DÉFINITION DE L'ANARCHISME 1

(source: l'Anneau anarchiste)

La définition de l'anarchisme qui a guidé la rédaction des critères d'admission à l'Anneau anarchiste est inspirée de celle élaborée par John Clark dans The Anarchist Moment (Montréal, Black Rose Books, 1984, p. 117-140).

LA LIBERTÉ

Il est important de noter d'entrée de jeu que l'anarchisme est basé sur une conception radicale et complexe de la liberté. Cette conception anarchiste de la liberté comporte trois volets.

Tout comme les libéraux, les anarchistes ont une conception " négative " de la liberté, c'est-à-dire que la liberté est l'absence de contraintes. Ainsi, l'individu doit être libre des contraintes extérieures à lui-même.

À cette conception négative s'ajoute toutefois une conception " positive " de la liberté. Tous les anarchistes considèrent que la liberté est également une potentialité, la possibilité pour l'individu de se réaliser et d'atteindre son plein potentiel.

Enfin, les anarchistes ont une conception " sociale " de la liberté, qui a pour conséquence de lier de façon indissociable la liberté et l'égalité. En effet, l'anarchisme postule que l'individu ne peut être libre qu'au sein d'une société composée d'individus libres. Selon Bakounine, " l'homme n'est réellement libre qu'autant que sa liberté, librement reconnue et représentée comme par un miroir par la conscience libre de tous les autres, trouve la confirmation de son extension à l'infini dans leur liberté. L'homme n'est vraiment que parmi d'autres hommes également libres; et comme il n'est libre qu'à titre humain, l'esclavage d'un seul homme sur la terre, étant une offense contre le principe même de l'humanité, est une négation de la liberté de tous. " (Catéchisme révolutionnaire)

UN PROJET DE SOCIÉTÉ LIBERTAIRE

Selon Clark, est anarchiste toute idéologie dont le projet de société, appelé " anarchie " est déterminé par les conceptions positive et sociale de la liberté. Ce projet varie selon les types d'anarchisme, mais la plupart prescrivent des structures sociales non-hiérarchiques, radicalement démocratiques et décentralisées.

Pour les individualistes, la société n'est pas un organisme mais une simple collection d'individus autonomes. Pour satisfaire son intérêt personnel, l'individu peut s'unir aux autres et s'associer, mais cette association ne reste qu'un moyen pour servir sa fin.

Les anarcho-syndicalistes sont les héritiers du collectivisme de Bakounine. Selon leur vision de la société anarchiste, les syndicats exproprient le capital et chaque groupe de travailleurs dispose de ses propres moyens de production. La répartition des produits et des services est alors l'objet d'une décision collective.

Finalement, les anarcho-communistes (ou communistes libertaires, ou communistes anarchistes) prévoient l'établissement de communautés (communes) autogérées où tous travailleraient selon leurs capacités et tous consommeraient selon leurs besoins. Ces communautés sont fédérées pour exécuter en coordination des projets les concernant.

LA NATURE HUMAINE

Les anarchistes ont également en commun une perception de la nature humaine qui justifie la viabilité d'une telle société libertaire.

Cette perception n'est toutefois pas la même chez tous les anarchistes. Par exemple, Kropotkine considérait que l'instinct de coopération d'aide mutuelle prédominait chez toutes les espèces animales et trouvait son incarnation parfaite chez l'humain. D'autres anarchistes (comme par exemple Peter Marshall) ont plutôt développé une conception existentialiste de la nature humaine, estimant que les comportements humains s'adaptent aux structures et aux normes sociales. Tous sont parfois d'accord pour dire que l'humanité a la capacité de vivre et de se développer sans être soumise à des institutions hiérarchiques et répressives.

UNE CRITIQUE DE LA SOCIÉTÉ ACTUELLE

Toujours selon Clark, toutes les variantes de l'anarchisme ont en commun une critique des sociétés contemporaines qui se base sur des principes antiautoritaires découlant de leur conception de la liberté.

Les anarchistes contestent tous les rapports de domination hiérarchique, de quelque nature qu'ils soient (oppression de classe, de race, de sexe, d'orientation sexuelle, domination de la nature, etc.). La critique anarchiste s'étend à toutes les institutions oppressives, Église, armée, police, etc., et en tout premier lieu l'État, qu'ils considèrent comme l'institution suprême de domination.

L'étendue de cette critique est d'ailleurs un des facteurs qui distingue l'anarchisme du marxisme. Comme l'a fait remarquer Henri Arvon (L'anarchisme, PUF, Collection " Que sais-je " no479), l'anarchisme conteste l'oppression autant que l'exploitation, l'autorité autant que la propriété et l'État autant que le capitalisme. Ceci explique pourquoi plusieurs écologistes, féministes, pacifistes, syndicalistes et militants pour les droits de la personne sont attirés par l'anarchisme.

UNE STRATÉGIE DE CHANGEMENT

Enfin, les anarchistes ont en commun d'offrir une stratégie de changement révolutionnaire impliquant l'institution immédiate de l'anarchie. Ils s'opposent tous aux stratégies autoritaires (dictature du prolétariat) ainsi qu'à la formation de partis hiérarchisés, et sont généralement abstentionnistes lors des élections. Les anarchistes croient en la spontanéité révolutionnaire et préconisent l'action directe, qui peut prendre plusieurs formes.

C'est au sujet des stratégies de changement que les anarchistes sont le plus partagés. Par exemple, certains ont préconisé, principalement lors des deux dernières décennies du XIXe siècle, une forme de terrorisme appelée " propagande par le fait ". Mais après une vague d'attentats individuels qui n'ont mené qu'au rejet populaire de l'anarchisme et à un regain de répression, cette stratégie a été abandonnée par les anarchistes. Les anarcho-communistes insistent quant à eux sur l'action communautaire, sur la formation d'institutions libertaires sur une base locale qui pourront renverser et remplacer l'ordre capitaliste et étatique. Les anarcho-syndicalistes axent leur stratégie sur le syndicat, qui est conçu comme l'embryon de la société nouvelle ; ils préconisent des formes d'action directe comme le sabotage, le boycott, la grève partielle et la grève générale révolutionnaire. Les anarcho-pacifistes insistent quant à eux sur l'action directe non-violente et sur la désobéissance civile comme moyen de renverser l'ordre hiérarchique oppressif.

Bien que les anarchistes soient révolutionnaires et spontanéistes, il ne faut pas croire pour autant qu'ils rejettent les formes de lutte partielles et quotidiennes. Au contraire, des anarchistes comme Élisée Reclus considèrent qu'évolution et révolution font partie d'un même processus et que chaque action peut être efficace si elle est conforme aux principes anti-autoritaires. Les anarchistes considèrent également l'éducation comme étant un des principaux moyens d'accéder à la société libertaire.

Il est toutefois à noter qu'une minorité importante d'anarchistes n'est pas révolutionnaire. En effet, la plupart des individualistes anarchistes considèrent que les " rêves de grands soirs " sont eux-mêmes potentiellement répressifs et estiment que c'est à l'individu de se libérer en rejetant lui-même la société dominatrice. Pour beaucoup d'individualistes, être anarchiste signifie être un " en dehors " et vivre selon ses propres principes, en refusant de collaborer aux institutions oppressives. Cette attitude, particulièrement répandue chez les individualistes français du début du siècle, a mené certains anarchistes (comme Georges Palante) vers une forme d'individualisme aristocratique, d'inspiration nietzschéenne.

L'anarchisme: une idéologie ou une méthodologie ?

Comment définir l'anarchisme ?

Comme un projet de société future ?

Une idéologie ?

Ou comme une technique d'action dans le présent ?

Une méthodologie ?

En d'autres termes :

L'"anarchie" est-elle une fin ou un moyen ?

La définition usuelle de l'anarchisme, rencontrée dans les dictionnaires, est toujours centrée sur le projet de société future de l'anarchisme : l'anarchie, dont la définition est bien entendu souvent burlesque. Par exemple, dans le Littré on trouve : Anarchie : absence de gouvernement, et par suite désordre et confusion.

Certaines sont cependant moins risibles et se rapprochent d'avantage d'une définition qui pourrait sembler acceptable par les anarchistes eux-mêmes. Par exemple, l'encyclopédie Larousse reprend la définition du Littré mais propose également la définition suivante de l'anarchie : système politique ou social suivant lequel tout individu doit être émancipé de toute tutelle gouvernementale. Par suite, l'anarchisme est défini comme une idéologie ou doctrine qui préconise la suppression de l'État, quelles que soient les conditions historiques.

Ce type de définition, centrée uniquement sur le projet social, amène souvent l'anarchisme à être catalogué comme étant une idéologie, à classer parmi tant d'autres. Hélas, procéder ainsi revient à manquer, voire détourner complètement, l'essence profonde de l'anarchisme qui s'étend certainement au-delà du cadre restreint d'une idéologie. C'est ce que je voudrais tenter de montrer ici, pour ensuite proposer un autre type d'approche qui se voudrait plus en rapport avec la spécificité de l'anarchisme (1).

L'anarchisme, une idéologie ?

