Textes du et sur le mitard1

Un enfant en prison c'est un crime contre l'humanité

Un prisonnier

Retour sur image : mercredi 17 juillet 2002, le sieur Perben, Ministrone de la JUSTICE en Chiraquie, a présenté devant le conseil des ministres le projet de loi sur le rétablissement des prisons pour enfants.

Comment peut-on s'étonner que la première loi de ce gouvernement soit une loi d'inspiration policière ? Depuis des lustres, les ministres de la Police, qu'ils soient de gauche ou de droite, la réclamèrent, de Gaston Deferre à Chevènement, de Pasqua à Sarkozy. Les petits piranhas de cités de l'exil périurbain inquiètent le bon peuple, accro aux drogues dures de la sécurité. Et la masse des électeurs n'a-t-elle pas choisi le parti de l'ordre ? Les journaux de TFN ont si bien su dealer leur camelote de trouille à chaque rayon ! Nous entrons dans le troisième millénaire avec une loi digne du XIXème siècle ! L'inspiration policière ne restera-t-elle pas toujours marquée par l'esprit de Javert, l'insupportable flic des Misérables ?

Rassurez-vous tout de suite, croyez-en notre longue expérience de la répression, vous avez prix le bon chemin, et de quelques petits voleurs de miches de pain, vous allez faire de redoutables forçats. Arrêtez… nous savons bien que de nos jours, ils vendent des barrettes de shit et tirent des portables. Mais l'esprit demeure le même. Le système réprime la misère qu'il a su si bien entretenir, et, tout naturellement, le néolibéralisme a opté pour la solution du bon vieux libéralisme bourgeois … la criminalisation des pauvres.

Que vaut une société qui envoie ses enfants en prison ?

Nous ne croyons pas aux tartuffes bedonnants qui sacralisent les Ordonnances de 1945. Reconnaissons tout de même qu'inspirées de l'esprit de la Résistance et surtout par des hommes qui avaient connu la paille des prisons, ces lois étaient un mieux. Une tardive mais juste éradication des bagnes des enfants. Pourtant, elles ne furent jamais la panacée. Jamais. C'est facile de ne voir que le bon côté des choses en restant du côté du manche, toujours du côté du manche. Alors, profitons aujourd'hui de cet échange pour vous dire ce qu'a été l'expérience du côté du bâton. Car, pour ce qui est de l'après-guerre, nous voudrions vous raconter quelques histoires, souvent des histoires intimes.

Depuis les années 50, le gros du bataillon des réclusionnaires peuplant les centrales de ce pays est issu des quartiers populaires et forgé à la haine des foyers de la PJJ (Protection Judiciaire de la Jeunesse) et de la DDASS (Direction Départementale de l'Action Sanitaire et Sociale). Si les orphelinats ont produit une activité délinquante plus classique, la génération des "blousons noirs", réprimée dans les IPES - les maisons de correction des années 60 - a été le fer de lance de la vague des équipes de braqueurs qui écumèrent les années 70. Leur audace se vérifiait dans les prises d'otage et les fusillades sanglantes. Les équipes se montaient autour des "Centres d'Education Surveillée", à Savigny-sur-Orge pour la banlieue sud, à Aniane pour le midi, et chaque région avait sa pouponnière de la nouvelle criminalité.

Les pères fouettards diront qu'avec de la mauvaise graine, on ne récoltera jamais de la bonne céréale. Eux, qui ressemblent si bien aux éducateurs qu'ils nous envoyèrent pour nous mater. Les cerbères essayèrent d'en finir avec notre révolte à coups de trique. Surtout, les soirs de fugue, quand les gendarmes nous ramenaient enchaînés. Ici, dans notre prison centrale, des décennies plus tard, il faudrait qu'on montre aux nostalgiques des Ordonnances de 45, quelques cicatrices moissonnées au nom de la déesse éducation.

Il y eut les privations, le "pain sec" pour les punis, et encore, un repas sur deux… Il y eut les arbitraires, les vexations, l'acharnement sur les souffre-douleurs. Ils nous donnèrent un bagage minimum. Juste celui dont on a besoin en prison : savoir mentir et dissimuler, résister au pire, faire les coups en douce, ne pas montrer ses sentiments -la politesse serait une faiblesse- et la sacro-sainte hypocrisie, toujours…

Dans certains établissements, les plus horribles, si l'on voulait bouffer à sa faim et échapper aux corvées les plus dégueulasses, il fallait accepter des éducs les caresses salasses…

Voilà comment fut "protégée" une partie de la jeunesse. Et l'on voudrait que l'on fut de gentils garçons. Nous n'étions pas bons, il est vrai, mais ils nous rendirent mauvais.

