Ethique et Toc : médecines douces, psychanalyse... Informations scientifiques. Le divan le terrible

Joëlle Proust

L'opinion gagne du terrain, selon laquelle la doctrine psychanalytique est la plus prodigieuse escroquerie intellectuelle du vingtième siècle ; et un produit condamné avec ça, une voie sans issue, quelque chose de l'ordre du dinosaure ou du zeppelin dans l'histoire des idées, une vaste structure d'une conception radicalement inadaptée et vouée à rester sans postérité.

Peter Medawar

The limits of science, Oxford University Press, 1985.

Soyons clairs ! Les psychanalystes pratiquent, ou laissent volontiers pratiquer, un amalgame qui les arrange. Ils annexent allègrement tout ce qui porte le préfixe "psy ". A la marche du siècle du 19 mars 1997, par exemple, on présentait un psychologue écoutant et portant conseil à des RMIstes désorientés, et une action de "guidance parentale " dans un service de prématurés, pour louer les mérites de la psychanalyse.

Quelle tromperie ! La psychanalyse est centrée sur l'exploration de l'inconscient et la résurgence des pulsions refoulées par les techniques de l'association libre. C'est cela et seulement cela qui est en cause !

La psychanalyse est-elle une science ?

Les principales bases qui fondent la psychanalyse Freudienne sont l'existence d'un inconscient pathogénique et le déterminisme psychique de la sexualité enfantine. Sur ces bases, irréfutables par excellence, a été bâti tout un système rationalisé : le ça, le moi, le surmoi, les pulsions, les phases sexuelles de l'enfant (orale, anale, phallique), le complexe d'Oedipe, etc. Mais ce système, pour séduisant qu'il soit est sans intérêt si ses bases même n'ont pas reçu le plus petit commencement de preuve. Or, pour Freud, "la science n'est pas une illusion, et ce serait une illusion de croire que nous puissions trouver ailleurs ce qu'elle ne peut pas nous donner", et c'est pourquoi il a insisté sur l'aspect scientifique de la psychanalyse. Qu'en est-il vraiment ?

Pour être une science, la première condition est épistémologique : il faut satisfaire au critère de réfutabilité. Celui-ci fut établi par Karl Popper en étudiant, justement, la psychanalyse avec Adler, lorsqu'il constata que celui-ci interprétait systématiquement les rêves qui lui étaient soumis dans un sens qui confortait sa fameuse théorie du "sentiment d'infériorité".Exemple simple : si l'on dit "Dieu existe et il ne se montre pas aux mortels", c'est irréfutable. Par contre lorsqu'on dit "tous les merles sont noirs", la proposition est réfutable, puisqu'il suffit de trouver le fameux merle blanc. Encore, faudra-t-il vérifier qu'il s'agit bien d'un merle et que sa couleur est bien naturelle. " Tous les merles sont noirs " est donc une proposition scientifique, " Dieu existe " est une croyance.

La seconde condition est méthodologique. Toute science réalise un retour à l'expérience, pour valider la théorie, l'infirmer ou l'infléchir. Le principe de la mécanique classique, qui énonce la relation de la force à l'accélération, n'a pas été démontré "a priori", mais énoncé et considéré comme valide tant qu'il a permis de calculer le mouvement des mobiles terrestres, c'est à dire qu'il a été vérifié "par ses conséquences". La mécanique relativiste n'a pas infirmé ce principe, mais a précisé son "domaine de validité", en l'incluant dans un ensemble plus vaste. La mécanique quantique s'adresse, elle, au microscopique et les physiciens rêvent d'une "relativité quantique" qui unifierait ces deux domaines dans un ensemble cohérent. C'est ainsi qu'avance la science : constatation (ou réflexion), déduction, expérimentation, à nouveau constatation et ainsi de suite. C'est ce cycle, jamais achevé, qui seul est constitutif de vérité.Rien de tel pour la psychanalyse qui procède par étude de cas, refuse les statistiques, les études contrôlées, et procède régulièrement à un "retour aux sources" freudien par relecture des écritures sacrées.D'ailleurs, Jacques Lacan lui-même disait : " la psychanalyse n’est pas une science, c’est une pratique". Ce qui ne l'empêchait d'ailleurs pas d'en rechercher la caution par l'emploi de concepts et de termes scientifiques, employés généralement à contre sens, comme l'ont si bien montré A.Sokal et J.Bricmont dans leur livre "Impostures intellectuelles"(1).

La validité thérapeutique de la psychanalyse justifie-t-elle, au moins, son principe ! La psychanalyse est-elle une thérapeutique ?

La psychanalyse n'est pas évaluée. Pour savoir si la psychanalyse est efficace, encore faudrait-il qu'elle se prête à l'évaluation. Or elle s'y est toujours refusée. Voyons, à titre d'illustration, comment on étudie un même trouble en psychanalyse et dans une psychothérapie cognitive. Sujet : le trouble obsessionnel compulsif (TOC).

Premier tableau : (imaginaire, bien sur, mais combien réaliste !) :M. Levacher grand psychanalyste reconnu par ses pairs réunit ses disciples en séminaire pour leur présenter deux cas de TOC traités par ses soins. Il parle de M. D et de Mme R (apparemment) guéris après verbalisation de leurs conflits infantiles (au hasard). L'assistance écoute avec ferveur. Quelques questions polies seront posées, pour bien marquer tout l'intérêt qu'on a prêté au sujet. Puis, tout le monde se séparera sincèrement conforté dans la réalité de ses croyances. Pas de contrôle a posteriori ! Qui sait si M. D n'a pas recommencé depuis à se laver les mains six fois par heure ? Qui sait si Mme R ne s'est pas prétendue guérie pour abréger une cure qui la ruine ? Qui sait combien de traitements de ce type ont réellement été menés avec succès ? Personne, et la machine continue de tourner.

Deuxième tableau : (parfaitement réel, celui-là !) : Une équipe de l'université de Floride décide d'évaluer l'action de psychothérapies cognitives apparemment actives sur le TOC. On constate, en imagerie RMN que ce trouble est caractérisé par le fait que diverses zones du cerveau qui normalement sont indépendantes, fonctionnent conjointement chez ces malades. Un nombre suffisant de patients (guéris, non guéris, non malades) seront envoyés à l'équipe d'imagerie, qui ignore bien entendu à quel groupe ils appartiennent. Le résultat sera positif, une majorité de patients guéris présentant durablement une autonomie nouvelle de fonctionnement des zones cervicales.Il s'agit là d'un cas particulier, mais qui montre que contrairement aux affirmations des psychanalystes, l'évaluation est souvent possible... si on ne la redoute pas et si on a compétence pour la faire.Imagine-t-on chose pareille pour un médicament ? Pour obtenir son autorisation de mise sur le marché (AMM), il doit franchir de nombreuses épreuves, non pas tant parce qu'on a peur de sa nocivité, mais surtout pour prouver son efficacité par un essai en double insu contre placebo. Rien de tel pour la psychanalyse. Et pourtant elle est aussi, souvent, remboursée par la Sécurité Sociale, quand elle se déroule en milieu hospitalier, ou qu'elle prend la forme d'une thérapie analytique pratiquée par un médecin. Les psychanalystes ne font pas de statistiques. Dans leurs nombreuses grand-messes, ils décrivent, dans le langage hermétique et alambiqué propre à toutes les sociétés d'initiés, un ou deux cas significatifs, sans qu'aucun suivi critique ne vienne vérifier la réalité de leurs dires (généralement sincères d'ailleurs).

Il faut dire que l'exemple vient de loin ! Hier la psychanalyse a été édifiée par Sigmund Freud à partir de "cas" célèbres, le succès thérapeutique justifiant, à ses yeux, la mise en place d'une théorie généralisante."Anna O" constitue le cas princeps qui a été à la base de l'illumination freudienne. En fait, elle était soignée par le Dr Joseph Breuer, lorsque Freud était encore étudiant. Il constate que la guérison est venue lorsque la malade "se remémora, en extériorisant les affects, à quelle occasion ses symptômes s'étaient d'abord produits(2)". Le principe de la cure était trouvé ! Freud ajoute : "le symptôme était balayé et ne reparaissait plus". La réalité est toute autre ! De son vrai nom Bertha Pappenheim, "Anna O" n'a jamais été guérie de ses manifestations "hystériques"(3). Elle a fait plusieurs rechutes et a été soignée dans une maison de santé, puis au sanatorium de Bellevue à Keuzlingen, où tous les rapports médicaux, ensuite retrouvés, montrent que "le prototype de la guérison cathartique(4) ne fut ni une guérison, ni une catharsis"(5). Jacques Van Rillaer dans "Les illusions de la psychanalyse"(6), étudie en détail les autres cas. Résumons."Emmy von M", femme d'un grand industriel viennois, tout comme "Dora", l'un des "cinq cas", sont mortes "hystériques" comme elles avaient vécu(7). "L'homme aux loups" a fini sa vie dans un hospice, après 15 ans de psychanalyse auprès de plusieurs praticiens, dans un état complet de délabrement physique et mental. "Le petit Hans" qui n'a rencontré Freud qu'une fois, a été psychanalysé par père interposé. Visiblement, il ne manifestait qu'une banale peur des chevaux, qui ne justifie nullement le qualificatif de "névrosé" et disparaît spontanément avec l'âge. Enfin "l'homme aux rats", obsessionnel et phobique, est mort après son analyse pendant la première guerre mondiale. Contrôle impossible ! La conclusion s'impose ! Les cas mythiques de la psychanalyse, qui servent encore parfois de base aux séminaires freudiens, sont de cuisants échecs thérapeutiques. D'ailleurs, Jung a écrit à Freud que, dans sa défense de la psychanalyse, il évitait de mettre en avant les succès thérapeutiques car "sinon on aura vite fait de rassembler un matériel apte à montrer que le résultat thérapeutique est très mauvais, ce qui ferait du mal à la théorie également"(8). Il avait au moins le mérite de la lucidité !