Tout d'abord, l'anarchisme n'est certainement pas un système de pensée figé, ni une théorie unique relevant d'un penseur bien particulier, il se caractérise au contraire par une pensée en constante évolution, et par la grande diversité de courants qui le composent. N'étant pas une théorie sociale fixe et bien déterminée, l'anarchisme ne se prête pas facilement à l'analyse systématique (au contraire du marxisme plus souvent formalisé, quoique lui aussi fort multiple), ce qui amène bon nombre de commentateurs à la congédier comme étant utopique, primitive, et incompatible avec la complexité des réalités sociales.

Mais ce qui est considéré en général comme une preuve de faiblesse théorique, se révèle en réalité une des preuves de la cohérence, de la souplesse et de la richesse de l'idée anarchiste. Comme le faisait remarquer l'anarcho-syndicaliste allemand Rudolf Rocker (1873-1958) : L'anarchisme n'est pas une solution brevetée pour tous les problèmes humains, ni une Utopie ou un ordre social parfait, ainsi qu'il a souvent été appelé, puisqu'il rejette en principe tout schéma et concept absolus. Il ne croit en aucune vérité absolue, ou but final défini pour le développement humain, mais dans la perfectibilité illimitée des arrangements sociaux et des conditions de vie humaines, qui sont toujours tirées vers de plus hautes formes d'expression, et auxquels pour cette raison on ne peut assigner aucun fin déterminée ni poser aucun but fixé. Le pire crime de n'importe quel type d'état est justement qu'il essaye toujours de forcer la riche diversité de la vie sociale à des formes définies, et de l'ajuster à une forme particulière qui ne permet pas de perspective plus large, et considère les excitants états précédents comme terminés (2).

On constate donc que l'anarchisme ne peut donc pas être défini comme une doctrine sociale censée apporter la solution à tous les problèmes de la société, ce qui l'éloigne d'une définition idéologique. Ceci pourrait suffire, mais il est intéressant d'approfondir encore un peu la nature de l'idéologie et les rapports qu'elle entretient avec le pouvoir avant d'affirmer que l'anarchisme ne peut être une idéologie.

Idéologie et pouvoir

La point de départ est le constat qu'il n'y a pas de pouvoir sans nécessité de justification et, donc (...) d'idéologie comme le souligne A. G. Calvo pour qui l'idéologie est simplement la forme froide et détachée de la justification (3). La nature de l'idéologie serait donc d'être un discours au service du pouvoir (du pouvoir en place ou de ceux qui ambitionnent d'y accéder) : L'idéologie est une condition indispensable de l'État. Non seulement l'idéologie qu'émettent directement les organes du Pouvoir, mais aussi celle que développent les militants contre le Pouvoir, intégrés dans l'ordre (3).

En effet, toute idéologie, quelle que soit sa forme, s'accorde avec l'idéologie de l'État et la consolide, de par sa prétention à une explication totale, qui aboutit nécessairement (comme l'État) à vouloir figer la riche diversité de la vie sociale à une forme unique figée dans le temps.

Dès lors, il serait plus approprié de considérer l'anarchisme comme étant une anti-idéologie, puisqu'au lieu d'avoir comme fonction de légitimer le pouvoir, l'anarchisme a pour principe de renier la légitimité de toute forme de pouvoir.

Anarchie et idéologie

De toute manière, savoir si l'anarchisme est ou n'est pas une idéologie revient à poser une mauvaise question, car l'anarchie n'a pas besoin d'idéologie, seule l'autorité nécessite une justification, lorsqu'elle tente de légitimer les limites qu'elle impose à la liberté de chacun.

Selon le célèbre linguiste Noam Chomsky, l'anarchisme est même une expression de l'idée que le fardeau de la preuve est toujours sur ceux qui défendent que l'autorité et la domination sont nécessaires.

L'anarchie n'a pas besoin d'idéologie mais cela ne signifie bien entendu pas qu'elle n'a pas besoin d'idées. L'anarchisme est entre autre un courant de pensée étendu et varié. Le rejet de l'idéologie ne revient certainement pas à refuser les discours théoriques ou les tentatives d'analyses globales. La contamination des idées est telle que certains oublient parfois que l'idéologie n'est pas la seule forme possible de discours rationnel sur le monde et sur les manières de l'appréhender. Cette idée erronée est directement reliée à cette, toute faite, selon laquelle l'État est la seule forme possible d'organisation de la société.

Notons que la contamination idéologique et le malentendu au sujet de la nature de l'anarchisme sont tels que même les libertaires sont souvent eux-mêmes victimes sans le savoir du paradigme idéologique lorsqu'ils tentent de définir l'anarchisme.

L'anarchisme, un mouvement historique ?

Une fois rejetée la définition idéologique, on est souvent amené à rencontrer une définition plus concrète de l'anarchisme, comme mouvement historique. Par exemple, dans l'Encyclopédie Universalis on trouve : L'anarchisme est un mouvement d'idées et d'action qui (...) se propose de reconstruire la vie en commun sur la base de la volonté individuelle autonome. C'est un chemin semblable qui est suivi par Rudolf Rocker pour qui l'anarchisme est une tendance définie dans le développement historique de l'humanité, qui (...) s'efforce d'obtenir le libre déploiement de toutes les forces individuelles et sociales de la vie (2).

Mais comment unifier les idées contenues dans les diverses définitions précédentes (projet social, corps d'idées, mouvement historique) qui contiennent toutes des fragment de la nature profonde de l'anarchisme ?

L'anarchisme, vu comme une méthodologie

Une manière de procéder pour unifier ces divers éléments est de définir l'anarchisme non comme une idéologie (c'est-à-dire un système d'interprétation du monde à prétention totale dont découle une doctrine sociale déterminée), mais comme une méthodologie (c'est-à-dire une réflexion générale sur la fin et les moyens aboutissant à une méthode d'action). Procéder ainsi a pour but de souligner et d'extraire ce qui constitue la force, la vitalité et la pertinence actuelle de l'idée anarchiste (4).

Définir l'anarchisme comme une méthodologie n'est pas une simple question de subtilité sémantique, c'est une distinction fondamentale très concrète, qui remonte aux origines de l'anarchisme lors de la scission du mouvement socialiste en deux courants : autoritaire et antiautoritaire.

Fondements historiques

Le socialisme antiautoritaire

Le socialisme libertaire (ou antiautoritaire) trouve sa source dans la célèbre querelle entre Marx et Bakounine au sein de la Ière Internationale, qui aboutit à l'expulsion de Bakounine en 1872.

De ce débat, toujours d'actualité, deux modèles de mouvements sociaux ont émergés.

! Le modèle Marxiste selon lequel : une avant-garde doit guider les masses vers le socialisme futur, le rôle des masses se réduisant à amener cette avant-garde au pouvoir (par le vote ou par la révolution armée selon que ce modèle soit réformiste ou révolutionnaire), le passage au socialisme devant se faire avec une période de transition étatique (succession de réformes de l'"État bourgeois" pour les sociaux-démocrates ; "dictature du prolétariat" pour les marxistes-léninistes)

! Le modèle Bakouninien : toute autorité politique doit être rejetée, l'action directe des masses librement organisées sans hiérarchie étant le moyen de réaliser le socialisme ici et maintenant, sans phase de transition.

Avant tout, l'antagonisme entre socialisme autoritaire et antiautoritaire est donc méthodologique. En effet, ces deux mouvements partagent une critique commune du capitalisme et un même projet social, la société socialiste sans État, ce sont les moyens proposés pour le réaliser qui les opposent. Et c'est le choix de la méthode (ou plus exactement les principes méthodologiques qui déterminent et constituent ce choix) qui fonde le socialisme libertaire, historiquement et ontologiquement (au sens où, défini comme une méthodologie, l'être du socialisme libertaire c'est sa méthode).

Cette déchirure voue toute alliance à l'échec, la profondeur de leurs divergences ne concernant pas uniquement le futur (transition ou passage immédiat vers le socialisme) ou le passé (de cruels souvenirs, hélas très révélateurs), mais surtout le présent (accepter ou rejeter l'État comme moyen comme modèle pour la transformation sociale).

Des idéologies différentes, voire opposées, réussissent couramment à faire alliance dans un combat politique particulier pour le contrôle du pouvoir (exemple évident : les élections), par contre des divergences méthodologiques sont de nature inconciliables (le drame des révolutions russe et espagnole est suffisamment claire là-dessus). Puisque la fin concerne le futur mais les moyens résident dans le présent, ils entrent donc directement en conflit. On peut tricher avec la fin, pas avec les moyens.

L'anarchie, une idée en action

L'exemple du socialisme antiautoritaire montre que, contrairement à une idée répandue, ce n'est pas uniquement le rejet de l'État pour la société future qui caractérise l'anarchisme (l'entièreté du courant socialiste partage en principe cet objectif), mais surtout les pratiques développées dans le présent.

Selon l'historien libertaire Georges Woodcock (1912-1995), l'anarchisme ne se limite pas un projet de société future, il revient plutôt à soutenir pratiquement les idées et modèles libertaires aussi loin que cela peut être fait ici et maintenant (5). Au lieu d'attendre passivement la révolution, qui peut très bien ne jamais venir ou dégénérer en un simple changement de maîtres si la société n'est pas suffisamment préparée, l'anarchisme revient d'après lui à renforcer et encourager toutes les impulsions libertaires et mutualistes, qu'elles soient constructives au sens où elles créent de nouvelles organisations libertaires, ou rebelles au sens où elles résistent aux nouvelles attaques sur la liberté ou cherchent à mettre fin aux vieilles tyrannies et discriminations (5).

