Chroniques intergalactiques

E Z L N

Première Rencontre Intercontinentale

pour l'Humanité et contre le Néolibéralisme

Chiapas, Mexique

1996

La montagne est aussi une bourse pour garder nos frères.

Parfois la montagne semble être une mer

Parfois la nuit semble être un matin

Une mer. Un océan Un matin. Une aurore

Mer et matin n'ont pas de sexe.

Qu'est-ce que le néolibéralisme ?

Comment nous affecte-t-il et quels dommages produit-il dans notre existence ?

Que pouvons nous faire pour le supprimer ?

Dans le seconde quinzaine de juillet 1996, un peu plus de trois mille personnes de tous sexes, de toutes races, de toutes langues, et de presque toutes les couleurs politiques existant en ce monde se sont rendues au Chiapas dans le but de répondre à ces questions.

Les participants venus d'Europe ou des États-Unis ont retrouvé à San Cristobal de Las Casas plusieurs groupes latinoaméricains – parmi lesquels quelque 800 Mexicains – et diverses petites délégations qui représentaient – bien sûr sans titre officiel – les cultures d'Asie, d'Afrique et d'Océanie.

Pour la première fois dans l'histoire des pauvres de la Terre, une armée paysanne, minuscule, absurde, formée d'indigènes analphabètes, est parvenue à réunir les esprits les plus généreux et féconds du moment dans le but de chercher ensemble, sur des cartes qui n'existent pas les routes maritimes qui n'existent pas non plus et qui, néanmoins, conduisent à ce petit territoire imaginaire qui s'appelle “le futur de l'humanité”, et dont les rives sont peureusement gardées par la stupidité. Cette stupidité qui asphyxie aujourd'hui la planète y a placé un écriteau, repris par tous les discours officiels : “Nous réservons le droit d'admission”.

Du 27 juillet au 3 août, dans les cinq navires pirates baptisés Aguascalientes que les Indigènes rebelles avaient construits dans les montagnes du Sud-Est mexicain pour résister à l'offensive permanente de la faim et de la terreur, on a livré bataille avec l'arme puissante de la parole : convoquée par l'Armée Zapatiste de Libération Nationale, s'est tenue la Première Rencontre intercontinentale pour l'humanité et contre le néolibéralisme, qualifiée par certains, à l'ère d'Internet, de rencontre intergalactique.

Ceci est le livre de bord de cette première traversée. Il occupera sans aucun doute une place spéciale dans la jeune mais abondante bibliothèque zapatiste

Jaime Avilés

Bonsoir à tous.

Nous arrivons un peu en retard

et nous vous en demandons pardon,

mais nous avons rencontré

de gigantesques multinationales

qui voulaient nous empêcher d'arriver.

Le major Moïses nous dit

que c'était des moulins à vent ;

le commandant Tacho dit

que c'était des hélicoptères.

Je vous dis de ne pas les croire :

c'était des géants.¨

Bienvenue à la Rencontre

Les amphitryons

Aguascalientes II

Oventic

San Andrés Sacamch'en de los Pobres

Chiapas, Mexique

27 juillet 1996

Un monde

où nous avons tous place

Paroles de bienvenue

du Commandement Général de l'EZLN

par la voix du commandant David

Respectables frères et sœurs venus de différents peuples et de dif-férents pays du monde, frères de différentes langues et de diffé-rentes cultures de notre planète, sœurs et frères mexicains des divers États, sœurs et frères indigènes des diverses ethnies de tout le Mexique et du monde entier, nous vous souhaitons à tous le bonsoir.

Au nom du Comité Clandestin Révolutionnaire Indigène – Commandement Général de l'Armée Zapatiste de Libération Nationale, au nom des camarades responsables locaux et régio-naux, nous vous souhaitons une cordiale bienvenue à la grande Rencontre intercontinentale pour l'humanité et contre le néoli-béralisme.

Soyez tous bienvenus à ce modeste lieu, Oventic, Aguascalientes II, petit coin de la patrie mexicaine et cœur digne de l'Armée Zapatiste de Libération Nationale. Lieu de rencontre de toutes les pensées et des cœurs des hommes, femmes, enfants, jeunes et vieillards dignes et honnêtes des différents peuples et pays du monde.

Bienvenue à ce lieu de rencontre des différentes langues et cul-tures, qui a été construit par les efforts de milliers de compañeros et de compañeras, bases d'appui, responsables locaux ou régio-naux, de nos compañeros et de nos compañeras combattants hommes et femmes de l'Armée Zapatiste de Libération Nationale, comme symbole de l'unité, de la résistance et de la di-gnité des peuples indigènes zapatistes.

Nous vous remercions d'avoir écouté notre appel à venir aux divers Aguascalientes, symboles de résistance, de lutte des hommes et femmes véritables de cette terre du Chiapas et du Mexique.

Nous vous demandons respectueusement à tous d'exprimer li-brement vos pensées, vos idées, vos inquiétudes tout au long de la Rencontre, afin que nous partagions nos expériences, nos sou-haits, notre espérance en un monde plus humain et plus frater-nel, en un monde où règnent la justice, la liberté et la paix véri-table.

Parce que le monde d'aujourd'hui est un monde où nous sommes obligés de tuer ou de mourir, le système social où nous vivons dans bien des parties du monde est un système injuste, un système de mort et non de vie, un système d'oppression et d'exploitation. Nous, les peuples indiens, nous avons derrière nous plus de cinq cents ans d'humiliation, de soumission, de vol de nos richesses, d'esclavage et de mort. Ceux qui ont toujours mal gouverné nos peuples ont voulu nous effacer de l'Histoire, ont nié notre existence ; ceux qui se croient les seigneurs et les maîtres de tout, les puissants, nous ont condamnés à vivre et à mourir marginalisés et dans l'oubli ; ils ont essayé de détruire notre foi et notre culture, ils ont voulu détruire notre vie et nos racines indigènes.

Seules la pauvreté, la faim et la misère règnent sur nos peuples ; nos pas ne rencontrent que la douleur et la mort ; nous, les indi-gènes, nous sommes sans histoire et sans futur, sans nom et sans visage.

Et c'est encore plus grave aujourd'hui, avec le projet de néolibé-ralisme, qui est un projet de destruction et de mort pour les pauvres du monde, car ce projet se propose d'achever la destruc-tion de nos peuples et le pillage de leurs richesses.

C'est toute cette longue histoire d'injustices, d'humiliations et de destructions que nous supportons depuis des siècles, qui nous a obligés à nous lever en armes le 1er janvier 1994, pour, qu'avec le cri de nos fusils, se fasse entendre notre cri de ¡ Ya basta ! Et vraiment ya basta, c'en est assez de vivre et de mourir dans la misère et l'humiliation, c'en est assez d'être soumis et de voir détruire nos vies et nos cultures.

Pour conquérir la place à laquelle nous avons droit, pour dé-fendre nos droits et nos vies, nous avons dû prendre les armes, afin de construire une nouvelle nation et un monde meilleur, un monde où nous aurons tous place, prenant en compte nos différentes langues et nos différentes cultures ; voila pourquoi nous avons dû prendre les armes.

Frères, luttons pour construire ce monde dont nous avons tous besoin, luttons pour qu'un jour règne la justice, la démocratie, la liberté et la paix nouvelle et véritable, luttons pour vaincre l'in-justice et la mort, luttons pour construire la vie et détruire la mort.

Ici, nous avons tous place

Paroles de bienvenue

du Commandement Général de l'EZLN

par la voix de la commandante Hortensia

Frères et sœurs du monde entier, avec beaucoup de respect, je me permets de vous adresser quelques mots.

Au nom de nos camarades, bases d'appui, hommes, femmes, en-fants, jeunes et vieillards de tous les peuples zapatistes, ainsi que des autorités municipales nommées par le peuple, nous vous souhaitons la bienvenue. Nous, les peuples indigènes, nous vous recevons à bras ouverts. Oventic, Aguascalientes II est l'une des maisons de toutes les personnes honnêtes de toute la terre, de tous les hommes et toutes les femmes qui luttent pour la jus-tice, le droit et la dignité. Ici, nous avons tous place.

Nous voulons vous dire que nous, les femmes indigènes zapa-tistes, nous participons à tous les niveaux de la lutte, nous es-sayons de nous lever au-dessus de nos douleurs et de notre mort, car nous, les femmes, nous sommes celles qui ont le plus souffert des grandes injustices de l'humiliation, parce que nous, les femmes, nous sommes celles qui ont eu le moins de possibilité de vivre dignement, nous n'avons jamais eu un seul droit, ja-mais un seul service.

C'est pourquoi, nous, femmes indigènes zapatistes, avons pris la décision de lutter pour conquérir la place à laquelle nous avons droit en tant que femmes et en tant que personnes. Nous vou-lons lutter aux côtés des hommes pour obtenir la justice, la dé-mocratie et la liberté. Parce que le gouvernement mexicain, comme tous les puissants de la terre, oublie la grande majorité du peuple, mais surtout les femmes.

Nous avons vu la nécessité de lutter ensemble, hommes et femmes, pour changer la situation d'injustice et d'oppression, pour que nous ayons droit à être prises en compte et à participer à tous les niveaux du développement, pour que nous ayons droit à la vie et à tous les services dont nous avons besoin pour vivre dignement.

Nous sommes conscientes que, en tant que femmes, nous ne sommes pas encore parvenues à participer autant qu'il le fau-drait. Il faut que les hommes nous aident et nous permettent de participer aux divers travaux, il faut que nous fassions plus d'ef-forts pour participer à la juste lutte du peuple et nous devons nous préparer à tous les niveaux pour que notre participation soit effective.

Nous lançons un appel à tous les hommes, toutes les femmes, les jeunes du monde entier pour lutter pour la Démocratie, la Liberté et la Justice pour tous. Construisons un monde plus juste et plus humain.

Vive la justice et la liberté !

Vive la démocratie dans la justice et la dignité !

Vive la Rencontre intercontinentale !

Derrière nous-mêmes, nous sommes vous autres

Paroles de bienvenue

du Commandement Général de l'EZLN

par la voix de la major Ana-Maria

Frères et sœurs d'Asie, d'Afrique, d'Océanie, d'Europe et d'Amé-rique, bienvenue dans les montagnes du Sud-est mexicain.

Nous voulons nous présenter. Nous sommes l'Armée Zapatiste de Libération Nationale. Pendant des années, nous avons vécu dans ces montagnes, nous préparant à la guerre. Dans ces mon-tagnes, nous avons construit une armée.

En bas, dans les villes et les exploitations agricoles, nous n'exis-tions pas. Nos vies valaient moins que les machines ou le bétail. Nous étions comme les pierres, comme les plantes du bord des chemins. Nous n'avions pas la parole. Nous n'avions pas de vi-sage. Nous n'avions pas de nom. Nous n'avions pas de futur. Nous n'existions pas.

Pour le pouvoir, qui, dans le monde entier, s'habille du nom de “néolibéralisme”, nous ne comptions pas, nous ne produisions pas, nous ne consommions pas, nous ne vendions pas. Nous étions un chiffre inutile pour les comptes du grand capital.

Alors, nous sommes allés dans la montagne pour nous chercher et pour voir si nous trouvions un remède à notre douleur d'être pierres et plantes oubliées.

Ici, dans les montagnes du Sud-est mexicain, vivent nos morts. Ils savent beaucoup de choses, nos morts qui vivent dans les montagnes. Leur mort nous a parlé, et nous avons écouté. Des petites boîtes qui parlent nous ont raconté une autre histoire, qui vient d'hier et va vers demain. La montagne nous a parlé à nous, les macehualob, les gens communs et ordinaires. Les gens simples, comme disent les puissants.

Tous les jours, et toutes les nuits que les jours traînent derrière eux, le puissant veut nous danser le x-tol et répéter sa brutale conquête. Le ka-dzul, l'homme faux, gouverne cette terre et pos-sède de grandes machines de guerre qui, comme le boob, qui est moitié puma et moitié cheval, apportent la douleur et la mort parmi nous. Fourbe, le gouvernement nous envoie les aluxob, les menteurs qui trompent nos populations et leur offre l'oubli.

C'est pour cela que nous nous sommes faits soldats. C'est pour cela que nous continuerons d'être soldats. Parce que nous ne voulons plus de la mort et de la tromperie pour les nôtres, parce que nous ne voulons plus l'oubli.

La montagne nous a dit de prendre les armes pour avoir une voix, de nous couvrir la face pour avoir des visages, d'oublier nos noms pour être nommés, de garder notre passé pour avoir un avenir.

Dans la montagne vivent les morts, nos morts.

Avec eux vivent le votán et le ik'al, la lumière et l'obscurité, l'humide et le sec, la terre et le vent, la pluie et le feu. La mon-tagne est la maison du halach uinic, l'homme vrai, le grand chef. Là nous avons appris, là nous nous sommes souvenus de qui nous étions, des hommes et des femmes vrais.

Et, avec la voix armant nos mains, avec le visage né à nouveau, avec notre nom nommé à nouveau, le passé a réuni le centre aux quatre extrémités de Chan Santa Cruz dans le balam ná, et l'étoile est née qui définit l'homme et qui rappelle que les parties qui constituent le monde sont au nombre de cinq.

Quand les chaacob à cheval répartissaient les pluies, nous sommes descendus à nouveau pour parler avec les nôtres et pré-parer la tourmente qui allait signaler le temps des semences. Nous avons fait naître la guerre avec l'année et nous avons commencé à suivre ce chemin, qui nous a conduits à vos cœurs mêmes, et aujourd'hui je vous apporte même nos cœurs.

Nous sommes cela:

L'Armée Zapatiste de Libération Nationale.

La voix qui s'arme pour se faire entendre,

Le visage qui se cache pour se montrer,

Le nom que l'on tait pour le nommer,

L'étoile rouge qui appelle l'homme et le monde pour qu'ils écoutent, pour qu'ils voient, pour qu'ils nomment,

L'avenir qui se récolte dans le passé.

Derrière nos visages noirs, derrière nos voix armées, derrière nos noms innommables, derrière nous, que vous voyez, nous sommes vous. Derrière nous sommes des hommes et des femmes simples et ordinaires, de ceux qui se retrouvent dans toutes les races, qui ont toutes les couleurs, qui parlent toutes les langues et qui vivent en tous les lieux. Les mêmes hommes et femmes oubliés, les mêmes exclus, les mêmes intolérables, les mêmes persécutés.

Nous sommes vous-mêmes. Derrière nous-mêmes, nous sommes vous autres.

Derrière nos passe-montagne se trouve le visage de toutes les femmes exclues. De toutes les Indiennes oubliées. De tous les homosexuels persécutés. De tous les jeunes méprisés. De tous les immigrants battus. De tous les emprisonnés pour leurs paroles et leurs pensées. De tous les travailleurs humiliés. De tous les morts d'oubli. De tous les hommes et toutes les femmes simples et ordinaires, qui ne parlent pas, qui ne sont pas vus, qui ne sont pas nommés, qui n'ont pas d'avenir.

Frères et sœurs, nous vous avons invités à cette Rencontre pour venir vous chercher, pour venir vous trouver, pour venir nous rencontrer. Vous tous êtes arrivés jusqu'à notre cœur et vous voyez bien que nous ne sommes pas extraordinaires. Nous sommes des hommes et des femmes simples et ordinaires. Vous voyez bien que nous sommes le miroir rebelle qui veut être de verre et se rompre. Vous voyez bien que nous sommes ce que nous sommes pour cesser d'être ce que nous sommes, pour être les vous autres que nous sommes. Nous sommes les zapatistes. Nous vous invitons à nous écouter et à nous parler. Pour voir tout les tous que nous sommes.

Frères et sœurs., dans la montagne, les petites boîtes parlantes nous ont parlé et nous ont raconté des histoires antiques qui se souviennent de nos douleurs et de nos rébellions. Ils ne détrui-ront pas les rêves où nous vivons. Notre bannière ne se rendra pas. Notre mort vivra toujours.

Voilà ce que disent les montagnes qui nous parlent. Voilà com-ment brille l'étoile de Chan Santa Cruz. Elle nous dit que les cruzob, les rebelles, ne seront pas vaincus et poursuivront leur chemin aux côtés de tous ceux qui sont dans l'étoile humaine. Elle nous dit que toujours viendront des hommes rouges, les chachac-mac, l'étoile rouge qui aidera le monde à être libre. Voilà ce que dit l'étoile qui est dans la montagne.

Qu'un peuple qui est cinq peuples, qu'un peuple qui est l'étoile de tous les peuples, qu'un peuple qui est homme et qui est tous les peuples du monde viendra aider dans leur lutte les mondes qui se font humains. Pour que l'homme et la femme véritables vivent sans douleur et que les pierres soient moins dures.

Vous êtes tous des chachac-mac, ceux qui viennent aider l'homme que l'on trouve dans les cinq parties du monde, dans tous les peuples. Vous êtes tous l'étoile rouge qui se reflète dans le miroir que nous sommes. Nous pourrons continuer notre chemin si les vous autres que nous sommes marchent à nos cô-tés.

Frères et sœurs, dans nos villages, les vieux sages ont mis une croix, qui est une étoile, là où naît l'eau qui donne la vie. C'est ainsi que l'on marque le début de la vie dans les montagnes, par une étoile. C'est ainsi que naissent les ruisseaux qui descendent des montagnes et portent la voix parlante de notre Chan Santa Cruz.