Jacques Lacan, à la fin de sa vie, prenait de plus en plus de distance avec la clinique et indiquait que la guérison ne vient que "de surcroît". En 1975 il déclare : "La chose terrible est que l’analyse en elle-même est actuellement une plaie : je veux dire qu’elle est elle-même un symptôme social, la dernière forme de démence sociale qui ait été conçue". D'ailleurs, il dissoudra en 1980 "l'Ecole freudienne de Paris" qu'il avait fondée en1964, en disant : "j'ai échoué". Qu'on se rassure, ses disciples ont, malgré lui, entretenu la flamme !

On ne peut quitter le domaine de la thérapeutique sans évoquer Bruno Bettelheim qui fut le chantre de la psychogenèse de l'autisme, qu'il prétendait guérir par la cure(9). On sait maintenant qu'il a menti délibérément et que ces guérisons n'ont jamais eu lieu. Quant à l'origine de la maladie, elle est certes multifactorielle, mais le facteur génétique y est prépondérant. Pour s'en convaincre, il n'est que de savoir que si un jumeau est autiste, le second l'est aussi dans 9% des cas si c'est un faux jumeau et dans 80% si c'est un vrai jumeau. On constate, de plus, une association fréquente avec des maladies génétiques, telles que la sclérose tubéreuse de Bourneville ou la neurofibromatose. Enfin, on a trouvé chez les autistes une anomalie du gène H-Ras (10) situé sur le chromosome 11. On est loin des envolées lyriques de Bruno Bettelheim !

Bon ! Tout cela c'est le passé, où en est-on aujourd'hui ? Aujourd'hui, la plupart des psychanalystes "raisonnables" admettent qu'ils ne guérissent pas. Dans "Le Journal des Psychologues" de novembre 1996, Roland Brunner, un psychanalyste, écrit : "Il faut oser l'affirmer : ni Freud, ni Lacan, ni aucun psychanalyste n'a réussi à guérir grand monde…". Quant à Edouard Zarifian, qui a pourtant commencé sa carrière en pratiquant la psychanalyse, il affirme : "Une autre revendication de la psychanalyse est d'être un outil thérapeutique. C'est là que le bât blesse le plus. Si c'était vrai, depuis près de cent ans, cela finirait par se savoir... Objectivement, il vaut mieux ne pas être malade pour entreprendre une analyse…"(11).

Le problème est que les psychanalystes ne font pas de statistiques, que les études sérieuses sont rares et que l'on ne peut évidemment se fier aux descriptions de cas merveilleux type Marie Cardinal, sauf à croire aussi aux vertus de Natrum Murieticum 15 CH. (12). Donc, faute de pouvoir étudier sérieusement des analysés, H. J. Eysenck(13) a établi un bilan de patients atteints de névroses sévères non traitées, et constaté que 64 % d'entre eux retrouvent spontanément la santé, ou s'améliorent significativement, dans les deux ans qui suivent le début de la maladie. S'ils avaient suivi une psychanalyse on aurait donc attribué ce bon bilan à son crédit… A. Storr, un analyste, indique de son côté, que "les preuves que la psychanalyse guérit de quoi que ce soit sont quasiment inexistantes" et rappelle que l'Association Américaine de Psychanalyse a réalisé une évaluation de la psychanalyse et a renoncé à sa publication tellement les résultats étaient décevants(14). Quant au psychiatre J.J. Aulas, relatant dans son ouvrage "Les médecines douces(15)", l'une des rares études faites sur l'efficacité comparative de diverses psychothérapies d'inspirations analytiques, il conclut par cette phrase : "Faut-il alors parler de psychothérapies ou de placebothérapies ?".

Avant d'abandonner le domaine de la thérapeutique il est peut-être bon de se pencher sur la cure analytique et de s'interroger sur son innocuité. La cure En gros, le principe de la cure consiste à faire resurgir le "matériel" traumatique refoulé dans l'inconscient grâce à l'interprétation des associations libres, des rêves etc. La résurgence dans le conscient provoquerait la catharsis avec, comme conséquence, la disparition du symptôme. Bien entendu une telle méthode postule la psychogenèse des troubles mentaux, sans laquelle elle serait dénuée de sens. Or, on a parlé plus haut de l'autisme et l'on sait, par exemple, que la concordance de la schizophrénie chez les jumeaux monozygotes est de 28%(16) et que toutes les études montrent que les facteurs environnementaux qui interviennent par ailleurs sont principalement de nature biologique (problèmes à l'accouchement, carences nutritionnelles, infections, etc.) et non socioculturelle(17). Ce qui rend caduc l'espoir de guérison par la psychanalyse.En un mot, on peut dire que la psychogenèse des maladies aliénantes est une contre vérité. Mais, objectera-t-on, il ne manque pas de cas où, un événement affectif fait plonger un être dans la maladie mentale. Bien sûr ! L'enfant qui pose une main légère sur un rocher branlant dans un chemin de montagne est-il responsable de sa chute ? Evidemment pas ! Celui-ci aurait dévalé la pente, demain ou dans trois mois, sous l'action d'une pluie d'orage ou le poids d'un corbeau de passage.

Admettre une certaine influence du milieu est une chose, encore ne faut-il pas en permanence confondre les effets et les causes ou les origines avec les facteurs déclenchants. Lors de la cure, le rêve est, d'après Freud, "la voie royale qui mène à la connaissance de l'inconscient dans la vie psychique", et son analyse est donc l'un des pôles de la thérapeutique. Une étude a été réalisée, au centre du sommeil de Haïfa, sous la direction de Peretz Lavie, sur des survivants de l'holocauste(18). Trois groupes ont été constitués. Dans le premier on a placé des rescapés ayant rencontré de gros problèmes d'adaptation après la guerre, dans le second des survivants qui se sont correctement réadaptés et dans le dernier ceux qui n'ont manifesté aucun traumatisme. Pendant cinq nuits, ces volontaires ont été réveillés, lors d'un rêve, au cours de la phase de sommeil paradoxal. Le résultat a été surprenant : les rescapés non traumatisés ne se rappelaient leur rêve que dans 33% des cas, chiffre très inférieur à tout ce qui avait été enregistré jusque-là. De plus, à la différence des autres participants, leurs rêves étaient dépourvus de références à la Shoah et traitaient de sujets communs dépourvus d'émotions. Tout semble donc se passer comme si une espèce de mécanisme d'oubli les avait protégés et comme si l'aptitude à l'enfouissement des souvenirs traumatiques constituait un facteur d'équilibre.

Que penser alors de la cure, au cours de laquelle l'analysé, sachant que son analyste lui demandera de raconter ses rêves, tente de faire émerger, et conserve précieusement, le souvenir des problèmes passés ? Cette expérience recoupe d'ailleurs une méthode de traitement de la dépression qui consiste en une privation artificielle du sommeil paradoxal.(19). Le surgissement de la mémoire est-il, comme le prétend le dogme psychanalytique, profitable au patient ? On est en droit d'en douter !

La psychanalyse est-elle un outil interprétatif ? Une herméneutique. En résumé, nous pouvons dire, sans grand risque d'être contesté, que la psychanalyse n'est pas une science, et que rares sont les praticiens lucides qui croient encore à ses vertus thérapeutiques. Doit-elle donc être jetée aux orties ? Non, répondent les fidèles de l'inconscient, qui ont toujours réponse à tout, car elle constitue un outil interprétatif irremplaçable, une nouvelle herméneutique et elle permet le "développement personnel". Cette dernière expression est d'ailleurs significative du terrain sur lequel on s'engage alors, car elle fait partie du traditionnel vocabulaire des "sectes psychanalytiques"(20). Quant au terme "herméneutique", il désigne le dévoilement du sens caché, à travers les rêves, les lapsus, le vocabulaire, les actes manqués etc.…Aux scientifiques, qui s'étonnent qu'on puisse utiliser comme modélisation de la vie psychique un échafaudage aux bases infalsifiables et à l'efficacité nulle, les freudiens répondent que leur dogme n'est pas accessible aux outils de la science et du rationalisme. La psychanalyse se situe "ailleurs".

Qu'on nous permette cependant d'apporter quelques éléments de jugements sur les principaux restes de prétentions du freudisme ! Les associations libres. Sur ce sujet laissons la parole à Michel Lobrot, professeur à l'Université de Paris VIII :(21). " On sait que Freud veut retrouver les motifs profonds et inconscients qui animent le psychisme par la méthode des associations libres. Or, cette méthode d'analyse est anti-scientifique. Tout chercheur sait que la mise en évidence d'une corrélation entre deux phénomènes (la ressemblance entre un couteau et un pénis par exemple) ne peut tenir lieu de causalité. La pratique freudienne de "l'herméneutique associative ", qui consiste à traduire un contenu conscient des rêves ou des actes manqués en un sens profond et caché, a conduit aux pires extravagances. Elle introduit la subjectivité du psychanalyste dans l'analyse."

