Gilles Servat

JE NE HURLERAI PAS AVEC LES LOUPS

Une chanson de Gilles SERVAT écrites en 1983 !  Rien de bien neuf presque 20 ans après...

A quoi bon les vers et les rimes

Ces bijoux dérisoires

Ces mots qu'on cisèle et qu'on grime

Au jeu de l'illusoire

A quoi bon les vers et les rimes

Quand la rage a rendez-vous

Avec le désespoir

Je ne hurlerai pas avec les loups, ne comptez pas sur moi.  Je ne vomirai pas avec la droite, sèche comme un coup de trique.  Pendant vingt ans elle a joué matraque et réprime.  Sur Plogoff elle a lâché ses chiens farouches. Aux jours éclatants de 68, quand ses grenades offraient leurs fleurs de larmes aux barricades, quand noire était l'étoffe qui protégeait nos yeux, elle avait pris la fuite pour embrasser l'armée sur la bouche!  Maintenant elle pleure sur Varsovie, dans un mouchoir de soie brodé d'or, parfumée 'Soirs de Paris'.  C'est un crocodile.  C'est un cannibale qui pleure en suçant les os de sa mère!

Je ne hurlerai pas avec les loups, ne comptez pas sur moi.  Je ne brandirai pas mon flingue avec "Battling Sam", le shérif de l'ouest.  Regardez le nouveau monde : c'est une guêpe!  W.A.S.P. White-Anglo-Saxon-Protestant.  Au nord, la tête.  Au sud, l'Amérique latine, l'abdomen des States.  Au centre, la taille qui se déglingue.  Le COW-boy dégaine, assis sur Saint-Domingue, les éperons griffant les flancs du Salvador, le Chili marqué au fer qui fume encore.  "Battling Sam" le vengeur dégaine, yeah!  Deux larmes aux coins des yeux : l'une pour la Pologne, l'autre pour Somoza 1 C'est un crocodile. C'est un cannibale qui pleure suçant les os de sa mère!

Je ne hurlerai pas avec les loups, ne comptez pas sur moi.  Je ne défilerai pas avec ce général qui sanglote, lui aussi.  Peut-être est-il sincère. Pourtant à Gdansk, c'est bien un militaire, général comme lui, qui dicte la loi de l'artillerie! Une larmichette, au bord de sa paupière lourde, tremblote et puis ruisselle sur ses balafres.  Instant d'émotion et de gêne. Car naguère, en Algérie, quand il n'était que colonel, c'était un tortionnaire!  Les droits de l'homme, il leur mettait une dynamo, des pédales, un guidon, une selle, et s'asseyait dessus pour alimenter la gégène.  C'est un crocodile.  C'est un cannibale qui pleure en suçant les os de sa mère!

Et la France est indignée!  Quoi?  Comment?  Qu'ouïs-je?  Qu'entends-je? Rêve-je?  Pendant le partage de la Pologne, l'Allemagne et la Russie interdisaient aux petits Polskis de parler leur langue à l'école!  Quelle horreur! s'écrie l'ange au bonnet phrygien.  Vilains Russes!  Méchants Prussiens!  Honte sur vous, et pire encore!  Elle verse un pleur et se déchire les seins Peut-être le remords Il n'y a pas longtemps elle en faisait autant et sans vergogne, en Bretagne et ailleurs

Je ne hurle pas avec les loups.  Je dis, tourné vers le soleil levant qu'avez vous fait des espérances de 1917 ? Les fleurs vermeilles des