La voix de la montagne a parlé et elle a dit qu'allaient vivre libres les hommes et les femmes véritables quand ils seront les tous que promet l'étoile à cinq pointes. Quand les cinq peuples se feront un dans l'étoile. Quand les cinq parties de l'homme qu'est le monde se rencontreront et rencontreront les autres. Quand les tous qui sont cinq trouveront leur place et la place de l'autre.

Aujourd'hui, des milliers de chemins, qui viennent des cinq continents se rencontrent ici, dans les montagnes du Sud-est mexicain, pour joindre leurs pas.

Aujourd'hui, des milliers de paroles des cinq continents se tai-sent ici, dans les montagnes du Sud-est mexicain, pour s'écouter les unes les autres, et pour s'écouter elles-mêmes.

Aujourd'hui, des milliers de luttes des cinq continents combat-tent ici, dans les montagnes du Sud-est mexicain, pour la vie et contre la mort.

Aujourd'hui, des milliers de couleurs des cinq continents se montrent ici, dans les montagnes du Sud-est mexicain, pour an-noncer un avenir sans exclusion, un avenir de tolérance.

Aujourd'hui, des milliers de cœurs des cinq continents vivent ici, dans les montagnes du Sud-est mexicain, pour l'humanité et contre le néolibéralisme.

Aujourd'hui, des milliers d'êtres humains des cinq continents crient ici leur ¡Ya basta !, ici dans les montagnes du Sud-est mexi-cain. Ils crient “¡Ya basta !”, assez de conformisme, d'inaction, de cynisme, d'égoïsme, devenus dieux modernes.

Aujourd'hui, des milliers de petits mondes des cinq continents tentent ici, dans les montagnes du Sud-est mexicain, de com-mencer la construction d'un monde nouveau et bon, c'est-à-dire un monde où tous aient leur place.

Aujourd'hui, des milliers d'hommes et de femmes des cinq continents commencent ici, dans les montagnes du Sud-est mexicain, la Première Rencontre Intercontinentale pour l'hu-manité et contre le néolibéralisme.

Frères et sœurs du monde entier, bienvenue dans les montagnes du Sud-est mexicain. Bienvenue dans ce petit coin du monde où nous sommes tous égaux parce que nous sommes différents. Bienvenue à la recherche de la vie, dans la lutte contre la mort. Bienvenue à la Première Rencontre intercontinentale pour l'humanité et contre le néolibéralisme.

Frères et sœurs d'Italie, d'Allemagne, d'Autriche, de Belgique, du Danemark, de France, de Grèce, de Norvège, de Suisse, des États-Unis, du Canada, d'Australie, du Brésil, du Chili, du Pérou, d'Uruguay, du Venezuela, de Colombie, du Nicaragua, de Haïti, du Japon, du Costa Rica, de Hollande, d'Espagne, du Pays-Basque, de Catalogne, des Canaries, de Porto Rico, de Mauritanie, de Grande-Bretagne, des Philippines, d'Argentine, du Guatemala, d'Iran, d'Équateur, du Turkestan, de Cuba, d'Afrique du Sud, du Portugal, de Turquie, de Bolivie, du Mexique.

Frères et sœurs des cinq continents, au nom des hommes, des femmes, des enfants et des vieillards zapatistes, au nom des indi-gènes de l'Armée Zapatiste de Libération Nationale, au nom de la dignité rebelle, au nom du Commandement Général de l'Ar-mée Zapatiste de Libération Nationale, je déclare formellement ouverte cette Première Rencontre intercontinentale pour l'hu-manité et contre le néolibéralisme.

Il est 11 h 28, heure du Sud-Est, nous sommes le 27 juillet 1996. Ici, dans les montagnes du Sud-est mexicain, lieu de résistance contre la stupidité et petit coin de dignité humaine.

Démocratie ! Liberté ! Justice !

Depuis les montagnes du Sud-est mexicain.

Comité Clandestin Révolutionnaire Indigène,

Commandement Général de l'EZLN.

Dans les cinq

Aguascalientes

Les tables et les convives

29 au 31 juillet 1996

Table 1

Quelle politique nous offre-t-on et de quelle politique avons-nous besoin ?

Aguascalientes I

La Realidad

Les sessions de cette Table ronde se sont tenues à La Realidad ; elles ont été organisées en quatre groupes de travail autonomes, qui ont chacun décidé de leur mode de fonctionnement. En tant qu'êtres humains par vocation obstinés, nous avons dû apprendre à nous connaître, à nous tolérer, et à mettre en pratique des modes de fonctionnement permettant la discussion dans un groupe important de participants de différentes cultures, d'expériences et de langues variées. À ceci a contribué la conviction que pour parvenir "au modeste but de changer le monde", il est indispensable d'abord de reconstruire la notion même de politique, sa conception et sa pratique.

Après quelque vingt heures de travail effectif dans les tables rondes, nous avons tiré une première conclusion sur la réalité, aussi bien sur cette Realidad, où se côtoient la boue et la dignité, que sur notre réalité d'êtres humains ayant entrepris de construire un monde nouveau. C'est dire que nous avons examiné de près, collectivement, nos difficultés à rompre les cercles vicieux, nos désirs de les dépasser, de découvrir ou de confirmer ce qui nous unit, d'identifier nos différences, de débattre dans la pluralité avec énergie et respect, d'exercer la patience ... et le patinage sur boue.

Les dimensions des groupes ont rendu facile ou difficile le débat mais, dans tous les cas, les gens ont eu la possibilité d'écouter et d'être écoutés. 463 personnes, de 26 pays, ont participé à la Table ronde 1 ; c'était pour 38 % des femmes et pour 62 % des hommes.

À la Table A, 50 participants ont échangé idées et expériences relatives au pouvoir global dont nous souffrons tous, à la politique qui nous est proposée et à la politique dont nous avons besoin, et sur les formes par lesquelles la domination s'exerce et se reproduit.

Comment résister au pouvoir global ? telle fut l'interrogation des 168 participants de la Table B, qui y ont dégagé la nécessité des nouvelles formes d'organisation politique et sociale.

À la Table C, 49 participants ont échangé des idées tournant autour du thème "que faire du passé, des idéologies, et des murs dressés par la chute du mur de Berlin".

Enfin, les nouvelles formes de faire et de dire la politique, les innovations pour les luttes de cette fin de siècle, les moyens et les objectifs, ont constitué la matière centrale des discussions des 196 participants de la Table D.

Dix-sept personnes représentant l'Armée Zapatiste de Libération Nationale ont participé à toutes les sessions de discussion. Le commandement général de l'EZLN a rendu visite à chaque groupe, et a fait une conférence en session plénière. Au total, 110 participations écrites ont été apportées. Une réunion de coordination des différents pays a été organisée, ce qui a constitué un appui important pour améliorer le travail au jour le jour. De même, les suggestions des participants quant au fonctionnement ont été recueillies aussi bien par les modérateurs et les rapporteurs pour chaque Table, qu'à l'aide d'une boite aux lettres centrale.

En session plénière de la Table ronde 1, ont été lus en totalité les rapports de chaque table, décrivant les points de consensus, les divergences et les points réclamant davantage de réflexion. Au cours de la session plénière générale, seule une synthèse de ces documents a été présentée, avec les propositions finales de toutes les Tables rondes.

Tous les habitants de La Realidad n'étaient pas avec nous, pas plus que ceux de Guadalupe Tepeyac en exil, ni ceux de nombreuses autres communautés zapatistes qui ont travaillé durant des mois pour cette Rencontre, mais leur travail et leur lutte ont été un soutien moral de toutes nos réunions. Nous remercions l'Armée Zapatiste de Libération Nationale pour l'hospitalité, l'espoir et l'exemple qu'elle nous a offerts. Grâce à tous, dans cette Table ronde, hommes et femmes de pays différents et de rêves convergents, nous avons pu nous rencontrer et travailler avec passion, joie et toute la tolérance possible. C'est sans doute ce dernier point, qui constitue le fait politique le plus important : malgré toutes les tentatives de discussion entre les différents courants politiques observées dans l'histoire contemporaine, la diversité présente dans cette Rencontre sera difficile à égaler.

Nous présentons ci-dessous les conclusions des quatre tables, apportant ainsi notre contribution à la Rencontre intercontinentale pour l'humanité et contre le néolibéralisme. Il faut mentionner que, du fait du peu de temps disponible pour les rédiger et de la grande quantité d'interventions, nous ne prétendons pas présenter là des conclusions achevées ; il ne s'agit que d'un témoignage sur l'expérience que nous entreprenons ensemble depuis et vers la realidad, et qui doit continuer à s'enrichir des diverses réalités que nous vivons.

A. Le pouvoir global dont nous souffrons tous

Comment s'exerce et se reproduit la domination

Dans un cadre de pluralité et de respect, nous nous réunissons ici dans un coin du Sud-Est mexicain, nous, personnes de différentes parties du monde et de divers courants de pensée, pour cette Rencontre intercontinentale pour l'humanité et contre le néolibéralisme convoquée par l'Armée Zapatiste de Libération Nationale. C'est une rébellion indienne, qui nous a ouvert à tous, hommes et femmes du monde entier, un espace de rencontre et de dialogue pour échanger nos idées et nos expériences à propos du pouvoir global que nous subissons. Ainsi, Mexicains, citoyens des États-Unis, Espagnols, Français, Italiens, Australiens, Chiliens et Argentins avons pu discuter des formes que prend, pour s'exercer et se reproduire, une domination qui nous est commune en tant qu'êtres humains.

Une première idée sur laquelle tous les participants sont tombés d'accord, est que, au-delà de la diversité des formes nationales qu'il peut adopter, le néolibéralisme est une offensive planétaire globale contre la vie et l'humain : pauvreté, chômage, démantèlement des droits sociaux, privatisation des biens et des services publics, destruction écologique, désarticulation des organisations sociales, autoritarisme, embrigadement idéologique, atomisation sociale et soumission de tout l'être humain à la logique globale de l'argent et du marché sont quelques aspects de cette offensive qui, sous des formes et à des rythmes divers, nous atteint tous. Ces effets se produisent et nous affectent, y compris dans les cas – montrés en exemple par le pouvoir – de "succès néolibéral" : ceux où un fort taux de croissance économique s'accompagne d'une concentration accrue des richesses et de forts taux de chômage (comme au Chili) ou ceux qui s'appuient sur un passé de contrôle étranger, un embrigadement idéologique et une fragmentation sociale (comme au Japon). Aujourd'hui, pour des millions de personnes partout dans le monde, le néolibéralisme est synonyme de misère, d'exclusion, de dépersonnalisation, de dépouillement et de mort.

En réalité, le néolibéralisme est la forme idéologique discursive adoptée par la restructuration mondiale de la domination du capital en cette fin de millénaire. Cette structuration, qui a commencé avec la crise mondiale de 1974, a mis fin au vieux modèle d'accumulation keynésien, qui, en résolvant la crise des années 30, avait permis la longue phase expansive de l'après-guerre. Au cours de ces vingt dernières années, cette restructuration s'est traduite par une nouvelle attaque contre le travail, l'expulsion de milliers de personnes du marché du travail, l'appropriation à grande échelle des biens et des ressources naturelles, l'internationalisation de la production, la concentration planétaire du pouvoir et de son exercice entre les mains d'une poignée de corporations, le contrôle supranational des télécommunications et la réorganisation transnationale du capital.

Comme l'indique le discours néolibéral, la nouvelle phase de la mondialisation du capital – dont la création a été en partie globale et planétaire – n'est ni homogène, ni harmonieuse, mais inégale et hiérarchique. Elle suppose un assaut du grand capital financier international pour une nouvelle répartition du monde, la reconquête d'espaces, l'appropriation des matières premières et des secteurs productifs stratégiques des pays les moins développés, le transfert inégal du travail et des ressources convertis en sources de bénéfices extraordinaires, ainsi que l'exclusion et le rejet d'une grande partie de la population mondiale. En outre, la politique néolibérale n'a pas été imposée dans tous les pays avec la même intensité ni au même degré. La configuration d'un système international hiérarchisé demeure, comme il y a 500 ans, consubstantielle d'un ordre mondial planifié par et pour le capital.

De nombreuses transformations ont néanmoins déjà eu lieu au niveau de la société, de l'État, de la culture et de la politique. C'est une pénétration de la logique de l'argent et du commerce dans tous les recoins de la planète. L'universalisation du pouvoir de l'argent et l'incorporation de communautés, de pays et de régions entières à une nouvelle division internationale du travail, planifiée depuis les grands centres financiers, sont en train d'achever, en cette fin de millénaire, la vieille entreprise de colonisation initiée il y a cinq siècles. La conversion de tout et de tous en objets d'échange fait partie de l'essence de ce projet.

De profondes transformations ont aussi eu lieu dans l'orbite de l'État. La désarticulation de l'État de bien-être – dans ses diverses variantes nationales – est la partie visible du processus. La forme d'État née entre les deux guerres et consolidée dans la période d'expansion suivant la Seconde Guerre mondiale a commencé à être non fonctionnelle pour le projet de restructuration de la domination.

Le démantèlement progressif du système de protection sociale - à des rythmes et à des degrés d'intensité différents selon les pays - touche déjà des millions d'êtres humains, qui ont été privés d'un ensemble de droits sociaux conquis durant un siècle.

La privatisation des biens et services publics ferme, pour des millions d'hommes, de femmes, d'enfants, de vieillards, la possibilité d'accéder à l'éducation, la santé, le logement, la culture, les distractions et à une vieillesse digne. Le néolibéralisme est la négation du bien-être. Nous, au contraire, nous nous prononçons pour profiter de la vie et pour le bien-être pour tous. Nous exigeons un retour à l'État de bien-être (qui, bien évidemment, n'est jamais arrivé jusqu'aux terres du Chiapas !). Nous n'attendons pas non plus des gouvernements qu'ils aient des politiques d'assistance sociale. Nous considérons plutôt que face à cet assaut, le droit à l'existence doit être un principe sur lequel nous construirons la nouvelle Utopie.

La construction d'un nouveau pouvoir autocratique transnational, au-dessus des États et des gouvernements nationaux, fait partie du nouveau scénario. Aujourd'hui plus que jamais, une poignée d'hommes d'affaires contrôlent et décident de la vie et du futur de millions d'êtres humains, convertissant les gouvernements en simples exécutants de politiques définies par les institutions financières internationales qui incarnent le pouvoir global : le FMI et la Banque Mondiale. Dans le monde d'aujourd'hui, les États contrôlent de moins en moins ; l'économie échappe de plus en plus au contrôle des gouvernements nationaux. Ceux-ci ont maintenant pour fonction de fournir à moindre coût l'infrastructure et les biens publics dont les hommes d'affaire ont besoin. Le niveau national a perdu le contrôle des moyens de communication – en particulier par satellite – des flux de capitaux et même des investissements productifs.

La dissolution de la souveraineté nationale est un effet du processus néolibéral. Un projet de libération – et tout particulièrement pour les peuples des pays périphériques – devra incorporer dans ses luttes stratégiques le sauvetage de la souveraineté. Pour cela, des actions concertées sont nécessaires entre les peuples qui subissent cette nouvelle domination : le rétablissement de contrôles sociaux sur les flux de capitaux, l'élimination des paradis bancaires non assujettis au fisc et l'augmentation des impôts sur les mouvements de capitaux ; en résumé, le contrôle social des transferts du capital international. Mais surtout, il importe que les peuples des pays les moins développés revendiquent leur droit à établir des régulations sur les investissements volatils du capital et à protéger leur appareil productif face à la compétition inégale des grandes entreprises transnationales. Nous ne demandons pas le retour à l'interventionnisme d'État ; nous n'attendons pas non plus que les gouvernements nous protègent des attaques du pouvoir financier international. Les gouvernements sont garants et protecteurs de la politique nationale. Ils sont là pour cela, et l'on ne peut espérer qu'il en soit autrement. Nous pensons plutôt au sauvetage de la souveraineté, comprise comme une autodétermination et une ré-appropriation du droit à décider de notre vie, de nos ressources et de notre futur. Pour être efficace, cette lutte – nationale pour sa forme, populaire et internationale pour son contenu – devra être accompagnée de formes de solidarité et de résistance entre les dominés et les exclus des pays du centre.

Une nouvelle connexion entre le pouvoir, les hommes d'affaires, les financiers et les trafiquants de drogue est apparue dans la phase actuelle de réorganisation mondiale du capital. Le trafic de drogue est devenu l'une des formes clandestines permettant d'obtenir le plus sûrement des bénéfices extraordinaires ; selon des données des États-Unis, les bénéfices annuels de ce trafic oscillent entre 300 et 350 milliards de dollars. Dans la globalisation de l'économie, l'argent de la drogue est un facteur clé de la fluctuation des indices de la Bourse et des indices financiers. Pour démanteler ce circuit pervers, nous proposons la dépénalisation des drogues "douces" et le réemploi des ressources destinées à la lutte contre le trafic de drogue pour l'éducation sur la drogue. Ce serait en même temps une façon d'arrêter la militarisation que les États-Unis réalisent en Amérique Latine sous le prétexte idéologique de lutter contre ce trafic. On peut ajouter une proposition : transformer le service militaire obligatoire en un service social d'aide aux communautés et aux régions marginalisées, ce travail pouvant prendre la forme d'une alphabétisation ou de participation aux travaux agricoles. Nous proposons aussi une réduction drastique des dépenses militaires dans les pays du Tiers Monde (et surtout en Amérique Latine), et l'emploi des ressources ainsi libérées pour le développement et le bien-être social.