L'anarcho-syndicalisme

Définir l'anarchisme comme une méthodologie permet également de comprendre la raison fondamentale des multiples succès historiques de l'anarcho-syndicalisme. Ce dernier trouve son origine dans le constat effectué vers 1894 par la majorité des anarchistes de l'échec de la tactique de la "propagande par le fait". Contrairement aux espoirs immenses que les attentats individuels avaient pu soulever chez certains militants, aucune prise de conscience collective ne s'était produite au sein des masses ouvrières. Pire, la répression qui suivit les attentats, loin de constituer le prélude de la révolution sociale, marqua bien plus la fin d'une époque.

Un grand nombre d'anarchistes rejoignirent alors les organisations syndicales naissantes (les Bourses du Travail) dans lesquelles ils jouèrent un grand rôle en y ravivant les principes méthodologiques du socialisme libertaire, c'est-à-dire l'indépendance vis-à-vis des organisations politiques (autonomie syndicale, anti-parlementarisme...), la pratique de l'action directe (grèves "sauvages", boycotts, occupations, sabotages techniques, grève générale...), l'organisation autonome et fédérée du mouvement social...

L'anarcho-syndicalisme est souvent défini comme un anarchisme qui attribue aux syndicats l'organisation de la société (Larousse). À nouveau, une définition de type "doctrine sociale" manque sa cible et appauvrit, voire détourne, la signification réelle. En effet, les organisations anarcho-syndicalistes ne sont pas des organisations spécifiquement anarchistes, même si bon nombre d'anarchistes y participent (la dénomination syndicalisme révolutionnaire, souvent synonyme d'anarcho-syndicalisme, ne contient d'ailleurs pas de référence explicite à l'anarchisme).

Plutôt qu'une doctrine sociale, le syndicalisme révolutionnaire revient à pratiquer les principes et méthodes libertaires au sein du mouvement social, par le biais du syndicat. Une définition méthodologique comme celle-là rend probablement mieux compte de sa nature et des raisons de son succès.

L'anarcho-syndicalisme correspond donc à l'essence profonde de la propagande par le fait (propager les idées libertaires par l'action), avant qu'elle ne dégénère dans un nihilisme destructeur, source et conséquence de l'isolement révolutionnaire conduisant les plus impatients à de tragiques actes de désespoir.

Principes fondateurs

Adéquation entre la fin et les moyens

Pour conclure cette recherche de la nature de l'anarchisme, il est indispensable d'analyser le principe fondateur de la méthode anarchiste : la nécessaire adéquation entre la fin et les moyens.

Des moyens en contradiction avec la fin amènent inévitablement à un résultat opposé aux objectifs poursuivis. L'idée de vouloir utiliser l'État pour amener la société socialiste sans État contient sa propre contradiction et ne pouvait que mener aux échecs les plus tragiques. Pour s'en convaincre, il suffit d'observer les échecs du socialisme autoritaire, qu'il soit réformiste ou révolutionnaire.

L'adéquation des moyens avec la fin est par contre un principe positif amenant à développer aujourd'hui des pratiques préfigurant la société de demain. En effet, la société à venir n'est pas indépendante des moyens utilisés pour la créer, mais le reflet du combat social qui l'a précédée et des idées qui l'ont sous-tendue. Ce principe méthodologique d'adéquation des moyens avec la fin aboutit donc à trois principes méthodiques : ! rejet de la politique ! action directe ! auto-organisation du mouvement social.

Les deux premiers sont parfois sources de confusion, c'est pourquoi ils sont commentés plus en détail.

Rejet de la politique

Le rejet du parlementarisme et de l'action politique par l'anarchisme est très souvent mal compris, et interprété par ses détracteurs comme la preuve d'un désintérêt pour la chose publique, d'une incapacité à infléchir sur le cours de la société, ou d'un refus de prendre ses responsabilités lorsque des décisions doivent être prises.

Mais d'abord, qu'est-ce que la politique ? Le sens donné à ce mot varie énormément. En se limitant à la définition donnée par le philosophe André Comte-Sponville, on découvre que la politique, c'est la vie commune et conflictuelle, sous la domination de l'État et pour son contrôle : c'est l'art de prendre, de garder, et d'utiliser le pouvoir (6). Entendue dans ce sens-là (sens auquel se réfèrent les anarchistes lorsqu'ils rejettent l'action politique), la politique ne se limite pas à la gestion de la vie commune et conflictuelle (qui est le centre d'intérêt de l'anarchisme), elle est sa monopolisation par le pouvoir.

Cette monopolisation a entre autres pour effet de détourner l'action politique de son but avoué : la gestion de la vie sociale, vers un but inavoué : le contrôle du pouvoir. En effet, tout homme qui fait de la politique aspire au pouvoir - soit parce qu'il le considère comme un moyen au service d'autres fins, idéales ou égoïstes, soit parce qu'il le désire "pour lui-même" en vue de jouir du sentiment de prestige qu'il confère (7).

C'est ainsi que l'anarchisme n'est pas un mouvement politique mais un mouvement social dans la mesure où il ne lutte pas pour prendre le pouvoir mais tente de mettre fin à toute forme de pouvoir. En d'autres termes, il vise la transformation de la société, et non son contrôle (même au nom d'une noble fin). Et c'est pourquoi, le mouvement anarchiste n'a pas besoin d'idéologie. La conquête du pouvoir nécessite une idéologie, pour justifier l'accaparement de la gestion de la société par une minorité imposant à tous un modèle social déterminé censé garantir le bonheur de chacun. L'anarchisme ........... vise par contre à restituer la gestion de la vie commune à la société elle-même, et cette restitution ne nécessite pas de justification, elle lui revient de droit.

Action directe

Mais le rejet de l'action politique et les raisons de ce rejet ne suffisent pas à caractériser la méthodologie anarchiste, car elle détermine une technique d'action et non d'inaction. Chez les anarchistes, l'action directe remplace l'action politique.

L'action directe consiste à intervenir directement dans la société, sans passer par l'intermédiaire des institutions (8). Elle vise à réaliser nos buts à travers notre propre activité plutôt qu'à travers celle des autres, particulièrement celle de "représentants" surtout soucieux de la préservation du statu-quo. Elle se base sur une critique radicale de la démocratie formelle parlementaire dans laquelle le citoyen délègue son pouvoir au lieu de l'exercer.

L'action directe est souvent associée, dans l'opinion publique, à la violence mais cette technique d'action est entièrement indépendante du choix ou du rejet de la violence, elle peut tout aussi bien avoir un caractère violent que non-violent (sur l'action directe non-violente voir l'article du numéro précédent d'AL (9). En revanche, le vrai non-violent peut seulement croire en l'action directe, jamais en l'action politique car la base de toute action politique est la contrainte ; même lorsque l'État fait de bonnes choses, cela repose finalement sur une matraque, un revoler, ou une prison, souligna l'anarchiste américaine Voltairine de Cleyre (1866-1912).

Pour les anarchistes, l'action directe n'est pas seulement une méthode de protestation, c'est aussi une école libertaire, dans laquelle les individus retrouvent leur dignité en se réapropriant le pouvoir d'agir sur leur propre existence et en renouant avec les liens sociaux d'entraide et de solidarité. Conçue ainsi, l'action directe c'est l'anarchie en action, ici et maintenant.

Le principe méthodologique d'adéquation des moyens avec la fin permet donc d'ancrer dans le présent un projet de société qui, sans cela, pourrait paraître fort lointain voire franchement inaccessible, alors qu'au sein de la société actuelle existe déjà, en germes, la société de demain, dans les nombreuses associations d'individus basées sur la coopération volontaire et l'aide mutuelle. En conséquence, ce principe méthodologique va au-delà d'une simple réconciliation entre la fin et les moyens, il vise à opérer une réelle fusion entre eux.

Les moyens sont la fin, la fin est le moyen

Toutes les idéologies ont en commun de séparer les moyens de la fin, ce qui les conduit soit à...

! Subordonner la fin aux moyens. C'est la tare fondamentale du réformisme. Son défaut incurable n'est pas tant de vouloir une transformation progressive de la société, mais de se concentrer sur l'action politique. Les moyens (les luttes du pouvoir) deviennent alors vite une fin en soi, et la nécessité de prendre des décisions en accord avec les "dures contraintes de la réalité" aboutit rapidement à renoncer aux principes initiaux

! Subordonner les moyens à la fin. C'est la tare des révolutions autoritaires. Ses partisans considèrent que, pourvu que la fin soit bonne et qu'on la garde toujours à l'esprit, les moyens importent peu (la fin possède la capacité de transcender les moyens), seul compte le critère de l'efficacité, assimilée à la prise en main du pouvoir.

Pour être plus précis, réformistes comme révolutionnaires adoptent les deux positions à des degrés divers et selon les circonstances, mais quoiqu'il en soit, ces deux attitudes séparent les moyens de la fin et subordonnent l'un par rapport à l'autre.