Soviets, écloses sous les nuées ardentes de l'aurore du siècle, se sont fanées peu à peu sous la neige pesante des années Et les sinistres corneilles de la sclérose n'ont pas laissé germer le grain semé.  A présent leurs corps noirs couvrent votre terre, et l'air vibre de leurs cris tristes et sonores ! Camarades ! Peuple des tourbillons, peuple des vents cinglants, le Staline d'or est toujours debout!  Aujourd'hui, les pays frères sont votre Amérique latine, votre drapeau c'est la faucille et la carabine, et c'est l'état-major qui vous dirige.  Aujourd'hui, les militaires sont le dernier rempart du parti contre la classe ouvrière.  Camarades, peuple des tourbillons, peuple des vents cinglants, peuple des cyclones irrésistibles, peuple ses ouragans de l'histoire, un hiver terrible étend sa banquise sur l'espace de vos vies, et sous l'emprise de ses glaces, vos pensées sont prisonnières Aujourd'hui, l'armée rouge, pour que rien ne se passe, tire sur tout ce qui bouge!  Demain, ses cibles seront les vagues, ou le feuillage sous la brise, ou le courant des fleuves, ou l'éclosion des fleurs vermeilles

Je ne hurle pas avec les loups, même si l'on m'en accuse, et ils m'en accuseront!  Je dis qu'il est beau comme un songe de liberté ce peuple otage des partageurs de monde, bloqué dans les cachots de l'Europe, étouffé par des brontosaures et plaint par des paralytiques, prisonnier de, trouillards planétaires, piqué au formol par des croque-morts blafards, encamisolé de force par des infirmiers fous, lobotomisé par des docteurs paranoïaques Il vit! Écoutez battre son coeur!  Il vit sous le couvercle kaki!  Il est beau, ce peuple qui ne plie pas! Beau comme le rêve d'un étang qui se voudrait rivière!  Et je crie merde à Pinuchevski, triste pantin roide!  Mais c'est facile à crier, ici, loin, dans l'incroyable confusion.  Ici où les cadres critiquent l'autogestion avec Solidarité au revers de la veste!  Même le gouvernement turc ose soutenir Solidarité!  Marécage des idées, sables mouvants, brouillards, feux follets, apparences, fantasmagories, attrape-nigauds, vessies, lanternes!  Solidarnosc!  On se sert de toi!  Des mains adverses te manipulent te triturent te transforment!  Déjà, pour certains, tu n'es plus qu'un ballon qu'ils se disputent pour se marquer des buts!

Je ne hurle pas avec les loups!  Je dis, à vous tous qui m'écoutez : méfiez-vous.  Les gentils, les méchants, c'est pour les enfants.  Le bien est dans le mal comme la chaleur est dans Ia flamme.  La vie est confuse, les héros vieillissent, les martyrs enfantent des bourreaux!  Rien n'est  simple, même Solidarité!  Rappelez-vous, Israël, le Liban, Pnom-Pehn libérée, le départ du tyran de Perse Vers.I'Ayatollah, vers le vieil homme à la barbe lumineuse coulait la sympathie comme un fleuve invincible.  Et voici : le flot de ferveur est devenu fanatisme.  La dictature des croyants a éteint la lumière.  Le vieillard noir, assis sur les cadavres, nous l'avons chassé de nos coeurs.  Dans nos poitrines, la place était vacante pour accueillir les résistants des vallées afghanes.  L'imam, démon obscur, les Afghans, héros clairs et purs, voilà l'image qu'on nous présente!  La même religion les guide et les arme.  Quand les résistants gagneront quel voile viendra cacher la face de l'afghanistan?  Non, je ne soutiens pas l'envahisseur.  Il est exécrable, indigne, brutal, odieux, méprisable, inhumain, dégueulasse!  Il doit quitter le territoire afghan tout de suite, aujourd'hui, ce soir, et cesser sa soie guerre honteuse et inutile.  Je crie dehors!  Mais ne m'en demandez pas plus.  L'agression ne change pas l'agressé en héros clair et pur.  Ne me demandez pas d'entrer dans le jeu truqué du choix simpliste le Coran ou le Capital, le tchador l'american way of life, le Pape ou le P.O.U.P., les catholiques ou les protestants, l'infarctus ou le cancer, le gaz russe ou l'atome, le coup de poing dans la gueule ou le coup de pied au cul, les SS 20 ou les Pershings.  Choisis! Dans les airs se joue un opéra titanesque.  A l'ouest les cons d'or.  A l'est, les cons d'acier.  Au milieu, les pauvres cons!  Choisis ton con, camarade!

