : puisque c'est eux qui ramènent du bas le charbon... il est tout simple que ce soit eux qui en aient le bénef !

Partant de ce pied, ils prendraient possession de la mine... et réserveraient un pic pour les actionnaires, au cas où l'envie viendrait à ces feignasses de turbiner kif-kif les frères et amis.

FRIMAIRE a une sale frimousse, bondieu de bois ! Le soleil se bécotte avec le Sagittaire, aussi le populo est-il obligé de s'agiter bougrement pour se réchauffer les abattis.

Sacré crampon de soleil ! Il nous montre sa tronche toute de travers, et ne nous chauffe qu'en biseau... Faut de l'aplomb pour appeler ça «chauffer» ! C'est si peu que les étrons en gèlent.

C'est qu'aussi le chameau d'hiver n'a pas attendu son ouverture pour faire des siennes : il a devancé l'appel !

En frimaire, les mois seront aussi rétrécis que la jugeotte des grosses légumes : ce sont les plus courts de l'année. A cela, les purotins n'y verront goutte : les jours sans pain étant tous d'une longueur abominable.

Encore quelques tours de cadran, et voici la fin de l'année crétine : un brin d'empiétement sur Nivôse, et ça fera le joint !

Les gosses jubileront ! Bonhomme Noël n'est pas loin : par la cheminée, il versera dans leur petit godillot une kyrielle de bricoles... à condition que la maman soit un tantinet argentée.

Hélas, combien n'auront pas cette veine ! Combien passeront leur hiver sans jamais voir de bûche dans l'âtre, encore moins à Noël que les autres jours,... et ça, parce qu'ils n'ont pas d'âtre !

Ah, l'Hiver ! quel grand mangeur de pauvre monde : ce qu'il a tôt fait de déquiller les prolos, c'est rien de le dire ! On croirait l'entendre ronchonner : «Puisque vous êtes trop nigauds pour vous caler les joues, c'est moi qui vous bouffe !»

Mais, voici que dans le grisâtre du soir on entendra des gueulements de cochon qu'on saigne... Eh oui, foutre ! Pour la Noël, on va s'empiffrer de boudin.

Quel boudin ?... Sera-ce celui du porc gras à lard qui, depuis une enfilée de siècles s'engraisse de la vie du populo ?

L'heure serait donc enfin sonnée où les mistoufliers trouveront trop coriaces les briques à la sauce aux cailloux ?

Ah, mille marmites, si c'était vrai, j'en ferais des bonds de cabri !

Émile Pouget