Le complexe d'Œdipe. C'est l'une des bases fondamentales de la psychanalyse, puisque Freud écrit : "je m'autorise à penser que si la psychanalyse n'avait à son actif que la seule découverte du complexe d'Œdipe refoulé, cela suffirait à la ranger parmi les précieuses acquisitions du genre humain"(22). D'après lui, ce complexe est universel et il le rattache à la notion de "horde primitive". Au tout début de l'humanité existaient des hordes composées d'un mâle et de plusieurs femelles et les jeunes mâles étaient menacés de castration, s'ils tentaient de s'accoupler avec une des femelles. Un jour, les fils ont tué leur père et l'ont mangé, puis envahis par le remords ils ont décidé de bannir à jamais le parricide et l'inceste. Ce fut la fin de l'animalité et le début de l'humanité. De là découle le désir d'inceste, la peur de la castration et la fameuse envie de "tuer le père", qui serait, parait-il, en chacun de nous. Quel beau roman ! Voyons comment il résiste à l'examen.

Dans les hordes de gorilles, qui donnent une assez bonne idée de ce que devait être la horde primitive, les plus jeunes mâles ne sont nullement agressés par leur père et ne tentent que très rarement de s'accoupler avec leur mère(23). Plus généralement, chez les animaux, l'inceste entre frère et sœur est rare, du moins s'ils ont été élevés ensemble. Cette constatation se confirme chez les humains et les enfants des kibboutz israéliens, par exemple, élevés collectivement dans la plus franche mixité, ne se sont que fort rarement mariés ensemble. L'anthropologue Bronislaw Maliniwski a étudié les habitants des îles Trobriand(24), chez qui le père est doux et affectueux avec ses enfants, alors que c'est l'oncle qui détient l'autorité. Il observe que les fils ne manifestent aucune hostilité envers leur père mais qu'ils s'opposent fréquemment à leur oncle. Ce qui semble montrer que ce comportement est une simple réaction à leur autorité normative et non dû à une hypothétique rivalité sexuelle.

Pour en terminer avec l'Œdipe, il faut mentionner une étude réalisée par deux psychologues allemands, Wilhelm Greve et Jeanette Roos(25). Ce travail, réalisé avec grand soin dans de bonnes conditions méthodologiques, montre que les enfants, au stade dit "phallique", ne manifestent aucune hostilité à l'égard du parent de même sexe et n'ont, à plus de 80%, jamais manifesté le fameux désir de se marier "avec papa" ou "avec maman". Gageons que ceux qui restent n'ont fait que répéter ce qu'ils avaient entendu ! Mais alors, si le complexe d'Œdipe n'est qu'un mythe, on peut s'interroger sur l'importance du refoulement des pulsions sexuelles, pivot du freudisme.

Le refoulement des pulsions sexuelles. Pour essayer de tester la validité de ce concept qui sert de socle à la théorie freudienne, une équipe a mis au point une expérience(26) qui consiste à présenter à des jeunes gens d'une vingtaine d'années une liste de mots, qui défile à vitesse constante sur un ordinateur dans un ordre aléatoire, et à leur demander de les mémoriser. Or, ces mots peuvent se scinder en quatre groupes. Le premier est constitué de mots crus, grossiers sexuels ou scatologiques. Un second groupe comprend des mots neutres (objets…), les deux autres regroupant les mots positifs (agréables…) et négatifs (violents…). Si la théorie freudienne de la libido est valable, les mots grossiers à connotation sexuelle doivent être refoulés dans l'inconscient. Or c'est exactement le contraire qui se produit, puisqu'ils sont mémorisés en moyenne à 50%, contre 30% pour les autres. La théorie freudienne était peut-être vraie dans la société viennoise du début du siècle, mais elle n'est sûrement pas universelle !

Précision ! Bien entendu, les éléments fournis ci-dessus ne "prouvent" rien. On ne saurait réfuter l'irréfutable. Et d'ailleurs, ce n'est pas aux sceptiques qu'incombe la charge de la preuve.Les inconditionnels de l'herméneutique affirmeront que tout cela n'a rien à voir, que c'est beaucoup plus subtil et qu'en fait nous n'avons rien compris. Notre opposition, sans nuance, monolithique et péremptoire, est d'ailleurs la preuve de notre incompétence, voire de nos "résistances" et il convient d'être "plus nuancé". C'est l'argument habituel du "relativisme cognitif", à savoir l'idée selon laquelle la science n'est qu'une "narration" parmi d'autres. Si, par exemple, les scientifiques affirment qu'au centre de la terre se trouve un noyau à très haute température, et si un autre groupe, formé de gens respectables, affirme que notre planète est en réalité creuse et que son centre est peuplé de timides extraterrestres, les deux théories sont également "valables".Qu'on nous permette de ne pas partager cette forme, très particulière, d'ouverture d'esprit, et de ne pas confondre "discours obscur" avec "discours profond" ! Qu'on ne nous fasse pas dire pour autant que nous refusons tout outil interprétatif du psychisme, mais la symbolique freudienne peut avantageusement être remplacée. Les psychothérapies cognitives, comportementales ou systémiques exploitent les notions d'apprentissages, de conditionnement ou de suggestion. A la différence de la psychanalyse, elles s'appuient sur des expériences reproductibles ou des observations contrôlables, pratiquent l'évaluation et un retour fécond à l'expérience. A ce titre, elles ont leur place dans les sciences humaines. Ce n'est pas parce que la psychanalyse a pénétré, à la frange, certaines d'entre elles qu'elle peut en tirer argument pour se valider. La psychanalyse a aussi infiltré l'astrologie (astrologie jungienne), cela ne justifie ni l'une ni l'autre.

Le monde de la Psychanalyse Une idéologie ! La psychanalyse fait recette chez les intellectuels. Il n'est pas un film ou une pièce de théâtre dont la critique ne passe par la grille d'analyse freudienne. Dans n'importe quel tableau, le soleil n'est plus "l'astre du jour" mais "l'image du père" et tout arbre se voit promu au rang de "symbole phallique". Un jeune homme qui avait provoqué un débat sur la psychanalyse dans un café philosophique, indiquait qu'il était excédé de se voir constamment opposer les lieux communs d'une psychanalyse "réponse à tout".Chacun a droit à sa part de rêve et de poésie. Tout homme peut fonder son église et y prononcer les paroles liturgiques sans que la raison ait à s'en offenser. Il est en chacun de nous une part (plus ou moins importante) de mysticisme qui a droit au respect et à la liberté d'expression. C'est pourquoi il n'est pas nécessaire d'épiloguer longtemps sur cet aspect de la psychanalyse. Chacun y prend ce qu'il y cherche. Ne résistons pas cependant, avant d'abandonner un domaine qui a donné lieu à tous les excès, au plaisir de citer Melanie Klein(27) : "Théâtres et concerts et, en fait, toute représentation où il y a quelque chose à voir ou à entendre symbolisent toujours le coït des parents : le fait d'écouter et de regarder symbolise l'observation réelle ou imaginaire, tandis que le rideau qui tombe représente les objets qui gênent l'observation, tels que les couvertures, le montant du lit, etc." Chers amis du théâtre et cinéphiles impénitents, vous savez désormais ce que vous cherchez à voir "inconsciemment"… Et puis, ne discutez pas, ce n'est pas "peut-être" ou "parfois", c'est "toujours". Fermez le ban !

Une école littéraire. Le monde de la psychanalyse est essentiellement littéraire. Le verbe y est roi. L'affirmation bien tournée tient lieu de preuve et la généralisation hâtive de mode de travail. Dans une conférence faite le 15 août 1984 devant des psychologues, médecins et travailleurs sociaux, et reprise dans un livre "Tout est langage", Françoise Dolto dit :" Un enfant qui est propre très, très tôt, peut devenir schizophrène. J'en ai connu un qui n'a jamais après la maternité sali ses couches, jamais. Il est devenu schizophrène : un enfant qui était né pour être un être remarquable. Ce sont des enfants qui ... à cause de paroles qu'ils ont entendues trop tôt et qui dévalorisent leurs relations familiales ou leur sexe, sont bouleversés de ne pas satisfaire leur dieu ou leur déesse de leur vie fœtale : les parents qui parlent à l'extérieur... " On ne peut qu'être atterré devant pareilles affirmations. Que Mme Dolto ait cru en 1984 à la psychogenèse de la schizophrénie, passe encore. Mais la méthodologie employée est incroyable : généralisation à partir d'un cas, conclusions hâtives et invérifiables (c'est le fait d'entendre depuis le ventre maternel, de supposées paroles dévalorisantes, qui entraîne la schizophrénie / un schizophrène est un enfant remarquable), culpabilisation des parents et des mères en particulier. Comment les femmes peuvent-elles accepter la psychanalyse qui n'a cessé de les culpabiliser et de les mépriser ? Tout le monde connaît les phrases célèbres de Freud : " La femme est un être aux cheveux long et aux idées courtes " ou encore " Sur le plan social les femmes n'ont pratiquement pas contribué aux progrès de la civilisation ". C'est le même qui dans un texte intitulé "la féminité " après avoir expliqué que la femme était frustrée de manque de pénis et fondamentalement masochiste concluait : "En dehors de cela, chaque femme peut être aussi un être humain ". On ne peut être plus charmant !