Aujourd'hui, le pouvoir est concentré par le grand capital financier international. Dans ces conditions, les prétendues "transitions vers la démocratie" se révèlent être un mythe de plus du discours idéologique néolibéral. Il ne peut y avoir de démocratie tant qu'existe un commandement unique pour les corporations industrielles et financières. La concentration du pouvoir, un autoritarisme croissant, les formes de régulation politico-militaires de la vie publique, la sophistication du contrôle idéologique, la militarisation et le perfectionnement de la répression de tout type de rébellion ou de protestation sociale, la reconversion des armées en "gardes blanches", et la signature d'accords de collaboration militaire incluant des cours de contre-insurrection (surtout dans les pays latino-américains), sont, au contraire, le nouveau visage des gouvernements néolibéraux. Les violations des droits de l'homme et le démantèlement progressif des droits du citoyen et des garanties individuelles font partie de ce processus de reconfiguration autoritaire de l'État. La récupération de ces droits doit faire partie des luttes de résistance des années à venir.

La domination du pouvoir global du capital s'exerce et se reproduit sur différents plans qui touchent l'ensemble de la vie sociale : depuis les sphères et les relations du travail jusqu'à l'État et les institutions, en passant par la vie privée et subjective. La réduction du salaire, l'exclusion du marché du travail due à l'augmentation de la productivité, le démantèlement des conventions collectives, l'individualisation des contrats et des salaires, la flexibilité du travail, la destruction des syndicats et la réintroduction du travail des enfants sont des mécanismes de reproduction du pouvoir du capital.

Dans l'essence du néolibéralisme tout et tous deviennent des objets d'échange. Pouvoir de l'argent et dépersonnalisation vont la main dans la main. Pour se reproduire, le nouveau pouvoir global atomise, fragmente et isole. Toute communion ou toute rencontre non imposée par les échanges lui apparaît comme un défi. Il a donc besoin d'un embrigadement culturel à l'échelle de la planète, qui dissolve – dans la pratique et dans les consciences – les communautés, les associations, les organisations et tout type d'identité collective et de liens communautaires. Il remplace les solidarités et les identités communautaires par le culte de l'argent, l'exaltation de la compétition et de l'individualisme. Face à cette tendance destructrice, nous proposons la récupération des communautés et de l'organisation collective. Ainsi, c'est par un renforcement de l'identité culturelle qu'il convient de résister à la légitimation culturelle du système. Pour cela, nous proposons entres autres de mettre en jeu des mécanismes de contrôle social des moyens de communication.

La restructuration mondiale du capital dont nous souffrons engendre une crise de civilisation. La destruction irrationnelle de la vie et de la nature est l'expression la plus perverse de ce processus. Il est donc nécessaire de réorienter l'emploi de la technologie pour la satisfaction des besoins de l'homme. Il faut la convertir en un instrument qui reproduit la vie et non qui répand la mort. En tout état de cause, il faut respecter la volonté de ces communautés sociales pour qui le contact direct avec la nature est une partie essentielle de l'identité culturelle.

L'existence de ce pouvoir autocratique global, les limitations de la démocratie représentative, les déformations bureaucratiques du vieux système des partis, l'exclusion des citoyens de la vie publique et les enseignements contenus dans l'effondrement de l'Union soviétique et des régimes d'Europe centrale montrent la nécessité de la reconstruction d'une utopie inventant de nouvelles formes de l'exercice de la politique et posant à nouveau le problème du pouvoir.

La revalorisation de la politique est nécessaire en une fin de siècle qui a converti la politique – de droite comme de gauche – en synonyme de mort, privilèges, intolérance et exclusion. Nous proposons, à l'inverse, une revalorisation de la politique comme moyen de vie commune et d'entente sociale, comme synonyme de génération et de reproduction de la vie, de participation et de changement.

Il est nécessaire de récupérer l'espace public pour tous, et non la conquête du pouvoir par quelques-uns, non la construction de nouveaux appareils et de nouvelles bureaucraties. Ceci suppose de retrouver ou d'inventer des mécanismes de démocratie directe et de démocratie participative, ainsi que de construire une nouvelle relation entre gouvernants et gouvernés fondée sur le principe de "commander en obéissant", sur des formes de contrôle social de l'exercice du pouvoir, et sur la possibilité de révoquer les gouvernants. La décentralisation du pouvoir et de son exercice passe aussi par le renforcement de l'autonomie des peuples et des communautés, ainsi que par le respect des formes de gouvernement local décidées par les communautés elles-mêmes. En d'autres mots, il faut construire, de la base et tous ensemble, un nouveau pouvoir social qui remplace le pouvoir lointain, étranger et hostile, placé au-dessus des êtres humains.

Le pouvoir du capital est entré dans une nouvelle forme de mondialisation qui traverse les frontières nationales. Pour faire face à ce pouvoir global, il faut établir des connexions et des résistances elles aussi internationales. Les nouvelles formes de résistance et d'opposition à ce pouvoir ne peuvent se limiter aux frontières nationales. La force de la mondialisation économique repose sur la dialectique fractionnement/intégration, mais elle n'a connu un succès relatif que dans le fractionnement, géographique mais surtout social ; les forces d'opposition devront donc unir les actions internationales et nationales des exclus. Dans cette perspective, il faut inciter à une réorganisation de la société dans tous les pays, à la création de réseaux de communication internationaux, décentralisés et construits à partir de la base, à une organisation globale qui articule les diverses luttes locales, à développer une campagne mondiale de défense des libertés politiques et à rendre permanentes les rencontres internationales comme celle qui nous réunit aujourd'hui.

La reconstruction de l'Utopie suppose de nouvelles attitudes et une nouvelle façon de penser les relations entre les êtres humains : en finir avec la relation de domination-subordination sous toutes ses formes, détruire le règne de la marchandise et du pouvoir impersonnel de l'argent, retrouver les formes d'organisation et de convivialité communautaire, construire la démocratie à partir des relations intersubjectives de la vie quotidienne, susciter – dans les consciences comme dans la pratique – une culture de tolérance, reconnaître le droit à l'existence, à la pluralité culturelle et à l'égalité dans la diversité.

B. Comment résister au pouvoir global

Formes d'organisation politique et sociale

La discussion s'est organisée autour de quatre axes : a) quel pouvoir global affrontons-nous ? b) quelles formes de lutte utilisons-nous contre ce pouvoir ? c) de quelles formes d'organisation avons-nous besoin pour l'affronter ? d) quelles sont nos stratégies et nos demandes, face à ce pouvoir ? Le déroulement de notre travail a vu se succéder une dizaine d'exposés et une phase de discussions, commentaires et réflexions sur ces exposés. Quelques camarades n'ont pas été d'accord avec cette façon de travailler et ont formé un petit groupe de travail séparé, dont les conclusions ont été incorporées dans ce document.

Au cours de la discussion, est apparu que le pouvoir global que nous affrontons est en réalité un vieil ennemi : le capitalisme, l'impérialisme, qui maintenant s'est constitué en hégémonie et utilise tous les procédés possibles pour soumettre l'humanité. Il peut s'appeler aujourd'hui "néocapitalisme", "capitalisme monopolistique" ou "néolibéralisme", il n'est en aucune façon l'étape moderne et développée du libéralisme, mais bien son antithèse, car jamais tant qu'aujourd'hui la libre compétition n'est apparue comme ce qu'elle est : une fiction.

S'il est un mot qui caractérise le monde d'aujourd'hui, c'est bien celui de globalisation, que ce soit au niveau économique, politique ou culturel. Le processus de globalisation est d'abord encouragé par le système financier et les entreprises multinationales. Les États essayent seulement de suivre ce processus et de construire des cadres politiques ou des organisations où il trouve sa place : l'Union européenne, l'Alena, le Groupe des Sept, ou l'Organisation mondiale du commerce, par exemple. Des milliards de dollars traversent chaque jour les frontières nationales et le commerce mondial croît à une vitesse bien plus grande que les productions nationales. Le vieux modèle des multinationales ancrées dans un pays déterminé, avec des succursales à l'étranger, est remplacé par une structure de réseau global de planification, de fourniture, de production et de distribution.

Ce processus de globalisation a une importance décisive pour les États nationaux, parce qu'il limite leur espace de contrôle économique et sociopolitique. A travers la libre circulation du capital, des biens et des services, le marché et les multinationales obligent l'État national à s'ajuster aux forces du marché, et leur objectif est sans cesse déterminé par les conditions de l'économie globale. L'État a ainsi perdu sa capacité de résoudre les crises économiques, politiques, sociales et écologiques nationales. Finalement, il se produit un réajustement de l'ordre mondial qui attribue un rôle nouveau à pratiquement tous les États nationaux qui n'appartiennent pas au Groupe des Sept. Seuls les peuples résistent aux changements imposés par le néolibéralisme : diminution des salaires réels, chômage, restriction des services publics, raréfaction des biens à la suite des privatisations et démantèlement des usines de production. Il faut y ajouter l'exploitation irrationnelle des ressources naturelles, les détériorations écologiques et l'utilisation tendancieuse du concept de démocratie dans les moyens de communication, dérives qui sont présentées comme faisant partie d'un processus inévitable et irréversible. Avec ce modèle économique, la transformation des règles culturelles se reflète dans tous les secteurs de la vie humaine. L'individualisme, la consommation excessive et la perte des valeurs éthiques détruisent la vie collective et accorde à la société une marge extrêmement mince de participation politique, car l'un des fondements de ce processus est la limitation de la démocratie à une entité formelle, et même ainsi, elle continue à le gêner. Comme on l'a vu en Amérique Latine, le néolibéralisme s'est imposé à beaucoup de pays au prix de la mort de milliers d'hommes et de femmes. Ailleurs, s'est installé à la suite de tromperies ou de fraudes électorales.

Devant les résultats de la globalisation du pouvoir économique et politique la société civile a réagi par de nombreuses formes de luttes. Les organisations traditionnelles – partis, syndicats, ... – désorienté devant le néolibéralisme, et les travailleurs des villes et des campagnes, les immigrants, les femmes et les jeunes, bref, la majorité des citoyens ont dû improviser de nouvelles formes d'organisation pour se défendre et résister. Dans les pays les moins développés, les luttes ont été plus difficiles à cause de l'aggravation de la pauvreté : elles se sont circonscrites à la satisfaction des demandes de base pour la survie de la majorité des populations ; les marginalisés de toujours, les indigènes et les paysans pauvres, les immigrants, les enfants et les femmes n'auraient eu d'autre destin que la disparition et la mort s'ils n'avaient entrepris de lutter. Dans les pays développés, les travailleurs ont constaté que leurs vieilles armes (la grève, l'arrêt de travail, la mobilisation syndicale) n'ont plus qu'une efficacité relative : la nouvelle composition des classes salariées, réduites par une technologie avancée et soumises à de nouvelles conditions de travail et de vie, les ont contraints à les utiliser de moins en moins, face à la menace des contingents de main-d'oeuvre bon marché, qui forment la plus gigantesque réserve dont la capitalisme ait jamais disposé dans son histoire. Là aussi, il s'agit de lutter pour la survie.

Jusqu'à aujourd'hui, les luttes contre le néolibéralisme ont été isolées, locales et n'ont pas toujours su identifier le véritable ennemi, le plus fort et le moins visible, qui non seulement se trouve dans les gouvernements et les entreprises de chaque pays, mais est aussi global et mondial. Devant ce nouveau panorama, de nouvelles formes d'organisation et de luttes sont nécessaires. L'Armée Zapatiste de Libération Nationale a pris les armes parce que, dans sa situation, il n'y avait pas d'autre choix ; depuis le 1er janvier 1994, la société mexicaine et internationale, consciente de la juste cause qu'elle défend, lui ont apporté son soutien et empêché la guerre. Grâce à sa lutte, le monde entier a entendu dire que le néolibéralisme implique la destruction globale, et le gouvernement mexicain entend des voix hier inaudibles. Mais le zapatisme a aussi provoqué une mobilisation mondiale sans équivalent depuis de nombreuses années. Il a ouvert des perspectives nouvelles et concrètes d'unité et de combat dans les secteurs majoritaires des sociétés et offert la possibilité d'entamer le débat sur de nouvelles formes d'organisation et de lutte. Sous divers noms apparaît le désir de construire un front international contre le néolibéralisme, ou toute'autre forme d'organisation, qui doit se caractériser par une structure horizontale et un fonctionnement démocratique. Le problème de la viabilité d'un réseau d'information, partant du local pour amplifier le cadre des luttes à un niveau international, coordonnant les actions et empêchant la bureaucratisation par la prise des mesures par la base, ne peut être posé que dans une réunion comme cette Rencontre, où des participants venus de toutes les parties du monde discutent des problèmes qui nous touchent et qui sont dus au néolibéralisme. Certains ont proposé que les actions contre le néolibéralisme puissent être violentes et non violentes, mais elles devront toujours être collectives et venues de la base, parce que la base est un espace que ni l'État ni le marché ne peuvent nous arracher, et dans lequel nous pouvons travailler.

C. Que faire du passé ?

Les idéologies. Les murs dressés par la chute du mur de Berlin

À cette table de travail ont participé 49 personnes d'Argentine, d'Uruguay, du Chili, des États-Unis, d'Allemagne, d'Angleterre, de Hollande, de Belgique, de France, d'Irlande, d'Écosse, de Suisse, d'Italie, d'Espagne, des Iles Canaries, du Mexique, d'Australie et de Sardaigne (les camarades des Iles Canaries et de Sardaigne ont demandé à être considérés comme citoyens de leurs propres nations, et non d'Espagne et d'Italie, respectivement).

La discussion a tourné autour de trois grands thèmes :

• le néolibéralisme

• la place des zapatistes et des autres alternatives révolutionnaires après la chute du mur de Berlin,

• la démocratie que nous voulons.

Le néolibéralisme. Dans les grands centres du pouvoir, on a dit qu'après la chute du mur de Berlin, il n'y avait plus qu'une voie possible pour le monde : celle du néolibéralisme. Mais, au contraire de ce que pensent et disent les puissants au pouvoir, cette voie est pavée d'inégalités accrues, d'une discrimination croissante, d'une haine sans limite et d'une répression quotidienne. Le néolibéralisme lève de nouveaux murs séparant les pauvres des riches et des puissants.

Le néolibéralisme brandit triomphalement sa bannière de seule réponse sociale "qui marche" face à la frustration et à l'échec – certains disent même la déroute – des sociétés socialistes. Avec la crise du socialisme, le néolibéralisme a pu propager avec davantage de facilité des valeurs de l'individualisme, de la compétition, de l'accumulation privée de richesses, de la discrimination sociale et raciale ; le "succès" personnel avant le succès commun, l'intolérance culturelle et le mépris des droits les plus élémentaires de ceux qui ne possèdent rien.

Les transformations accélérées et profondes occasionnées par le néolibéralisme, en particulier dans la structure du travail et plus généralement dans toutes les structures sociales, ont aggravé l'oppression patriarcale millénaire de la femme, renforçant sa discrimination et dégradant ses conditions de travail, tant au foyer qu'au dehors. Le néolibéralisme a rendu plus difficile son accès aux ressources matérielles, éducatives et culturelles ; il a davantage limité sa participation à la prise de décision et nié son autodétermination et son droit d'accéder aux instances de pouvoir.

Le monde qui se crée avec le néolibéralisme, non seulement exproprie et concentre les richesses dans quelques mains, mais il prétend exproprier l'activité politique et affaiblir l'idéal démocratique. Le néolibéralisme est aujourd'hui le principal obstacle à l'approfondissement de la démocratie. Dans certains pays, le néolibéralisme est même la négation totale de la démocratie.

Pour affronter le néolibéralisme, il faut ôter le pouvoir à l'État et aux grandes sociétés et renforcer la société civile ; dans la lutte contre le néolibéralisme, il faut aller plus loin que l'objectif de l'accroissement économique et la modernisation de la société, et dépasser la conception classique du progrès social : il faut concevoir une nouvelle forme de convivialité sociale qui inclut la valeur, vitale pour l'humanité, de la compréhension de la nature – par opposition à sa soumission. Chercher à construire d'une société nouvelle impliquera de dépasser toutes ces conceptions, même révolutionnaires, qui ont soutenu que la construction d'une société juste pour l'homme passait par la mainmise sur la nature. Après l'échec des sociétés modernes, qui n'ont su ni satisfaire les nécessités humaines, ni éviter la destruction de la nature, il est nécessaire de construire un type de société qui trouve comment satisfaire ces nécessités sans détruire le milieu naturel.

Pour cela, il faut dépasser tout type de dogme, offrir une démocratie accueillante, où trouvent place les expressions des individus et des minorités, où la personne ne perd ni le sens du commun, ni l'autonomie. Dans cette démocratie d'ample participation sociale, construisant l'ensemble du processus vital de la société, les diverses formes d'autogestion et d'auto-organisation de la société civile devront avoir une place centrale. Ce n'est que par une démocratie ayant ces caractéristiques et permettant la diversité que l'on pourra proposer une solution alternative pour tous les exclus. A la recherche de ce monde, le zapatisme, après la chute du mur de Berlin, nous offre un nouvel horizon, avec le principe de "commander en obéissant".