A la Centrale de …, les jeunes des cités sont encore rares.

Ils écoutent du rap à fond la caisse, parfois tard le soir. Ils parlent aux fenêtres, comme aux Baumettes, ils roulent des épaules sur les coursives… Ce n'est pas bien grave. Pour sourire, on les surnomme d'un terme qui leur va si bien : les Gremlins.

Et pour le moment, les hordes de Gremlins sont abonnés aux petites peines. Ils peuplent les Maisons d'arrêt et les Centres de détention régionaux. Ils n'ont jamais su créer une délinquance nouvelle, ils sont restés dans leur quartier, en bas de leur immeuble, et ils se débrouillent seulement à la petite semaine…

Mais les experts de la tolérance zéro ne peuvent plus accepter ces accès de fixation à faible densité d'illégalisme. Ils veulent taper un bon coup de talon dans la fourmilière et démanteler la petite économie marginale faisant vivre des milliers de familles démunies. Vous n'avez plus l'intelligente gouvernance qui vous permettait de saisir qu'il faut impérativement laisser un espace d'autonomie relative entre la précarité néo-libérale -incapable de donner du travail à tous les pauvres - et l'assistanat de masse - réduisant des millions de personnes à la mendicité étatisée.

Les flics ont reçu carte blanche. Ils vont capturer au flash-ball plusieurs centaines de gamins. Puis, de plus en plus, toujours plus. Les juges pour enfants les jetteront dans les nouveaux cachots de la PJJ. Malgré leurs bonnes intentions, les éducateurs, les matons, les éducateurs-matons seront mobilisés pour le "tout sécurité". Ils s'enfermeront dans le conflit qui naîtra immanquablement et de toute évidence. Dans la prison, la répression l'emporte toujours. Le conflit entre celui qui souffre et veut s'enfuir et celui qui finit toujours par le surveiller et le punir est inéluctable. Dès cet instant, il n'y a plus de limite, l'engrenage est sans fond.

Nous n'avons rien de voyants extra-lucides, mais nos prévisions reposent sur le vécu du peuple des prisons. Et croyez-nous sur parole. Les bandes de Gremlins sortiront des foyers de la tolérance zéro avec pour seule éducation la capacité d'inventer une délinquance bien plus dure que celle de leurs prédécesseurs sortis de foyers de la DDASS et des Centres d'éducation surveillée.

Le mitard

Oui, Madame !

Il tourne, il tourne en des milliers de pas

Qui ne mènent nulle part

Dans un monde de béton, aux arbres de barreaux

Fleuris de désespoir

Inhumain..., rétréci..., sans aucun lendemain.

Sa pitance est glissée sous une grille à terre

Et dans un bol l'eau... pour qu'il se désaltère.

Il est seul...,sans soleil

Et n'a même plus son ombre.

Infidèle compagne, elle s'en est allée

Refusant d'être esclave de ce vivant mort-né

Il tourne...il tourne et tournera toujours

Jusqu'au jour où vaincu en animal blessé

Après avoir gémi en une unique plainte

Il tombera à terre et se laissera crever.

Fleury-Mérogis...

Un jour de septembre 1976

Où j'existais si peu

Que je n'étais même pas "personne"

Fleury-Mérogis...

Un jour de septembre 1976

Où j'existais si peu...

Je vous vois une larme... !

Pourquoi vous attrister ?

Pauvre chien me dites-vous !

En voilà une erreur... C'est un homme, Madame,

Il est emprisonné.

Jacques Mesrine

La conditionnelle

Un prisonnier

"Détenu à la Centrale de … entrant dans les critères d'une libération conditionnelle fin juillet 2003, cherche patron philanthrope pour contrat de travail à durée indéterminée. CDI exigé impérativement. Toutes régions de France sauf 23 départements pour cause d'interdiction de séjour et en particulier le département où résident famille et amis. Tout emploi fera l'affaire. Conditions :

 Accepter une enquête de gendarmerie sur votre personne et votre entreprise.

