Pour en finir avec le travail

Ecrits économiquement, moralement et politiquement incorrects

Présentés par William J.-M. MARIE

L’entrée du camp d’extermination d’Auchwitz-Birkenau avec la célèbre inscription Arbeit macht frei (Le travail rend libre)

Les Editions d'une plombe du mat'

« La liberté est le crime qui contient tous les crimes,

c’est notre arme absolue. »

(diffusion libre et encouragée)

Manifeste de l’éditeur

Les « Editions d’une plombe du mat’ » ont pour but la diffusion de textes

considérés comme importants.

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En conséquence ces textes peuvent être reproduits librement sous la forme d’édition des « Editions d’une plombe du Mat’ » ou non. Toutefois, pour rester dans l’esprit de cette diffusion, les diffuseurs devront s’abstenir de toute plus-value autre que celle, minime, couramment pratiquée dans la diffusion shareware/freeware. En particulier sont exclus de diffusion les arnaques au Minitel (36.15 et plus et/ou « créditels » et autres) et les BBS qui demandent autre chose qu’une cotisation raisonnable à leurs membres pour leur fonctionnement.

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Pour en finir avec le travail

Ecrits économiquement, moralement et politiquement incorrects

Présentation

Je n’en citerai qu’un exemple : les grandes vertus des peuples allemands ont engendré plus de maux que l’oisiveté jamais n’a créé de vices. Nous avons vu, de nos yeux vu, le travail consciencieux, l’instruction la plus solide, la discipline et l’application les plus sérieuses, adaptés à d’épouvantables desseins.

Tant d’horreurs n’auraient pas été possibles sans tant de vertus. Il a fallu, sans doute, beaucoup de science pour tuer tant d’hommes, dissiper tant de biens, anéantir tant de villes en si peu de temps ; mais il a fallu non moins de qualité morales. Savoir et Devoir, vous êtes donc suspects ?

Paul Valéry, Variété, Gallimard, Paris, 1924 (donc bien avant les joyeusetés mussolino-hitlériennes qui ont suivies)

« Tu gagneras ton pain à la sueur de ton front », voilà la malédiction d’origine dont nous pouvons nous absoudre. Mais voilà surtout pas à quoi penser. Tous les curés au service de l’oppression : les « socialistes », les « communistes », les économistes distingués et, bien entendu, les patrons de toutes obédiences, tous veulent perpétuer l’absurdité du travail, sinon comme réalité sociale (il est en disparition), tout au moins comme unique raison d’existence sinon de revenu (les précaires vivent souvent dans un état de pauvreté supérieur aux esclaves antiques).

Les Raymond Barre, Bernard Tapie et autres Haberer ne manquent pas d’impudence, beaucoup osent reprocher aux laissés pour compte d’être des « assistés » eux qui ont engloutis des milliards dans leurs frasques financières, les Crédit Lyonnais, les SNCF, les GAN et autres. « Il n’y a pas d’argent ! », s’exclament-ils définitifs, quand les pauvres frappent à leur porte. Mais ils trouvent des milliards pour leurs banques déficitaires et des dizaines de millions pour leurs cocottes mondaines.

Certes les peuples n’ont que les dirigeants qu’ils méritent et on peut gloser sur le peuple français qui remet sur les rails Jospin et sa clique après 14 ans de tontonlâtrie. De quoi méditer sur l’assertion de K. Marx : « la classe ouvrière sera la classe de la conscience ou elle ne sera rien. ». Elle n’est rien ! Ne fut ce que par une raison évidente : il n’y a plus de classe ouvrière, car il n’y a plus de production.

Les derniers défenseurs du système franchouillard osent la ramener ? Puisque nous sommes dans le domaine de l’édition, analysons. Cette préface est écrite par un logiciel américain (Word), sous un système américain (Windows), avec une machine asiatique et des composants sous licence américaine. Vous renoncez à l’informatique ? Vous avez le choix entre des crayons chinois, des marqueurs allemands ou japonais et des machines à écrire japonaises. Si, par hypothèse fantasmatique, les étrangers privaient les français de moyens d’écriture, il faudrait arracher et tailler les plumes aux derrières des quelques oies qui subsistent encore dans ce pays. Je ne sais même pas si on trouverait une encre fabriquée en France.

Alors saluons à sa juste valeur ce pamphlet, dans le pur esprit situationniste, de nos voisins allemands. Car tout ce que nous avons été capables de produire, en deçà du Rhin, c’est une mascarade pitoyable de pseudo chômeurs, permanents du PC-GT, plus soucieux d’établir une diversion électoraliste vis à vis du parti qui rassemble le plus grand nombre de chômeurs et d’ouvriers : le Front National.

Jamais les chômeurs français n’ont remis en cause l’idéologie de retour au salariat dont tous les économistes constatent l’effondrement irréversible. Pas une réflexion sur l’impossibilité d’embaucher une main d’œuvre devenue inutile eu égard aux moyens modernes de production (quand on produit quelque chose). Pas une critique sur le système actuel du travail où les heureux bénéficiaires du chagrin y dépassent largement le temps légal (ainsi que l’a montré la très limitée grève des routiers canalisée par les appareils syndicaux). Pas un débat de fond sur ce qui devrait être organisé dans la société française sur la répartition du travail, que ce soit par une réduction massive des journées de travail (semaine de 4 voir 3 jours), ou du temps permanent à y consacrer (système de l’armée : 15 ans de service et ensuite la retraite).