L'anarchisme, en tant que méthodologie, considère au contraire que les moyens et la fin sont indissolublement liés. Séparer artificiellement la fin des moyens revient à nier la relation organique qui les unit. Chaque moyen est étroitement lié à un but. Les moyens contiennent et engendrent inévitablement la fin qui leur est propre.

Par exemple, il est de la nature même de l'État de maintenir la division de la société en classes antagonistes dont l'une exerce sa domination sur l'autre. L'État utilisé comme un moyen (par ex., pour aboutir à la société sans classes et sans État) ne peut aboutir qu'à la fin qui lui est propre, c'est à dire l'État, qui est sa propre fin.

Mais l'idée anarchiste va plus loin que la nécessaire adéquation entre les moyens et la fin déjà évoquée précédemment, elle consiste réellement à fusionner les moyens et la fin. D'une part, l'objectif poursuivi par l'anarchisme est précisément de mettre en pratique l'anarchie ici et maintenant, en développant les formes d'organisations libertaires au sein de la société, et en luttant contre la domination exercée par les forces du désordre établi. D'autre part, le projet social libertaire n'est pas une abstraction toute faite, c'est dans les luttes et les alternatives vécues concrètement que l'anarchie prend forme et s'élabore progressivement, au contact de la réalité.

La fin indique les moyens, et en retour, les moyens construisent la fin.

Conclusion

La question de départ L'anarchie : une fin ou un moyen ? semble posséder une réponse : l'anarchie est simultanément la fin et le moyen de l'anarchisme. Alors que le propre des idéologies de tous bords est de séparer la fin des moyens, l'anarchisme tente de les fusionner en une anarchie qui ne serait pas une utopie pour demain mais une idée en action ici et maintenant.

Xavier (Bruxelles)

1) Je précise immédiatement que je ne prétends nullement être détenteur d'aucune vérité révélée. Cette autre approche n'est nullement novatrice, tout au plus tente-t-elle de souligner et de correspondre à l'originalité propre à l'anarchisme depuis ses origines, hélas trop souvent dissimulée derrière un paravent idéologique par ses détracteurs et par ses partisans... Je ne suis pas non plus un expert en histoire de l'anarchisme et j'espère avoir limité au maximum les inexactitudes en présentant le socialisme libertaire et le syndicalisme révolutionnaire.

2) Rudolf Rocker, Anarcho-Syndicalism : Theory and Practice, Secker and Warburg, 1938.

3) Agustin Garcia Calvo, Qu'est-ce que l'État ?, Atelier de Création Libertaire, 1992.

4) Dave Neal, Anarchism : Ideology or Methodology ?, The Spunk Press Archive, 1997.

5) Georges Woodcock, Tradition and Revolution, Kick it Over nE19-20, été et hiver 1987.

6) André Comte-Sponville, Pensées sur la politique, Albin Michel, 1998.

7) Max Weber, Le savant et le philosophe, Librairie Plon, 1959.

8) Jean-Marie Muller, Lexique de la non-violence, Alternatives non-violentes nE68, 1988.

9) Claudio, Voor Moeder Aarde, Alternative Libertaire nE216, 1999.

CE QUE VEULENT LES ANARCHISTES

Les anarchistes sont partisans d'une société organisée d'une manière beaucoup plus rationnelle et logique que la jungle capitaliste ou les dictatures marxistes-léninistes. Nous voulons construire une société libre sans classes ni Etats, sans patries ni frontières dont les buts sont les suivants :

- L'émancipation des individus, leur libération en tant qu'êtres autonomes,libres de leurs choix, lucides, critiques et responsables ;

- L'égalité sociale, économique et politique de tous les individus (quelque soit l'age, le sexe, la couleur,...) dont les conséquence sont la fin des classes sociales, des divisions entre les "normaux" et les "déviants" ;

- La liberté de création, seule garantie réelle contre l'uniformisation, telle qu'on peut l'observer dans la Chine maoïste ou dans nos sociétés de consommation de masse infantilisante ;

- La justice, qui découle de l'égalité, ces trois principes étant incompatibles avec l'existance d'institutions répressives tant judiciaires que policières ou militaires ;

- L'éducation libertaire et permanente, permettant cet épanouissement le plus complet possible de l'individu et non son adaptation soumise au système productiviste d'aujourd'hui ; la condition en est l'égalité, dès la naissance, des moyens de développement, c'est à dire d'éducation et d'instruction, dans tous les domaines de la science, de l'industrie et des arts ;

- L'organisation sociale sur les bases de la libre fédération des producteurs et des consommateurs (autogestion) ; la démocratie directe, non pas électorale et parlementaire mais communale et fédéraliste : pas de mandat en blanc, la coordination des affaires sociales par des délégués élus pour des mandats précis et révocables à tout moment ;

- Une économie tournée vers la satisfaction des besoins et non vers le profit, c'est la consommation qui doit orienter la production et non l'inverse ;

- La possession collective ou individuelle des moyens de production et de distribution en excluant toute possibilité pour certains de vivre en exploitant le travail des autres ;

- L'abolition du salariat, de toutes les institutions étatiques ou autres qui permettent et maintiennent l'exploitation de l'homme par l'homme ; le salariat est le processus par lequelles détenteurs des moyens de production et de consommation indemnisent ceux qui n'ont que leur force de travail à louer, l'abolir c'est casser ce rapport exploiteurs/exploités ;

- Le partage égalitaire des tâches d'intérêt général, l'absence des divisions entre manuels et intellectuels ou entre éboueurs et " jeunes cadres dynamiques" ;

- L'écologie non seulement pour préserver notre environnement mais pour promouvoir un développement de l'humanité basé sur la qualité de la vie ;

- La libre union des individus ou des populations selon leurs convenances ou leurs affinités ;

- La liberté d'expresion, c'est à dire le droit absolu pour tout individu d'exprimer ses opinions, par oral, par écrit ou à travers tout autre média ; la liberté des uns s'arrêtant là où commence celle des autres ;

- La libre circulation des individus, l'abolition des frontières, avec l'instauration d'une nouvelle citoyenneté : le fait de s'installer, de vivre dans une commune donnant droit à l'entière participation aux prises de décisions concernant l'ensemble de la vie politique, sociale, économique et culturelle.

source : Le Monde Libertaire, No 993 30 mars au 5 avril 1995

scannerisé par : William GOUY (alcapone@micronet.fr)

RIEN POUR NOUS... TOUT POUR TOUS ET TOUTES

La tradition communiste dans l'anarchisme

Dans les buts et principes de la NEFAC, il est dit que la fédération est une " organisation de révolutionnaires venant de différents mouvements de résistance et s'identifiant à la tradition communiste dans l'anarchisme [1] ". Plusieurs froncent les sourcils en entendant cela et se demandent ce que nous pouvons bien vouloir dire par là. Anarcho-communistes, communistes libertaires, anarchistes-communistes... Autant de contradictions dans les termes? Y aurait-il eu une alliance secrète entre Marx et Bakounine, Lénine et Makhno, Mao et Pa kin? Serions-nous des bolcheviks déguiséEs dont la mission est de subvertir l'anarchisme et recruter des petitEs soldats pour " Le Parti " (peu importe lequel)? Bien sûr que non! Voyons de plus près.

Qu'est-ce que le mot communisme signifie réellement? Le communisme, c'est la doctrine qui dit que l'on devrait mettre les moyens de production et de distribution ainsi que la richesse produite socialement en commun. C'est le rêve de l'abolition des classes et du salariat, remplacé par une communauté mondiale, sans classe. À notre avis, un communisme réel ne peut que viser à détruire l'État parce que l'État, c'est l'organisation politique servant à la domination d'une classe sur toutes les autres. Tant qu'il y a État, il ne peut pas y avoir communisme parce qu'il y aura nécessairement des classes (en tout cas, au moins une : les bureaucrates).

Bien que tout le monde ne soit d'accord là-dessus, il pourrait très bien y avoir communisme et centralisation (comme il pourrait y avoir autogestion et centralisation). Le communisme peut s'apprêter à plusieurs sauces politiques et organisationnelles. Nous, nous sommes pour un mode d'organisation fédéraliste, basé sur la démocratie directe. Ceci dit, un mode anarchiste n'implique pas nécessairement un mode communiste (et vice-versa). Il y a des anarchistes individualistes, des anarchistes collectivistes, des anarchistes mutualistes, etc. Tout comme il y a des communistes autoritaires, des communistes de conseil, des communistes primitivistes, etc. Nous, nous sommes des anarchistes communistes. C'est pourquoi nous disons " anarcho-communistes " ou " communistes libertaires ". L'un définissant l'autre.