Mais le comble du pédantisme et de l'hermétisme littéraire a été atteint avec Lacan dont "Ecrits " (le seul ouvrage) et la retranscription du "séminaire " sont proprement illisible pour qui ne parle pas le "lacanien ". Tirons-en quelques perles : " L'interprétation doit être preste pour satisfaire à l'entre-pret. De ce qui perdure de perte pure à ce qui ne parie que du père au pire. "" Les mots... peuvent engrosser l'hystérique, s'identifier à l'objet penis-neid, représenter le flot d'urine de l'ambition urétrale, ou l'excrément retenu de la jouissance avaricieuse. "Comprenne qui pourra ! (28)

Les psychanalystes se gargarisent de mots, comme si leur ambition était littéraire et non thérapeutique. Ils sont d'ailleurs en cela les dignes descendants de Freud qui, à la fin de sa vie, avouait : " La psychanalyse n'est rien d'autre que l'interprétation de ma vocation littéraire en termes de psychologie et de pathologie ".

Une église. La psychanalyse est une sorte d'église, avec ses évêques, ses petits diacres et ses fidèles. De l'église, elle a les livres saints, les schismes et les excommunications. Adler, Young, Lacan, et son éviction de la Société Française de Psychanalyse avant la création de l 'Ecole de la cause freudienne en sont des exemples significatifs. De l'église, elle a les dévots qui regardent les mécréants du haut de leurs certitudes. D'ailleurs, dans un numéro spécial du Nouvel Observateur de novembre 1996 consacré aux religions, un article traitait scrupuleusement de la psychanalyse (au même titre que du Bouddhisme ou de l'Islam) sous le titre "La psychanalyse, une expérience spirituelle " et l'auteur, Marie Balmary une psychanalyste, écrivait : "Nous sommes des pays en voie de développement spirituel ; des sociétés parfois si pauvres en relations que certaines personnes nées dans l'expérience psychanalytique, demeurent dans la psychanalyse comme seule "religion " possible pour elles" Et elle concluait : "Vécue comme une expérience d'esprit, la psychanalyse conduit-elle au Grand Esprit, comme disent les Indiens ? A chacun de épondre."

Qui sont ces nouveaux croyants ? Il existe peu d'études sociologiques sérieuses sur cette question. Cependant, pour qui a eu l'occasion de côtoyer différents milieux, il apparaît que la répartition n'est pas égale dans les différentes couches de la société. Les ouvriers, agriculteurs, commerçants et artisans ont souvent gardé une vision religieuse traditionnelle, et s'ils ne pratiquent plus guère, ils continuent à croire au Dieu de leurs ancêtres. La maladie mentale y est perçue comme une tare, le psychiatre est consulté en cachette et la psychanalyse appartient à un autre monde. Paradoxalement, les scientifiques ont souvent gardé la foi. Oh ! Pas la foi du charbonnier, une foi en un être suprême souvent sans rapport avec une pratique religieuse. Comme si le scientifique avait fait une bonne fois pour toute "la part de Dieu " et vérifiait volontiers la phrase de Pasteur : " Un peu de science éloigne de Dieu, beaucoup de science rapproche de Dieu ". Il faut dire que le physicien qui se penche sur les abîmes de la physique quantique, ne peut qu'être saisi de vertige et mesurer la petitesse de "l'humaine condition ". En fait, les scientifiques fréquentent peu les psychanalystes. C'est le milieu littéraire et celui des sciences humaines (journalistes, psychologues, sociologues, éducateurs...) qui forment les gros bataillons des "convaincus du transfert ". Ceux-là se sont appropriés la psychanalyse qui forme pour eux une sorte de langage véhiculaire, un signe de reconnaissance, un mode d'appartenance à un ensemble qui sans elle perdrait son unité (et pour certains son pouvoir ). Un rejet des convictions religieuses parentales, une inclination pour la pensée "de gauche ", une sympathie pour le mysticisme oriental et parfois même un baba-coolisme attardé, forment le profil type de l'analysé et/ou analysant.

Une discipline "incontestable ". Dans les milieux "psy ", la coutume est de se dire à l'écoute des autres, et d'affecter vis-à-vis de toute chose d'une sereine tolérance. La réalité est toute autre ! Le malheureux qui se risque à émettre une critique, ou même seulement à esquisser un sourire, face à l'affirmation répétée des dogmes les plus caricaturaux, se voit immédiatement agressé. L'argument majeur, dans ce cas de figure, se résume ainsi : " Vous n'êtes pas analysé, donc vous n'y connaissez rien ! ". Celui qui conteste la psychanalyse est un imbécile. On l'exclut, on le méprise. Dans un débat sur la psychanalyse (la marche du siècle le 19/3/97), une journaliste, Liliane Sichler, coupable d'avoir commis un livre critique sur les "psy "(29), avait été conviée à jouer le rôle de la chèvre, l'opposante fragile vouée au sacrifice. Elle fut traitée en ignorante et finalement exécutée par F Giroud, qui rappela à son sujet la phrase de Lacan : " La psychanalyse guérit de tout, sauf de la connerie ! ". Il faut dire que "le maître" précisait à ses adeptes qu'il ne fallait surtout pas chercher à convaincre les sceptiques, car ce serait "jeter des perles aux pourceaux ". Les psychanalystes se déchirent entre eux sur des détails du dogme, comme les mystiques du moyen âge débattaient du sexe des anges… pourvu qu'on ne mette pas en cause la réalité de ceux-ci. Les opposants n'ont droit qu'à l'insulte et au mépris.

Les acteurs. Les analysés. Qui sont-ils ? Les clients de la psychanalyse ne sont pas également répartis dans toutes les couches de la société. D'abord, parce que les psychanalystes font une sélection et n'acceptent en analyse que ceux qui ont quelque chance, à leurs yeux, d'en tirer profit et surtout de supporter le choc. Freud lui-même indiquait que "le Moi avec lequel nous pouvons conclure un pareil pacte doit toujours être un Moi normal". De plus, il ne faut pas que les défenses soient trop structurées. Donc, pas de sujets trop vieux ou malades depuis trop longtemps. Tout cela a fait dire aux "mauvaises langues" que l'indication type de la psychanalyse concernait le patient "riche, jeune et bien portant". Le premier point coulant de source, quand il faut pouvoir assurer la charge financière de trois séances hebdomadaires, très souvent payables en liquide. Chacun sait que ce dernier point est important à cause de la symbolique fécale de l'argent ! Que les mauvais esprits n'aillent surtout pas établir un quelconque rapport avec un problème de déclaration de revenu ! Ce serait pure calomnie…Dominique Frischer, une sociologue, a réalisé l'une des rares enquêtes sur les analysés(30). Elle a rencontré une soixantaine de personnes traitées par la psychanalyse, dans des clubs d'anciens analysés ou par le biais des petites annonces. Ses interlocuteurs appartiennent presque tous à la classe aisée, il n'y a ni employé ni agriculteur et un seul est ouvrier. Ce fait est confirmé par d'autres études qui montrent que ces patients ont pratiquement tous une profession rentable ou très rentable.

Que pensent-ils ? Après son enquête, Dominique Frischer indique que "malheureusement aucun des analysés n'a interrompu son analyse avec la conviction d'être totalement libéré de ses infériorités ou de ses difficultés passées, avec la certitude d'avoir remédié complètement à ses manques, d'être guéri". Malgré cela ils sont très fiers de faire partie d'une élite, d'une sorte de caste supérieure : "Vis-à-vis des autres, les analysés éprouvent la tranquille sérénité de ceux qui portent au front la marque des élus, des voyants, ce signe invisible par l'intermédiaire duquel se ralliaient les premiers chrétiens. Car beaucoup d'analysés ont la certitude que le travail analytique leur confère aujourd'hui une incontestable supériorité". En effet, ceux qui ont suivi une analyse s'en disent souvent satisfaits. Le paradoxe est qu'en général, ils ne s'en considèrent pas guéris pour autant et ils traînent souvent derrière eux dix ou quinze ans de psychanalyse continue ou épisodique. Les raisons de ce paradoxe sont de deux ordres. Le premier c'est qu'on ne peut admettre qu'on a passé tant d'heures de sa vie, subi tant de souffrances et consacré des sommes qui auraient permis de faire six fois le tour du monde, pour un résultat aussi modeste. Personne n'aime se déjuger. Ce qui explique que les intéressés soient assez "chatouilleux " sur ce sujet. Le second est que s'est établi durant le long parcourt avec l'analyste une relation interpersonnelle, qui n'a rien à voir avec le transfert et autres fatras freudiens, mais qui est le fait de l'écoute bienveillante dont le sujet est l'objet. Cette écoute ne peut être que positive, surtout (et c'est souvent le cas heureusement) si l'analyste a de grandes qualités humaines et si par ses conseils (certains ne restent pas totalement silencieux), il fait de la psychothérapie cognitive sans le savoir, comme M. Joudain faisait de la prose. En fait, la psychanalyse est le placebo de l'esprit et comme tout placebo elle a une réussite moyenne d'au moins 30%. Rien de bien neuf dans tout cela : l'église depuis longtemps a inventé la confession, qui ne se pratique plus guère semble-t-il, ce qui est peut-être dommage, car la méthode était la même et le résultat identique. De plus, on ne payait que de " je vous salue Marie " et de quelques bleus aux genoux. Et puis, quand des analysés disent combien ils ont changé à la suite de leur démarche, il n'y a là rien d'étonnant. Un homme peut-il rester immobile pendant dix ou quinze ans face aux réalités de la vie ? En fait, ils attribuent à l'analyse une maturation qui se serait sans doute produite naturellement. L'âge, et les obstacles de la vie, sont en fait les plus sûrs moteurs d'un tel changement.