Nous autres, les révolutionnaires, nous devons construire des alternatives face à la religion de la propriété privée, de l'État répressif et des nationalismes impérialistes. Nous devons proposer une société contrôlée par les producteurs, où les diverses nations vivent en bonne entente et pratiquent la solidarité internationale, où il y ait pleine liberté d'expression et où l'on commande en obéissant. Cette démocratie se construit à partir de la base. Les chemins pour affronter le néolibéralisme et construire une démocratie intégrale, radicale, que l'on considère aujourd'hui comme une utopie, sont aussi variés qu'il y a de sociétés. Il y aura des endroits où les armes seront à la tête du processus de changement. Dans d'autres, ce sera une mobilisation importante de la société civile. Dans certains pays ou dans certaines régions, on combinera ces formes de lutte. Là où il n'y a pas de possibilité de réforme et de changement en douceur, la lutte radicale s'imposera. Ailleurs, la lutte privilégiera la défense des droits démocratiques fondamentaux, leur approfondissement et leur extension à tous. Mais ce qui est sûr, c'est que le changement ne pourra être complet que si les peuples des pays riches s'incorporent au processus.

A partir de 1989, le néolibéralisme a renforcé son offensive sauvage contre les salariés, les paysans et toutes les personnes sans pouvoir, provoquant des rébellions et des résistances dans le monde entier ; néanmoins, celles-ci ont manqué de coordination et d'unité des forces politiques révolutionnaires. La fragmentation et la division pour des raisons d'ordre idéologique et politique ont empêché les mouvements révolutionnaires d'avoir la voix assez puissante et de s'identifier aux organisations politiques. Dans ce domaine, l'EZLN, qui, dans sa Quatrième Déclaration depuis la Forêt Lacandone, souligne la nécessité pour toutes les forces du monde de s'unir contre le néolibéralisme, fait figure d'exception. L'internationale de l'espérance, suggérée par les zapatistes, est un outil pour construire un monde dans lequel beaucoup de mondes aient leur place.

La chute du mur de Berlin a une énorme signification pour tous les révolutionnaires du monde entier, mais elle peut s'interpréter de diverses façons.

Parmi les leçons de cette chute, certains proposent de récupérer "les noyaux de vérité indiscutable", qui, même après l'échec des expériences, demeurent d'actualité. Dans cette ligne, il est nécessaire de continuer à penser à Marx, Lénine, Gramsci, Mao, Trotsky, au Ché Guevara et à d'autres révolutionnaires, parce qu'aucune proposition responsable de changement radical ne peut aujourd'hui ignorer les analyses et les leçons de ces révolutionnaires et des mouvement qu'ils dirigeaient. On doit utiliser la mémoire des mouvements passés. Néanmoins, il faut ouvrir les esprits aux nouveaux problèmes. En ce sens, une nouvelle idéologie révolutionnaire est nécessaire, car le socialisme démocratique demeure à l'ordre du jour. L'alternative au néolibéralisme est encore le socialisme, pas celui antérieur au mur de Berlin, mais le socialisme démocratique. Une démocratie conçue en accord avec les pensées fondamentales de Karl Marx.

Néanmoins, un doute persiste. Comment récupérer les perspectives révolutionnaires des étapes historiques antérieures ? Devrons-nous reconstruire, repenser, reconceptualiser la pensée révolutionnaire ou bien en créer une nouvelle ? Est-il possible que les mouvements révolutionnaires postérieurs à la chute du mur de Berlin coupent tout lien avec la tradition antérieure ? Est-il possible de séparer la pensée révolutionnaire actuelle de la tradition marxiste, léniniste, maoïste, troskiste, guevariste ? Que peuvent récupérer les mouvements révolutionnaires contemporains, comme le zapatisme, de la tradition née avec Marx et apparemment terminée en 1989 ?

Une autre lecture considère que la chute du mur de Berlin est un tournant après lequel on ne doit pas essayer de sauver les vieilles idéologies de gauche, mais de construire une idéologie substantiellement nouvelle. Des vieilles idéologies, la seule chose à apprendre est de ne pas répéter leurs erreurs. Certains modernistes considèrent même que les idéologies sont inutiles pour les changements révolutionnaires, et qu'il faut combattre les idéologies des classes dominantes et non renouveler la "religion" marxiste et les propositions "d'avant-garde". Aujourd'hui, pour une révolution radicale, on a besoin de pouvoir, mais pas du pouvoir ; on a besoin de dépasser les idéologies, voire d'avoir de l'idéologie, mais pas une idéologie. Nous devons bâtir les fondations de ce qui n'existe pas, et non pas rebâtir ce qui n'existe plus, et il nous faut donc abandonner l'idée de "recycler" des idéologies. De l'avis de beaucoup, le zapatisme est le meilleur exemple de nouvelle pensée révolutionnaire, qui ne doit ni ne peut se convertir en une nouvelle "idéologie officielle" des révolutionnaires, qui ne doit ni ne peut être institutionnalisée.

La place des zapatistes après la chute du mur de Berlin. Le zapatisme a fait renaître l'espoir d'un changement profond. Avec le zapatisme s'annonce un nouveau cycle révolutionnaire dans le monde. L'EZLN démontre que les problèmes les plus profonds qui ont motivé la rébellion au Chiapas se retrouvent partout dans le monde, mais qu'ils se sont exprimés ici de façon particulière. Dans le zapatisme, il y a un principe contagieux, séduisant, valable pour tous : transformer la réalité.

Mais le zapatisme est-il quelque chose de très nouveau, qui n'a rien à voir avec les vieux débats, ou bien prolonge-t-il les vieux débats ? Le zapatisme rejette-t-il tous les vieux concepts révolutionnaires ?

On peut aussi se demander si le zapatisme, qui s'inscrit dans la tradition du zapatisme historique et des rébellions indiennes du Chiapas, peut donner une réponse correcte à des problèmes qui se posent dans un tout autre contexte. Comment pouvons-nous avec le ¡ Ya basta ! lancé le 1er janvier 1994 atteindre le niveau d'autres utopies révolutionnaires ? Est-il correct de situer les luttes des peuples du Chiapas au même niveau que celles menées en France, en Allemagne ou en Angleterre, pour donner trois exemples ? Est-il correct d'observer ce qui est commun entre les luttes sans voir les différences, ce qui est propre à chaque lutte ? Ne vaudrait-il pas mieux pour les luttes dans chaque pays apprendre ce qui les différencie ?

En essayant de comprendre le zapatisme, ne sommes-nous pas en train de vouloir le faire entrer dans les schémas d'explications occidentales ? Car le langage poétique et allégorique des zapatistes est loin des "belles" théories occidentales. Car le zapatisme montre son originalité maximale par rapport à tout dogme quand il renonce à être maître de la vérité et accepte la vérité collective. Si le zapatisme ne doit pas être un nouveau modèle révolutionnaire, il propose une nouvelle utopie radicale et éthique. La démocratie radicale qu'il propose est un horizon pour nos luttes, parce que les zapatistes donnent à ce terme une profonde connotation morale et éthique d'honnêteté exemplaire.

Le zapatisme est né des idéologies révolutionnaires antérieures, mais en y incorporant des éléments nouveaux, sans montrer de rigidité, comme l'ont fait d'autres idéologies révolutionnaires. Ce qui caractérise le zapatisme, c'est son ouverture à d'autres idéologies ; il est rafraîchissant parce qu'il n'est pas une idéologie officielle ; au contraire, il incorpore des nouveaux aspects dans une idéologie où entre beaucoup de monde et où l'on commande en obéissant. Le zapatisme est l'idéologie libre d'une culture particulière, qui a en commun avec d'autres idéologies révolutionnaires la recherche du changement ; il est si vaste qu'il embrasse toutes les vieilles idéologies révolutionnaires et leur ajoute quelque chose de nouveau. D'une certaine façon, le zapatisme n'est en rien original : il ne fait que synthétiser l'ancien et le nouveau. En ce sens, il apporte un ensemble conséquent d'idées pour la révolution dans le monde entier, tout en ayant déjà écrit un chapitre très important de l'histoire de la pensée révolutionnaire.

Une autre approche des enseignements du zapatisme est de le voir comme un mouvement qui apprend du passé parce qu'il est nouveau. Par principe, le zapatisme ne se considère pas lui-même comme une idéologie fermée et voulant l'être. C'est l'une de ses grandes vertus. Il offre ses parois poreuses pour être imprégné des autres pensées. Il naît d'une culture liée à une forme de vie, et non d'une culture pré-établie ; politiquement, le zapatisme est un style d'action. Les idéologies ont tendance à se fermer et à se transformer en camisoles de force, alors que le zapatisme rompt avec les idéologies du passé. Son objectif de ne pas lutter pour le pouvoir le rend inassimilable à toute autre idéologie. Cette caractéristique est une proposition concrète, qui peut être reprise en toute autre partie du monde. Le zapatisme est surtout une unité collective créée par les communautés à partir de leur vie quotidienne et de leurs besoins, avec la démocratie comme point de référence.

On s'accorde à reconnaître que le zapatisme apporte à la lutte révolutionnaire son opposition aux avant-gardes autoproclamées, l'anti-élitisme, les nouvelles formes d'organisation et de communication collective, la nouvelle politique de commander en obéissant, et l'incorporation définitive de deux nouveaux sujets révolutionnaires : les Indiens et les femmes. Son apport fondamental est que l'objet de la révolution n'est pas la conquête du pouvoir mais la construction d'une nouvelle forme de société coopérative et solidaire. En ce sens, le zapatisme remet en cause les vieilles pratiques sectaires, élitistes, verticalistes et bureaucratiques de la gauche, sujette aux ordres extérieurs des internationales communiste ou social-démocrate.

Par ses actes, le zapatisme est à l'avant-garde du mouvement révolutionnaire mondial, mais il ne s'autoproclame pas comme tel. Dans ses communautés, il a appris à ne s'imposer à personne et à s'en tenir à ses nécessités, à ses formes de communication et à sa symbolique. L'expérience zapatiste montre la nécessité de construire des États pluriculturels.

Avant la chute du mur de Berlin, les autocritiques et les critiques des expériences de construction socialiste ont été insudffisantes, ce qui signifie que le mouvement révolutionnaire mondial a vécu des décennies de confusion. Avec l'EZLN, commence un processus où l'on recommence à penser aux alternatives révolutionnaires. Il montre la pertinence de construire un mouvement de type nouveau, qui se rebelle contre le néolibéralisme, comme le ¡ Ya basta ! du 1er janvier 1994, qui revendique le droit d'être individu dans une communauté, en plein exercice de la démocratie.

Néanmoins, il est primordial d'apprendre des expériences internationales antérieures. Après la chute du mur de Berlin, il ne faut pas tomber dans la tentation d'importer des modèles révolutionnaires. Il ne faut pas tomber dans l'erreur de créer de nouvelles Internationales, comme celles d'hier, avec une direction centralisée et institutionnalisée. L'internationale de l'espoir peut être définie comme la coordination de mobilisations et l'approfondissement de débats se déroulant à l'autre bout du monde. Cette internationale devra être ouverte à tous : majorités et minorités politiques, idéologiques, culturelles, ethniques et sexuelles, qui luttent pour la transformation de ce monde. Cette internationale pourrait aussi s'appeler "réseau de solidarité international", peu importe le nom ; il ne s'agirait pas d'une organisation rigide mais d'une internationalisation des espoirs, de l'échange de projets concrets immédiatement réalisables, et de l'appui aux autres luttes du monde. Ces réseaux devront communiquer dans l'autonomie et l'horizontalité. Nous proposons une internationale de l'espoir, de la lutte, de la solidarité et de la coopération. Jamais tant qu'aujourd'hui il a été difficile de se libérer, et c'est pourquoi la lutte internationale est urgente. Mais la base du changement sera la lutte dans chaque pays, au sein de sa propre expérience et de sa propre culture.

La démocratie que nous voulons. Partons d'une question clé : la démocratie de la société actuelle est-elle viable ? pouvons-nous nous appuyer sur elle pour construire la nouvelle société, ou devons-nous chercher de nouvelles voies ?

Tout d'abord, cette Rencontre est un grand succès, parce que des personnes de trajectoires et de positions différentes se sont réunies pour discuter ensemble ; cette réunion de la diversité a été le premier exemple de l'exercice démocratique.

Les zapatistes considèrent la démocratie directe comme la forme de vie. Voilà la culture politique qu'ils nous proposent. Ils rejettent la conquête du pouvoir et proposent une société coopérative et solidaire, faite de démocratie, de justice et de liberté. L'EZLN propose de construire une force qui organise les exigences et les propositions des citoyens pour que celui qui commande, commande en obéissant. Dans cette proposition, les citoyens gouvernent et ceux à qui on a confié le pouvoir obéissent.

Mais là apparaissent d'autres questions importantes : comment reprendre la démocratie directe des zapatistes sous d'autres latitudes, dans des structures plus grandes que les communautés indiennes ? Comment garantir que dans les grandes villes, celui qui commande obéisse ? Comment mener la démocratie directe des communautés à la dimension d'un État national ? Il n'y a pas de réponse unique ou définitive. Ce qui est sûr, c'est que la démocratie que nous voulons se construit par en bas : nous voulons un pouvoir de la base, depuis la base, et non conquérir le pouvoir par en haut. La démocratie que nous voulons est opposée à toute forme de pouvoir vertical, en commençant par le patriarcat : sans l'élimination de celui-ci, la moitié du monde continuera de vivre sans démocratie.

Pour construire la démocratie, il faut comprendre les limites de celle que nous connaissons, mais aussi préserver les conquêtes acquises par les générations ayant lutté avant nous. La démocratie existante est insuffisante, mais non inutile. Il faut approfondir la démocratie, mais les moyens pour y parvenir ne sont pas totalement clairs. Un des grands problèmes des mouvements a été l'institutionnalisation de la révolution ; comment garantir que les révolutions ne s'autodétruisent pas, ou ne soient détruites du dehors ? Comment garantir la permanence des idéologies au moment du triomphe et dans l'exercice du pouvoir ?

Bien sûr, dans la démocratie que nous voulons, il faut préserver le pluralisme, la diversité, la tolérance, la liberté d'expression et la préférence sexuelle ; il faut que le pouvoir se conçoive comme au service de la communauté et que prédominent l'autogestion, la décentralisation, l'autonomie et la révocation ; il faut chercher toute forme d'organiprincipe, le zapatisme ne se considère pas lui-même comme une idéologie fermée et voulant l'être. C'est l'une de ses grandes vertus. Il offre ses parois poreuses pour être imprégné des autres pensées. Il naît d'une culture liée à une forme de vie, et non d'une culture pré-établie ; politiquement, le zapatisme est un style d'action. Les idéologies ont tendance à se fermer et à se transformer en camisoles de force, alors que le zapatisme rompt avec les idéologies du passé. Son objectif de ne pas lutter pour lroits collectifs des communautés et des peuples. Dans notre démocratie, nous devrons promouvoir une ample participation sociale à la construction du processus de la vie de la société. En ce sens, le zapatisme nous offre un horizon avec l'utopie de commander en obéissant et d'autres formes d'autogestion et d'auto-organisation du pouvoir social. Ce n'est que par une démocratie comme celle-ci que l'on pourra définir une alternative pour tous les exclus du monde et pour un monde où la diversité ait sa place. Un monde où beaucoup de mondes aient leur place.

D. De nouvelles façons de faire et de dire la politique

Innovations pour les luttes de cette fin de siècle.

Commander en obéissant. Les fins et les moyens

Dans un climat de profond respect de la pluralité et de la libre expression, dans un esprit de recherche unitaire, 196 participants venus d'Allemagne, d'Argentine, d'Australie, du Brésil, du Canada, du Costa Rica, du Chili, d'Espagne, des États-Unis, de France, du Guatemala, d'Iran, d'Italie, du Japon, du Mexique, du Nicaragua, du Paraguay, du Pays-Basque, du Pérou, de Suisse, de Turquie, d'Uruguay et du Venezuela ont discuté des thèmes "De nouvelles façons de faire de la politique et de la dire pour les luttes de cette fin de siècle. Comment construire une façon de "bien" faire de la politique ? Comment concevoir une autre façon d'agir en politique ?"

La construction de nouvelles façons de faire de la politique et de la dire doit d'abord insister sur les différences culturelles, sur la confrontation de valeurs d'origines diverses et sur la contradiction entre la civilisation de mort et la civilisation de vie. Aujourd'hui, le moule de notre civilisation est la consommation, l'individualisme et le rendement. Nos propositions heurtent ce moule. Voilà le problème de fond, qui ouvre une ère nouvelle, un nouveau Pachakutik, diraient nos camarades équatoriens, pour la politique et le travail politique.

Une nouvelle ère, où il ne s'agit pas de définir entre nous la structure politique nouvelle, où il ne s'agit pas de réfléchir sur les moyens pour convaincre les populations, mais de revenir à la communauté pour y récupérer sa diversité et sa pluralité, les différentes formes par lesquelles elle s'organise, s'exprime et lutte à tous les niveaux et dans tous les des cadres. Il s'agit de maintenir une politique de principes clairs, où la négociation s'appuie sur la mobilisation et sur une vaste politique d'alliance.