Les racines de l'anarchisme

L'anarchisme est né et s'est développé dans l'Association Internationale des Travailleurs (AIT ou 1ère internationale, 1864-1872). À l'origine, l'Internationale avait été conçue comme un pacte entre les prolos anglaiEs et françaisES afin d'éviter que ces dernierEs ne soient utiliséEs pour briser les grèves des premierEs qui commençaient à s'organiser en syndicats. L'Organisation a fait des petits et elle a rapidement regroupé en son sein plus de 2 millions de prolétaires, agissant à la fois comme centre de solidarité - en organisant des collectes dans différents pays pour aider les grévistes des autres, par exemple - et comme laboratoire révolutionnaire où se côtoyaient plusieurs tendances socialistes. Même s'il y avait eu auparavant des théoricienNEs et des mouvements sociaux qui avaient déblayé le terrain - Proudhon par exemple -, l'anarchisme comme doctrine et mouvement s'est cristallisé en son sein autour de militantEs comme Bakounine, Cafiero ou James Guillaume et de mouvements comme les horlogerEs du Jura suisse, les artisanEs italienNEs et fançaisES et les ouvrierEs espagnolEs.

Les premierEs anarchistes étaient généralement collectivistes et s'opposaient au 'communisme' défendu par Marx et d'autres. C'est à dire que les ouvrierEs d'une place donnée allait s'emparer de leur outil de travail et le gérer en commun. Ils ou elles en seraient les propriétaires collectifs par le biais de leurs associations (un peu comme une coopérative). Le partage des richesses allait se faire essentiellement par une rémunération basée sur la somme de travail fournie par chaque salarié. Le problème, c'est que de cette façon, on risquait d'arriver à une sorte de capitalisme collectif. De plus, on ne garantissait pas la solidarité et ceux et celles qui n'étaient pas salariéEs, n'avaient pas leur mot à dire et devenaient dépendantEs des ouvrierEs. Le sort des femmes, des enfants et des vieux, dans ce modèle était guère plus enviable que dans l'ancien système.

La critique du modèle collectiviste s'est développée dans les années 1870. " Le type d'anarchisme qui apparaît dans un collectivisme plus élaboré est le communisme. C'est l'idée qu'il n'est pas suffisant que les moyens de productions soient la propriété de tous et de toutes, mais que les produits du travail doivent aussi être mis en commun selon la formule : " De chacun selon ses moyens à chacun selon ses besoins ". L'argument communiste est le suivant : tout humain a droit à la pleine valeur de son travail, mais il est impossible de calculer la valeur du travail d'un seul humain, car le travail de chacunE est englobé dans le travail de touTEs, et des travaux différents ont des valeurs différentes. Il vaut donc mieux que l'économie entière soit aux mains de la société dans son ensemble, et que le système des salaires et des prix soit aboli. [2] "

Par rapport au collectivisme, qui ne s'intéressait qu'aux producteurs et ne donnait des droits et voix au chapitre qu'en tant que tel, le communisme avait l'avantage de libérer les femmes qui le voulaient de leur mari en abolissant l'idée de salaire familial et donc ouvrait la porte à l reconnaissance de tout le travail dit féminin qui autrement était caché. Autrement dit, alors que le collectivisme ne valorise que la production sociale de la richesse, le communisme reconnaît à la fois production et reproduction social et postule que tous et toutes, sans exception, ont également droit à la richesse produite socialement qu'ils et elles aient participé directement ou pas a sa production.

C'est en 1880, au congrès de la Fédération Jurassienne (la fédération des ouvrierEs du Jura Suisse, principal foyer libertaire dans le monde, avec l'Espagne et l'Itale), que pour la première fois un congrès anarchiste se prononça en faveur du communisme comme mode d'organisation économique. Voici comment le révolutionnaire italien Carlo Cafiero défendait la thèse communiste lors de ce congrès : " On ne peut pas être anarchiste sans être communiste. En effet, la moindre idée de limitation contient déjà elle-même des germes d'autoritarisme. elle ne pourrait pas se manifester sans engendrer immédiatement la loi, le juge, le gendarme. Nous devons être communistes, car c'est dans le communisme que nous réaliserons la vraie égalité. Nous devons être communistes, parce que le peuple, qui ne comprend pas les sophismes collectivistes, comprend parfaitement le communisme comme les amis Reclus et Kropotkine l'ont déjà remarquer. Nous devons être communistes, parce que nous sommes anarchistes, parce que l'anarchie et le communisme sont les deux termes de la Révolution. [3] "

" Les personnalités marquantes du mouvement anarchiste de la fin du XIXe et du début du XXe siècle - comme les kropotkine, Malatesta, Reclus, Grave, Faure, Goldman, Berkman, Rocker, etc. - étaient communistes. Partant du collectivisme, et en réaction contre Marx, ils et elles postulèrent une forme d'anarchisme révolutionnaire plus élaborée - un anarchisme contenant une critique des plus minutieuses de la société actuelle et des propositions pour la société future, C'est l'anarchisme de ceux et celles qui acceptent la lutte de classe mais qui ont une vision du monde plus large. (...) Depuis les années 1870, le principe du communisme est admis par la plupart des organisations anarchistes révolutionnaires. [4] "

Vu comme ça, on pourrait sembler vivre strictement dans le passé. Et pourtant, nous tirons aussi certaines de nos aspirations de ce qu'est devenu depuis le courant anarcho-communiste. Parmi nos influences plus récentes, citons en vrac : la revue Noir et Rouge dans les années cinquantes, qui avait tenté une réactualisation de l'anarchisme, l'organisation révolutionnaire anarchiste dans les années 1970 qui tentait, dans le contexte post-soixante-huit d'avoir une pratique plateformiste organisée, l'explosion anarcho-punk (surtout pour le DIY) et différentes organisations actuelles comme Alternative Libertaire et l'OCL en France, l'AF en Angleterre ou le WSM en Irlande. Dans les influences non-strictement anarchistes mais toujours libertaires à notre sens, citons en vrac : les surréalistes, les situationnistes (surtout Vaneigem), Socialisme ou Barbarie et Castoriadis, les mouvements autonomistes allemands et italiens, le mouvement d'écologie sociale, les divers courants féministes et les différents courants communistes de conseil et ultra-gauche.

Camille

[1] Introduction à la NEFAC, Québec-Montréal, 19 mai 2001, p. 5. Les buts et principes sont disponibles sur le web.

[2] Pour l'anarchisme, Nicolas Walter, Editions et Diffusion de l'Aide Mutuelle (ÉDAM, Montréal), 1995, p. 32 ("les divers courants de l'anarchisme")

[3] idem, p. 352

[4] Walter, op. cit., p. 33

Source: Ruptures no 1, journal francophone de la NEFAC

L'ANARCHO-SYNDICALISME, C'EST QUOI ?

LA C.N.T, QU'EST-CE QUE C'EST ?

vendredi 17 août 2001

La Confédération Nationale du Travail est une organisation anarcho-syndicaliste : nous sommes la section française de l'A.I.T., c'est-à-dire que nous sommes les seuls membres français de l'Association Internationale des Travailleurs, laquelle regroupe des sections dans toute l'Europe, mais aussi en Amérique Latine et en Amérique du Nord, ainsi qu'au Japon ou en Afrique. Il est fondamental de comprendre que l'anarcho-syndicalisme n'est pas une idéologie parmi d'autres, n'est pas un ensemble d'idées toutes faites que l'on cherche à plaquer sur la réalité, mais bien au contraire que la théorie et la pratique anarcho-syndicalistes sont le fruit de l'expérience des luttes de plusieurs générations de femmes et d'hommes dont le but a été et est toujours- la transformation radicale de la société et des conditions de vie. Au centre même de l'anarcho-syndicalisme, il y a donc le souci constant d'éviter tout écart entre ce qui est dit et ce qui est fait, entre ce qui est vécu et ce qui est pensé. Ni compilation de recettes révolutionnaires, ni idéologie momifiée, l'anarcho-syndicalisme est avant tout vivant et expérimental dans le sens où c'est le vécu de ses militants, leurs expériences de lutte et de vie qui engendrent la théorie et non l'inverse. Hier comme aujourd'hui, chacun, chaque anarcho-syndicaliste, chaque militante, chaque militant apporte sa contribution à l'élaboration d'une théorie et d'une pratique, sa quote-part à la construction du mouvement. Les cénétistes espagnols (c'est-à-dire les militants de la C.N.T. espagnole qui firent la révolution de 1936) avaient coutume de dire de leur organisation : "Elle m'a construit", c'est vrai, mais il faut bien sûr ajouter que chacun construit et nourrit le mouvement de son énergie. C'est donc un mouvement qui part du vécu des personnes et qui a pour objectif de transformer les conditions de vie qui nous sont faites, qui nous sont imposées. le cri de ralliement des fascistes espagnols pendant la guerre civile était "Viva la muerte" (vive la mort). Pour nous cénétistes, c'est, cela a été et sera toujours "Vive la vie !".

LA VIE, OUI ! MAIS QUELLE VIE ?