L'analyse établit même parfois des liens de dépendance de nature quasipathologique. Une publicitaire de 65 ans, "Judith", après une première cure ratée avec Françoise Dolto, en suit une de douze ans avec un autre analyste. Sans plus de succès. Lorsqu'elle raconte son histoire(31) elle est à nouveau en analyse depuis seize ans "avec une star de la psy parisienne". Elle dit : " Je ne suis plus orpheline. Ma relation avec D... est merveilleuse. C'est mon père, ma mère, mon mari, mon amant, mais en mieux, en version professionnelle. Il m'aime, m'écoute, m'admire. En finir ? Je n'y pense même pas, ce serait trop triste de renoncer à mes "Mille et Une Nuits". D... est mon Surmoi de rechange, le mien est si faible ! J'ai ma petite place au chaud, près de ses chats, je ne m'en irai jamais. Mes rendez-vous avec lui sont mes pilules de bonheur, je n'ai besoin d'aucune autre drogue pour dormir chaque nuit comme un bébé."

Les psychanalystes. Il faut d'abord préciser que la pratique de la psychanalyse n'est régie par aucune règle de compétence. On devient psychanalyste comme on devient guérisseur ou astrologue. Il suffit (en principe) d'avoir été soi-même analysé. Encore faut-il distinguer ceux qui ont suivi une analyse didactique et qui sont des professionnels de la santé (médecins, psychologues), qui ont décidé à un moment de leur parcours professionnel de se convertir à la psychanalyse. Ils ont fait, avec un maître choisi par eux, une psychanalyse rapide destinée non seulement à leur transmettre une méthodologie, mais surtout à leur éviter de " projeter " sur leurs futurs patients leurs propres conflits internes et d'accéder à la fameuse " neutralité bienveillante " qui est la marque du praticien accompli. Certains ont fait le trajet inverse. Ayant suivi une analyse à la suite de problèmes personnels et considérants ceux-ci comme résolus, ils décident (l'élève ayant toujours envie d'égaler le maître), de devenir à leur tour psychanalystes. Le problème est qu'ils n'ont pas toujours la formation initiale adaptée et que, le métier n'étant régi par aucune règle de capacité, rien ne s'y oppose. Si on désire devenir psychanalyste, il suffit de se faire graver une jolie plaque en plastique doré et de la fixer sur son seuil. Nul ne pourra y trouver à redire. On ne pourrait pas s'installer boulanger (il faut un CAP), ni infirmier (il faut un diplôme d'Etat ), encore moins médecin (on risquerait des ennuis avec la justice ), mais on peut être psychanalyste. On objectera que l'on n'aura pas de clients (il faut pour être sûr d'en avoir, faire acte d'allégeance à un psychanalyste surchargé qui vous " refile " son trop-plein de clientèle ), et que l'on n'obtiendra pas de bons résultats. Le premier point est possible (quoique, avec un peu de patience), et le second reste à démontrer. Ceux qui au prix d'une pseudoformation s'intitulent un jour psychanalystes, voient souvent justifiés leur (lucratif) engagement par le fait " qu'il faudra toujours des gens pour écouter ceux qui souffrent ". C'est là que réside le mensonge, car prétendre que " l'écoute " est curative en elle-même, fait partie des idées reçues et nous verrons plus loin qu'il existe d'autres méthodes d'écoute pratiquées par des professionnels compétents. Est-il logique que la santé mentale soit confiée à des gens qui, dans leur grande majorité, ignorent tout de l'anatomie et de la physiologie de l'organe (le cerveau) sur lequel ils prétendent agir ? Et puis franchement, imagine-t-on qu'il suffit d'avoir été tuberculeux pour devenir pneumologue ! Il n'y a qu'en psychanalyse où un ancien malade fait un bon soignant ! Heureusement, dans la majorité des cas, la psychanalyse est une sorte d'option supplémentaire choisie par des professionnels de santé.

Les psychiatres… Un psychiatre, Patrick Lemoine, raconte(32) : "Il me souvient d'un condisciple qui se sentait très bien dans ses baskets, selon la terminologie moderne, mais qui voulait absolument être analysé au début de ses études de psychiatrie. C'était à l'époque presque obligatoire d'ailleurs. Après avoir vainement recherché ses symptômes et sa souffrance, il avait finalement conclu qu'un tel désir d'être analysé constituait en soi un symptôme et que ne pas être encore analysé le faisait beaucoup souffrir." Ce temps est heureusement révolu et les internes en psychiatrie n'ont plus à passer sous les fourches caudines de la psychanalyse. Les avancées de la neurobiologie et les progrès de la psychopharmacologie ont convaincu, surtout en milieu hospitalier, la plupart des psychiatres à abandonner l'usage de la cure analytique. Ce qui ne veut pas dire que tous aient renoncé au freudisme en tant qu'outil interprétatif.

…les psychologues… C'est parmi eux que se sont constitués les gros bataillons des psychanalystes privés, car la psychanalyse leur fournissait l'outil curatif qui leur manquait. Certains, aujourd'hui, se sont reconvertis dans les psychothérapies cognitives, comportementales ou systémiques, parfois sans le dire trop fort, et sans pour autant négliger l'effet d'appel et la notoriété que confère encore, aux yeux de certains, l'étiquette de psychanalyste. Ils sont en cela les dignes successeurs de Melitta Schmideberg, qui publiant en 1970 un article sur les échecs de la cure analytique concluait par ces mots : "Pour ma part, je me trouve dans une situation inhabituelle. Etant la fille d'une psychanalyste (Mélanie Klein), j'ai été élevée avec la psychanalyse. Pendant longtemps, j'ai considéré toute critique comme un préjugé réactionnaire. Mon mari était un ami personnel de Freud et de sa famille, et j'ai été amenée à connaître personnellement tous les grands analystes d'Europe et des Etats-Unis. J'ai publié de nombreux articles dans des revues de psychanalyse et j'ai été analyste-didacticien de la Société britannique de Psychanalyse jusqu'au moment de mon départ pour les Etats-Unis. Je suis cependant devenue de plus en plus critique envers la théorie et la pratique psychanalytiques (... ). Ainsi, bien que je me considère encore comme une analyste, sans doute tant soit peu dissidente, j'en suis venue, depuis longtemps déjà, à ne plus pratiquer la psychanalyse"

…et les autres. Ce sont souvent d'anciens analysés qui, après 10 ou 15 ans d'une psychanalyse qu'ils considèrent comme réussie, ont eu envie de passer de l'autre coté du divan. Oublions-les et ne souhaitons à personne le malheur de tomber entre leurs griffes.

Le syndrome d'Asterix. La psychanalyse est partout en régression. Aux Etats Unis, où elle était florissante dans les années soixante, elle ne survit plus guère que dans les films de Woody Allen. Les psychanalystes de formation médicale ne l'utilisent que dans quelques cas très particuliers ou comme complément à leurs prescriptions médicamenteuses. Les autres ont basculé vers des thérapies scientifiques. Le phénomène est pratiquement le même dans les pays de l'Europe du Nord. La psychanalyse serait-elle en extinction partout dans le monde ? Non ! Un village d'irréductibles gaulois résiste encore et toujours. Armés de la potion magique qui leur a été transmise par les druides Lacan et Dolto, il fait face courageusement aux méchants psychiatres et à leurs alliés les psychologues comportementalistes. De plus les psychanalystes pratiquent une technique bien connue des organisations sectaires : la réassurance par le groupe. Ce n'est chez eux que séminaires, colloques, formations et groupes de réflexions. On comprend qu'il faudrait à un psychanalyste lucide une extraordinaire dose de courage et une remarquable force de caractère pour se "déconvertir ". C'en est au point que de nombreux psychanalystes, qui comme nous l'avons vu n'ont pas de formation médicale ni scientifique, ne peuvent même pas remettre en question les fondements de leur doctrine et, de bonne foi, pensent être dépositaires d'une incontestable vérité. Il faut dire que cette remise en cause les amènerait à scier la branche sur laquelle leur niveau de vie est assis, ce qui ne favorise pas la lucidité. Comment en est-on arrivé là, et pourquoi une croyance de ce type a-t-elle pu prendre une pareille place dans ce qui devrait être une discipline scientifique ?