Les plus beaux fleurons de la ringardise patronale geignent en permanence sur le « coût de la main d’œuvre » française1 par rapport à celle des pays « exotiques » en feignant d’ignorer que 1) c’est faux (les ouvriers de Singapour ou du Japon sont mieux payés que leurs homologues français), 2) que l’essentiel de la production est réalisée dans ces pays par des machines sophistiquées et que la main d’œuvre ne rentre plus en part importante dans le processus de production. D’ailleurs on se demande pourquoi cette objection ne fut pas présentée plus tôt, en une époque où, effectivement, il y avait une disparité du taux de main d’œuvre qui aurait pu justifier cette grogne sur la concurrence, car la « mondialisation » de l’économie ne date pas d’hier.

Même des énarques commencent à trouver que trop d’incohérences c’est trop. Citons Mme Dominique Méda, ancienne élève, donc, de l’ENA mais qui ne s’est pas arrêtée en chemin dans cette haute école de conditionnement à la pensée unique puisqu’elle a fait aussi l’Ecole normale supérieure, est agrégée de philosophie et a été professeur à l’Institut d’études politiques de Paris. Il s’agit de la conclusion de son livre : « Le travail, une valeur en voie de disparition ».

Revoir l’organisation du travail

Cesser de sacraliser le travail devrait également nous permettre de le considérer simplement dans sa fonction de distribution des richesses et nous donner enfin l’occasion de nous interroger sur celle-ci. Si nous ne voulons pas modifier la manière dont est réparti le travail entre les individus aujourd’hui, c’est bien parce qu’il constitue le principal moyen de distribution des revenus, des statuts, de la protection et des positions sociales : revoir la manière dont est partagé le travail conduit à repenser la répartition de l’ensemble des biens sociaux. Mais est-il légitime que le travail continue à exercer cette fonction de distribution des richesses alors qu’il se réduit de fait, alors que nous souhaitons sa réduction, alors que le progrès technique continuera de réduire son volume ? Est-il normal que sa fonction demeure la même alors que le processus d’entrée et de sortie du marché du travail n’est ni contrôlé ni régulé, mais qu’il résulte des arbitrages d’acteurs privés dont l’impératif n’est en aucune façon l’emploi, mais la production ou leur propre développement ? Est-il légitime qu’une société riche laisse ainsi la répartition de l’ensemble des biens sociaux s’opérer d’une manière « naturelle », sauvage et aléatoire ? Et surtout qu’elle se refuse à considérer le travail comme un bien tout à fait particulier, dont la répartition et la fluctuation doivent être régulées, puisqu’il ouvre à tous les autres ? Une société soucieuse de son bien commun et de sa cohésion sociale, soyons-en sûrs, procéderait autrement. Elle considérerait le travail, les revenus, les statuts et les avantages jusque-là liés au travail comme autant de biens qui doivent être répartis entre ses membres, et dont la bonne répartition est constitutive du bien commun lui-même. Elle refuserait d’avaliser simplement la répartition des richesses issues d’une évolution arbitraire, où l’un des membres a eu la malchance de se trouver dans telle entreprise, dans telle région et d’avoir exercé tel métier, tandis que tel autre y a échappé. Le hasard peut-il être au principe de nos sociétés modernes ? On voit bien que le véritable problème de nos sociétés n’est en aucune façon la pénurie de travail, mais le fait que nous manquions d’un « mode convaincant de partage ». Celui-ci s’effectue aujourd’hui dans notre pays « naturellement », par l’exclusion du marché du travail des personnes les plus âgées ou les plus fragiles, l’existence de sas de plus en plus longs précédant l’entrée des jeunes sur le marché du travail et une forte sélectivité de celui-ci : notre partage s’opère par déversement dans la catégorie du chômage.

Cette réflexion, qui s’inscrit dans la droite ligne des Paul Lafargue, Karl Marx et, plus près de nous, Jeremy Rifkin, André Gorz et Vivianne Forrester sera le mot de la fin de cette présentation.

J’ajouterais une réflexion sur un dernier paradoxe : la France a tout sacrifié depuis plus de vingt au monétarisme. Or voilà qu’elle capitule en rase campagne devant les allemands (ce n’est pas nouveau) de la Bundesbank. Fin du sacro-saint Franc et place à l’euro-mark. Même incohérence que le travail : il n’y a que le travail de vrai, mais il est en disparition et on supprime les derniers domaines productifs dans ce pays et, il n’y a que la monnaie de vraie, mais on la liquide après quelques siècles de bons et loyaux services pour se mettre sous la coupe des financiers internationaux (essentiellement allemands et américains) et des mafias (on a même poussé la sollicitude jusqu’à leur prévoir un billet de 500 euros afin de faciliter leurs transferts de fonds).

Et on s’étonne de la fuite éperdue des derniers cerveaux qu’ils nous restent.

William Marie (Mai 1998)

CHÔMEURS HEUREUX

BULLETIN D'INACTIVITE N°1

BERLIN 1996

" ET QU'EST-CE QUE VOUS FAITES DANS LA VIE ? "

Lecture publique à trois voix, en chaise longue et agrémentée de diapositives, donnée pour la première fois le 14 août 1996 au " Marché aux esclaves " du Prater (Berlin-Est) devant une assemblée mi-enthousiaste, mi-dubitative.