La vertu de l'EZLN a été de revenir à une pensée politique enracinée dans les luttes d'émancipation. Revenir à une pensée préservant les acquis de ces luttes nous conduit à concevoir la politique depuis la communauté, espace pluriel, respectueux, cadre du processus même où l'on fait de la politique.

Pour la construction de nouvelles formes de faire de la politique, nous proposons de renforcer la proposition de démocratie des zapatistes, qui a été portée dans les divers pays et vous a conduits à être présents aujourd'hui dans la forêt Lacandone, de la reconnaître publiquement comme légitime.

Une leçon du zapatisme est qu'il faut éviter de copier le zapatisme. Il faut éviter le dogmatisme. La collectivité doit élaborer sans attendre de recette, innover en respectant les différences. Nous devons nous forcer à ajuster les leçons du zapatisme à nos expériences concrètes. La nouvelle forme de faire de la politique consiste d'abord à reconnaître la diversité des conditions et des aspirations des différents peuples et des différents secteurs de la société. Elle suppose aussi d'apprendre sans cesse des initiatives que prennent les gens, des motivations et du contexte de leurs luttes afin d'y contribuer.

Il est nécessaire de reconnaître la légitimité des luttes populaires qui n'entrent pas dans la tradition revendicative, des luttes qui ne veulent confier ni aux lois du marché ni à l'État la vie et le mode de vie. Ce sont des luttes qui essaient de se fonder sur la capacité de décision des gens dans tous les aspects de leur vie quotidienne, et traduisent leur conviction quant à la nécessité de mettre un frein à l'accroissement de l'économie formelle, de redonner une échelle humaine à la sphère économique.

On ne doit pas abandonner les luttes revendicatives destinées à protéger et à amplifier les conquêtes historiques des travailleurs, conquêtes que la politique néolibérale cherche à leur arracher. Il faut saluer à ce propos les efforts des mouvements récents qui, tout en défendant leurs revendications traditionnelles, essayent de rompre avec le marché et l'État pour créer des espaces économiques, sociaux et politiques, qui soient autonomes.

Quelles formes d'organisation pouvons-nous nous donner aujourd'hui ? Celles-ci devront respecter la diversité, reconnaître la légitimité de "l'autre", et respecter l'autonomie de chacun. Partant de là, les relations entre nous ne pourront être que horizontales. Nous pourrons alors développer notre travail, en nous souvenant que si la démocratie est une bannière de la gauche, la gauche ne s'est pas toujours caractérisée par l'exercice quotidien de la démocratie. Si nous voulons construire une force politique, il nous faut être tolérant, savoir écouter les autres, trouver les mécanismes démocratiques pour régler les différends et extirper de nos instruments de lutte la bureaucratie désespérante. Pour cela il faut donner une nouvelle dimension à la relation entre la politique et l'individu, redéfinir les relations entre la base et les dirigeants, de sorte que chacun devienne responsable de ses actions. Nous avons eu un débat constructif sur la situation actuelle et le rôle des partis politiques et des autres organisations, et nous avons jugé positive l'existence de ces diverses formes d'associations où les citoyens de différents secteurs sociaux peuvent librement se réunir.

Les luttes sociales de cette fin de siècle doivent viser à augmenter sans cesse la possibilité pour les citoyens de déterminer librement comment construire les organes démocratiques des sociétés, de participer directement à l'exercice du pouvoir et de soumettre à leur contrôle ceux à qui ce pouvoir aura été délégué. Ces luttes comprennent le contrôle des citoyens pour éviter les fraudes électorales et les manipulations de votes par les gouvernements, les partis ou les médias.

Ces luttes comprennent aussi la mise en oeuvre d'instruments de participation des citoyens, tels l'initiative populaire, le référendum, la révocation des mandats, etc. Il est amplement prouvé que se limiter à une conception procédurière de la démocratie appauvrit sa signification, aussi bien comme aboutissement des longs combats contre les tyrannies et les dictatures que le monde a connues, que comme conflit permanent entre l'idéal démocratique et ses concrétisations.

Commander en obéissant.

Quand on pense au pouvoir, à la façon d'y parvenir et de l'utiliser pour son propre bénéfice, se pose non seulement la question de la démocratie que nous voulons, mais aussi celle de nouvelles relations entre éthique et politique, dans la perspective de faire de la politique une activité noble, qui cherche l'organisation du bien-être commun. Face à l'arrivisme et à la corruption, face à la bureaucratie et à la verticalité qui ligotent actuellement le pouvoir et défigurent la démocratie, il faut mettre en route l'innovation proposée par les zapatistes de commander en obéissant, de servir et non de se servir, de représenter et non de supplanter, de construire et non de détruire, de proposer et non d'imposer, de convaincre et non de vaincre. Cette proposition zapatiste conduit à des organisations ouvertes, horizontales et accueillantes.

Comment construire un pouvoir différent ? Un des chemins possibles est de reconnaître que le pouvoir doit être présent dans toute la société. L'exercice du pouvoir s'est fait, traditionnellement dans les sphères de l'État et du gouvernement. Revenir sur cette conception et déplacer le pouvoir vers la société permettra de construire des contrepoids qui limiteront le pouvoir. Conditionner toute prise de décision à l'analyse de la société au travers de référendum est une façon de mettre en pratique l'idée de commander en obéissant. C'est une façon d'obliger à une politique transparente, fondée sur des principes clairs.

Notre table ronde a conclu à la nécessité d'en finir avec la séparation entre politique et vie quotidienne et de récupérer la politique comme un genre noble permettant de retrouver la maîtrise de nos propres destins. La nécessité de construire un espace physique pour la société civile, de créer un espace pour l'information, pour donner la parole à ceux qui ne l'ont pas, un espace pour faire connaître les mauvais fonctionnements et pouvoir agir immédiatement contre ; de construire un espace de libre association de personnes souhaitant le changement sans exclure personne, attentives aux problèmes des autres, un espace de rencontre égalitaire d'hommes et de femmes mettant en commun leurs savoirs. Un espace qui soit un laboratoire d'idées et de projets, où se définirait une relation meilleure avec la nature, où l'on améliorerait chaque jour notre façon de faire et de dire la politique.

Il faut reformuler la notion de politique, ce qu'elle signifie pour nous, mais aussi comment nous la pratiquons, comment nous développons des projets démocratiques qui assurent une participation effective de toutes et tous dans le processus de prise des décisions fondamentales. Voilà le chemin des luttes pour notre émancipation. Pour nous, la politique est l'activité de transformation entreprise par un grand nombre d'hommes et de femmes, qui ont une conscience claire de ce qu'ils cherchent. Paradoxalement, la politique est une activité humaine qui tend à se nier elle-même.

Dans l'exercice du pouvoir, on ne peut oublier le rôle que joue l'éducation. La domination s'exerce à travers le savoir. Une éducation sans autonomie et liberté impose un savoir dépendant et tend à dissimuler l'exploitation néolibérale. Pour empêcher ce savoir imposé, il faut créer un front de résistance idéologique contre le savoir officiel et contre les points de vue eurocentristes. On ne peut être démocratique sans lutter contre les mandarins du savoir. La démocratie inclut la production du savoir.

La fin et les moyens.

Les succès obtenus depuis le 1er janvier 1994 nous permettent d'enrichir les perspectives de la gauche. Le zapatisme d'aujourd'hui, au-delà de la conscience qu'il a de lui-même et de l'énorme capital de sympathie qu'il a suscité, constitue un véritable défi à bien des dogmatismes. Parmi ceux-ci figure la confusion entre les chemins pour la transformation socio-économique et les formes de luttes utilisées à cette fin.

Les formes de lutte peuvent varier selon les particularités du moment ou du pays, et, en général, elles sont imposées par les forces dominantes. Certains des participants de la table ronde pensent qu'au Mexique se combinent des luttes de formes très différentes, mais que les protagonistes, aussi bien de la lutte pacifique que de la lutte armée, ont accepté le droit à l'autre option. Ceci s'explique par le fait que chacun reconnaît l'existence de conditions politiques différentes d'une partie à l'autre du pays, allant d'une disparité des espaces démocratiques à la précarité, voire l'inexistence des instances démocratiques et à la domination autoritaire et violente des caciques.

D'autres participants considèrent qu'il faut reconnaître sans réserve le droit des faibles à arborer leur dignité et à employer pour leur autodéfense tous les moyens à leur portée, y compris la violence. Les décisions à ce sujet doivent être prises de façon démocratique. Cette position reconnaît sans réserve que la non-violence est supérieure pour atteindre des objectifs politiques et pour contribuer à forger chez les gens la conscience de leur propre force : il n'y a aucune raison pour que l'immense majorité de la population mondiale ait la moindre peur du petit groupe associé au projet néolibéral. Il faut reconnaître qu'en diverses circonstances, en divers lieux ou moments, il faudra employer la résistance passive, la désobéissance civile ou d'autres méthodes de non-violence active. Dans tous les cas, les moyens déterminent et conditionnent les objectifs.

La démocratie reste à inventer dans toutes les parties du monde, par tous et par toutes. C'est une recherche permanente faite par tous les citoyens. La citoyenneté n'est pas une nationalité, mais la participation active à la société ; c'est une attitude critique qui met ses espoirs dans la vie.

PROPOSITIONS DE LA TABLE 1

La lutte contre le néolibéralisme.

Nous proposons

- Pour détruire le circuit finances-pouvoir-trafic de drogue, la dépénalisation des drogues douces et l'emploi des ressources destinées à combattre le trafic pour des programmes de développement et de bien-être social.

- Le contrôle social des moyens de communication, aujourd'hui aux mains d'une poignée d'entreprises multinationales.

- La création d'une organisation globale qui coordonne les diverses luttes locales contre le néolibéralisme.

- Rendre permanente la Rencontre internationale pour l'humanité et contre le néolibéralisme.

- La prolonger par la réalisation de Rencontres région par région.

- Développer une campagne mondiale de défense des libertés politiques.

- Construire la démocratie à partir des relations subjectives de la vie quotidienne.

- Récupérer les formes d'organisation et de convivialité communautaire.

- Créer un réseau, à partir de la base et vers le haut, local, national, international. Construire des organismes ou des nœuds de ce réseau qui fonctionnent par le consensus et le commander en obéissant. Inclure des mouvements, des organisations et des partis qui sont prêts à s'unir à la lutte contre le néolibéralisme. Créer un réseau de réseaux.

- Étendre le réseau des jeunes qui communiquent par Internet.

- Déclarer une Journée internationale contre le néolibéralisme et faire en sorte que chaque participant à cette Rencontre organise cette Journée dans son pays.

- Dans beaucoup de pays, le néolibéralisme s'est imposé au prix de la mort de nombreuses personnes. Nous protestons contre l'impunité des génocides.

- Lutter pour que les relations entre les individus ne se fondent pas sur les classes, les races, les sexes, les préférences sexuelles, les âges ou les croyances.

- Égalité politique entre les femmes et les hommes. Impulser des actions permettant des espaces de participation politique pour les femmes. Transformer le langage sexiste et masculin, qui reproduit la relation de pouvoir entre les sexes.

- Boycott économique et campagnes mondiales contre toute entité appuyant le trafic d'armes et le commerce de la guerre. Et contre ceux qui provoquent la mort de l'humanité et de la nature.

Proposition relatives au Chiapas et au Mexique.

- Appliquer les points adoptés lors du Forum indigène.

- Former de petites communautés Aguascalientes dans tous les pays.

- Former des comités de solidarité qui maintiennent le contact entre eux et s'engagent à une coordination régulière.

- Former des brigades de volontaires au Chiapas, qui agissent comme cordons de sécurité.

- Envoyer une aide humanitaire directe aux cinq Aguascalientes, avec ou sans la permission du gouvernement mexicain.

- Nous proposons au Comité Clandestin Révolutionnaire Indigène de l'EZLN, qu'à notre retour, les participants de cette Rencontre participent à une manifestation à San Cristobal de Las Casas, pour protester contre les intimidations des paysans par les "gardes blanches" et contre la militarisation du pays. Que la Rencontre se prononce contre la guerre de basse intensité au Chiapas. Lors de la séance plénière de la Table 1, on a signalé les risques d'expulsion que courent les camarades venus d'autres pays.

- Nous proposons d'envoyer un télégramme au président Ernesto Zedillo pour protester contre la violence employée contre la Maison du Peuple de la municipalité de Venustiano Carranza, et contre les paysans des municipalités du nord de l'État : Tila, Yajalón, Sabanilla, Salto de Agua et Chilón.

- En fonction des conditions de chaque pays, nous exigeons que les parlementaires se prononcent contre la présence de l'armée dans les communautés du Chiapas.

- Exiger du gouvernement mexicain qu'il négocie réellement la paix avec l'EZLN. Qu'il présente des propositions viables et concrètes. Nous le rendons responsable de l'échec du dialogue, s'il se produit un jour.

- Que le document résultant de la séance plénière générale du 2 août 1996 s'intitule "Déclaration Internationale de Aguascalientes pour la Paix, la Vie et l'Humanité".

- Lutter contre la guerre et l'image factice de démocratie diffusée par les moyens de communication. Nous sommes contre la concentration de ces moyens et leur usage pour manipuler et contrôler nos sociétés.

- Convoquer un concours international pour trouver un logo, basé sur le personnage de Durito, qui nous identifie comme combattants contre le néolibéralisme.

- Que chaque comité participe à l'équipement d'écoles, de laboratoires médicaux, de cliniques, d'hôpitaux et de coopératives de production dans les communautés zapatistes.

Appel des travailleurs qui ont assisté à

la Rencontre contre le néolibéralisme.

- Pour une campagne mondiale pour la libération des 16 présumés zapatistes et de tous les prisonniers et disparus politiques du monde.

- Pour la coordination d'une campagne d'aide internationale et sans intermédiaire à toutes les municipalités du Chiapas.

- Pour la démilitarisation du Chiapas et de toutes les régions du Mexique occupées par l'armée.

- Pour que le gouvernement mexicain porte la responsabilité de toute agression contre les communautés du Chiapas ou contre l'EZLN.

- Contre les armées et les polices qui répriment tous les peuples du monde.

- Contre les blocus de l'Irak et de Cuba. Reconnaissance de la résistance du peuple cubain face à l'impérialisme nord-américain.

- Contre le paiement de la dette publique extérieure.

Quelques mots sur notre pensée

Intervention du sous-commandant Marcos

Bonsoir à tous. Nous voudrions vous demander la permission de vous adresser quelques mots sur le thème de travail de la Table 1 : "Quelle politique nous offre-t-on et de quelle politique avons-nous besoin". Je fais allusion aux quatre sous-thèmes de cette Table. Je vais essayer de respecter le temps maximum fixé pour les interventions : une heure (rires). Je vais essayer de parler doucement pour ceux qui traduisent. Y a-t-il des gens en train de traduire ?

La première chose que je dois dire, c'est qu'il s'agit d'une réflexion du dedans, une réflexion des zapatistes sur les zapatistes. Évidemment, il va y avoir, et il doit y avoir des gens, qui ont le temps, ailleurs, de faire de meilleures analyses sur ce qu'est et ce qu'a été le zapatisme. Nous, nous manquons de temps et de recul pour réfléchir sur ce que nous faisons, mais, bon, voici une espèce de concentration sur nous-mêmes, qui peut ou non coïncider avec ce qui se passe dans la réalité.

L'Armée Zapatiste de Libération Nationale est née le 17 septembre 1983 dans les montagnes du Sud-est mexicain, à 80 km vers l'est, au cœur de la forêt. En 1983, on était encore à l'époque d'un monde bipolaire divisé en deux grandes puissances : le capitalisme d'une part – où l'hégémonie était principalement aux États-Unis, dans la Communauté Européenne et au Japon –, et le camp socialiste d'autre part – où l'hégémonie était totalement dans se qui s'appelait alors l'Union des républiques socialistes soviétiques. Ce monde bipolaire a surgi à la fin de la Deuxième Guerre mondiale, après les bombes atomiques de Hiroshima et Nagasaki et la fin de la répression de l'Allemagne nazie. C'est alors que se créent deux grandes armées, qui vont conduire à la Troisième Guerre mondiale : le Pacte de Varsovie et l'OTAN, Organisation du traité de l'Atlantique Nord. Là se produit – et s'enseigne dans diverses universités – le concept de guerre globale, qui induit une guerre à tous les niveaux et en tous lieux, dont une des doctrines donnera naissance à ce que l'on appelle la guerre de basse intensité : guerre idéologique, guerre sociale, guerre politique et guerre économique. L'objectif de cette Troisième Guerre Mondiale, est, comme dans toutes les guerres mondiales, de partager à nouveau le monde. Le point culminant, comme nous le savons, est la déroute du camp socialiste au milieu des années 80, la fin de l'URSS et le passage du monde à ce que l'on appelle aujourd'hui l'unipolarité.