Les raisons d'un succès. Le retard de la neuropsychiatrie. Si on compare les connaissances acquises dans les médecines du corps et de l'esprit, la différence est flagrante. Avant 1952 et la découverte du premier neuroleptique, les connaissances sur le cerveau sont purement anatomiques et le seul progrès avéré est celui de l'electo-encephalographie. Quant aux traitements ils se limitent aux électrochocs. Faute de pouvoir donner une explication biologique de la maladie mentale, va se développer une tendance " psychologiste " qui l'attribuera au résultat de conflits entre des forces conscientes et inconscientes. Dans l'éternelle bataille entre l'inné et l'acquis, c'est le second qui va provisoirement l'emporter. La psychanalyse déferle sur le monde, et réduit au silence toute autre forme de recherche(33). Pourtant, à partir des années soixante, le développement des neuroleptiques va apporter un progrès sensible au traitement des malades. Ceci n'est pas du goût des dévots de la psychanalyse et des utopistes de l'antipsychiatrie qui, aveugles à leur propre impuissance, vont vouer aux gémonies les soi-disant " camisoles chimiques ", dont nul ne peut nier aujourd'hui qu'elles ont libéré les malades de l'enfermement des asiles. Entre temps, dans les hôpitaux et les instituts, s'était mis en place un réseau qui, par cooptations successives, pérennisait la prise en main de la maladie mentale par les fidèles de l'inconscient, et encore aujourd'hui les partisans d'un retour à une médicalisation et à l'utilisation de thérapies basées sur les progrès de la science, ont parfois du mal à se faire une place dans le dispositif bien verrouillé des croyants du freudisme. Le plus grave, c'est que s'est développée dans les milieux médicaux, sociaux, et pédagogiques, une véritable culture de la psychanalyse. Ses termes usuels sont passés dans le langage courant et ses axiomes considérés comme vérités définitives. Le symbolisme psychanalytique est devenu un outil banal, sans que soit repensée la validité du concept. Le moindre dessin d'enfant est interprété comme un langage codé dans lequel, comme l'écrivait une célèbre psychanalyste " le soleil est masculin, parce qu'il est le symbole idéal associé à l'image du père, et que la terre est féminine parce qu'elle est l'image de la mère et de la fécondité ". Or, (" vérité en deçà des Pyrénées erreur au-delà " disait déjà Pascal), en allemand soleil est féminin, et en arabe la terre se dit " trab " (masculin). Pauvres peuples exclus de la symbolique freudienne !

A la différence de la science qui est doute permanent et remise en question de ses propres découvertes, la psychanalyse assène ses vérités révélées comme des évidences. Lorsque de grands scientifiques s'expriment dans les médias, c'est généralement pour faire mesurer avec modestie les progrès qui restent à accomplir, et limiter leur propos à ce qu'ils pensent savoir. A côté de cela Gérard Miller l'inévitable (et talentueux) Lacanien et ses semblables ont réponse à tout, et nul domaine n'échappe à leurs interprétations magistrales. Ce matraquage se poursuit avec les fidèles convaincus, (de Françoise Giroud à Fabrice Luchini), qui se répandent dans les médias pour porter la bonne parole.

Psychanalyse et sociopolitique. Bien que beaucoup s'en défendent, il faut bien admettre que les choix thérapeutiques sont souvent dans ce domaine influencé par des arrières pensées politiques. Il y a trois grandes approches de la maladie mentale. La psychodynamique de la psychanalyse, la neurobiologie et la psychologie sociale de l'antipsychiatrie. Cette dernière qui fut très liée au mouvement marxiste et gauchiste est morte de ses propres excès et de son évidente impuissance, et les seules traces qu'elle a laissées se retrouvent très édulcorées dans la mouvance des thérapies systhémiques. La psychanalyse qui se veut libératrice est étroitement associée à la pensée de gauche et a été totalement dominante sous la pression d'intellectuels comme Lacan et Foucault. Edouard Zarifian écrit : " Lacan n'a pas été pour rien dans ce phénomène fondamentalement parisien à son origine. C'est lui qui fascinait des salles hétérogènes composées d'éternels étudiants, de vieilles hystériques et de minettes désœuvrées, tous fascinés et béats, ayant perdu - s'ils l'avaient jamais possédé- l'ombre de tout esprit critique." Les traitements médicamenteux sont encore parfois sévèrement critiqués par les psychanalystes et l'idée de déterminisme biologique est ridiculisée et classée "de droite" sinon de "fasciste" par une assimilation réductrice aux doctrines nazies. Quand parviendra-t-on à séparer enfin méthodes thérapeutiques et choix politiques ?

L'attitude des médias. Le monde des médias apporte un massif et insidieux appui aux thèses de la psychanalyse. Dans son numéro du 20 mars 1997, le Nouvel Observateur publiait un dossier intitulé "La science contre Freud, la psychanalyse est-elle condamnée par la neurobiologie ? ". Sur les neuf pages consacrées au dossier, trois étaient rédigées par des psychanalystes ou des journalistes visiblement convaincus. Les cinq autres présentaient un semblant de débat opposant deux psychanalystes à un neurobiologiste, Alain Prochiantz. Avait-on choisi pour ce dernier rôle un scientifique connu pour ses positions critiques par rapport à la psychanalyse ? Non bien sur ! Il était visiblement là pour ses qualités littéraires (ce qui n'enlève rien à ses qualités de chercheur), puisqu'il venait de publier un ouvrage intitulé : "A quoi pensent les calamars ? ". Le dialogue qui s'en suivit, s'établit dans un registre psycho-litteraire, au demeurant fort agréable, mais où la psychanalyse ne fut pas une seule fois remise en cause. On était entre gens de bonne compagnie, les uns se démarquant du "psychanalyste trop rigide ", l'autre affirmant détester "le réductionnisme de la biologie à une physique ". Visiblement notre aimable scientifique, connu par sa "vision romantique " de la biologie(34), répugnait à endosser, en si bonne compagnie, le costume de "l'empêcheur de discourir en rond ", qui lui était proposé. Voyant sans doute arriver la fin du dialogue, il se décidât pourtant à prononcer la phrase qui aurait dû constituer la base du débat et occuper l'essentiel de la discussion : " je garde l'inquiétude d'un discours analytique qui produit encore du discours et qui ne demande pas l'expérience du laboratoire pour prouver sa viabilité ". Il lui fut répondu par une pirouette en forme de contre vérité : " En psychanalyse... cela ne marche pas comme chez vous avec des vérifications ". Et le débat fut clos ! Le bilan est significatif. Un titre ronflant et une couverture provocante qui laissent à penser que l'on ira cette fois au fond du problème. En pratique, trois lignes sur neuf pages posent une vraie question qui ne recevra pas de réponse. Peut-on s'étonner, après cela, de voir les sourcils se lever de toute part lorsqu'on met en doute la valeur de la psychanalyse ? L'appui apporté par les médias à la psychanalyse est parfois même encore plus insidieux. Illustrons-le par un exemple. Le 24 juillet 1997 le magasine TV "Comment ça va ?" diffusait "les visages de la dépression", un dossier volontairement didactique qui cherchait à faire passer un message fondamental : la dépression se soigne aujourd'hui, si on met en œuvre les dernières ressources de la science. Divers cas étaient examinés, et des intervenants incontestables faisaient le point sur ce problème sous le regard d'un journaliste jouant le rôle du candide. L'opération, parrainée par la Mutualité Française, était un outil efficace, salutaire et désintéressé, qui aurait dû logiquement recevoir l'appui des hebdomadaires de télévision les plus responsables. Or Télérama réglait son compte à cette émission en quelques lignes discrètement signées "CC" : "...cette fiche santé, très médicalisée, souffre un brin de rigidité. Ce soir rien n'est dit qui mérite de veiller tard." C'est ce que l'on appelle une exécution sommaire ! Remarquons que dans le même hebdomadaire "les mots de la Psychanalyse" une émission de 15 mn sur la 5, faisait sur une demi-page l'objet de commentaires dithyrambiques, sous la plume d'une certaine… Cécile Chalier. Bizarre... vous avez dit bizarre !

La psychanalyse est-elle néfaste ? Une souffrance rédemptrice. La cure analytique est une longue souffrance. D'ailleurs, les psychanalystes lucides n'acceptent de l'entreprendre qu'avec des patients qu'ils jugent assez motivés pour supporter le choc et, à leurs yeux, en tirer profit. Un soir d'hiver, dans une rue sombre, un jeune homme appuyé contre un mur pleurait à "chaudes larmes". Une voisine, ouvrant sa fenêtre à ce bruit inhabituel, s'enquit, sans succès, des motifs de cette tristesse. Au bout d'un moment, et comme les choses semblaient empirer, elle revint à la charge, insistante et compatissante : " que se passe-t-il ? Si vous n'allez pas bien, je puis appeler un médecin ! ". Le jeune homme leva la tête et répondit, entre deux sanglots : " Laissez-moi, je sors de psychanalyse ". Certes, les psychanalystes nous expliqueront qu'il faut en passer par-là pour qu'ensuite vienne la paix. Faut-il vraiment rechercher les vieilles plaies et les rouvrir pour y tourner le couteau afin de mieux les guérir ? Cette approche n'est pas nouvelle. Elle fait partie du vieux fond judéo-chrétien pour qui la souffrance est rédemptrice et réparatrice du péché originel. Pour l'église, la maladie était souvent considérée comme le châtiment d'une faute morale, pour les psychanalystes, c'est d'une faute familiale qu'il s 'agit. On pense aussi à ces marxistes qui ont martyrisé leur peuple, pour son bien, et au nom du bonheur des générations futures. Or, on le sait bien, "les lendemains qui chantent " ne se sont jamais levés, et ne se lèveront sans doute jamais pour le jeune homme qui pleurait. Bien sûr certains en sortent grandis, pour combien d'autres convaincus à jamais de leur faiblesse et de leur incapacité à vivre. Il n'est donc pas étonnant qu'une psychanalyste, Marie Balmary puisse écrire : " Il faut un certain courage pour simplement énoncer dans certains milieux psychanalytiques, les noms des "victimes " qui chaque année circulent dans les rumeurs ". Elle retarde ou interrompt une prise en charge appropriée. Un scientifique fit un jour remarquer à un psychanalyste tout le profit qu'on pouvait retirer des thérapies comportementales et de l'approche biologique. Ce dernier posa sur lui un regard désolé, sa main balaya l'air, et avec le ton d'un Moscovite à qui on essaie de vendre des œufs de lumps pour du caviar bélouga, il rétorqua : " ce n'est que du comportementalisme ! ". Et ce "que " exprimait un incroyable mépris. Quelle prétention et quelle suffisance ! Les psychanalystes ont autoproclamé la noblesse de leur pratique et "regardent le reste du monde du haut de leur grandeur ". C'est au point que certains psychanalystes n'hésitent pas à faire arrêter le traitement médical des patients qui se tournent vers eux. Le mélancolique suspendra la prise du Lithium, avec les risques que cela comporte, et le déprimé traînera des années sur le divan une souffrance que quelques gélules résoudraient peut-être en moins d'un mois. Que de déprimés "réactionnels ", suite à un événement privé déstabilisant, se sont engagés dans la psychanalyse faute d'information et ont déclenché un long cycle d'introspection dont ils ne se sont jamais sortis. Car la prééminence de la psychanalyse et sa position dominante empêche le développement de formes de thérapies mieux adaptées à de pareils cas. La cure analytique ne fait pas appel à la réflexion ni à l'intelligence, en un mot à ce qui fait la grandeur de l'homme. Elle attend tout de supposés mécanismes inconscients dont l'analyste est le médiateur, et à ce titre ne peut qu'être infantilisante, puisque le sujet n'est pas acteur volontaire de sa guérison. Bien qu'elle s'en défende, elle entraîne la dépendance de l'analysé par rapport à l'analyste. C'est le contraire d'une prise en charge de soi-même consciente, lucide et donc durable. Et pourtant il existe des alternatives.