Comment changer les conditions de vie qui nous sont imposées ? comment construire des rapports sociaux fondées sur autre chose que sur la domination et son corollaire, la soumission ? comment reprendre sa vie en mains ? Toute au long de l'Histoire (révoltes d'esclaves dans le monde romain, soulèvements paysans et millénaristes au Moyen Age par exemple), les hommes et les femmes assujettis au travail et à la misère ont avec constance toujours essayé de refuser le sort qui leur était fait et ont tenté de prendre leur destin en mains. Mais ce n'est qu'à la fin du XIXème siècle que le mouvement révolutionnaire, le mouvement ouvrier, va parvenir à s'organiser et va commencer à espérer pouvoir changer les conditions de vie, à espérer pouvoir changer les rapports sociaux : la Première Internationale des Travailleurs, la première A.I.T. naît à Londres en 1864. Notons qu'au nombre de participants, il y avait Bakounine et Marx. Dès le départ, le mouvement va être déchiré entre deux tendances : les socialistes autoritaires regroupés autour de Karl Marx, et les anti-autoritaires - ou fédéralistes- autour de Michel Bakounine. Pour les antiautoritaires, ce sont le pouvoir, la domination, l'autorité qui sont le fondement même de cette société, et rien ne changera vraiment si le mouvement qui prétend révolutionner le monde s'organise lui-même de façon hiérarchique, centralisatrice, autoritaire. On sait maintenant à quelle monstruosités le socialisme autoritaire a conduit et conduit encore. Les "libertaires" d'alors avaient très bien perçu les dangers et les dérives sanglantes possibles de cette doctrine. Après le Congrès de la Haye de Septembre 1872, la rupture entre les deux courants (autoritaire et antiautoritaire) est définitive. Après ce bref rappel de l'origine historique de notre mouvement, il faut surtout parier de ses grands axes et ses grands principes.

QUELQUES GRANDS PRINCIPES

Nous sommes des partisans de la démocratie directe : toujours soucieux d'immédiateté, en tant qu'anarcho-syndicalistes, nous avons adopté la maxime "ici et maintenant". Si l'on veut que les choses changent, il faut que le pouvoir appartiennent à la base et à la base uniquement. Les assemblées générales sont donc souveraines, elles décident des orientations et des actions car nous n'avons ni dirigeant, ni permanent. Les délégués reçoivent des mandats précis et sont révocables à tout moment. Les organes exécutifs n'ont aucun pouvoir décisionnel : ils sont simplement là pour appliquer les décisions prises par les assemblées générales. On sait à quelles aberrations ont mené des organisations extrêmement hiérarchisées, centralisées. La domination, la coercition, quel que soit le drapeau derrière lequel elles se cadrent, ne peuvent aboutir qu'à la soumission, pas à l'émancipation. Nous sommes persuadés que, si l'on veut qu'il y ait des lendemains qui chantent, il faut d'abord que le présent appartienne le plus possible à chacun et à tous, pour qu'il y ait un autre futur. Seule la démocratie directe offre des garanties de contrôle de la lutte pour tous. C'est cette volonté de réappropriation de la lutte qui nous fait opter pour l'action syndicale directe, pour l'action sans intermédiaire. Nous n'avons aucune confiance dans les spécialistes de la médiation". Pour être plus précis, pour nous la conduite d'une grève appartient aux grévistes et à eux seuls. Les assemblées générales doivent être souveraines, le comité de grève ne doit avoir aucun pouvoir décisionnel, les contacts avec le patronat doivent être directs, sans passer ni par le comité d'entreprise, ni par les élus politiques. Ce n'est qu'en se réappropriant toutes ses capacités, toutes ses potentialités (souvent mises à mal par l'organisation sociale actuelle) que chacun et que tous accéderont à l'autonomie. Pour nous c'est clair "l'émancipation des travailleurs sera l'oeuvre des travailleurs eux-mêmes."

LA SOLIDARITÉ

Le système social actuel fondé sur la domination et la soumission, sur la prise en charge et la déresponsabilisation empêche en fait, chacun, chacune d'entre nous d'accéder à un contrôle réel sur sa vie : ce n'est que dans les moments forts des mouvements sociaux, en cas de grève générale, que les gens redressent la tête et s'aperçoivent qu'ils sont tout à fait capables d'organiser la seule chose qui leur appartiennent et qui sans cesse leur échappe : à savoir l'organisation de leurs vies. Ils découvrent alors dans ces moments privilégiés, que "l'individualisme frileux" dans lequel le système voudrait les enfermer n'est que peu de choses par rapport à la richesse et à la joie de partage qu'apporte la solidarité. Pour nous anarcho-syndicalistes, la solidarité c'est la clef de voûte du mouvement, c'est le sel de la vie. Sans elle rien ne se fait, rien n'est possible. Pour nous entre compagnons de la C.N.T., elle est vécue au jour le jour sans jamais être prise en défaut. Pour nous la solidarité plus qu'un devoir, c'est un plaisir. Démocratie directe, autogestion collective directe des luttes, solidarité entre tous et par delà les frontières, voilà les grands principes de l'anarcho-syndicalisme.

NOTRE BUT

Le système capitaliste ne peut être aménagé, il faut rompre avec ce mode de fonctionnement social. Mais les moyens employés pour parvenir à ce changement doivent être en totale adéquation avec les buts poursuivis : la méthode marxiste-léniniste a échoué en faisant couler beaucoup de sang, au point que l'idée même de révolution est devenue extrêmement suspecte à beaucoup et très intimement liée à l'idée de terreur. Pour nous anarcho-syndicalistes, pour nous libertaires, aucun changement ne se fera sans adhésion massive, sans le concours volontaire et conscient de la majorité de la population. A tous les impatients graves, à toutes les élites avant-gardistes, à tous les bombophiles et dynamitomanes, à tous les détraqués de la gâchette , nous disons que nous n'avons rien avoir avec vous, la société que vous établiriez avec de tels moyens risque fort d'être cauchemardesque. Pour nous c'est clair, les promesses ou les actions d'éclats de quelques uns ne remplaceront jamais l'élan de tous.

Un militant de Quercy Rouergue

Source: http://cnt-ait.info/

Dossier Québec

Alternative libertaire

ENJEUX URBAINS

En avril 2001, la ville de Québec accueillait le Sommet des Amériques qui avait pour ambition de faire du continent américain une vaste zone de libre-échange et de non-droit social. Deux fait ont marqué ce sommet : La construction d'un " mur de la honte" ceinturant le centre-ville qui accueillait le sommet et une manifestation de près de 100 000 personnes dirigée contre ce sommet et cette zone protégée classée rouge. Cette formidable mobilisation rendue possible grâce à un travail d'information de terrain a été menée par les réseaux militants radicaux. Grâce à nos ami(e)s de la Fédération des anarchistes-communistes du Nord-Est (NEFAC), ces pages permettent d'en savoir plus sur eux, un an après.

Québec capitale de province en transition

A 400 ans, Québec est face des plus vieille villes de continent nord-américain, "le berceau du fait français en Amérique" comme on dit dans les dépliants touristiques. Malgré son titre de "capitale", le ville, même avec ses 500 000 habitantEs, est en fait une capitale de province (dans les deux sens du terme) dont l'économie repose essentiellement sur les secteurs des services et de l'administration (la moitié de la population active y travaille). Sortant à peine d'une fusion forcée de 13 municipalités, le pouvoir y est en transition avec un gouvernement "social-démocrate" minoritaire, devant affronter une opposition composée d'anciens maires de banlieues revanchards et souvent réactionnaires. Le, mouvements sociaux sont, quant à eux, extrêmement fragmentés, globalement sclérosés, et bien intégrés au capital et à l'État. Dans ce contexte, les révolutionnaires qui tentent de faire vivre une "autre politique" sont peu nombreux et se divisent grosso modo en deux camps : marxistes révolutionnaires et libertaires.

Un pouvoir en transition

L'an passé s'est joué le dernier acte d'une réforme qui a secoué le monde municipal pendant plusieurs années : les fusions municipales. Il s'agissait, pour le gouvernement provincial, de forcer une pléthore de municipalités de banlieues à fusionner avec les villes centres. L'enjeu de cette réforme pour le gouvernement était surtout de centraliser les administrations et de permettre, en fusionnant plusieurs services distincts, de rendre rentables d'éventuelles privatisations - c'était une recommandation explicite de la Banque mondiale - et de "faire des économies". Pour faire taire d'éventuelles oppositions de gauche émanant des mouvements sociaux, le gouvernement a quasiment fait de cette réforme une question de lutte de classe. En effet, en Amérique du Nord, la richesse se concentre surtout en banlieue. Or, la majorité des services sociaux se situent durs les villes-centres (comme les problèmes, d'ailleurs), ce qui fait que, plus souvent qu'autrement, les banlieue, ne "paient pas leur juste part". C'est à peine si slogan du gouvernement provincial ne fut pas "faisons payer les riches". On a donc présenté la réforme comme une question de démocratie et de justice sociaIe et les mouvements sociaux sont globalement tombés dans le panneau. Le problème, c'est que ce n'est pas exactement comme ça que ça s'est passé. A Québec, les banlieusards ont maintenant la balance du pouvoir. C'était d'ailleurs facile à prévoir, l'ancienne ville de Québec comptaient 170 000 habitantEs, tandis qu'il y a 330 000 banlieusards... Les élections n'ont fait que prouver la profonde division existant entre Québec et ses banlieues, les banlieusards élisant leurs anciens maires et les habitantEs de Québec élisant leurs candidatEs de l'ancienne administration de Québec. L'ancien maire "social-démocrate " de Québec, Jean-Paul L'Allier, n 'est passé que parce que le parti des banlieues lui a opposé un épouvantail d'extrême droite dont pas grand monde ne voulait. La nouvelle carte politique de la ville ressemble donc à s'y méprendre à une cible, avec le centre-ville au cœur. D'autre part, si la réforme était censée amener une "démocratisation", ce n'est pas ce que l'on peut constater dans les quartiers centraux où le pouvoir s'éloigne encore plus des citoyenNEs.

