Les sans statut algérien(ne)s au Canada

Comité d'Action des Sans Statut1

Si il y a un aspect de la lutte des classes qui se trouve marginalisé par la plupart des tendances de gauche (tout particulièrement la gauche caviar électorale et/ou nationaliste), c'est sans aucun doute la lutte des réfugié-es politiques et économiques. Au cours des dernières décennies, des milliers de travailleurs-euses ont quitté leurs pays d'origine pour fuir la persécution, les guerres civiles, la répression étatique mais également le chômage, la misère et des conditions de travail en pleine détérioration. Contrairement à la propagande canadienne et québécoise de " terre d'accueil généreuse ", la grande majorité des immigrant-es et des réfugié-es en sol canadien n'ont pas une vie facile et pleine de nouvelles " opportunités ". Le quotidien des réfugié-es et desimmigrant-es est une lutte constante contre l'exploitation, le racisme, la discrimination, la marginalisation et la répression étatique. Dans la dernière année, l'une de ces luttes s'est intensifiée : celle des sans-statut algérien-nes.

Le 5 avril 2002, Denis Coderre, Ministre de l'immigration, annonce la levée du moratoire sur les renvois en Algérie. Le moratoire, instauré en 1997, empêchait le renvoi des Algérien-nes non-accepté-es officiellement comme réfugié-es, reconnaissant ainsi que la situation en Algérie est trop dangereuse pour que ces gens y soient renvoyé-es. Ces " sans-statut " avaient donc droit, sous le moratoire, de rester en sol canadien mais sans avoir le statut officiel de résident-es. La levée du moratoire n'est pas une coïncidence. Le même jour, Jean Chrétien partait pour une mission d'affaire en Algérie. Le but de la levée du moratoire sur les déportations semble assez clair; flatter dans le bon sens du poil l'élite politique et économique algérienne en essayant de redorer l'image de l'Algérie, le plus gros partenaire économique du Canada en Afrique et au Moyen-Orient. Cependant, la situation en Algérie est loin d'être "brillante". Au cours des dernières années, l'Algérie a subi les conséquences d'une guerre civile qui a fait plus de 150 000 morts, 1200 disparu-es et un million de déplacé-es. Dans ce pays, la torture, les exécutions sommaires, le non-respect de la liberté d'expression, les prisonniers-ères d'opinion et l'état de siège sont monnaies courantes.

L'ironie des politiques d'immigration du gouvernement canadien est flagrante : au moment même où il lève le moratoire sur les déportations des Algérien-nes, le Ministère des Affaires extérieures recommande aux citoyen-nes canadien-nes d'éviter l'Algérie et de reporter leur voyage dans ce pays à cause de la violence toujours présente. Deux poids, deux mesures : si tu es un sans-statut algérien, l'Algérie est maintenant sécuritaire pour que tu y retournes, mais si tu es citoyen canadien, l'Algérie est trop dangereuse pour que tu y mettes les pieds!

Face à cette attaque de l'État et cette flagrante injustice, la communauté des sans-statut algérien-nes s'est organisée sous le Comité d'action des sans-statut (CASS) qui s'était formé quelques mois auparavant. La lutte du CASS est centrée sur trois demandes principales : " 1) L'arrêt immédiat de toutes les déportations; 2) Le retour du moratoire sur les déportations vers l'Algérie; 3) La régularisation des sans-statut algérien-nes vivant au Canada ".  La premier objectif atteint par le CASS a été de mobiliser la communauté des sans-statut algérien-nes de Montréal, la plus grande communauté de sans-statut au Canada. Par le biais d'assemblées générales, les décisions sont prises démocratiquement par tous les sans-statut présent-es. Les moyens d'actions du CASS passent par la sensibilisation à leur cause, l'organisation de conférences dans différents milieux, le travail de presse et de relation avec les médias ainsi que la tenue de manifestations et d'actions directes. De plus, au sein du CASS s'est créé le Comité des femmes sans-statut, qui organise aussi ses propres actions et manifestations.

La lutte des sans-statut s'est intensifiée à l'automne 2002, après l'annonce de la déportation de la famille Bourouisa prévue le 20 octobre. Le CASS a organisé tout au long de l'automne diverses manifestations devant le Complexe Guy Favreau (bureau du gouvernement canadien à Montréal) en plus de mettre sur pied une campagne pour recueillir les appuis de plusieurs groupes, organismes et syndicats. De son côté, le Comité-femmes a organisé deux actions directes où des femmes et des enfants sans-statut sont allé-es parler dans le " casque " des bureaucrates du bureau d'Immigration Canada à Montréal et au bureau de Coderre, le Ministre de l'Immigration. Ces actions avaient pour but de confronter directement ceux et celles qui prennent les décisions concernant les politiques d'immigration et les décisions de déporter des gens vers une situation où leurs vies sont mises en danger. De plus, le Comité-femmes a aussi organisé une grande marche menée par les femmes sans-statut le 12 octobre. Le jour même de l'ordre de déportation, "Personne n'est illégal", un groupe d'activistes de tendance libertaire qui lutte pour les droits des réfugié-es et des immigrant-es, a organisé une action à l'aéroport Dorval pour conscientiser les voyageurs et les employé-es face à la situation des sans-statut en leur donnant de l'information sur les différents moyens d'action qui peuvent être pris pour possiblement empêcher une déportation.