 Patienter un mois minimum avant premier contact avec le futur employé.

 Téléphoner trente fois au service social de la Centrale pour confirmation de la réception de chaque document envoyé.

 Signer en blanc le contrat de travail sans la présence effective de l'intéressé.

 Espérer plusieurs mois sa présence au travail.

 Recommencer toute la procédure depuis le début si la Commission refuse la libération conditionnelle en la remettant à plus tard."

Vous ne lirez jamais cette annonce. Jamais. Bien qu'elle soit la réalité vécue par plusieurs milliers de prisonniers attendant en vain un contrat de travail.

De toute manière, il manque toujours une pièce au puzzle qu'est un dossier de conditionnelle. Pendant dix, douze, vingt ans, tout à été fait pour que le prisonnier ait le moins de contacts possible avec le dehors. Tout est compté, savamment dosé, les permis de visite, les heures de parloir, les coups de téléphone… Et avec le temps, on perd pied. Le fil qui nous lie au dehors se défait. On ne s'en aperçoit pas tout de suite, puis on laisse faire, on oublie… On ne distingue plus votre monde que dans le fantasme et dans l'amputation d'une partie de nous même.

Et puis un jour, on y est, on touche enfin du doigt cette date rêvée depuis des années. La peine incompressible est terminée, on est libérable. La prison n'est plus la même. Tout est devenu plus long, plus court aussi. On est plein d'impatience et de désespérance au fur et à mesure que les difficultés s'ajoutent aux désillusions. Le contact avec la réalité de votre monde est une déchirure, nous sortons de l'enfer pour les limbes incertains du purgatoire.

Il faut monter un dossier, trouver ce fameux contrat de travail, dégotter un hébergement … Comment y parvenir après tant d'années, quand bien souvent le tribunal a prononcé contre vous une interdiction de séjour, dan cette ville où justement il vous reste quelques attaches, quelques connaissances.

Bien sûr vous pouvez toujours trouver une formation, mais ça n'est pas bien solide. On vous en fera le reproche.

D'ailleurs votre dossier est noir.

Le juge a été clair, trop de tentatives d'évasion, trop de rapports d'incidents. "C'est pourquoi vous finissez dans une centrale de sécurité" dit-il comme une évidence. "Vous avez déjà eu deux peines supplémentaires, je vais demander l'avis d'un psychiatre". A la Centrale de … on le connaît bien, l'expert psychiatre. L'entretien commence invariablement par "Vous vous faites enculer ? Paraît que, dans cette centrale, vous êtes tous des pédés…". Ne pas réagir, ne rien dire, baisser la tête. Combien ils profitent de notre merci ! Les éducateurs, les juges, la direction … nous font tourner en rond avec un anneau au museau. Vous pouvez sortir dans trois mois mais si ça se passe mal ils vous condamnent à quatre ou cinq ans ou plus encore…

Finalement, il y a toujours une bonne raison. "Le prisonnier a un niveau trop élevé pour le métier de plâtrier et en général pour tout autre métier manuel". "L'enquête sur l'entreprise est mauvaise, la société risque de déposer son bilan sous peu". "Votre employeur est sarde, et vous savez bien que tous les sardes sont des bandits de près ou de loin".

Et le dossier est ajourné. Il ne sera examiné que dans une année jour pour jour. Et bien souvent, ce n'est pas de votre faute, le service social n'a pas fait son boulot ou mal tout simplement.

Et puis avec le temps, on tourne la page, un an, une autre page, une autre année. On finit par se rendre compte que tout ça ce n'est que du cinoche. Ils nous font patienter en nous berçant d'une rengaine inventée mais ils ne nous sortiront pas ou alors quand il nous restera six ou huit mois avant la date de la libération définitive. Alors on ne cherche plus. Le dossier de conditionnelle se couvre de poussière dans un placard. On ira jusqu'au bout.

Expertise ? vous avez dit expertise !