L'Armée Zapatiste de Libération Nationale est alors dans la montagne. C'est un groupe qui porte toute la tradition des guerrillas latino-américaines des années 70, un groupe d'avant-garde, d'idéologie marxiste-léniniste, qui lutte pour la transformation du monde et cherche à arriver au pouvoir pour instaurer une dictature du prolétariat. À ce moment, tandis que le monde résout sa Troisième Guerre mondiale pour débuter la Quatrième Guerre mondiale, connue aujourd'hui sous le nom de néolibéralisme, l'EZLN subit le choc de la rencontre avec la pensée des communautés indigènes, dans une poche d'oubli où le néolibéralisme les a conduites. À l'heure où il parle d'ouvrir les frontières pour l'argent et de globaliser le monde, le néolibéralisme parvient à fragmenter ce monde en une multitude de petits morceaux, et même à faire s'affronter entre eux ces petits morceaux. Les exemples de l'ex-Yougoslavie en Europe, du Liban en Asie montrent ce que le néolibéralisme offre comme avenir à tous les peuples du monde. Et l'on voit que le néolibéralisme mesure l'être humain à sa capacité d'acheter, de vendre, à sa capacité commerciale ; il oublie peu à peu tous ceux qui ne sont pas productifs, qui ne peuvent acheter, qui ne peuvent vendre, qui n'ont pas de capacité commerciale. Et il crée des poches d'oubli, des bourses d'oubli. L'une d'elles se trouve dans le Sud-est mexicain, dans les montagnes du Sud-est mexicain. Il essaye d'oublier et d'isoler ceux qui sont le moins productif ; or ceux qui peuvent le moins acheter et vendre sont les Indiens. En les mettant dans un poche d'oubli, le pouvoir a cherché à les supprimer au moindre coût politique, au moindre coût pour sa propagande. Autrement dit, mettre dans une poche d'oubli des centaines de milliers, plus d'un million d'Indiens coûtait moins cher qu'une bombe, était plus sélectif et avait un prix moins élevé en termes de répercussion dans la presse. Cette poche d'oubli, il fallait aussi la créer pour pouvoir s'emparer du pétrole, du bois, de l'électricité et de l'uranium que l'on trouve sur ces terres où vous êtes réunis aujourd'hui. Cette poche d'oubli, à l'heure du choc avec les vieilles idéologies, s'est heurtée avec des idéologies plus vieilles que la pensée relativement récente du marxisme, née à la fin du XIX° siècle, des idéologies qui n'ont pas un siècle ou deux, mais bien davantage, qui existent depuis qu'existe l'homme, ou au moins depuis la culture maya. Le choc entre une avant-garde politico-militaire, ou une supposée avant garde politico-militaire, et une forme politique de résistance s'est alors produit. Quand le pouvoir politique a créé ces poches d'oubli dans les communautés indigènes, celles-ci ont converti ces poches d'oubli en poches de résistance et ont commencé à s'organiser pour survivre de la seule façon possible : ensemble, de façon collective. La seule façon qu'avaient ces gens d'assurer leur survie était de s'unir les uns aux autres. C'est pourquoi le mot ensemble, le mot nous autres, le mot unis, le mot collectif marquent le discours de nos camarades. C'est une partie fondamentale, je dirais la colonne vertébrale, du discours zapatiste.

Finalement, cette poche dont je vous disais qu'elle s'est convertie en poche de résistance, est devenue une poche à l'intérieur de laquelle se préparait une guerre qui a éclaté avec le point culminant, l'orgasme du néolibéralisme : la signature du traité de libre commerce Alena, dont l'entrée en vigueur permettait de formaliser ce qui était déjà une réalité : la disparition des frontières entre le Canada, les États-Unis et le Mexique, pour l'argent et pour les marchandises, mais non pour les personnes. Cette poche de résistance, produit de l'oubli et qui devient poche de guerre, arrive au point de rupture le 1er janvier 1994 et décharge l'amertume de cinq cents ans pour certains, de plus de cinq cents ans pour d'autres, en tout cas de dizaines d'années pour nous autres, et provoque tout ce qui s'est passé depuis deux ans et demi. Et alors, un nouveau choc se produit pour le zapatisme, qui n'a plus rien à voir avec le zapatisme de 1983, qui est nouveau en 1993 et doit être encore nouveau en 1994, à l'heure où le zapatisme armé découvre de nombreuses forces de résistance, de nombreuses poches d'oubli qui s'étaient multipliées tandis que nous, nous étions dans les montagnes du Mexique et du monde. Nous avons découvert que la poche pour oublier les indigènes s'était reproduite pour oublier d'autres hommes et d'autres femmes dans toutes les parties du monde, pour oublier tous ceux qui ne pouvaient être inclus dans un traité commercial, comme celui proposé par le néolibéralisme, ceux que, à grands traits, nous décrirons comme les exclus et qui constituent les quatre groupes fondamentaux de ce que nous appelons "les gêneurs", "les importuns", les exclus : les femmes, les indigènes, les jeunes et les homosexuels, soit le mouvement gay, y compris les lesbiennes. Ces quatre groupes principaux, que le néolibéralisme a définis comme ses ennemis principaux, doivent être mis dans une poche, dans une bourse, dès qu'il essayent de s'organiser, ils doivent être étiquetés et rangés à part de la société.

Cette Rencontre n'est pas une bourse des valeurs, mais une rencontre de poches, de bourses d'oubli et de résistance, cherchant leurs similitudes et reconnaissant leurs différences. Le zapatisme armé, né en 1994, commence à se changer en quelque chose de nouveau au moment où il rencontre le zapatisme civil du Mexique et du reste du monde, des gens qui pensent comme nous, qui luttent pour la même chose mais qui ne sont pas armés et n'ont pas de passe-montagne ; pourtant ils sont comme nous, et nous considérons que, d'une certaine façon, ils partagent la tribune avec nous, qu'ils sont derrière les passe-montagne. C'est ce que nous appelons le néozapatisme, quelque chose qui ne nous appartient déjà plus, qui n'appartient pas à l'Armée Zapatiste de Libération Nationale, qui bien sûr n'appartient pas à Marcos, mais qui n'appartient pas non plus aux zapatistes mexicains. C'est le symptôme de quelque chose de beaucoup plus grand, qui se passe dans le monde entier, qui nous appartient en partie, mais qui appartient surtout au meilleur de ce que ce siècle a mis au monde au cours de ses dernières années : vous. Et ce quelque chose, il revient à chacun de vous de le définir, de lui donner le cap. Cela s'appellera comme ça s'appellera, mais le zapatisme de 1994 et de la guerre de paroles que nous menons depuis est le symptôme de quelque chose de plus, qui se passe en Amérique du Sud, en Amérique du Nord, en Europe, en Asie, en Afrique et en Océanie ; pour nous, c'est le signe que ces poches isolées et oubliées luttent pour s'ouvrir, pour se déchirer et cherchent à se rencontrer pour en finir avec ce monde de bourses, de bourses des valeurs comme de bourses d'oubli.

Pour construire ce quelque chose, nous pensons qu'il faut reposer le problème du pouvoir, ne pas reprendre la formule qui dit que, pour changer le monde, il est nécessaire de prendre le pouvoir et qu'une fois au pouvoir, on pourra organiser le monde comme il convient, c'est-à-dire comme il me convient, à moi, qui suis au pouvoir. Nous avons pensé qu'en changeant cette prémisse relative à la prise du pouvoir, si nous décidions que nous ne voulions pas prendre le pouvoir, cela allait produire une nouvelle façon de faire de la politique, un autre type de politique, d'autres êtres humains, différents des politiciens que nous subissons dans tout le spectre politique : gauche, centre, droite. Ce changement de prémisse explique en partie la transition entre Armée Zapatiste de Libération Nationale et Front Zapatiste de Libération Nationale ; c'est la rencontre de deux zapatismes, le zapatisme armé et la zapatisme pacifique, mais bien de deux zapatismes, et nous commençons à trouver notre propre chemin au niveau national – et peut-être à faire émerger la nécessité d'un rencontre au niveau international – sur la possibilité de sortir la politique du spectre gauche-centre-droite et de ses divisions, et sur la prise du pouvoir, pour y expliquer à grands traits ceci : le monde ne doit pas être tel que nous le voulons, ou tel que le pouvoir le veut, mais un monde où aient place tous les mondes, autant de mondes que nécessaire, pour que chaque homme et chaque femme ait partout une vie digne, qui corresponde au concept que chacun a de la dignité. Un monde où nous vivrions tous dans la dignité, voilà le monde que les zapatistes veulent. Le prix de notre vie n'est pas une mairie, un palais de gouverneur, la présidence du Mexique ou la présidence de l'ONU, ou quoi que ce soit d'équivalent. Le prix de la vie des zapatistes est un monde où aient place tous les mondes.

Nous pensons que, en première approche, ceci définit le moment où nous sommes. Nous ne savons pas ce qui vient ensuite, mais nous savons bien que les prochains pas, ce n'est pas nous qui pourrons les définir ; nous savons que, pour la suite, nous devons écouter d'autres voix, et nous avons besoin que ces autres voix s'écoutent entre elles. Nous avons besoin d'une rencontre, de deux, trois rencontres, de beaucoup de rencontres, pour pouvoir construire ensemble ce chemin, s'il existe ; et si ce chemin n'existe pas, au moins nous nous amusons bien à le chercher, et nous ne tuons personne d'ennui, ce qui est une forme bien laide de mourir. Ce que nous demandons, c'est cela : que nous rencontrions ceux qui sont venus vous rencontrer, mais aussi que vous vous rencontriez entre vous, pour construire ce quelque chose, ou au moins, pour partager l'angoisse de ne pas savoir ce qui vient ensuite et pour partager l'orgueil d'avoir participé à une réunion où l'on a posé sérieusement ce problème : comment construire un monde où aient place tous les mondes. Voilà la politique dont nous croyons que la construction vaut la peine : une politique qui fonde ses valeurs essentielles sur l'inclusion et la tolérance, et qui, en dernière instance, puisse être construite en n'importe quel point du monde, pour autant que ce ne soit pas sur l'humiliation de quelqu'un. Sinon, nous croyons que nous n'allons rien faire d'autre que de répéter le vieux cycle ennuyeux de l'histoire, qui conduirait au point même d'où nous sommes partis.

Nous savons que l'humanité mérite d'avoir sa chance, que l'humanité mérite les meilleurs des hommes et les meilleures des femmes qui la composent. Vous êtes une partie de ceux-ci, et c'est bien que vous soyez venus. Je suis content aussi que la pluie nous ait épargnés au moins ce matin, pour pouvoir parler, bien que l'on m'ait dit que la pluie ne vous avait pas empêchés de danser cette nuit !

Table 2

La question économique :

Histoires d'horreur

Aguascalientes V

Roberto Barrios

Cette Table ronde s'est tenue à Roberto Barrios, qu'un chemin permet d'atteindre à partir de Chancala. La communauté et son Aguascalientes sont faciles à localiser, car ils sont situés à guère plus de 200 mètres du camp militaire du 21° bataillon d'infanterie de l'armée fédérale mexicaine. C'est à cet endroit que se trouve un autre "lieu de résistance contre la stupidité".

La question économique a été discutée dans quatre groupes de travail. La table A a été consacrée au néolibéralisme : "Le pouvoir financier et ses sicaires. Les indicateurs macro-économiques, formes de perversion de la réalité ?" La table B s'est interrogée sur la question de savoir si une alternative à ce système est possible. La table C sur le progrès : spéculation, commerce de la guerre, du trafic de drogue et de la santé. La table D, enfin, s'est penchée sur "Le travail, la dictature du libre-échange, la dette et la pauvreté". Soixante contributions ont fait l'objet d'une présentation écrite, et plusieurs dizaines ont été présentées oralement.

Les corridos "Juan sin tierra", "El insurgente" et l'hospitalité dans la boue omniprésente ont marqué le début des travaux auxquels se sont consacrés avec cœur 253 délégués auto-organisés d'Italie, des États-Unis, d'Espagne, du Pays Basque, de Catalogne, de France, d'Allemagne, du Canada, du Chili, de Suisse, de Belgique, d'Argentine, de Cuba, du Nicaragua, de Colombie, de Haïti et du Mexique.

Chacun, avec sa personnalité, combattant pour la démocratie, la justice et la liberté, comme Leticia, María Alicia, Concepción, Valentin, Jacobo, Vicente, Pedro et Alfred, tous membres du Comité Clandestin Révolutionnaire Indigène - Commandement général de l'Armée Zapatiste de Libération Nationale (EZLN). Nous, qui sommes vous.

Il y avait les délégués de nombreuses organisations de solidarité. De France : le Comité Chiapas de Lyon, le Collectif Chiapas de Toulouse, le Comité de solidarité avec l'Amérique Latine, le Comité de solidarité avec les peuples du Chiapas en lutte. Des États-Unis : la Coalition de solidarité zapatiste, Le Comité Emiliano Zapata, de Californie, Le Réseau pour le Chiapas, du Vermont, Action zapatiste, de Austin, la Comité de solidarité avec le peuple mexicain, de Los Angeles, Solidarité zapatiste, de Chicago, Nord-américains pour la démocratie au Mexique. Du Mexique ont participé plus de vingt comités civils de dialogue pour la construction du Front zapatiste de libération nationale, El Barzon de Anáhuac, la Coordination nationale des organisations pour la paix, la caravane mexicaine "Tout pour tous !", le Réseau mexicain d'action contre le libre-échange, le Front authentique du travail, l'Alliance civique de Juarez, le Courant des téléphonistes démocratiques. Le groupe Étudiants indépendants de Catalogne, le Comité International d'Euzkadi. D'Espagne : l'Assemblée de solidarité avec les peuples du Mexique, la Plate-forme de solidarité avec le Chiapas, de Córdoba, le Front Serrano de solidarité avec le Chiapas, le projet América, la Plate-forme de Solidarité avec la rébellion zapatiste. L'Union des journalistes de Cuba. Le Forum pour la démocratie du Chili. Du Canada : le Réseau Métropolitain de Toronto pour la justice sociale, le Réseau de solidarité avec le Mexique, de Montréal. D'Italie : le Centre social Granma, le Comité internationaliste Che Guevarra, le Centre social León Cavallo, le Centre social du travail autogéré, le Mouvement non-violent. D'Allemagne le groupe Penumbra, l'Alliance Chiapas de Hambourg, le groupe La jeune gauche. De Suisse : Solidarité directe avec le Chiapas

Il s'agissait d'analyser et de résoudre depuis une position extraplanétaire ce qui se passe sur la terre détériorée, contaminée, endommagée par les explosions nucléaires et remplie de misérables. Tout cela en deux jours et demi, au cours desquels ont été réalisées quelque 24 heures de travail effectif, en groupes de travail, sessions et séances plénières.

Le reste du temps a été consacré au chant et à la danse. Massimo et son groupe ont suscité l'enthousiasme chez les Allemands, les Français, les Suisses, les Belges, les Mexicains, les Nord-Américains, les Catalans et les Espagnols. De "Bella chiao" à l'Internationale, de la poésie à l'hymne zapatiste, "El Elegido". On n'a pas beaucoup dormi pendant ces deux jours ! Une allégresse démesurée pour caractériser le crime historique qui consiste à concentrer le richesse et les privilèges et à démocratiser la misère et le désespoir. Il y a de l'espoir.

Petit espace pour continuer à nous écouter, il nous a fallu 25 sessions. Nous avons commencé avec : "La politique économique au service des peuples et non le contraire", et nous avons profité des avis de David Barkim, assesseur de l'EZLN, de Harry Cleaver, du groupe Action zapatiste d'Austin (Texas), de Massimo de Angelis, éditeur de la revue politique italienne Vis-a-vis, de Maria Elena Martinez, du Comité Emiliano Zapata de Californie et d'Andrès Barreda, assesseur de l'EZLN et membre du conseil éditorial de la revue Chiapas.

Pour renforcer la Rencontre, trois mini-rencontres se sont tenues sur "La situation économique actuelle de Cuba", "La critique du modèle néolibéral chilien" et "Les projets en cours contre le néolibéralisme", ce dernier à l'initiative de la délégation française.

Après l'adoption d'une déclaration contre le harcèlement des communautés par des vols rasants d'avions militaires sur Oventic, La Realidad, Roberto Barrios, Morelia et La Garrucha, et l'approbation des documents qui sont présentés ci-dessous, le commandant Pedro s'est chargé du discours de clôture.

A. Qu'est-ce que le néolibéralisme

et comment nous affecte-t-il ?

Les 53 participants à la Table 2A, tous zapatistes du monde, sont accourus à la convocation de l'EZLN depuis nos terrains de lutte, des villes et des campagnes d'Italie, d'Espagne, de Catalogne, d'Allemagne, de France, du Mexique, des États-Unis, du Pays Basque, d'Irlande, du Canada et d'Argentine, et après deux jours de débats intenses, nous sommes parvenus, à l'unanimité, à un ensemble d'idées sur la spécificité du néolibéralisme et les stratégies de résistance et de rébellion que nous pouvons et voulons construire.

1. Le néolibéralisme est une stratégie d'organisation de la production et de la vie sociale. Il représente un moment historique du développement capitaliste apparaissant comme une réponse d'ensemble aux contradictions du processus d'accumulation du capital et de la lutte des classes. En ce sens, néolibéralisme et capitalisme ne peuvent être dissociés l'un de l'autre, et toute lutte contre le premier implique nécessairement une lutte contre le capitalisme lui-même, en tant que système d'exploitation et de domination sociale. Le néolibéralisme n'est rien d'autre que le visage actuel du capitalisme.