Dans un acte de courage et de résistance face à la répression étatique, la famille Bourouisa a rejeté la décision d'Immigration Canada en se réfugiant dans une église plutôt que de se présenter à l'aéroport. Suite à cette action, la condition de la famille Bourouisa et des sans-statut algérien-nes s'est trouvée au centre de la couverture médiatique. Plusieurs groupes et individus ont exprimé leur désaccord avec l'ordre de déportation de la famille Bourouisa et les politiques du gouvernement canadien face aux sans-statut. Devant cette situation, le gouvernement canadien a annoncé une procédure spéciale conjointement avec le gouvernement québécois pour réévaluer les dossiers des sans-statut algérien-nes en plus d'émettre une suspension temporaire des déportations (qui a expiré le 30 Janvier 2003). Cependant, étant donné la mauvaise foi du gouvernement fédéral, cette situation est loin d'avoir réglé les problèmes auxquels font face les sans-statut algérien-nes.

D'après le CASS, le gouvernement ignore l'aspect essentiel de la situation des sans-statut algérien-nes. Selon eux, "cette procédure spéciale reste insatisfaisante car, d'une part, elle ne reconnaît pas que le problème des sans-statut algérien-nes est en un de protection et, d'autre part, elle exclut plusieurs catégories de personnes qui restent condamnées à la déportation vers un pays déchiré par la guerre civile, où leur sécurité est menacée". En effet, la procédure spéciale est justifiée par un contexte "d'intégratio " où les appliquant-es sont accepté-es sur un système de points basé sur la scolarité, l'expérience de travail, l'implication au Québec, etc. Il est clair que sous cette procédure bureaucratique établie sur des principes classistes, racistes et patriarcaux, de nombreux sans-statut sont exclus rapidement. Selon le CASS, "Remy Trudel, Ministre des relations avec les citoyens et de l'immigration du Québec, a lui-même annoncé que seulement 300 des 1066 Algérien-nes sans-statut seraient accepté-es comme immigrant-es avec la procédure conjointe. Ce qui veut dire que plus de 700 sans-statut

algérien-nes seront potentiellement expulsé-es vers l'Algérie après le 30 janvier 2003".

Les principaux critères qui mènent à l'exclusion de la majorité des sans-statut sont liés à une question de classe (c'est à dire relié au travail, question économique) et à la criminalisation de l'État. La question du travail et de la formation n'est pas seulement un aspect important au niveau des critères de sélection, mais aussi un aspect primordial de la condition de vie des sans-statut. En plus de faire face à la discrimination raciale des patrons et des entreprises, plusieurs sans-statut font aussi face à la non-reconnaissance de leurs compétences acquises dans leurs pays d'origine. Comme vous le savez peut-être, les gouvernements canadien et québécois ne reconnaissent pas les diplômes et les formations de plusieurs pays, notamment de l'Algérie. Face à cette discrimination étatique, les travailleurs-euses spécialisé-es venant de ces pays doivent donc recommencer leur formation (ce qui est long et dispendieux) ou se trouver des emplois en dehors de leur domaine de travail. Un tel " choix " les force à rejoindre les rangs de la main d'ouvre bon marché. Cette situation est similaire pour la grande majorité des réfugié-es et des immigrant-es. Toutefois, les sans-statut font face à plusieurs autres problèmes spécifiques. Premièrement, les sans-statut n'ont pas le droit à la carte d'assurance maladie, aux allocations familiales, ni de faire des études. Deuxièmement, tous et toutes les sans-statut ont un numéro d'assurance sociale distinct du reste de la population (commençant par le chiffre 9). Ce numéro spécial informe les employeurs que la personne est sans-statut, ce qui ferme la porte à plusieurs emplois stables de longue durée tout en ouvrant la porte à la discrimination et aux emplois précaires. Troisièmement, les sans-statut doivent avoir un permis de travail renouvelable annuellement avec des frais de 150$ pour pouvoir travailler en sol canadien. Plusieurs sans-statut se sont vu refuser ce permis de travail. Tous ces aspects font en sorte qu'il est non seulement dur d'acquérir l'expérience de travail pour le système " de parcours d'intégration ", mais qu'on condamne la majorité des travailleurs-euses sans-statut à l'exploitation patronale, à la précarité, au cheap labour, à l'illégalité et la misère.