Un mouvement social Intégré

Le Renouveau municipal, le parti au pouvoir à Québec, a été directement fondé il y a plus de 20 ans par le mouvement social local (jusqu'à l'an passé, il s'appelait le Rassemblement populaire). Parti usé par plus de 10 ans de pouvoir, il tient néanmoins le mouvement social en otage, puisqu'il est la seule "alternative de gauche réaliste". Il a récupéré, en les vidant de leur contenu, toutes les causes des mouvements sociaux : il est pour le transport en commun, pour le logement social, pour la démocratie municipale, pour l'écologie urbaine, etc. Le Renouveau municipal s'est attaché la majorité des permanentES et des militantEs des groupes qui devraient normalement le contester, neutralisant les autres en les envoyant se perdre dans nombre de commissions consultatives et autres consultations bidons. Deux exemples d'intégration parmi tant d'autres :le coordonnateur de la Fédération des coopératives d'habitations était organisateur pour le numéro 2 de ce parti et des groupes "écologistes" ont gracieusement prêté un de leurs locaux pour servir de permanence électorale. Dans ce contexte, les groupes qui résistent passeur pour de doux utopistes ou de dangereux radicaux.

Les enjeux de la période

Cette intégration du mouvement social est inquiétante puisque c'est la place même des classes populaires qui est actuellement entrain de se jouer à Québec. A moins de souhaiter disparaître, on ne peut pas rester sans rien faire ! La vision de la ville portée par l'administration municipale, axée sur la " revitalisation " des quartiers populaires, le développement du tourisme et des nouvelles technologies, ne fait pas de place aux besoins des classes populaires, qui sont pourtant criants. Ainsi, il n'y a pour ainsi dite pas de politique de soutien aux loisirs communautaires et à la culture populaire dans les quartiers, on mise plutôt sur les grands festivals et les "événements internationaux" ainsi que sur les infrastructures "régionales".

L'orientation en faveur du développement touristique et le développement de la précarité sont intimement liés. Un tiers des emplois dans la ville sont en effet dans le secteur de la vente et du service et c'est le secteur en plus forte croissance. D'autre part, l'apparition de nouveaux hôtels tend à favoriser la "touristification" de certains quartiers dans lesquels les boutiques de souvenir remplacent les cordonniers, les chaînes de fast-food, les petits cafés et les restos sympa, et les épiceries fines, les supermarches.

La "revitalisation" des quartiers centraux se fait sur fond de crise du logement. Alors que la ville tente de ramener des petits-bourgeois dans le centre-ville, les logements sont de plus en plus rares et chers. L'effet net, c'est qu'en dehors des logements sociaux, les classes populaires risquent d'être chassées de leurs quartiers. Sur ce front, comme sur bien d'autres il y a des luttes à mener pour tes libertaires.

ANARCHISME ET MARXISME

La gauche révolutionnaire

Même s'il y a formellement six organisations d'extrême gauche présentent à Québec -dont trois groupuscules marxiste-léninistes qui, tous ensemble, ont moins de militants que la NEFAC -, dans les faits, seuls deux courants comptent vraiment : les " marxistes révolutionnaires " et les libertaires.

Les "marxistes révolutionnaires", ce sont les membres et les sympathisantEs de Gauche socialiste (GS), la section québécoise de la IVe Internationale (la même IVe que la LCR). GS est une drôle de créature, trotskyste sans jamais s'en réclamer, l'organisation a refusé pendant des années d'apparaître de façon autonome préférant investir le Parti de la démocratie socialiste (PDS), minuscule parti indépendantiste dans lequel elle faisait de l'entrisme. GS et le PDS était tellement liés dans la tête des gens, que beaucoup de militantEs ignoraient jusqu'à l'existence de l'organisation trotskyste. Le problème c'est que le PDS, malgré toutes les bonnes volontés, n'a jamais voulu décoller et que le parti s'est toujours limité à Québec aux trotskystes et à une poignée d'autres militantEs. Ce n'est qu'après le Sommet des Amériques que les marxistes révolutionnaires se sont décidés à intervenir de façon autonome, sous leur propre bannière. De l'aveu de certains membres, la vague de radicalisation amenée par le mouvement antiglobalisation serait "en train de leur passer sous le nez ", et " risque de .ne profiter qu'aux anarchistes qui sont en avance ". GS est surtout impliquée - et influente - dans le mouvement étudiant et dans le mouvement antiglobalisation (via OQP-2001).

Du côté des anarchistes aussi, la scène est mouvante. Avant le Sommet des Amériques, le groupe anarchiste Émile Henry et le collectif Le Maquis, les deux principaux groupes anars de Québec, se sont effacés pour faire place au Comité d'accueil du Sommet des Amériques (CASA) qu'elles avaient fondé. Ni la CASA, ni Le Maquis, ni Émile Henry n'ont finalement survécu à l'événement. La dernière apparition publique d'Émile Henry a eu lieu en réaction à la mort de Carlo Giuliani à Gênes, avec une manifestation de protestation et un tract. Officiellement, le groupe n'a pas été dissout, mais, après le sommet, ses membres ont décidé de tenter de faire vivre une union locale de Québec de la NEFAC pour permettre le travail conjoint avec les sympathisantEs de la NEFAC qui n'étaient pas dans Émile Henry. Petit à petit, toute l'activité des membres de la NEFAC à Québec a été canalisée dans l'union locale qui a repris une à une les activités d'Émile Henry.

La NEFAC à Québec

La NEFAC est présente à Québec depuis sa fondation en août 2000. Si elle est actuellement le seul pôle an anarchiste organisé localement, notre fédération est loin de regrouper touTEs les militantEs anarchistes de Québec (il y a au minimum trois fois plus de militantEs libertaires autonomes que de membres et sympathisantEs de la NEFAC). La fédération peut actuellement compter sur des militantEs à Québec et sur un réseau d'amiEs encore plus important. Nous tentons tant bien que mal de faire vivre un pôle libertaire sur la capitale en participant et en appuyant diverses luttes sociales et en organisant des événements et des conférences autonomes. Nous avons ainsi fait venir à Québec des camarades de l'Ontario Coalition Against Poverty, un groupe d'action directe de Toronto, et un militant des Jeunesses libertaires boliviennes.

Pour appuyer ce travail classique, l'organisation s'est dotée de moyen de propagande. Il y a d'abord Ruptures, la revue francophone de la NEFAC éditée conjointement avec les camarades de Montréal, que nous avons voulu axer sur l'analyse et la réflexion. La revue, dont le deuxième numéro devrait être disponible quand vous lirez ces lignes, semble être bien accueillie (nous avons distribué au moins 1 000 exemplaires du premier numéro, dont plus de 300 à Québec même). Nous produisons aussi une feuille d'agitation, La Nuit, qui en est à son quatrième numéro. La Nuit, que nous diffusons surtout dans les manifs mais aussi dans les bars et les cafés, nous sert à faire connaître notre point de vue sur un enjeu précis. Par ailleurs, cette apparition spécifique ne constitue que la pointe de l'iceberg du travail militant des membres et sympathisantEs de la NEFAC. La plupart des membres sont également impliqués dans nombre de projets autonomes, citons le Comité populaire Saint-Jean-Baptiste, une émission de radio hebdomadaire.

Malgré sa jeunesse, l'audience de la NEFAC à Québec est quand même importante, nous attirons ainsi régulièrement 50 personnes pour nos événements locaux et pouvons aller jusqu'à 150 à l'occasion. A brève échéance, le groupe devrait muter une fois de plus, pour redevenir un collectif, et s'impliquer dans les luttes pour le droit au logement et contre la rencontre du G8, en Alberta.

CONTRE-POUVOIR

Les anars et le Comité populaire

Une expérience d'implantation

En 1997 s'opérait la rencontre entre un petit groupe d'anarchistes et l'Université populaire (l'UPOP pour les intimes). Pour moi, tout a commencé le plus simplement du monde quand des gens de l'UPOP, dans le quartier Saint-Jean-Baptiste à Québec, sont venus me demander de faire une Conférence sur l'anarchisme comme alternative dans le cadre d'une session critique sur le néolibéralisme.

À l'époque, je militais dans Démanarchie, un journal d'agitation libertaire populiste (à la Class war) et je n'avais aucune idée de ce qu'était l'Upop, alors j'ai dit oui et j'ai commencé à assister aux conférences hebdomadaires avec quelques camarades. Nous avons trouvé là un gang de radicaux libres très ouvertEs aux idées révolutionnaires qui s'enthousiasmaient sur la réflexion théorique et l'action locale. II y avait pas mal de monde aux conférences, entre 30 et 70 personnes, des gens de tous les âges et de tous les horizons. Ça ne cadrait pas du tout avec l'idée qu'on se faisait du groupe qui payait pour tout ça, le Comité populaire, un groupe communautaire qui, pour nous, en sa qualité de membre du FRAPRU, une fédération de comités logement, ne pouvait qu'être mou, collabo, réformiste et vendu. Et plus nous découvrions le groupe, moins ça cadrait.