2. Le néolibéralisme subordonne tous les rapports sociaux à la logique du marché, qu'il tend à faire apparaître comme la forme naturelle d'organisation de la société, en en faisant ainsi une arme idéologique contre l'espérance. A partir de cette justification de la concurrence comme forme de relation sociale, tout est soumis à la sanction du marché, seul lieu universel de validation. Selon la logique marchande, notre reconnaissance sociale n'est possible que sous la forme de marchandises, et non en tant qu'êtres humains.

3. Le néolibéralisme privilégie la dynamique de la concurrence. Or celle-ci suppose par définition que, pour que l'un gagne il faut qu'un autre perde : Il y a négation de tout ce qui ne peut être approprié, incorporé ou soumis. La concurrence implique le renforcement personnel et l'affaiblissement de l'autre. L'autre est toujours la négation de soi et donc il ne peut être toléré, de sorte qu'il faut empêcher son développement et rechercher sa destruction. Le capital se bâtit en détruisant, s'enrichit en appauvrissant, s'approprie en dépossédant. L'humanité ne saurait se construire sur cette base, parce qu'elle est reconnaissance de soi dans l'autre et avec l'autre. La soumission de l'autre, sa destruction, son humiliation, son anéantissement, nécessaires dans la logique de la concurrence, constituent la négation de l'humanité.

4. Le capitalisme a une tendance immanente à l'expansion à travers le monde, non seulement au moyen du commerce, mais aussi par la subordination des populations de nombreuses régions par des réseaux industriels et commerciaux, tels que ceux établis au dix-huitième siècle entre l'esclavage afro-américain et le développement de l'industrie textile en Europe. Puis l'expansion du capital a atteint une échelle planétaire avec le colonialisme et le néocolonialisme. Avec le néolibéralisme, la globalisation de ces réseaux devient totale et tend à établir des liens intenses entre tous les éléments de la vie sociale dans toutes les régions du monde.

Cependant, de la même façon que par le passé, l'établissement même de ces réseaux globaux de domination crée les conditions d'existence de réseaux globaux d'antagonisme, de résistance et de lutte. De même que les paysans anglais résistèrent à l'expulsion de leurs terres et à leur incorporation forcée aux usines, et que les Africains résistèrent à l'esclavage et à leur incorporation forcée aux plantations américaines, les peuples d'aujourd'hui résistent aux tentatives néolibérales d'imposer la logique du capital, du marché et de la soumission aliénante de la vie au travail. Et de même que les travailleurs d'autrefois diffusèrent leurs luttes de par le monde par les navires de commerce et les transports de prisonniers, les travailleurs d'aujourd'hui diffusent leurs luttes par les mouvements de populations traversant les frontières ou les moyens de communications : la solidarité ne cesse de se globaliser.

L'attitude néolibérale consistant à imposer sa logique au monde entier rend possible la diffusion globale des luttes et l'apparition de révoltes et de révolutions partout. Ainsi l'universalité de la stratégie néolibérale rend universelle la résistance : nous sommes tous confrontés au même ennemi. Mais si la logique est la même partout, les formes et les effets sont différents. Tout le monde ne s'affronte pas au néolibéralisme de la même façon, ce qui provoque des conflits et des antagonismes, comme ceux qui se manifestent entre travailleurs nationaux et étrangers, hommes et femmes, jeunes et vieux, ou encore entre groupes ethniques. Ainsi, bien que nous luttions tous contre un ennemi commun, les formes de lutte varient en fonction des circonstances particulières. De plus, la résistance se nourrit du refus de l'homogénéisation et d'une exigence d'autodétermination qui s'affirme de manières aussi différentes que la diversité des luttes, de l'imagination et de la volonté humaines. L'objectif politique consiste à parvenir à une convergence et une solidarité entre ces projets multiples. Comme le dit la major Ana Maria: "Sous le passe-montagne, nous sommes les vous qui êtes nous".

5. Bien que le néolibéralisme cherche en principe à restreindre le rôle de l'État, il ne restreint en réalité que les programmes et les services qui protègent le travail contre les méfaits du capitalisme, tandis qu'il développe les subsides au capital – par exemple en finançant les autoroutes de l'information, colonne vertébrale des industries informatiques – et la répression des luttes des travailleurs urbains et ruraux.

La privatisation des entreprises publiques réduit la puissance de l'État, mais aussi soumet ceux qui étaient travailleurs du secteur public au jeu concurrentiel du marché du travail du secteur privé. Cela porte atteinte à la fois à leur pouvoir, à leurs salaires, à leurs avantages sociaux et à leur capacité de contrôle de leur propre travail. À la résistance des travailleurs répond, dans ces conditions, une augmentation du pouvoir policier. Ainsi, au Mexique, la privatisation des terres communautaires – les ejidos – par la modification de l'article 27 de la Constitution, a provoqué une résistance paysanne ; le pouvoir a répondu par une militarisation destinée à contenir les risques d'insurrection et de révolution. Il en a été de même avec le mouvement zapatiste et la contre-attaque gouvernementale. A ce renforcement des forces de répression s'ajoute le développement de groupes paramilitaires toujours plus nombreux entretenus par le secteur privé pour protéger ses profits mal acquis.

Du fait de la croissance des marchés financiers, du renforcement des institutions financières internationales et des énormes flux de capitaux spéculatifs qui traversent les frontières, l'État se trouve enfermé au sein d'institutions comme le F.M.I. et la Banque mondiale. Ces institutions, grâce à la gestion de la dette, imposent systématiquement, dans le monde entier, des politiques néolibérales régressives. Les crises du secteur privé sont gérées par l'État au moyen de fonds publics, comme ce fut le cas lors de la crise du peso fin 1994. Tout cela montre la complémentarité entre institutions publiques et privées, et suggère que la position néolibérale consistant à attaquer l'État pour favoriser le marché n'est qu'un voile idéologique.

6. La crise capitaliste prolongée, qui a démarré dans les années soixante-dix et que certains attribuent à la baisse du taux de profit, et d'autres à l'ampleur des luttes sociales qui ont assuré la déroute de la doctrine de Keynes et Ford, est à l'origine de la nouvelle forme prise par la domination capitaliste. Déguisé sous le nom de néolibéralisme, le capitalisme contemporain développe de nouvelles modalités de subordination de la vie sociale à la logique de la mise en valeur, en promouvant des politiques économiques qui conduisent :

– à une violente évaluation marchande des différents moments de l'existence de la population, la limitant à être une travail à travers la baisse du revenu social distribué par l'État et la privatisation des services collectifs ;

– à la recomposition des mécanismes de soumission du travail, grâce à la fragmentation du marché du travail – travail précaire et informel –, la baisse des salaires, la montée du chômage et, par là, l'aiguisement de la concurrence entre travailleurs ;

– à la soumission de notre créativité et de notre imagination à une logique de concurrence et de marché, grâce au contrôle exercé sur les moyens de communication monopolisés et les politiques artistiques et éducatives qui traitent la population comme un capital humain ou une source de production de marchandises ;

– à la réduction de la sphère vivante à un stock de ressources naturelles mortes, réduites à être des matières premières utiles au processus productif. La crise de la "vache folle" offre un exemple particulièrement éloquent de l'irrationalité du capitalisme dans sa gestion de la nature ;

– à l'approfondissement de la polarisation sociale et à la construction de catégories fondées sur les différences et les particularités culturelles, le sexe, l'origine ethnique, la sexualité, la nationalité, la couleur , ..., qui sont utilisées comme autant de bases à la concurrence sociale et à différents types de fanatisme: racisme, sexisme, intégrisme, etc;

– à la gestion de la richesse publique en fonction de critères privilégiant non pas les besoins sociaux, mais la défense et la promotion du capital et l'accroissement de son contrôle sur le monde. Ainsi en va-t-il des dépenses considérables consacrées au secteur militaire et policier.

Sur la base d'une nouvelle échelle de capitaux, de nouvelles technologies et d'une nouvelle forme de centralisation du capital, les entreprises mettent en place un nouveau mode de contrôle des différentes branches de la division du travail – y compris les sources d'approvisionnement, les transports, les communications, les infrastructures, l'énergie, etc. Le capital acquiert une capacité inédite de mouvement sur toute la planète, provoquant un nouveau partage des territoires selon leur richesse en ressources naturelles stratégiques et en force de travail exploitable.

7. Dans la mesure où le néolibéralisme représente une réponse au keynésianisme, il peut se trouver confronté à la crise engendrée par son propre développement. Sur ce point, les analyses présentées à la table révèlent des lectures différentes de l'évolution contemporaine du capitalisme. Pour les uns, loin de représenter un effondrement, celle-ci a fourni le point de départ d'une profonde restructuration technique et organisationnelle et le capitalisme se développe très fortement, en dépit des luttes sociales qui s'efforcent de le combattre. De surcroît, les tenants de cette position mettent en garde contre le fait que tous les mouvements sociaux actuels ne revêtent pas toujours un caractère démocratique ou émancipateur. Il n'y a pas de relation mécanique entre l'appauvrissement continuel des êtres humains et le surgissement de luttes sociales émancipatrices, qu'elles soient antipatriarcales, anticapitalistes ou internationalistes. Les mouvements et les espaces de libération et d'émancipation sont toujours en construction. De ce fait, le néolibéralisme est une perspective heureuse du point de vue du capital, mais annihilante et destructrice du point de vue de l'humanité.

A l'inverse, l'autre analyse présentée dans les débats insiste sur la nécessité de ne pas sous-évaluer l'ampleur de la crise actuelle du néolibéralisme. D'un côté, en effet, il est confronté aux crises provoquées par son propre succès, comme les crises monétaires liées aux énormes marchés financiers qu'il engendre. Celles-ci ont conduit les institutions supranationales comme le F.M.I. et la Banque mondiale à entreprendre des actions risquées et de grande ampleur ; elles ont, par exemple, accordé de gigantesques crédits, violant ainsi leurs propres règles de prudence. Par ailleurs, le néolibéralisme devra faire face aux crises provoquées par ses échecs et aux difficultés croissantes à contenir les résistances suscitées par les ajustements structurels qu'il impose. D'amples manifestations, et même des rébellions et des mobilisations révolutionnaires ont défié et rejeté cette logique répressive. Ces deux types de crises, qui se rejoignent au Mexique avec la révolution zapatiste et la mise en œuvre de l'ALENA, conduisent le gouvernement mexicain à adopter des politiques financières désastreuses qui provoquent un mouvement massif de capitaux spéculatifs et transforment les rêves néolibéraux en cauchemars.

Ces deux analyses, qui n'ont pu être suffisamment discutées au cours de cette Rencontre, restent deux directions de travail à creuser lors de rencontres et d'échanges ultérieurs. Il y a cependant un accord général pour dire que le zapatisme a révélé la fragilité essentielle du néolibéralisme et sa vulnérabilité à la lutte révolutionnaire. Il dépend de nous que soient trouvés les chemins pour répandre cette subversion au monde entier.

Comment nous résistons au néolibéralisme

Au cours des années 80, les politiques d'austérité ont provoqué la mort de millions de personnes. Les luttes contre les politiques d'ajustement drastiques et les révoltes contre le F.M.I. ont donc constitué une partie des luttes de classes internationales. Des grèves, des émeutes, des manifestations, et toutes sortes de formes de lutte informelles se sont opposées aux projets de hausse des prix, de baisse des salaires, de coupes dans les budgets sociaux et de mises à pied massives de travailleurs. Ce fut notamment le cas dans les pays producteurs de pétrole d'Afrique, d'Amérique Latine et du Moyen-Orient (Algérie, Jordanie, Gabon, Nigeria, Maroc, Trinidad et Tobago et Venezuela), où la classe laborieuse a dû supporter une baisse dramatique de son niveau de vie ; elle a été très durement frappée entre 1988 et 1990 et s'est alors révoltée contre ces politiques d'austérité. Il y a eu de véritables insurrections populaires, qui ont affecté profondément les régimes politiques en place. Ces luttes se sont déroulées majoritairement dans les grandes villes du Tiers-monde.

Depuis lors, le néolibéralisme poursuit son œuvre destructrice. Entre autres choses, il s'attaque aux conditions de vie des communautés indigènes, en leur refusant le droit à la terre, et la lutte tend à se déplacer vers les zones rurales ; ce fut le cas en Équateur en 1992, au Nigeria en 1993, au Mexique et en Inde en 1994, en Nouvelle Guinée en 1995, et au Paraguay et au Brésil en 1996, où les luttes visaient les politiques néolibérales de privatisation des terres et de réorientation de la production. Toutes ces mobilisations ont été réprimées sauvagement, et pourtant la bataille contre le néolibéralisme s'est introduite jusqu'au cœur du Premier monde, avec les grèves des transports en France en 1995, la révolte des Italiens contre la baisse des retraites en 1994, ou le mouvement des dockers britanniques.

Ces luttes sont bien entendu parties de positions défensives, et à visées immédiates, et ont eu recours aux formes de lutte anciennes (grèves partielles et générales, mobilisations nationales et internationales, etc), mais elles en ont aussi inventé de nouvelles. L'expérience des 22 jours de lutte menée en France contre les mesures adoptées par l'État dans le cadre de l'application des accords de Maastricht, a montré, au delà de toute espérance, que la grève reste une arme irremplaçable, qui de surcroît permet de reconstruire un espoir collectif, et de faire apparaître dans la conscience générale la nécessité de se doter de formes d'organisation qui privilégient la communication et la discussion entre les travailleurs et favorisent ainsi la multiplication des espaces collectifs de résistance.

Dans la mesure où le néolibéralisme détruit les instances créées par les travailleurs au cours des deux derniers siècles pour améliorer leur survie – dans les secteurs de la santé, l'éducation, le logement, etc, il favorise également les tentatives de la population exclue et condamnée à mort d'assumer elle même l'autogestion de ces secteurs. Et bien que tout ait commencé par des actions de survie immédiate, elles se sont transformées en offensives de lutte plus larges, rendant possible un renforcement progressif de l'organisation des opprimés.

Comment nous nous attaquons au néolibéralisme

Le développement des luttes peut provoquer le changement de certaines conditions matérielles et sociales qui les rendent, jusqu'à un certain point, moins inhumaines. Cela donne tout leur sens, dans le cadre d'un combat global contre le néolibéralisme, à des revendications comme la réduction systématique de la journée de travail, la garantie de revenus pour les chômeurs et les sous-employés, la satisfaction des droits universels au logement, à l'alimentation, à la santé et à l'éducation. Mais, à l'inverse de la façon dont le néolibéralisme organise le déplacement mondial des êtres humains, en opposant les deux pôles que sont les migrants de la périphérie et les touristes de la métropole, il faut également lutter pour une personnalité ou une citoyenneté universelle, ainsi que pour l'accès démocratique à tous les moyens de communication, pour le droit d'occuper les terres, les bâtiments ou les moyens de production inutilisés pour réaliser des projets constructifs.

La rupture du monopole du discours idéologique dont dispose le pouvoir fait donc partie intégrante de cette lutte, en même temps que l'effort de réappropriation du vocabulaire qui nous permet de nous reconnaître en lui, et de nous saisir du langage. Il faut combattre la propriété monopolistique des moyens de communication, qui fabriquent et diffusent de pseudo-vérités destinées à justifier les atrocités du capitalisme (développement et sous-développement), et à cacher la façon dont la production capitaliste de richesse engendre la misère, notre misère. Il faut construire et donner un contenu au nous-autres, à tous les nous que nous sommes et pouvons être, afin de nous recréer en tant que collectivité, comme toutes les collectivités possibles. La réappropriation du langage et des moyens de communication est indispensable à ce combat et, pour cela, la création de réseaux de communication alternative revêt pour nous une importance primordiale.

Il est tout aussi essentiel de diminuer les dépenses militaires, car ce secteur absorbe au niveau planétaire des ressources équivalentes aux revenus de la moitié la plus pauvre de la population mondiale. La suppression de ces dépenses pourrait permettre de doubler les revenus de cette population, et d'améliorer significativement son niveau de vie actuel, ce qui contribuerait en même temps à faire converger les luttes pour la paix et celles contre le militarisme.

Nous considérons que les revendications essentielles du peuple mexicain, telles qu'elles ont été formulées par les zapatistes ont une portée universelle, en raison de la façon dont le capitalisme néolibéral détériore nos conditions de vie à tous, et nous dénie le droit à l'existence. Nous souscrivons donc à ces revendications qui sont une proposition générale de lutte contre le néolibéralisme et fournissent une base pour de nouvelles propositions d'action.

Sans avoir pu disposer du temps nécessaire pour discuter des particularités de nos diverses luttes – ce que nous réservons à de prochaines occasions de rencontre et d'échange – nous avons dégagé la nécessité de discuter les différentes façons d'articuler ces différences. Nous avons identifié plusieurs manières d'agréger ces luttes, selon qu'elles se déroulent sur le terrain de la production ou sur celui de la reproduction de la force de travail, dans les espaces du Premier ou du Tiers-monde, ou bien encore comme lutte de défense du droit d'accès à la terre ou des droits du travail. Toutes peuvent nous aider à penser les modalités de leur convergence ou de leur complémentarité.

Nous avons donc insisté sur la nécessité de renforcer les liens entre les différents types de luttes qui, à contre-courant de l'atomisation accrue prônée par le néolibéralisme, engendrent des formes communautaires d'organisation et de communication (radios pirates, chaînes de télévision câblées indépendantes, internet, etc), que ce soit par des rencontres, ou par des mobilisations de masse coordonnées aux niveaux national ou international.