Les alternatives. Une autre vision de l'homme. (Les citations de ce paragraphe sont de Henri Laborit) " Animal, l'homme l'est ". Et à ce titre, comme toute structure biologique, il va chercher pour se maintenir à satisfaire ses instincts primordiaux : soif, faim, sexualité. Il tentera de renouveler les expériences agréables, ("la gratification "), et à éviter celles qui sont pénibles, ("la punition "). Ce faisant, il se heurtera à ses semblables situés dans le même espace opérationnel, provoquant un conflit de "dominance ", qui se terminera par la lutte, la fuite, ou la soumission génératrice de troubles psychosomatiques. Cette "nouvelle grille " détermine le comportement de l'homme, et guide ses actes de façon inconsciente. " Comment, sachant cela, ne pas éprouver un certain attrait pour ce qu'il est convenu d'appeler le "scientisme ", cet essai longtemps infructueux de la découverte de lois, de principes invariants capables de nous sortir de la soupe des jugements de valeur ? Et quand ce scientisme, après des siècles de tâtonnements, aboutit enfin à des faits constants, reproductibles, concernants l'origine biochimique et neurophysiologique de nos comportements normaux et "anormaux ", comment refuser de voir en lui le premier lien fécond entre la physique et le langage ? Comment ne pas voir qu'il est indispensable à une certaine idée que nous pouvons nous faire de l'Homme ? "

Les psychothérapies scientifiques.(35). La psychanalyse laisse entendre que la vie devrait être "un long fleuve tranquille " et que l'homme, pour peu qu'il aille au bout d'une fructueuse "démarche analytique ", pourrait accéder à la sérénité du sage méditant dans la position du lotus. Face à ces prétentions, les psychothérapies scientifiques font souvent pâle figure. D'abord parce qu'elles sont multiples, variées, modestes et méconnues. Ensuite parce qu'elles ne cachent pas qu'il est irréaliste de rêver d'une existence sans problèmes ni souffrances. Elles ont deux caractères communs essentiels : Elles considèrent comme illusoire la guérison par un retour au passé et aux supposées origines inconscientes et psychogénétiques des troubles. D'ailleurs la plupart de ces techniques sont le fait d'anciens psychanalystes qui, constatant leur impuissance, ont cherché à agir efficacement "ici et maintenant ". On peut citer Albert Ellis, Aaron Beck, Frederich Perls, Eric Berne et bien d'autres. Refusant les gourous et les dogmes inamovibles, elles se soumettent totalement à l'épreuve des faits, ce qui leur permet d'évoluer sans cesse, dans une démarche qui, de ce fait, peut être qualifiée de scientifique. La base commune de leur démarche reste évidement l'écoute bienveillante, qui n'est nullement, comme ils le prétendent, l'apanage des psychanalystes, mais qui débouche ici sur un dialogue souvent directif. Le patient est informé de la démarche, poussé à évaluer ses propres résultats et encouragé à l'autonomie. Les méthodes utilisées sont très variées (visualisation mentale, relaxation, cadrage cognitif, désensibilisation systématique, etc. etc..), et dépendent du sujet, du but poursuivi et de la formation du thérapeute. Du moins visent-elles un seul but : l'efficacité à court terme. Par ces méthodes, une simple phobie est guérie en quelques semaines, un comportement compulsif en quelques mois et même s'il faut plus de temps pour soulager un alcoolique ou un toxicomane, les résultats sont indéniables et encourageants. Jacques Van Rillaer écrit : "Un siècle de recherches a permis de débusquer de mieux en mieux les multiples déterminants des conduites. Aujourd'hui l'image de l'homme que présente la psychologie scientifique, n'est cependant pas celle d'un être mécaniquement déterminé par son milieu ou par les pulsions qui jaillissent de l'inconscient. C'est celle d'un sujet actif en interaction constante avec son environnement, capable d'apprendre à réguler en fonction d'objectifs choisis de façon réfléchie, une large part de ses pensées, de ses sentiments et de ses actions. Une des plus hautes missions de la science du comportement est de développer et de mettre à la portée de tous des moyens concrets pour améliorer la gestion de soi et les relations entre les hommes."

Bien sûr ces thérapies n'ont pas, elles, la prétention de soigner les troubles psychiques graves ou les états dépressifs. Heureusement, la biochimie vient de faire d'importants progrès et laisse entrevoir pour l'avenir l'arrivée de nouvelles générations de médicaments qui feront de la psychiatrie une médecine comme les autres.

Les traitements psychiatriques. Avant 1952 et l'utilisation de la chlorpromazine en tant que neuroleptique, le seul produit actif sur la maladie mentale est le lithium, dont l'efficacité sur la psychose maniaco-dépressive a été découverte un peu par hasard. Si on prend par exemple le cas de la dépression qui fournit encore, hélas, aux psychanalystes, une vaste clientèle, on constate que le premier antidépresseur, l'ipromiazide, ne sera utilisé qu'en 1954. Il était connu auparavant comme antibacterien dans le traitement de la tuberculose et on constata à cette occasion son effet psychotonique. Quelques mois plus tard, un chercheur mettait au point une autre molécule l'imipramine. Ces deux produits seront à la base des deux grandes familles d'antidépresseurs : les IMAO et les triciclides, dont les membres ne différeront du modèle initial que par la variété des effets secondaires. Car pour ce qui est de ceux-ci, les patients étaient servis ! En effet, ces produits, remarqués pour leurs propriétés cliniques, agissent de façon grossière, en perturbant au passage certains neurotransmetteurs comme l'acethylcholine. Ceci entraîne de nombreux effets indésirables : bouche sèche, transpiration, palpitations, etc, et nécessite une surveillance contraignante du régime alimentaire (effet fromage). Pendant plus de trois décennies, aucun produit réellement nouveau ne verra le jour. Par contre, le mécanisme de la dépression va en partie être élucidé. On sait que la transmission du signal entre deux neurones s'effectue à travers une synapse grâce à des neuromédiateurs chimiques et en particulier la sérotonine qui intervient dans la régulation de l'humeur. En gros, dans le cas de la dépression, le trop plein de sérotonine est recapturé trop vite par le neurone pré-synaptique. Il était donc nécessaire de trouver un produit qui ralentisse la recapture de la sérotonine sans pour autant agir sur les autres médiateurs chimiques (histamine, acetylcholine, noradrenaline). C'est cet objectif qui sera poursuivi et qui donnera lieu à la sortie en 1987 du premier ISRS, l'hydrochlorure de fluoxétine, un antidépresseur pas forcément plus actif que ses prédécesseurs, mais pratiquement dénué d'effets secondaires. C'est ce qui différencie une molécule développée à partir d'un modèle biologique d'une autre sélectionnée empiriquement pour ses effets cliniques. Le succès de ces nouveaux antidépresseurs(36) sera d'ailleurs considérable, et ce, malgré les foudres des réactionnaires, toujours prompts à promettre à ceux qui veulent profiter des progrès de la science, que le ciel leur tombera un jour sur la tête. Parfois boudés par certains spécialistes enfermés dans leurs rêves analytiques, il sont largement (et sans doute trop) prescrits par les généralistes qui, "les mains dans le cambouis ", trouvent là le moyen de répondre enfin, sans trop de risque, à la souffrance de leurs clients, plutôt que de devoir se défausser en pure perte sur un psychanalyste. Ceci ne justifie nullement le "forcing" à la prescription de certains laboratoires. Aux médecins de savoir résister aux parfums "couture", aux chocolats belges, aux seminaires-pêche à la truite et même parfois dit-on (on a peine à le croire), aux enveloppes "oubliées". Le fait que de tels produits puissent effacer de simples tendances dépressives ouvre un débat de nature quasi philosophique. A-t-on le droit d'agir de façon permanente sur un léger désordre organo-psychique ? Est-il acceptable de tomber dans une sorte de psychiatrie "cosmétique" ? Les tenants de la "bonne mère nature ", et ceux qui pensent que "dieu a crée l'homme à son image ", s'en offusquent évidement. Les intéressés, et avec eux de nombreux médecins, rétorquent que, dans ce cas, il faut aussi refuser les facteurs de coagulation aux hémophiles et priver d'insuline les diabétiques. C'est aux patients de choisir, et rien ne justifie, si ce ne sont des considérations métaphysiques ou religieuses, de traiter différemment les troubles physiques et mentaux.