Ce qui suit est une entorse aux principes que les Chômeurs Heureux s'étaient donnés jusqu'ici, eux qui ne prennent pas volontiers les choses par la théorie. Ils lui préfèrent de beaucoup la propagande par le fait, le méfait et surtout le non-fait. D'ailleurs, la recherche dans le domaine du chômage heureux n'a pas encore abouti à des résultats décisifs et susceptibles d'être présentés ici. Mais quelques explications sont pourtant nécessaires, car la rumeur, qui a déjà assuré aux Chômeurs Heureux une sorte de notoriété secrète, n'est pas exempte de malentendus. Et ceci sur des points d'importance, à savoir le bonheur, et aussi le chômage.

Déjà parce qu'il est question de bonheur, la question devient immédiatement suspecte. Le bonheur est irresponsable. Le bonheur est bourgeois. Le bonheur est antiallemand. Et d'ailleurs, comment peut-on se dire heureux, en présence de la misère, de la violence, et des petits pains qui coûtent 67 Pfennigs alors que ce ne sont plus que d'insipides poches gonflées d'air ? !

Paul Watzlawick a déjà traité de ce genre d'arguments dans Faites vous-même votre malheur : « Et si nous étions absolument innocents de l'événement originel ? Si personne ne pouvait nous reprocher d'y avoir contribué ? Il ne fait aucun doute dans ce cas que je demeure une pure et innocente victime. Qu'on ose alors remettre en cause mon statut de sacrifié ! Qu'on ose même me demander de remédier à mon malheur ! Ce qui fut infligé par Dieu, les chromosomes et les hormones, la société ; les parents, la police, les maîtres et les médecins, les patrons et, pire que tout, par les amis, est si injuste et cause une telle douleur qu'insinuer seulement que je pourrais peut-être y faire quelque chose, c'est ajouter l'insulte à l'outrage. Sans compter que ce n'est pas une attitude scientifique, non mais ! »

Pour nous étendre sur ce sujet, il aurait fallu nous enfoncer dans les marécages de la psychologie, ce dont nous nous garderons bien. Mais on peut y trouver encore d'autres arguments contre la poursuite du bonheur. Il se dit par exemple que le totalitarisme, c'est de vouloir faire le bonheur des gens contre leur gré. A ce sujet, les travailleurs et demandeurs d'emploi malheureux n'ont pas de souci supplémentaire à se faire : les Chômeurs Heureux n'ont pas l'intention de leur imposer quelque forme de bonheur que ce soit. Il est certain que le bonheur est un argument de vente typique pour toutes sortes de charlatans qui cherchent à fourguer leur remède miracle. Mais les Chômeurs Heureux n'ont pas de remède miracle à vendre. Sur le plan programmatique, nous voyons la chose telle que Lautréamont l'avait formulée pour lui-même en 1869 : " Jusqu'à présent, l'on a décrit le malheur pour inspirer la terreur et la pitié, je décrirai le bonheur pour inspirer leurs contraires ".

Et maintenant, venons-en au fait.

LE CHÔMAGE : PAS UN PROBLEME, PEUT-ÊTRE UNE SOLUTION

Nous savons tous que le chômage ne sera jamais supprimé. La boîte va mal ? on licencie. La boîte va bien ? on investit dans l'automation, et on licencie. Jadis, il fallait des travailleurs parce qu'il y avait du travail, aujourd'hui, il faut du travail parce qu'il y a des travailleurs, et nul ne sait qu'en faire, parce que les machines travaillent plus vite, mieux et pour moins cher. L'automatisation avait toujours été un vieux rêve de l'humanité. Le Chômeur Heureux Aristote, il y a 2300 ans : « Si chaque outil pouvait exécuter de lui même sa fonction propre, si par exemple les navettes de tisserands tissaient d'elles mêmes, le chef d'atelier n'aurait plus besoin d'aides, ni le maître d'esclaves. » Aujourd'hui le rêve s'est réalisé, mais en cauchemar pour tous, parce que les relations sociales n'ont pas évolué aussi vite que la technique. Et ce processus est irréversible : jamais plus des travailleurs ne viendront remplacer les robots et automates. De plus, là où du travail « humain » est encore indispensable, on le délocalise vers les pays aux bas salaires, ou on importe des immigrés sous-payés pour le faire, dans une spirale descendante que seul le rétablissement de l'esclavage pourrait arrêter ;

Tout le monde sait cela, mais personne ne peut le dire. Officiellement, c'est toujours « la lutte contre le chômage », en fait contre les chômeurs. On trafique les statistiques, on « occupe » les chômeurs au sens militaire du mot, on multiplie les contrôles tracassiers. Et comme malgré tout, de telles mesures ne peuvent suffire, on rajoute une louche de morale, en affirmant que les chômeurs seraient responsables de leur sort, en exigeant des preuves de « recherche active d'un emploi ». Le tout pour forcer la réalité à entrer dans le moule de la propagande. Le Chômeur Heureux ne fait que dire tout haut ce que tout le monde sait déjà.

Chômage est un mauvais mot, une idée négative, le revers de la médaille du travail. Un chômeur n'est qu'un travailleur sans travail. Ce qui ne dit rien de la personne comme poète, comme flâneur, comme chercheur, comme respirateur. En public, on n'a le droit de parler que du manque de travail. Ce n'est qu'en privé, à l'abri des journalistes, sociologues et autres renifle-merde que l'on se permet de dire ce que l'on a sur le cœur : « Je viens d'être licencié, super ! Enfin je vais pouvoir faire la fête tous les soirs, bouffer autre chose que du micro-ondes, câliner sans limites. »

Faut-il abolir cette séparation entre vertus privées et vices publics ? On nous dit que ce n'est pas le moment, que ça tournerait à la provocation, que ça ferait le jeu des beaufs. Il y a encore vingt ans, les travailleurs pouvaient remettre leur travail, et le travail en question. Aujourd'hui, ils doivent se dire heureux pour la seule raison qu'ils ne sont pas au chômage, et les chômeurs doivent se dire malheureux pour la seule raison qu'ils n'ont pas de travail. Le Chômeur Heureux se rit d'un tel chantage.