Comme si ce n'était pas suffisant, les sans-statut doivent débourser 550$ par adulte et 150$ par enfant comme frais administratifs pour déposer une demande de résidence permanente pour motifs humanitaires. On peut comprendre qu'il est particulièrement difficile, pour ne pas dire impossible, pour plusieurs sans-statut de débourser une telle somme.

L'autre aspect important de la discrimination systématique que le gouvernement utilise face aux sans-statut est le principe de "tolérance zéro" face à la criminalisation. En effet, les sans-statut qui ont un casier judiciaire (et même dans plusieurs cas juste un mandat d'arrestation) seront catégoriquement éliminé-es de la procédure. Cette pratique équivaut ni plus ni moins à une double-peine, définie selon le CASS comme " une politique discriminatoire imposant une seconde peine pour des personnes qui ont déjà été sanctionnées pour le délit dont elles sont accusées ". Il est clair que cette situation est une flagrante injustice et une discrimination systémique appuyée par la répression étatique contre les immigrant-es et les réfugié-es. Face aux conditions de misère et d'exploitation, plusieurs immigrant-es et réfugié-es, comme l'ensemble de la classe ouvrière, sont criminalisé-es pour des délits mineurs. Et dans bien des cas, face au racisme flagrant des différents corps policiers, plusieurs immigrant-es et réfugié-es sont tout simplement criminalisé-es parce qu'ils ou elles sont des personnes de couleur victimes du harcèlement continuel de la police. Les conséquences de cette double-peine sont inhumaines : une déportation dans un pays où ces sans-statut risquent la mort. Comme précise le CASS, "peut-on parler de justice quand on déporte quelqu'un qui a volé un manteau d'hiver ?".

Et les anarchistes dans tout ça?

Comme anarchistes, il est clair que nous devons appuyer nos camarades sans-statut et nous mobiliser pour empêcher que l'État ne déporte et criminalise les immigrant-es et les réfugié-es. L'État intensifie ses attaques contre les communautés immigrantes et renforce les frontières en se servant d'événements comme le 11 septembre pour légitimer ses actions tout en créant un climat de peur au sein de la population. D'un côté, l'État nous dit qu'il faut avoir peur des terroristes et souhaite bombarder le peuple irakien pour le " libérer " de Saddam Hussein. De l'autre, ce même État est prêt à déporter un millier de personnes vers un pays ravagé par une guerre civile où la torture, les disparitions et les exécutions sommaires sont fréquentes. Pour les patrons et l'élite politique canadienne, il y a de " bons " régimes tyranniques avec qui on peut faire des affaires en or, et il y a de " mauvais " régimes tyranniques que l'on doit bombarder (population civile incluse) avant d'aller y rétablir la "démocratie" ou plutôt un bon partenariat économique. Nos vrais ennemis, ce sont les patrons et l'État. Ce sont eux qui nous exploitent chaque jour avant de nous envoyer au front pour défendre leurs intérêts économiques.

Il est important de promouvoir une perspective libertaire sur la question des frontières et de la migration des peuples, plus précisément de critiquer et d'attaquer les conceptions libérales et les discours étatiques et patronaux qui font une distinction entre les soi-disant "bon " et "mauvais" immigrant-es tout en prétendant défendre " nos " intérêts. Derrière leurs discours sur la citoyenneté et l'intérêt national, ils essaient de nous faire croire que les travailleurs-euses d'ici ont des intérêts en commun avec l'élite nationale, et que nous devons protéger "nos" intérêts en renforçant les frontières et en déportant les travailleurs-euses immigrant-es et réfugié-es. Piètre mensonge! Une attaque contre les immigrant-es et les réfugié-es est une attaque contre l'ensemble de la classe ouvrière. Pour nous, anarcho-communistes, peu importe le genre, la langue, la couleur de peau, l'orientation sexuelle, la culture, la formation : tous les travailleurs-euses ont le droit de se déplacer, de s'établir, de faire leur vie, de travailler, de s'organiser et de faire la révolution où bon leur semble. Si les frontières sont si bien gardées, c'est pour protéger les intérêts des patrons et pour contrôler les déplacements des travailleurs-euses des quatre coins du monde. Travailleurs-euses qui, partout, cherchent à vivre dans un monde libre reposant sur l'aide mutuelle, l'autogestion et l'égalité. Un monde sans patron, ni gouvernement, frontière, police ou prison.

À BAS L'ÉTAT ET SES POLITIQUES D'IMMIGRATION RACISTES!

NON AUX DÉPORTATIONS!

À BAS LES FRONTIÈRES!

Ben'écour


1 Pour plus d'information sur le Comité d'action des sans-statut : www.tao.ca/~sans-statut. Pour contacter le CASS : cassdz@hotmail.com.

Diffusé par A G E N C E  D E  P R E S S E  A - I N F O S http://www.ainfos.ca/. http://ainfos.ca/index24.html