Le Comité populaire

Dans les années 1960 et 1970,1e visage de la ville de Québec a changé dramatiquement. C'était l'époque de la rénovation urbaine, en fait, de la démolition, qui devait faire place à une ville moderne. Le passage de l'État québécois de simple administration provinciale à l'"État providence " - avec force nationalisations et création de nouveaux ministères comme la Santé et l'Éducation - a amené de nouveaux besoins en matière de gratte-ciel. I1 fallait bien loger cette nouvelle bureaucratie et lui faire des autoroute, pour que le soir venu elle puisse retourner dormir en banlieue! Ce sont évidemment les quartiers populaires qui ont écopés. C'est dans cet esprit qu'on a rasé tous le quartier chinois pour faire une autoroute et qu'on a démoli 50% des logements dans le quartier Saint-Jean-Baptiste pour faire de la place pour les tours à bureaux de la colline parlementaire. II est impossible de détruire les logements de plus de 7 000 personnes sans rencontrer de résistance, et, de la résistance, il y en a eu. En quelques années, un mouvement composé d'une quinzaine d'organisations, capable de mobiliser des centaines et des centaines de personnes, est littéralement sorti des ruines du centre-ville pour empêcher que ce qui en restait ne soit démoli. La singularité de Québec, c'est que certaines de ces organisations populaires existent toujours aujourd'hui. Héritier de quatre décennies de luttes urbaines, Le Comité populaire Saint-Jean-Baptiste (fondé en 1976) est l'une de ces organisations, l'un des deux seul survivants des dizaines de comités de citoyenNEs qui ont fleuri au Québec dans les années 1960 et 1970 (l'autre est situé dans le quartier Saint-Sauveur, à Québec).

Au milieu des années 1990, 1e Comité populaire était loin de ses heures de gloires des années 1970, il était englué dans le train-train de la majorité des groupes communautaires avec un membership vieillissant. Il y avait la fête de quartier l'été, les deux manifs pour le logement social par année, l'assemblée générale annuelle, la party de Noël, les réunions du conseil de quartier, etc., et ça recommençait. N'empêche, il restait encore une poignée de militantEs qui, personne ne sait trop pourquoi, n'étaient pas devenu trop cyniques avec l'âge et l'expérience. Ils étaient prêt, à accueillir n'importe quel radicalE, pour autant qu'il ou elle s'intéresse aux luttes urbaines et ne soit pas unE marxiste-léniniste venu les embrigader (ils avaient déjà donné dans le temps!). Ça a commencé avec l'Université populaire, que des jeunes ont repris en main avec l'aide de trois vieux de la vieille. Le défi, fut de réussir à organiser une conférence par semaine et ainsi animer un pôle de réflexion radicale au centre-ville. Tous les sujets possibles et imaginables y sont passé - syndicalisme, action directe, autogestion, luttes cubaines, contre-culture punk, théâtre engagé, name it, on l'a fait - dans nos meilleures années, on a rejoint jusqu'à 500 personnes différentes (aujourd'hui c'est un peu moins populaire). Ce qui nous a aidé c'est que les conférences sont arrivées au bon moment, avec un creux de vague dans le mouvement étudiant, de plus en plus de jeunes s'y sont intéressés.

C'est L'Université populaire qui a régénéré le Comité populaire. Une nouvelle génération de militantEs a investi l'organisation. Les "jeunes" ont bouleversé les structures, d'abord en créant une assemblée de militantEs hebdomadaires avec un pouvoir d'initiative, puis en investissant le conseil d'administration, finalement en multipliant le nombre d'assemblées générales. En chemin, des luttes de sont rencontrées. Oh, rien de bien radical. Mais quand même, il y a eu des victoires (comme l'ouverture d'une joujouthèque autogérée ou la transformation du presbytère en logement social pour SDF)... et des défaites (1a construction d'un hôtel à la frontière du quartier ou la construction d'un tunnel piétonnier entre un parking et un gratte-ciel). Nous avons amélioré la présentation du journal du Comité populaire, qui est passé tabloïd, et augmenté le tirage à 7 000. Quand le Sommet des Amériques est arrivé, le Comité populaire était prêt. Nous avons réussi à mobiliser le quartier comme cela ne s'était jamais vu depuis les années 1970 et nous sommes passés au travers, la tête haute et les pieds dans la rue. Le Sommet, malgré les gaz, nous a fait du bien. Notre membership a augmenté de 50 % (on est rendu à 150 membres) notre ancrage dans le quartier est plus profond que jamais. Aujourd'hui, le défi est de transférer les pratiques novatrices du mouvement antiglobalisation dans d'autres champs de luttes (le logement, par exemple). D'ailleurs, les projets futurs incluent une occupation prolongée de bâtiment, en mai, une campagne sur la gratuité des transports en commun et l'implantation d'un système d'échanges locaux (SEL) dans le quartier.

En 1997, une poignée d'anarchistes est entrée dans le Comité populaire, depuis beaucoup d'autres les ont suivi. Les anarchistes ont beaucoup changé depuis, toujours aussi radicaux, ils et elles ont maintenant les pieds sur terre et ont découvert le rythme quotidien de la lutte de classe dans un quartier populaire. Le groupe s'est beaucoup radicalisé depuis 1997, si bien qu'il est aujourd'hui parfois difficile de distinguer entre certainEs libertaires devenus membres du Comité populaire et certainEs membres du Comité populaire devenus libertaire,...

L'auteur est permanent du comité populaire Saint-Jean-Baptiste et membre de la NEFAC

Extrait du numéro d'avril 2002 du mensuel Alternative Libertaire (http://www.alternativelibertaire.org)

SQUATTER, QUELLE DROLE D'IDEE ?

Quelques mots sur nos intentions et pratiques

Pulvériser le marché de l'immobilier : la propriété privée permet l'accumulation de richesses aux mains de peu, alors que beaucoup doivent payer pour satisfaire leur besoin élémentaire de se loger. Face à la spéculation immobilière, aux loyers, à l'impuissance des individuEs isoléEs face aux pouvoirs publics et aux services sociaux, afin de pouvoir vivre dans de bonnes conditions et développer des projets de vie collective, nous prenons des bâtiments laissés à l'abandon, et mettons en pratique l'idée de propriété d'usage. Reprendre sa vie en main : le travail salarié nous aliène en nous volant tout notre temps. En abolissant le loyer, en permettant de partager les ressources et les frais, le squat peut réduire énormément la dépendance au salariat et permettre de se réapproprier son temps de vie.

Combattre un système inégalitaire : le système capitaliste et patriarcal ne fonctionne que par l'exploitation, le profit et les rapports de domination. Complémentaires des autres luttes d'émancipation sociale, les squats tentent dans la mesure du possible d'expérimenter au quotidien d'autres modes de fonctionnement non-marchands basés sur la solidarité, l'échange de savoir et d'outils, la libre détermination des individuEs et une utilisation réfléchie des ressources.

Créer, proposer et s'ouvrir aux gens : les squats concilient souvent lieu d'habitation et espace d'activité (gestion collective du quotidien, constructions, information, création et diffusion culturelle, débats, ateliers, jeux, mise à disposition d'outils, actions politiques). Ils ne se veulent pas des petites bulles fermées face au monde, mais essaient d'être des structures ouvertes à celles et ceux qui souhaitent lutter, rêver, s'exprimer, créer. Nous ne représentons pas une quelconque avant-garde " conscientisée ", mais une expérience en recherche de dialogue et curieuse de vos expériences.

Changer le monde : pour nous squatter n'est pas une fin en soi, cela ne peut être qu'une alternative limitée si elle reste inscrite dans une société qui ne change pas. C'est pourquoi nous voulons contribuer à une révolution sociale mettant fin aux Etats, au capitalisme et au patriarcat.

Réfléchir et évoluer : personnel et politique sont pour nous intimement liés. Pour espérer changer le monde, il faut y travailler dans tous les domaines, se changer soi-même et tenter de vivre autrement. Les squateureuses s'efforcent d'analyser et de combattre les attitudes violentes, autoritaires, sexistes, racistes, âgistes ou homo/lesbophobes qui peuvent se retrouver à l'extérieur de leurs lieux comme en leur sein.

S'ouvrir aux gens : les squats ne se veulent pas des petites bulles fermées face au monde, mais s'efforcent d'être des structures ouvertes à celles et ceux qui souhaitent lutter, rêver, s'exprimer, créer. Nous ne repésentons pas une quelconque avant-garde "conscientisée" mais une expérience en recherche de dialogue et curieuse de vos expériences.

Résister à l'ordre des choses : les squatteureuses doivent faire face à la répression incessante des propriétaires, des pouvoirs locaux, de l'état, des flics et de la justice. Les expulsions ne représentent néanmoins pas pour nous une fatalité et nous ferons acte de résistance à chaque fois que l'Etat enverra sa police pour nous déloger. Des barricades aux actions directes de soutien à l'extérieur de nos maisons, nous avons déjà prouvé que quand nous nous montrions solidaires et organiséEs, il nous était possible d'enrayer la machine répressive. En espérant votre soutien actif!

Mars 2002

Intersquat Dijon


1 Piqué sur http://www.iquebec.ifrance.com/nouvelordre/