Lorsque l'éthique du travail s'est perdue, la peur du chômage reste le meilleur fouet pour augmenter la servilité. Un certain Schmilinsky, conseiller d'entreprises pour l'élimination des tireurs au flanc le dit on ne peut plus clairement : « Dans une écurie, vous décidez aussi que un cheval doit avoir une récompense et lequel ne reçoit rien. Les entreprises qui veulent survivre aujourd'hui doivent être par moments impitoyables. Trop de bonté peut leur casser les reins. Je conseille à mes clients d'agir avec une poigne de fer dans un gant e velours. A notre époque, les travailleurs regardent autour d'eux et voient partout des postes de travail supprimés. Nul n'a vraiment envie de se faire remarquer par un comportement désagréable. Les entreprises tendent à utiliser toujours plus ce sentiment d'insécurité, afin de réduire notablement les heures de travail perdues. » (Der Spiegel 3/2/1996)

La création d'un biotope propice aux Chômeurs Heureux pourrait également améliorer la condition des travailleurs : leur peur de se retrouver au chômage diminuerait, en même temps que le courage de dire non pourrait plus librement s'exprimer. Un jour peut-être, le rapport de forces serait à nouveau retourné au profit des salariés : « Quoi ? Vous prétendez contrôler si je suis vraiment malade ou non ? Si c'est comme ça, je préfère encore être un Chômeur Heureux ! »

Le travail est une question de survie. On ne peut qu'être d'accord avec cet avis. Voici ce qu'en écrit des USA Bob Black : « Le travail est un meurtre en série, un génocide. Le travail tuera, directement ou indirectement, tous ceux qui lisent ces lignes. Dans ce pays, le travail fait chaque année entre 14000 et 25000 morts, plus de deux millions d'handicapés, 20 à 25 millions de blessés. Et encore, ce chiffre ne prend-il pas en compte le demi-million de maladies professionnelles. Il ne gratte que la superficie. Ce que les statistiques ne montrent pas, ce sont tous les gens dont la durée de vie est raccourcie par le travail. C'est bien ce qui s'appelle du meurtre ! Pensez à tous ces toubibs qui crèvent à 50 ans, pensez à tous les "workaholics" ! Et même si vous ne mourrez pas pendant votre travail, vous pouvez mourir en vous rendant au travail, ou en en revenant, ou en en cherchant, ou en cherchant à ne plus y penser. Naturellement, il ne faut pas oublier de compter les victimes de la pollution, de l'alcoolisme et de la consommation de drogues liées au travail. Là, on atteint un nombre de victimes multiplié par 6, seulement pour pouvoir vendre des big macs et des cadillacs aux survivants ! »

Le bottier ou l'ébéniste étaient fiers de leur art. Et naguère encore, les travailleurs des chantiers navals écrasaient une larme au coin de l'œil en voyant partir au loin le navire qu'ils avaient construit. Mais ce sentiment d'être utile à la communauté a disparu de 95% des jobs. Le secteur des « services » n'emploie que des domestiques et des appendices d'ordinateurs qui n'ont aucune raison d'être fiers. Du vigile au technicien des systèmes d'alarme, une foule de chiens de garde ne sont payés que pour surveiller que l'on paye ce qui sans eux pourrait être gratuit. Et même un médecin n'est plus en vérité qu'un représentant de commerce des trusts pharmaceutiques. Qui peut encore se dire utile aux autres ? La question n'est plus : à quoi ça sert, mais : combien ça rapporte. Le seul but de chaque travail particulier est d'augmenter les bénéfices de l'entreprise, et de même le seul rapport du travailleur à son travail est son salaire.

L'ARGENT EST LE PROBLÈME

C'est justement parce que l'argent, et non l'utilité sociale, est le but, que le chômage existe. Le plein emploi c'est la crise économique, le chômage c'est la santé du marché. Que se passe-t-il, dès qu'une entreprise annonce une charrette de licenciements ? Les actionnaires sautent de joie, les spéculateurs la félicitent pour sa stratégie d'assainissement, les actions grimpent, et le prochain bilan témoigne des bénéfices ainsi engrangés. De la sorte, on peut dire que les chômeurs créent plus de profits que leurs ex-collègues. Il serait donc logique de les récompenser pour leur contribution sans égal à la croissance. Au lieu de cela, ils n'en touchent pas un rogaton. Le Chômeur Heureux veut être rétribué pour son non-travail.

Nous pouvons ici nous en référer à Kasimir Malevitch, le courageux créateur du Carré Blanc sur Fond Blanc. En 1921, il écrivit dans un livre qui n'a été publié que voici deux ans en Russie, La paresse : véritable but de l'humanité : « L'argent n’est rien d'autre qu'un petit morceau de paresse. Plus on en a, plus on peut goûter en abondance aux délices de la paresse. [...] Le capitalisme organise le travail de telle sorte que l'accès à la paresse n'est pas le même pour tous. Seul peut y goûter celui qui détient du capital. Ainsi, la classe des capitalistes s'est-elle libérée de ce travail dont toute l'humanité doit maintenant se libérer. »

Si le chômeur est malheureux, ce n'est pas parce qu'il n'a pas de travail, mais parce qu'il n'a pas d'argent. Ne disons donc plus demandeur d'emploi mais : « demandeur d'argent », plus « recherche active d'un emploi », mais : « recherche active d'argent ». Les choses seront plus claires. Comme on va le voir, le Chômeur Heureux cherche à combler ce manque par la recherche de ressources obscures.