Martine

Jeudi 16 janvier 2003, 23 heures, Aéroport de Roissy. Un jeune Somalien (24 ans), sans-papier et demandeur d'asile politique, est expulsé. Trois flics de la PAF (Police de l'Air et des Frontières) l'encadrent. Il fait un premier malaise. Il en fait un deuxième. Un médecin est appelé, pour faire l'expertise de la situation. Il conclut que c'est un simulateur. Le somalien est embarqué dans l'avion, sans trop de ménagements, et, en tant que simulateur agité, il est ficelé sur son siège. L'avion n'a pas décollé qu'il fait un troisième malaise. Il tombe dans le coma. Il n'en ressortira jamais. Trois jours après, le samedi 19, le "simulateur" meurt. "L'expert" est toujours vivant.

Quelques jours avant, le 30 décembre 2002, toujours à Roissy, un argentin est conduit de force dans l'avion. Il meurt d'une crise cardiaque. Son corps est toujours à la morgue. Il n'a pas été réclamé par la famille. L'argentin n'en avait plus. D'ailleurs, il n'avait plus personne en Argentine. Sur réquisition du parquet, des experts font l'autopsie. Ils concluent à la "mort naturelle". C'est sûr, il est tout à fait "naturel" de mourir d'une crise cardiaque quand on est expulsé vers un pays d'où on s'est échappé pour ne pas crever de misère et où l'on ne connaît plus personne !

Janvier 1996, prison de Nanterre. Trois détenus sont au mitard. On les y met pratiquement à poil : pour tout vêtement, ils n'ont qu'un slip de papier (ce qui n'est pas un des "traitement inhumain et dégradant" interdits par la loi, puisque c'est l'État qui le fait). L'hiver est rigoureux. Le vent s'engouffre dans la cellule. Il y fait à peine 10 degrés. Les prisonniers se trouvent mal. Mais deux médecins, Louis Huard psychiatre et Didier Lucas généraliste [1], donnent leur conclusion, et vite fait après avoir "examiné" les détenus à distance, à travers les barreaux. Les bons docteurs ont conclu que les prisonniers ne courraient aucun danger. En slip, avec le vent et par 10°, il faut vraiment avoir fait de longues études pour pourvoir affirmer sans rougir une telle ânerie ! Mais on est expert où on ne l'est pas, que diable ! Malgré l'expertise, un premier prisonnier est tombé dans le coma, puis un deuxième, enfin le dernier. Quand le Samu est arrivé, leur température corporelle avait dramatiquement chuté. Elle était entre 20 et 25 degrés ! C'était une extrême urgence. Un peu plus, et ils étaient morts par hypothermie.

18 Septembre 2002. Papon, déclaré par les experts "grabataire", ce qui veut dire, selon la définition du Dictionnaire Robert "Qui est malade et ne quitte pas le lit" et "impotent" ("Qui ne peut se mouvoir, ou ne se meut qu'avec une extrême difficulté") sort de sa prison sur ses deux jambes, fort alerte, devant les caméras… Les experts n'avaient pas lu le dictionnaire ?

Avec une blessure à la main, Madame X, secrétaire dans le privé aura droit à un jour d'arrêt de travail au sens pénal du terme, Monsieur Y, policier, avec exactement la même blessure, à trois semaines. Un flic rugbyman, c'est plus fragile qu'une petite secrétaire, c'est sûr, enfin, pour un expert judiciaire.

Je ne sais pas sur quels critères sont sélectionnés les médecins experts qui interviennent à la demande de la police ou de la justice, mais je commence à avoir une petite idée…

Communiqué des prisonniers de la centrale d'Arles

JOURNÉE DE PROTESTATION

samedi 28 décembre 2002

Répondant à l'appel des détenus du centre de détention de Salon, nous, prisonniers de la centrale d'Arles, organiserons une journée de protestation le 13 octobre. Nous ne prendrons pas nos plateaux repas et nous refuserons de réintégrer nos cellules à l'appel de la mi-journée.

"Il semble que certains naissent plus égaux que d'autres". Cette sentence de l'écrivain britannique G. Orwell, extraite de son récit d'anticipation "La description du monde totalitaire", exprime parfaitement la vive émotion qui atteint aujourd'hui la population carcérale de ce pays. La libération controversée de Maurice Papon n'a fait qu'accentuer ce sentiment, tellement elle met en relief la cruelle réalité, celle de l'inégalité dans le traitement des dossiers des détenus âgés et malades. Mais au de-là d'une légitime revendication qui apparaît par contre coup chez toutes les personnes âgées en prison et atteintes de pathologies lourdes, voire en phase terminale, il faut évoquer plus globalement les problèmes touchant toutes les couches de la population pénale et notamment :