Je choisis le doute!  Finis, les mains jointes, les yeux fermés, Ia bouche ouverte!  Je ne veux plus croire.  Je veux savoir, connaître, comprendre, pénétrer, saisir, appréhender, juger en connaissance de cause, poser le doute comme principe Je veux laisser les certitudes aux bulldozers!

Je choisis le doute et la non-violence! Il y a deux violences.  La première, celle qu'on impose, l'ordinaire, avec sa gueule d'homme ordinaire La seconde, celle qui répond au silence.  Celle-là, je la comprends.  C'est un cri!  Se taire sur l'injustice précipite la violence.  Le silence, notre silence est lui-même une violence!  Censeurs, tripatouilleurs d'informations, trieurs de nouvelles, menteurs, étouffeurs de vagues, toutvabienistes, jeteurs de voiles pudiques, autocenseurs peureux, complices par omission, vous êtes tous des allumeurs de violence!  Combien faut-il de morts pour desserrer vos dents?  Envoyez vos barèmes!  La seconde violence, je la comprends.  Mais, une fois brisé le silence, quand elle continue, elle devient ordinaire.  Elle ne règle rien.  Elle est injuste.  Elle affaiblit

les causes justes.  Quelque part, en Angleterre, une bombe.  Sur le trottoir, un enfant tombe, le visage arraché Le sacrifice de Bobby Sands et de ses amis s'estompe Les index braqués sur Londres s'abaissent ..   Et l'Irlande, seule, pleure ses fils et leur message anéanti..,

Je choisis le doute, la non-violence et la dignité.  Je défendrai la dignité des êtres et même des choses.  La dignité des hommes, des animaux, des plantes, des pierres, des pays, des langues, du travail, des peuples, des mers, des paysages, des sols, des algues, des tribus, des pensées, des enfants, des poissons, des insectes, des races, des continents, des céréales, des femmes, des labours, des maisons, de la paix, des étoiles, des planètes Qu'elle est belle, dans l'espace, la Terre d'azur spiralée de lait! Sa dignité est entre nos mains!  L'homme seul peut la dégrader, car l'homme, seul, est conscient!

La dignité de la Terre est entre nos mains.  Partout s'assemblent et s'organisent des hommes et des femmes qui refusent la rigidité d'un monde cadavérique.  Partout de nouvelles formes d'action paraissent, pour en finir avec l'économie coloniale, brûler les racines de la misère, court-circuiter les multinationales cachées derrière les dictatures, abattre les murailles entre les races, pulvériser les temples du profit, déchausser la médecine, reprendre les terres, diversifier les cultures, produire sur place des médicaments simples, abolir les tortures, apprendre à lire, ouvrir les prisons, donner la parole aux pauvres, écouter ce qu'ils ont à dire! Partager!  Partager la Terre entière!  Chaleureusement!

Enfin.arrive le temps du concret!  Enfin, on cesse de faire entrer de force la réalité dans le moule des idées! Enfin arrive le temps du respect! Difficulté suprême.. Laisser libres les pensées différentes Que chacun regarde en soi.  La bête est là, tapie, sournoise, prête à tout dévorer. L'hydre du fascisme est en chacun de nous.  Chaque soir je la décapite. Chaque nuit ses tètes repoussent dons ma tète.  Parfois, elle me soumet. Parfois, je suis vainqueur En moi : l'intolérance, moisissure fadasse je ne vaincrai jamais définitivement Mais, sans relâche, je décapiterai le monstre.  Jamais je ne prendrai la Kalachnikov pour imposer mes idées, ma loi ou ma croyance.  J'ai trop peur d'avoir tort!