Comptez au total combien d'argent les contribuables et les entreprises consacrent officiellement « au chômage », et divisez par le nombre de chômeurs : Hein ? Ca fait sacrément plus que nos chèques de fin de mois, pas vrai ? Cet argent n'est pas principalement investi dans le bien-être des chômeurs, mais dans leur contrôle chicanier, au moyen de convocations sans objet, de soi-disant stages de formation-insertion- perfectionnement qui viennent d'on ne sait où et ne mènent nulle part, de pseudo-travaux pour de pseudo-salaires, simplement afin de baisser artificiellement le taux de chômage. Simplement donc, pour maintenir l'apparence d’une chimère économique. Notre première proposition est immédiatement applicable : suppression de toutes les mesures de contrôle contre les chômeurs, fermeture de toutes les agences et officines de flicage, manipulation statistique et propagande (ce serait notre contribution aux restrictions budgétaires en cours), et versement automatique et inconditionnel des allocations augmentées des sommes ainsi épargnées.

Le nouveau délire conservateur reproche aux chômeurs de se complaire dans l'assistance, de vivre aux crochets de l'état et patati et patata. Bon, pour autant que l’on sache, l'état existe toujours, et encaisse les impôts, c'est pourquoi nous ne voyons pas en quel honneur nous devrions renoncer à son soutien financier. Mais nous ne sommes pas polarisés sur l'état. Nous ne verrions aucun inconvénient à un financement venant du secteur privé, que ce soit sous la forme du sponsoring, de l'adoption, d'une taxe sur les revenus du capital, ou du racket. On n'est pas regardants.

Si le chômeur est malheureux, c'est aussi parce que le travail est la seule valeur sociale qu'il connaisse. Il n'a plus rien à faire, il s'ennuie, il ne connaît plus personne, parce que le travail est souvent le seul lien social disponible. La chose vaut aussi pour les retraités d'ailleurs. Il est bien clair que la cause d'une telle misère existentielle est à chercher dans le travail, et non dans le chômage en lui-même. Même lorsqu’il ne fait rien de spécial le Chômeur Heureux crée de nouvelles valeurs sociales. Il développe des contacts avec tout un tas de gens sympathiques. Il est même prêt à animer des stages de resocialisation pour travailleurs licenciés. Car tous les chômeurs disposent en tout cas d'une chose inestimable : du temps. Voilà qui pourrait constituer une chance historique, la possibilité de mener une vie pleine de sens, de joie et de raison. On peut définir notre but comme une reconquête du temps. Nous sommes donc tout sauf inactifs, alors que la soi-disant « population active » ne peut qu'obéir passivement au destin et aux ordres de supérieurs hiérarchiques. Et c’est bien parce que nous sommes actifs que nous n'avons pas le temps de travailler.

« Je ne voulais pas que ma vie soit réglée d'avance ou décidée par d'autres. Si, à six heures du matin, j'avais envie de faire l'amour, je voulais prendre le temps de le faire sans regarder ma montre. Je voulais vivre sans heure, considérant que la première contrainte de l'homme a vu le jour à l'instant où il s'est mis à calculer le temps. Toutes les phrases usuelles de la vie courante me résonnaient dans la tête : Pas le temps de... ! Arriver à temps... ! Gagner du temps... ! Perdre son temps... ! Moi, je voulais avoir « le temps de vivre » et la seule façon d'y arriver était de ne pas en être l'esclave. Je savais l'irrationalisme de ma théorie, qui était inapplicable pour fonder une société. Mais qu'était-elle, cette société, avec ses beaux principes et ses lois ? » Ces mots sont de Jacques Mesrine.

LE CIMETIÈRE DE LA MORALE

On nous a aussi rétorqué que le Chômeur Heureux n'est sans-travail qu'au sens actuel du mot « travail », c'est à dire « travail salarié ». Il nous faut ici expressément indiquer que si le Chômeur Heureux ne cherche pas de travail salarié, il ne cherche pas non plus de travail d'esclave. Et pour autant que l'on sache , il n'existe que deux modes de travail : le salariat et l'esclavage. Certes, il existe aussi des étudiants, des artistes et autres fanfarons qui ne peuvent écrire le moindre papier ou laper la moindre écuelle sans prétendre se livrer là à un important « travail ». Même les soi-disant « autonomes » ne peuvent organiser de « séminaires » anticapitalistes sans mener des « débats productifs » au sein de « groupes de travail » ; Misérables mots, misérables pensées. Ce n'est pas d'aujourd'hui que « travail » est un mot empreint de malheur. « Arbeit » est probablement formé sur un verbe germanique disparu qui avait pour sens « être orphelin, être un enfant utilisé pour une tâche corporelle rude », verbe lui-même issu de l'Indo Européen « Orbhos », orphelin. Jusqu'au haut-Allemand moderne, « Arbeit » signifiait « peine, tourment, activité indigne » (dans ce sens, Chômeur Heureux est donc un pléonasme). Dans les langues romanes, la chose est encore plus claire, puisque « travail », « trabajo », etc., vient du latin « tripalium », un instrument de torture à trois piques qui était utilisé contre les esclaves. C'est Luther qui le premier a promu le mot « Arbeit » comme valeur spirituelle, prédestination de l'homme dans le monde. Citation : « L'homme est né pour travailler comme l'oiseau est né pour voler. » On pourrait nous répondre que cette querelle de mots est sans importance. Mais le fait de confondre « boisson » avec « coca-cola », « culture » avec « Bernard Henry Gluckskraut » ou « activité » avec « travail » ne saurait rester sans conséquences graves.