 les possibilités de réinsertion par rapport à la longueur des peines,

  la transgression permanente de la législation générale du travail (absence de contrat de travail, de syndicats, d'instances paritaires, sans parler des faibles rémunérations),

  l'absence de parloir intime et d'un droit garanti inviolable de visite,

  le chantage permanent aux remises supplémentaires de peine, aux permissions de sortie, à la libération conditionnelle, trop souvent refusées au détenu s'il ne donne pas plus d'argent qu'il ne le fait où s'il n'accepte pas, par exemple, de rejeter ses idéologies, etc.,

  le rapprochement familial.

L'ensemble de la population de la maison centrale d'Arles souhaite également rappeler que les inégalités qui se développent face à la peine sont une remise en cause des principes de la révolution de 1789 et plus particulièrement du régime égalitaire en droit voté le 4 août 1789, mais surtout à la Déclaration des Droits de l'Homme, votée le 26 août 1789 qui consacrèrent l'homme comme fondement de la société.

Or la prison ne peut être considérée en droit, dans un système qui se qualifie de démocratique, comme une privation des droits inaliénables de l'homme. Tout au plus peut-elle être considérée comme une limitation de certains droits appliqués, à la limitation de circuler, mais en aucun cas elle ne saurait être assimilée à sa suppression, puisque la peine de prison est supposée temporaire.

Nous revendiquons :

 La libération des prisonniers malades et en fin de vie,

  La remise en pratique sans discrimination des différentes mesures de l'application des peines.

Les prisonniers de la maison centrale d'Arles

73 jours après sa libération, "l'impotent", le "grabataire" Maurice Papon est toujours de ce monde. Monsieur Perben, combien de vieillards, combien de grabataires, combien d'impotents y a-t-il aujourd'hui dans vos prisons ? Monsieur Perben, depuis 73 jours, combien de prisonniers sont morts derrière les barreaux ? Combien n'ont été libérés que pour mourir quelques jours après ? Vous ne dites rien, M. Perben ?

Comment payer le travail carcéral ?

Un prisonnier

Prison. Le mot est à la mode. Pas un jour ne se passe sans qu'un politicien, plus ou moins véreux, n'en claironne les éloges.

Alors, puisqu'ils veulent qu'on en parle, parlons-en. Pour dire la vérité. Pour dénoncer la machine à broyer.

Dans notre dernier numéro, c'est de Benoît qu'il s'est agi. Benoît, éjecté de sa cellule juste pour qu'il ait le temps de mourir "dehors". Un cas pas du tout exceptionnel. Encore moins exceptionnel est le quasi-esclavage auquel sont réduits les prisonniers par l'État français. En toute légalité républicaine, bien sûr. Comme le précédent, ce texte a été écrit par un prisonnier. Nous en reproduisons l'essentiel, en omettant les lignes qui pourraient permettre d'en localiser l'auteur, et nous rappelons que depuis sa création, "Le Combat syndicaliste de Midi-Pyrénées" est envoyé gratuitement aux prisonniers politiques et sociaux intéressés. Ils peuvent nous le demander (ne pas oublier le numéro d'écrou).

Après des lustres d'exploitation extraordinaire, dans les hautes sphères de la pénitentiaire, un "brain storming" agite dangereusement les pauvres cervelles des responsables : Comment payer le travail carcéral ?

Et tout ce tracas, par la faute de quelques parlementaires qui surent fermer les yeux si longtemps. Mais, un jour, sans qu'on ne sache dire pourquoi celui-là, ils ont fini par s'indigner de la surexploitation ou plutôt de l'esclavage récurent dans les prisons du beau pays de France.

Il est vrai que dans des établissements, on dégotte des gars bossant 7 jours sur 7, jusqu'à 10 heures par jour pour quelques 70 euros à la fin du mois...

Comme partout, l'exploiteur profite de la misère pour faire chuter le prix de la force de travail. C'est la loi d'airain du capitalisme, n'est-ce pas ?

Et où y a-t-il plus de misère que dans les prisons ?

Lorsque le directeur de la Régie Industrielle des Établissements Pénitentiaires fait la retape devant les chambres d'industrie, ne vante-t-il pas l'embellie d'une telle main d'oeuvre ? Pourquoi s'en priverait-il ?