Faisons un rêve ! Le temps a passé ! En réaction aux égarements mystiques de la fin du XX ème siècle, des intellectuels (modernes Diderot ! ) et des scientifiques (comprenant enfin la nécessité de faire œuvre pédagogique hors de leurs laboratoires ) ont rétabli dans les esprits le règne de la raison, qu'annonçaient voilà longtemps les philosophes des Lumières. Les psychiatres, disposant de molécules, de plus en plus nombreuses, de plus en plus actives, et de mieux en mieux tolérées, sont revenus à une médicalisation raisonnée des troubles psychiques. Comme leurs collègues qui associent la kinésithérapie aux anti-inflammatoires, ils prescrivent, en même temps que ces traitements, des séances de psychothérapies scientifiques d'accompagnement, réalisées par des psychologues formés et validés par l'université pour ces techniques. Les uns et les autres suivent régulièrement une formation obligatoire et validante qui leur permet, non seulement d'être au fait des dernières découvertes scientifiques et de faire progresser la prise en charge des malades par un débat fructueux, mais de les faire bénéficier du remboursement de leurs soins par la sécurité sociale. Le public est régulièrement prévenu par des médias compétents, honnêtes et biens informés, que seuls les soins prodigués par des thérapeutes validés présentent une garantie maximale de résultats. Pour autant, la psychanalyse n'a pas disparu. Elle est toujours dispensée à l'égal des autres thérapies mystiques, exotiques, ou folkloriques, par des praticiens peu scrupuleux, à un public de naïfs. C'est sans doute le prix à payer pour la liberté. Combien de temps faudra-t-il attendre pour voir ce rêve se concrétiser ?

Pour conclure . On aurait plaisir à voir Freud jeté par-dessus les moulins, et les bonnes feuilles de Lacan épinglées aux murs d'un musée des snobs intellectuels. La psychanalyse n'est ni une science ni une thérapeutique, et sur le plan mystique ou idéologique, chacun a droit à ses croyances et à la libre expression de son imaginaire poétique. Rappelons pourtant qu'a la demande de l'association américaine pour l'avancement des sciences le MIT(37) a demandé à Frank Sulloway (historien des sciences de réputation incontestée ) et à son équipe de prononcer un jugement sur le freudisme dont voici quelques points. (38)

La psychanalyse est née d'hypothèses biologiques erronées et vétustes. Sur le plan clinique, les lacunes méthodologiques sont patentes. La plupart des guérisons alléguées n'en sont pas. L'emprise culturelle et sociale de Freud et de sa suite s'est doté d'un fabuleux pouvoir, facteur de succès idéologique, sans cesse repris au service de la cause. Et textuellement : " Les études de nombreux experts montrent en définitive que les déductions freudiennes, apparemment logiques, ainsi que les conclusions qui en découlent, ne sont tout simplement pas fondées. Un médicament doit faire ses preuves. Ce n'est pas le cas de la psychanalyse ".

Dans les "ténèbres extérieures " à la psychanalyse, on est en très bonne compagnie. Freud a toujours pensé que la psychanalyse disparaîtrait lorsque la science aurait suffisamment progressé. Terminons donc en souhaitant, avec lui que : "l'esprit scientifique, la raison, parviennent, avec le temps, à la dictature de la vie psychique de l'homme ".Si d'aventure ce texte vient à tomber sous les yeux d'un psychanalyste, il trouvera sans doute dans le "signifié " (l'inconscient étant structuré comme un langage), force "signifiants " : " lapsus révélateurs ", "actes manqués " et "symboles phalliques ", démontrant à l'évidence que la "résistance " de son auteur vient du fait qu'il a le plus grand besoin... d'une psychanalyse.

J.B.

Janvier 1999.

(Parution partielle, mai 1998)

(Parution réduite - EnquêtesZ- décembre 1998)

Notes

1) Alan Sokal, Jean Bricmont, " Impostures intellectuelles ", Ed Odile Jacob, 1997.

2) Freud : Première conférence à l'Université de Worcester.

3) Il est à noter que la notion d'hystérie n'a plus cours aux Etats Unis. Elle est encore utilisée en France pour cause de survivance psychanalytique. Les psychiatres modernes considèrent en général que les patients ainsi catalogués, au premier rang desquels Anna O, soufraient probablement d'encéphalite, d'épilepsie du lobe temporal ou de sclérose en plaque. Le psychiatre Eliot Slater a mené une étude sur 85 patients diagnostiqués "hystériques" entre 1951 et 1953. Apres un suivi de 9 ans, il a constaté que 14 étaient morts et 30 plus ou moins handicapés du fait, en réalité, de maladies organiques découvertes ultérieurement. Il conclut que "le diagnostic d'hystérie est un déguisement de l'ignorance et une source fertile d'erreur clinique. C'est non seulement une illusion, mais aussi un traquenard."("Diagnosis of Hysteria", British Médical Journal, 29 mai 1965 p1399).

4) Catharsis : terme appliqué depuis 1895 à la libération thérapeutique d'émotions responsables de tensions ou d'anxiété. La conscientisation de ces expériences permettrait au patient de relâcher ses tensions et de faire reculer les symptômes.

5) "The discovery of the unconscious" H. Ellenberger N.Y.Basic Books, 1970.

6) Ed. Mardaga. 1990.

7) En fait, Emmy fon M, de son vrai nom Fanny Moser, soufrait du syndrome de Tourette ("International Review of psychanalysis", Else Papenheim, 1980).

8) "Sigmund Freud cité par G. Jung. Correspondance." Galimard 1975.

9) "La forteresse vide" Gallimard 1967.

10) Rapporté par Sciences Humaines N° 83 mai 1998.

11) "Les jardiniers de la folie", E. Zarifian, points, Ed. Seuil, 1994.

12) Souverain contre la dépression consécutive à un amour déçu.

13) "The effects of psychotherapy, an evaluation", Journal of consulting psychology, XVI, N°5.

14) "The concept of cure" A. Storr, 1966.

15) Jean-Jacques Aulas, " Les médecines douces, des illusions qui guérissent ". Ed Odile Jacob, 1993.

16) E.F. Torrey, Schizophr. Bull. 13, 477, 1987.

17) S. S. Kety et al, Arch. Gen. Psychiatry, 51, 442, 1994.

18) "Le monde du sommeil", Peretz Lavie, Odile Jacob, 1998.

19) "Is sleep deprivation useful in the treatment of depression?", Ellen Leibenluft, and Thomas A. Wehr, Am j Psychiatry 149:2, February 1992.

20) Terme employé par la Commission Parlementaire d'Enquête sur les sectes et qui désigne, l'Eglise de Scientologie, La Faculté de Parapsychologie, la Famille de Nazareth, etc.

21) "L'inconscient existe-t-il vraiment ?", Sciences Humaines, juillet 1995.

22) "Abrégé de psychanalyse" S. Freud, PUF , 1978.

23) "Does the Oedipus complex exist" Joel Kupfersmid, Psychotherapy, hivers 1995.

24) "La sexualité et sa répression dans les sociétés primitives", Bronislaw Malinowski, Payot, 1980.

25) " Der untergang des odipuskomplexes; Argumente gegen eine mythos", W. Greve et J. Roos, Ed. Hans Huber, 1996.

26) "Les mots grossiers et sexuels sont-ils mieux mémorisés que les mots neutres ?", A. Lieury, I. Boissière, E. Jamet et K. Marincovic, Le langage et l'homme, 1997.

27) "Essais de psychanalyse", M. Klein, Payot , 1976.

28) Le même Lacan disait d'ailleurs:" Si vous ne comprenez pas mes écrits ! Tant mieux! Cela vous donnera justement l'occasion de les expliquer" (Le séminaire, livre XX)

29) "Le parti PSY prend le pouvoir"

30) "Les analysés parlent", D Frischer, Stock, 1977.

31) L'EDJ du 9 au 15 mai 1996.

32) "Le mystère du placebo", Patrick Lemoine, Ed. Odile Jacob, 1996.

33) Particulièrement tout ce qui concerne l'hypnose et la suggestion.

34) Science et Vie, mai 97 p148.

35) Sur ce sujet, lire :" Les thérapies comportementales ", Jacques Van Rillaer, Essentialis, Ed Bernet-Danilo.

36) Dont l'usage dépasse d'ailleurs largement aujourd'hui le cadre des troubles dépressifs (anorexie, troubles du comportement, timidité…).

37) Massachusetts Institute of Technology.

38) Frank J Sulloway. "Reassessing Freuds's case histories. The social construction of psychanalysis". ISIS, 1991, 82 :245:275.