Dès qu'il est question de travail ou de chômage, on a affaire à des catégories morales. Et la tendance va en s'accentuant, il suffit d'ouvrir un journal pour s'en rendre compte : « Une conception du monde l'a emporté sur une autre a déclaré un expert de Washington. » Au lieu de considérer que la pauvreté a des causes économiques, la nouvelle école de pensée qui domine à présent voit dans la pauvreté le résultat d'un comportement moral mauvais. Comme du temps ou les curés voyaient leur monopole sur les âmes en danger, la morale est ici une tentative de combler la fissure grandissante entre la réalité et son image idéologique. Qui dit au chômeur « tu as péché » attend de celui-ci ou bien qu'il fasse pénitence, ou bien qu'il justifie de sa vertu. Dans les deux cas, il aura reconnu l'existence du péché. Les tentatives pleurnichardes de certains chômeurs pour provoquer la pitié de ce monde ne peuvent aboutir, au mieux, qu'à provoquer la pitié. Ce n'est que le rire sublime qui peut désarmer la morale pour de bon.

Il est clair que Paul Lafargue, l'auteur du Droit à la paresse2, est un des inspirateurs historiques des Chômeurs Heureux : « Les économistes s'en vont répéter aux ouvriers : travaillez, pour augmenter la richesse nationale ! Et cependant, un économiste, Destutt de Tracy, répond : les nations pauvres, c'est là où le peuple est à son aise ; les nations riches, c'est là où il est ordinairement pauvre. Mais assourdis et idiotisés par leurs propres hurlements, les économistes de répondre : Travaillez, travaillez toujours pour créer votre bien-être ![..] Travaillez pour que, devenant plus pauvres, vous ayez plus de raisons de travailler et d'être misérables ». Pourtant, nous ne faisons pas nôtre la revendication d'un droit à la paresse. La paresse n'est que le contraire de l'assiduité. Là où le travail n'est pas reconnu, la paresse ne peut pas l'être non plus. Pas de vice sans vertu (et vice versa). Depuis l'époque de Lafargue, il est devenu clair que le soi-disant « temps libre » accordé aux travailleurs est la plupart du temps plus ennuyeux encore que le travail lui-même. Qui voudrait vivre de télé, de jeux interpassifs et de Club Merd ? La question n'est pas simplement, comme pouvait encore le croire Lafargue, de réduire le temps de travail pour augmenter « le temps libre » ; Ceci dit, nous nous solidarisons totalement avec ces travailleurs espagnols à qui l'on avait voulu interdire la sieste sous prétexte d'adaptation au marché européen, et qui avaient répondu qu'au contraire, c'était à l'Union Européenne d'adopter « l'Euro-sieste ». Que ceci soit clair : le Chômeur Heureux ne soutient pas les partisans du partage du temps de travail, pour lesquels tout serait pour le mieux si chacun travaillait, mais 5, 3, ou même 2 heures par jour. Qu'est-ce que c'est que ce saucissonnage ? Est-ce que je regarde le temps que je mets à préparer un repas pour mes amis ? Est-ce que je limite le temps que je passe à écrire ce putain de texte ? Est-ce que l'on compte, quand on aime ?

Mais le Chômage Heureux ne représente pas pour autant une nouvelle utopie. Utopie veut dire : « lieu qui n'existe pas » ; L'utopiste dresse au millimètre les plans d'une construction supposée idéale, et attend que le monde vienne se couler dans ce moule. Le Chômeur Heureux, lui, serait plutôt un « topiste », il bricole, et expérimente à partir de lieux et d'objets qui sont à portée de main. Il ne construit pas de système, mais cherche toutes les occasions et possibilités d'aménagement de son envirronnement. Un honorable correspondant nous écrit : « S'agit-il pour les chômeurs Heureux de gagner une reconnaissance sociale avec le financement sans conditions qui va avec, ou bien est-il question de subvertir le système au moyen d'actions illégales, comme ne pas payer l'électricité3 ? Le lien entre ces deux stratégies ne paraît pas vraiment logique. Je peux difficilement chercher à être accepté socialement et en même temps prôner l'illégalité. » Bon. Le Chômeur Heureux n'est pas un fanatique de l'illégalité. Dans ses efforts pour faire le Bien, il est même prêt, s'il le faut, à recourir à des moyens légaux. D'ailleurs, les crimes de jadis sont les droits d'aujourd'hui (que l'on pense au droit de grève), et peuvent redevenir des crimes. Mais surtout : nous cherchons la reconnaissance sociale. Nous ne nous adressons pas à l'état ni aux organismes officiels, mais à Monsieur Tout-le monde.