Tout d'abord, une docilité garantie à toute épreuve.

Si un détenu quitte le boulot, dix candidats se présenteront le lendemain. Si le prisonnier refuse la tâche, s'il rompt le contrat qui n'a de contrat que le nom, il sera jeté au mitard, menacé de transfert et il perdra plusieurs mois de grâce en étant considéré comme une forte tête...

Secundo, une précarité totale qui ferait rêver les pires prédateurs du "Medef and Co". Le travailleur est payé à la tâche, comme dans les ateliers du 19ème siècle. Bien sûr aucun point retraite et, s'il arrive un accident, on ne lui payera pas d'arrêt maladie. On le remplace tout bonnement. Pas d'état d'âme. Même s'il a cotisé au prix fort pendant dix ans [1]. Pas un rond pour lui. Qu'il crève ! Et s'il ose la ramener, il faut qu'il sache que la grève est durement réprimée et, en tant que mouvement collectif, sévèrement punie par les tribunaux.

Quand ce n'est plus par la force du bâton que nous descendons dans les ateliers, c'est par la carotte que nous balade devant les naseaux le Juge d'Application des Peines. Car, si on travaille, on bénéficiera d'un mois supplémentaire de grâce. Alors on n'est pas très regardant. Et si on fait assez de pièces, qu'on bosse à fond en courbant l'échine, la paye ainsi engrangée nous permettra de "faire amende honorable", c'est le cas de le dire, puisque nous rembourserons à crédit les parties civiles.

A la Centrale de ..., le calcul est vite fait : le juge vous octroie un deuxième mois de grâce pour 190 euros déboursés par an. Drôle de comptabilité !

Quoiqu'on ait fait, quel que soit le crime, si on a un petit pécule, on pourra se faire pardonner par mensualités et, après une décennie de petits profits, gagner un an. En prison, l'hypocrisie est élevée au rang de vertu suprême !

Mais il y a des pauvres, des plus pauvres que nous, pour qui 1 euro représente un peu de nourriture supplémentaire. Non seulement pour eux mais surtout pour leurs mômes laissés à l'extérieur et souvent loin, en Colombie, en Afrique... Il y a tant de misère dans les prisons !

Dans ce pays où l'on paye les jours de liberté comme des paquets de sucre ou de spaghetti, tout ça ne leur dit pas comment payer les journées de travail !

Ici, on embauche à 7 heures et on débauche à 13 heures. On fait la journée continue dans notre journée continue de taulard. Et chaque été, nous avons cinq semaines de vacances si l'on peut dire, mais on ne partira pas à la mer... S'ils nous donnent des congés, ce n'est pas par bonté d'âme, ils n'ont simplement plus assez de personnel pour surveiller les ateliers et la détention... Jamais nos congés ne sont payés. Et cela 67 ans après les lois de 1936...

Depuis l'an dernier, la question de la rémunération du travail carcéral était en souffrance. Les rapports contradictoires se sont multipliés. Les commissions se succédèrent et les plus agités des fonctionnaires se démenèrent... Et puis un surfeur de la vague des tolérances zéro, le nouveau ministre, s'empressa d'éclairer le débat d'une pensée lumineuse : "En vérité je vous le dit, le travail en prison n'est pas un travail comme les autres". Conséquence toute logique, l'exception de cette exploitation perdurera. Nous ne sommes que des prisonniers, pas grand chose finalement. Pas tout à fait des hommes, même pas des ouvriers.

Ouf ! Enfin, tout est clair, le problème est à nouveau re-posé sur des bases saines...

Maintenant, comme l'inquisition détermina si les femmes ou les indiens d'Amérique avaient une âme, il faut qu'ils décident : sommes-nous des moitiés d'ouvrier donc à travail égal salaire de moitié, ou sommes-nous des tiers d'ouvriers ? Même pas un tiers-état. Rien. Et ce rien qui va au boulot chaque matin de la semaine aux mêmes heures que vous, travailleurs à part entière, se demande bien souvent où sont passés les songes de l'unité ouvrière.

[1] Un détenu cotise en pure perte pour les assurances, accident de travail, veuvage, vieillesse, maladie et maternité, RDS, CGS, et tutti quanti.


1 Piqué sur http://cnt-ait.info/