Nous entendons d'ici le choeur des théoriciens de la lutte des classes : « Ceci n'est qu'une soupape pour le système, par laquelle des sédiments prolétariens sans travail sont maintenus dans une niche illusoire afin d'utiliser les fonctions vitales qui leur restent pour atténuer les contradictions du capitalisme. Les Chômeurs Heureux s'amusent, et pendant ce temps la bourgeoisie extrait la plus-value sans rencontrer de résistance. Trahison ! Trahison ! » Chaque pas concret, et même le simple fait de respirer, peut être dénigré comme tentative d'adaptation à ce monde (et c'est bien de la possibilité de respirer dont il est question ici). La critique sociale la plus acerbe ne peut être d'un grand secours, tant que sa conclusion pratique se limite à un wait and see. Nous savons bien que notre tentative peut échouer de diverses façons. Ca peut par exemple tourner à la gaudriole, une plaisanterie sans conséquences. L'idée de départ peut aussi se trouver ensevelie sous des tonnes de sérieux bétonné. Il pourrait aussi arriver qu'un groupe de Chômeurs Heureux rencontre tant de succès qu'ils se trouveraient transformés en Businessmen Heureux, sans plus de liens avec leur milieu d'origine. Ce sont des risques, ce n'est pas une fatalité. Nous nous chargeons du coup d'envoi, il ne dépend pas de nous que la balle arrive au but.

DE L'AVANTAGE D'ÊTRE EXCLU

À SUIVRE...

CHÔMEURS HEUREUX

NOUVEAU SIGNE D'INACTIVITE

Le 3 mai 1997 arrivait à Berlin une « marche européenne contre le chômage, l'exclusion et la précarité » qui, partie deux jours plus tôt de la frontière polonaise, se rendait à Amsterdam ( !). A cette occasion, les Chômeurs Heureux avaient annoncé une contre-performance sur le thème : « nous restons couchés ». Sur une pelouse jouxtant le lieu du rassemblement, nous avons installé chaises longues et couvertures, planté des pancartes indiquant nos intentions, et dégusté quelques bouteilles de Chômeur Brut bien frais en devisant gaiement. Bien que le soleil fût au rendez-vous, peu d'entre nous avaient consenti à un tel effort, mais les manifestants venus soutenir les dix marcheurs étaient à peine plus (et n'étaient pas chômeurs, à part un qui est venu tout de suite se joindre à nous, mais syndicalistes, étudiants et politiciens toujours prêts à soutenir la noble cause du travail). De sorte que sans rien faire de plus, nous avons attiré les attentions désoeuvrées, quelques témoignages de sympathie, et des sollicitations saugrenues. Il nous a fallu ainsi refuser : d'être interviewés, de prendre la parole dans le meeting, de prendre part à une « caravane des esclaves », de distribuer le paquet de tracts que nous avions posé par terre (et que devant notre mauvaise volonté, les gens se sont distribués eux-même). Une fois la pauvre marche partie vers d'autres contrées inacueillantes, nous sommes restés encore un moment allongés, goûtant la perplexité des passants. Voilà. Mis à part un article dans le « Neues Deutschland », notre inaction est restée aussi inaperçue du grand public que la marche qui lui en avait fourni le prétexte, mais nous, nous ne nous plaignons pas. On a passé un agréable moment, et fait quelques nouvelles connaissances. Ce sont les petites rivières qui font les grands fleuves, et dans le mitan du lit la rivière est profonde.

Il est désormais possible de contacter les Chômeurs Heureux de Berlin à l'adresse suivante :

Die Glücklichen Arbeitslosen,

c/o im Stall,

Kastanienallee 84,

10435 BERLIN

CONTRE LE CHÔMAGE ET L'EXCLUSION EXPLOITATION EGALE POUR TOUS !

Nous voulons travailler. Oui, nous voulons travailler, à n'importe quel prix. Il n'en va pas tant de l'argent que de notre prestige social, de notre confiance en nous et dans le futur, et finalement de notre liberté, puisque de grands sociologues l'ont affirmé avant nous : le travail rend libre. Trop longtemps, nous avons été exclus et livrés à nous-mêmes, ce qui a suscité des habitudes asociales. Chaque matin, nous avons pris le petit-dèj au lit, avons câliné et nous sommes rendormis. Pendant que les élites se font tant de soucis avec l'union monétaire, les Japonais et tout ça, pendant que les citoyens intégrés triment dans le stress, nous avons pris notre temps et - aussi dur soit-il de le confesser - nous nous sommes parfois vraiment amusés. Et tout ça aux dépens de l'état, alors même que l'état a tant de mal à subventionner les chefs d'entreprise. Oui, nous ne pourrons jamais assez expier cette faute, c'est clair.

C'est pourquoi nous voulons marcher jusqu'à Amsterdam, où se rencontrent ces chefs de gouvernements dont nous attendons tant. Il est vrai qu'Helmut Kohl a promis de réduire le chômage de moitié, et les anglais y sont déjà presque parvenus, en inventant de beaux métiers comme « dogsitter », en payant des salaires plus bas qu'en Corée (ha ha, enfin on leur a mis, aux Coréens) et en coupant les vivres à tous les tire-au-flanc ; mais tout cela est loin de nous suffire. Le chômage doit être supprimé.

POUR LE PLEIN-EMPLOI, NOUS PROPOSONS :

• Le nivellement des montagnes de l'Erz et autres collines inutiles à coups de pelles et pioches, le transport des pierres à dos d'homme/femme et à pied, jusque dans les déserts industriels de l'Est, afin d'y ériger des pyramides géantes à la gloire du chancelier, du président de la banque mondiale et autres pharaons du Saint-Marché. Ces pyramides attireront le tourisme mondial, ce qui créera des emplois supplémentaires de domestiques et, pour les diplômés, de services spécialisés tels que : conversations érotiques ou « appelle moi, et je rirai à tes blagues en te laçant les pompes ».

• Afin de vaincre la concurrence étrangère, nous réclamons l'instauration d'un salaire maximal qui ne devra pas excéder le salaire moyen du pays le plus pauvre, disons 100 marks par mois, puis moins.

• L'embauche de tous les chômeurs compatibles avec l'ordinateur dans des entreprises virtuelles pour produire des services virtuels payés avec de l'argent virtuel. Il y a pour cela suffisamment de tours de bureaux vides à Berlin.

• La privatisation immédiate de l'air. Pourquoi ? D'abord, parce qu'il est contre-productif que quelque chose reste gratuit sur cette planète. Ensuite, parce qu'il est immoral que des feignants et des bons à rien s'arrogent le même droit à respirer que les travailleurs consciencieux. Mais surtout, parce que cette mesure apporterait la solution finale à la question du chômage. Elle créerait des emplois tels que : mesureur de capacité pulmonaire, collecteur des tarifs d'oxygène, contrôleur de la respiration. Et tous les tire-au-flanc ne pourraient bientôt plus se payer la moindre inspiration, et disparaîtraient enfin de notre vue. Il reste à examiner si les conventions européennes permettent de créer encore plus d'emplois grâce à la transformation en savon, abats-jours et autres articles de nécessité, des chômeurs ainsi supprimés.

Oui, pour une telle cause, nous sommes prêts à marcher jusqu'à Tokyo et plus loin s'il le faut, pieds nus, enchaînés, en zigzag, trois pas en avant et deux en arrière. En chemin nous voulons nous fouetter mutuellement, et nous jeter aux pieds de tous les porteurs de cravates intégrés que nous croiserons en criant : " Pitié ! Pitié ! "

Union des Serfs Volontaires

Dessin piqué à Wolinski sans même lui avoir demandé la permission.

Qu’il nous pardonne car c’est a) pour la bonne cause, b) c’est de la diffusion gratuite

APPEL A L'UNIFICATION DES LUTTES

Le cas du maïs transgénique

Jeudi 8 janvier 1998, 200 militants de la Confédération paysanne ont investi des installations de stockage de maïs transgénique appartenant à la société Novartis. Là, ils ont abondamment arrosé les graines à la lance à incendie pour alerter l'opinion sur les dangers que feraient peser sur la santé de l'être humain les manipulations génétiques appliquées aux plantes. Selon la Confédération paysanne, le maïs transgénique pourrait transmettre à l'homme une résistance à l'effet de certains antibiotiques. (Le Monde, Dimanche-Lundi 19 janvier). Il s'agissait pour eux de s'insurger contre la décision du gouvernement français d'autoriser la mise en culture de ces produits.

Le mal-nommé « mouvement des chômeurs et précaires » n'a pas manqué de retrouver dans cette action exemplaire une puissante fraternité avec sa propre action. Ce sont en effet les mêmes rapports marchands qui tendent à exclure une majorité ds hommes de toute emprise sur leur propre vie, de toute existence sociale et de la prise des décisions collectives, et qui engagent une dégradation de la nature et un empoisonnement généralisé de la population. L'autorisation accordée à la culture du maïs transgénique constitue un nouveau palier dans la falsification de notre alimentation, puisque l'on désignera désormais sous ce vocable de maïs ce qui a cessé d'en être. On a pu prétendre par le passé que « l'on est ce que l'on mange », il faut dès lors considérer la dégradation de notre alimentation comme une dégradation de notre être même.

Cette décision n'est naturellement guidée que par l'obsession délirante et quantitative de la productivité et du profit – au mépris de toute considération pour la santé et pour la vie, dont la société marchande n'a que faire. Dans la version désormais suicidaire du capitalisme, chaque pas fait dans le sens du « Progrès » n'est qu'un pas vers la catastrophe. L'ampleur du désastre, et la menace de son aggravation, mettent en cause la nature même d'une société dominée par les rapports marchands, de façon vitale. C'est désormais CHACUN qui se trouve acculé par la simple nécessité de survivre à une transformation radicale de la société, et des modes de vie qui lui correspondent.

Aussi, l'assemblée générale de Jussieu du 21 janvier tient à saluer le passage à l'acte des membres de la Confédération paysanne, qui prend tout naturellement place dans le présent mouvement de contestation pratique de la société marchande. Trois représentants de la Confédération paysanne ont été, suite à cette action, mis en examen et placés sous contrôle judiciaire avec interdiction de quitter leur département et de se rencontrer. Tous les moyens dont nous disposons seront mis en œuvre pour les soutenir, à commencer par notre participation à la grande manifestation de solidarité et de protestation devant le tribunal d'Agen le 3 février 1998, jour du procès de ces trois syndicalistes.

Proposition à l'Assemblée Générale du 21 janvier 1998


1 C-f la comédie du CNPF au sujet des 35 heures (alors que le gain de productivité des techniques modernes épongera cette différence dans le temps imparti). Du coup le patronat allemand a tenu à préciser que, chez eux, c’était a) 32 heures, b) plus de congés.

2 Le droit à la paresse est en téléchargement sur le site Web des Editions d’une plombe du mat’. Voir au verso de la page de couverture.

3 Il est fait probablement ici allusion au " frein bloquant TELZA pour compteurs électriques ", une des inventions expérimentées par notre bureau d'études.