Dans notre lutte contre le néolibéralisme, nous devons reconquérir le temps et l'espace au profit de nos expériences personnelles. Dans ce cadre, la lutte pour la réduction de la journée de travail prend une signification particulière, de même que l'occupation d'espaces dans les villes ou l'autodétermination dans l'accès aux ressources naturelles.

Notre capacité à développer des alternatives politiques, économiques et sociales ne peut s'affirmer que si nous reconnaissons comme point de départ, en théorie et en pratique, la variété des formes et des objectifs des luttes, ainsi que les différences locales et nationales, produits de processus historiques différents ; nous devons aussi entreprendre un combat global qui refuse la soumission, non seulement aux rapports capital/travail, mais aussi à d'autres formes de domination présentes dans la société capitaliste contemporaine, comme le patriarcat et l'existence des États nations. C'est pourquoi les luttes démocratiques et émancipatrices ne doivent pas être seulement anticapitalistes, mais aussi et en même temps, antipatriarcales et internationalistes.

La lutte zapatiste nous a enseigné toute l'importance que revêt l'ouverture de lieux de cohabitation et de discussion de notre propre destin, les vertus des principes d'organisation fondés sur le "commander en obéissant", de même que la signification importante de luttes qui ne s'adressent pas à l'État national et deviennent donc globales : l'articulation planétaire de toutes nos luttes nous oblige à les penser à partir du dépassement des identités nationales telles que les définissent les frontières étatiques. Face au renforcement des réseaux internationaux de domination capitaliste, il faut établir des réseaux internationaux d'insubordination et de révolte.

B. Une alternative à ce système est-elle possible ?

La table ronde a apporté une réponse positive unanime à cette question, en considérant qu'elle est contenue dans la lutte zapatiste, comme dans celle des producteurs endettés, des ouvriers, des mal logés, des femmes, etc. Cette question se décline de plusieurs façons :

1. Existe-t-il aujourd'hui un modèle alternatif, ou est-il nécessaire de l'élaborer ?

2. Ce projet alternatif peut-il être impulsé par l'État ou doit-il l'être en dehors de lui ?

3. Jusqu'à quel point est-il indispensable à la compréhension du combat contre le néolibéralisme de récupérer des concepts clés comme ceux de solidarité, de coopération, d'autogestion, d'autonomie, etc ?

4. Quel type de cohésion devrions-nous essayer de donner aux réseaux de communication, d'appui et d'échange international, inter-ethniques et inter-professionnels, et quelle place ont-ils dans l'élaboration du projet alternatif ?

1. L'alternative existe, mais elle ne saurait être uniforme, ni obéir à des recettes, des modèles rigides ou préconçus ; elle appelle au contraire les formes de lutte et d'organisation les plus diverses, qui sont en cours de formation, ou qui existent déjà. L'alternative devrait cependant reposer sur quelques principes comme une juste redistribution de la richesse, qui ne pousse ni au consumérisme ni au productivisme du travail, et qui soit respectueuse du milieu ambiant, ainsi que des projets autonomes de production, repoussant toute forme d'ingérence.

Nous sommes amenés à chercher des formes multiples d'alternatives qui correspondent aux différentes sphères que domine le capitalisme à son étape néolibérale : le travail, l'éducation, l'alimentation, la santé, la culture et la politique, aussi bien au niveau individuel qu'aux niveaux local, régional, national et mondial ; le néolibéralisme constitue en effet un projet global, au double caractère uniformisant et excluant, qui détruit en nous la nature et l'humanité, qui soumet aussi bien les petites communautés que des nations entières, et qui engendre de fausses oppositions entre races, sexes, croyances et cultures.

La diversité de la lutte trouve son expression dans les points suivants :

a) Dans l'agriculture, l'une des manifestations du capitalisme a été ce que l'on a appelé la "révolution verte", qui favorise l'utilisation intensive d'engrais, de machines agricoles, etc. Devant les effets négatifs de ce recours massif à la technologie sur l'écologie, la situation des producteurs et la santé humaine, la nécessité s'est imposée de chercher des alternatives productives (coopérativisme, nouvelle place des paysans dans l'économie, agro-écologie, reconnaissance des modes de production traditionnels des communautés indigènes, etc) ; ceci a conduit à rediscuter la rentabilité de la petite propriété par rapport à la production agro-industrielle à grande échelle. Pour certains participants à la table ronde, l'efficacité supérieure de la grande propriété n'est qu'un mythe, car, si elle élève la productivité du travail, elle est moins efficace que la petite propriété du point de vue de l'utilisation des terres ; en effet les technologies requises sur les grands domaines épuisent les facultés productives des sols. L'agriculture nord-américaine utilise ainsi aujourd'hui 15 fois plus d'engrais et 12 fois plus d'insecticides qu'il y a trente ans pour cultiver la même superficie, tandis que de vastes étendues de terre sont délibérément laissées en friche pour des raisons de spéculation foncière. Certains ont avancé qu'une alternative pourrait consister à promouvoir la consommation d'aliments sains, ce qui contraindrait à diminuer la consommation de produits chimiques. Il a donc été proposé de diffuser, sur des réseaux internationaux, les campagnes contre l'emploi abusif de produits et le rejet de déchets toxiques, et pour la confiscation des terres mises en jachères.

b) La dette est l'un des autres graves problèmes posés à l'économie mondiale contemporaines. Le problème n'est pas seulement celui des nations confrontées à des difficultés de paiement, mais aussi celui de populations entières, accablées sous le poids de dettes impossibles à rembourser, contractées auprès de banques, de sociétés de crédit, etc. La dette transforme les endettés en des sortes de peones – ces employés agricoles dont le travail appartient par avance au patron. Un mouvement de producteurs se développe actuellement contre cette dépossession. Nous avons proposé de consolider de larges fronts démocratiques de débiteurs, aussi bien au niveau national qu'international, et d'exiger l'annulation de la dette extérieure des pays du Tiers-monde, ou la proclamation d'un moratoire.

c) Les politiques économiques et sociales des États nationaux ont été conditionnées par le F.M.I., la Banque mondiale et les entreprises multinationales, qui exigent la présence de gouvernements stables, forts et inflexibles. Les Traités économiques, comme celui de Maastricht en Europe ou l'Alena en Amérique du Nord, impliquent, à côté des mécanismes proprement économiques, qu'ils mettent en place une stabilité politique des gouvernements nationaux, grâce à la répression et au contrôle de l'opposition ; ils engendrent ainsi une division Nord-Sud, y compris dans les pays développés comme l'Italie, où le Nord industrialisé co-existe avec un Sud appauvri et touché par le trafic de drogue, d'armes et de déchets toxiques. Cette division débouche, dans les pays riches comme dans les pays pauvres, sur une lutte pour l'amélioration des conditions de vie. La lutte zapatiste représente donc un exemple de résistance organisée contre les horreurs du néolibéralisme.

d) La logique marchande implique la dégradation de tous les objets d'usage quotidien et productif, car à côté de leur statut du produits sociaux, expression de la diversité des cultures qui les produisent, leur production a été monopolisée au point que la recherche scientifique et le développement technologique sont contrôlés par 0,01 % de la population mondiale. Cette monopolisation prétend cacher au monde l'existence d'objets, de techniques et de projets alternatifs. Cela rend indispensable un contrôle de la qualité des produits que nous avons conçus et produits. Il est indispensable de renouer, là aussi, avec les diversités culturelles et de faire reconnaître l'unité dans la diversité.

e) Si le néolibéralisme n'était qu'une politique économique, la lutte pourrait se réduire à un retour au modèle social-démocrate (maintien de l'intervention étatique et de la dépense sociale). Elle se limiterait à une lutte anticapitaliste visant à une juste répartition des richesses et à l'abolition du profit comme clé de l'activité économique.

2. Nous avons souligné la responsabilité de l'État dans la mise en œuvre des politiques néolibérales, même s'il peut apparaître, à l'occasion, comme "protecteur" au milieu de la "tempête" néolibérale. Les points suivants ont été abordés, sur lesquels aucun consensus n'a pu être trouvé :

a) La dynamique globale du néolibéralisme touche même les pays qui, comme Cuba, tentent de mettre en avant un projet alternatif de gestion de l'économie. Le gouvernement y a répondu par une réforme économique qui, sauf dans les secteurs de l'éducation, de la santé et de la défense, autorise maintenant l'investissement étranger en association avec l'État, ainsi que la petite propriété privée et l'auto-emploi (sans que cela aille jusqu'à rendre possible l'achat de la force de travail) ; elle permet aussi la substitution de technologies importées à la main d'œuvre locale, ou encore le recours aux biotechnologies, à côté de l'autofinancement des services, mais maintient, avec le consentement et la participation populaires, la politique sociale et les principes sociaux antérieurs. À partir d'une interrogation sur la question de savoir si Cuba appliquait ou non des politiques néolibérales pour surmonter la crise de son économie, s'est ouverte une discussion pour savoir si l'alternative au néolibéralisme pouvait venir de l'État ou non.

La part que l'État pourrait prendre à la formulation d'un projet alternatif au néolibéralisme dépend de la nature de l'État en question, des intérêts et des classes sociales qu'il appuie, car paradoxalement, les entreprises multinationales et les institutions supranationales à leur service ne sont pas les seules à promouvoir les politiques néolibérales d'ajustement. Des gouvernement qui se qualifient eux-mêmes de "socialistes", voire "d'ouvriers", comme ceux qu'ont connu la France ou l'Espagne, se sont appliqués, ces dernières années, à démanteler la sécurité sociale ou l'économie de régions entières. Au Pays Basque, le néolibéralisme a ainsi démantelé les industries sidérurgiques et de construction navale, pourtant fondamentales pour le région. Nous devons aujourd'hui voir en chaque ministre de l'équipement un dictateur moderne incrusté dans son gouvernement. La discussion du rôle de l'État reste entièrement ouverte.

b) La plupart des modèles d'intervention étatique (tel celui qui combine le libre marché capitaliste et la planification étatique) se sont effondrés, ce qui ne signifie pas nécessairement l'inutilité de la planification de la production. Celle-ci doit être mise en œuvre de façon non bureaucratique. Au-delà de la prise du pouvoir d'État, s'affirme la nécessité de bâtir une société civile dotée de pouvoirs suffisants pour "gouverner par le bas".

c) L'assemblée et les conseils ouvriers et paysans représenteraient une forme de contrôle de la production, et de protection des ressources naturelles alternative à la forme étatique.

d) Les autonomies locales (conçues comme un pouvoir collectif pouvant nommer, démettre et surveiller les dirigeants au sein d'un territoire auto-administré) représentent un contrepoids au pouvoir de l'État.

3. Nous devons construire ensemble l'alternative, à partir de principes élémentaires comprenant la récupération des concepts de dignité, de solidarité, d'autogestion, de diversité et de coopération, avec des objectifs centrés sur les besoins humains intégraux. Aucun modèle ne peut se prétendre alternatif s'il n'est pas orienté vers l'accomplissement effectif du "tout pour tous". Les seize revendications zapatistes (terre, logement, travail, nourriture, santé, éducation, culture, information, indépendance, démocratie, liberté, justice, paix, sécurité, lutte contre la corruption et défense du milieu naturel) représentent ainsi un point de départ obligé pour la définition d'une alternative au néolibéralisme. Mais en même temps, nous devons réfléchir sur les différences économiques, sociales, culturelles et politiques de chaque secteur de la société agressé par le néolibéralisme, et contribuer ainsi à la définition des formes multiples de l'alternative que nous proposons.

4. Le projet alternatif doit se nourrir de la mise en place de réseaux d'information et de communication crédibles, servant de soutien et d'échanges d'expériences de lutte et de résistance (radios libres, courrier électronique, etc), enrichissant la discussion et l'analyse du moment historique actuel et favorisant la construction d'un projet pour ceux "pour qui l'histoire n'est pas finie".

La récupération des expériences révolutionnaires passées est nécessaire, afin d'en apprendre les erreurs et succès, et de reproduire les succès sans reproduire les erreurs. Un aspect important pour notre lutte est la transformation de toutes les constitutions politiques qui ne respectent pas les souhaits de démocratie avancée.

Il faut redéfinir les rapports villes-campagnes, et instaurer une relation directe entre producteurs et consommateurs, fondée sur le contrôle direct par ceux-ci de la qualité des produits. Cela devrait comporter des boycotts internationaux des produits nocifs et des entreprises qui participent à la production d'armements ou qui inspirent les politiques néolibérales. De même, nous avons proposé d'avancer des projets d'autonomie et d'auto-subsistance, non seulement dans les campagnes, mais aussi dans les villes.

Nous souhaitons aussi mettre en place des réseaux commerciaux qui encouragent – plutôt que la production pour l'exportation – le développement de l'économie locale et son intégration à la communauté, informent sur les méthodes de production et les substances employées, et garantissent à la fois la qualité des produits et une rémunération correcte des producteurs. En ce qui concerne le commerce international, nous avons proposé de faire participer toute la société à la discussion des règles devant figurer dans les traités commerciaux, avec pour objectif de favoriser le développement des peuples sans dommages à l'environnement.

Nous avons également suggéré de définir un nouveau concept de progrès ou de développement qui ne soit pas capitaliste-quantitatif, mais qui intègre les besoins matériels et spirituels fondés sur de nouvelles valeurs humaines. Nous avons également proposé une déclaration mondiale contre le néolibéralisme, une action de diffusion des luttes locales, l'instauration d'une journée mondiale d'action directe contre le néolibéralisme, la formation d'une Organisation internationale des travailleurs ; une grève de la société civile marquant le refus de la politique néolibérale, un impôt sur la spéculation financière, dont les recettes seraient destinées à financer des projets socio-écologiques de lutte contre la pauvreté.

Enfin, les participants à la table ronde ont considéré que, face au désenchantement provoqué par l'échec des multiples tentatives passées de trouver une alternative au système dominant, nos frères zapatistes ont fait la preuve, par leur pratique quotidienne, leur volonté de paix, leur disposition au dialogue, leur mode d'organisation à partir de la base, que l'alternative existe ici, et qu'elle peut être nôtre pour peu que nous soyons disposés à l'amplifier et à la maintenir vivante. Cette Rencontre intercontinentale, par le seul fait de s'être tenue, montre que notre projet de construction d'un monde nouveau représente un espoir pour nous tous.

C. Le progrès ou la spéculationT53

comme forme du développement

Le commerce des armes, des drogues et de la santé humaine

La table ronde a d'abord porté sur le caractère du néolibéralisme. Celui-ci a été analysé comme une politique du capitalisme pour sortir d'une crise profonde. En répandant les conflits, et grâce à l'intégration économique internationale, le système élargit ses marchés en même temps qu'il renforce son industrie d'armements. Le processus de globalisation, accéléré par le néolibéralisme, a impliqué une concentration des aires de production, détruisant les appareils productifs locaux et contraignant les gens à abandonner les campagnes. Cette globalisation a signifié une interdépendance accrue des nations, comme on le voit avec l'Europe de Maastricht.

Le néolibéralisme a une dimension idéologique qui consiste à privilégier les intérêts individuels sur les intérêts collectifs. Il se nourrit de phénomènes tels que l'argent spéculatif, l'industrie de guerre et le trafic de drogue. Au passage, le capital se trouve concentré en un petit nombre de mains. Cette politique économique se reproduit au détriment de l'environnement, de la qualité de la vie et de la satisfaction des besoins élémentaires des individus. Il faut souligner son caractère profondément anti-démocratique, son idéologie individualiste et le besoin qu'il a de contrôler les moyens de communication pour globaliser ce modèle.

Le capitalisme vise à tout convertir en marchandise. Sous sa forme néolibérale, cela se traduit par le fait que le gouvernement abandonne les services collectifs pour en faire des activités privées. C'est une facette supplémentaire de la privatisation des activités gouvernementales. Dans le cas particulier des services médicaux, on a pu relever plusieurs tendances préoccupantes : la dévalorisation des médecines et des techniques traditionnelles, la concentration des industries pharmaceutiques, les profits disproportionnés réalisés dans cette branche et, en contrepartie, la hausse des prix et la négligence des besoins de la population, l'utilisation des biotechnologies pour s'approprier les banques de gènes végétaux et animaux. Peut être plus grave encore est l'absence de politiques de prévention de la maladie, aggravée par les menaces sur la santé humaine présentes dans l'environnement.

Chaque intervention a fait clairement apparaître l'existence de différentes menaces à l'échelle mondiale. Les luttes contre ces menaces doivent elles aussi se dérouler à l'échelle mondiale. Ces menaces sont les suivantes :

a) Le trafic de drogues et le trafic d'armes, qui sont aujourd'hui des sources importantes d'accumulation de fortunes, qui à leur tour nourrissent la spéculation.

b) Le chômage au niveau mondial qui dépasse aujourd'hui les frontières nationales et accroît les processus migratoires.

c) Le problème de la dette externe, qui asphyxie certains pays et qui aiguise la crise économique internationale, accentuant les différences entre Nord et Sud (y compris au sein de certains pays : voir le Chiapas ou le sud de l'Italie).

d) La détérioration de l'environnement.

e) La monopolisation de la production et le renforcement des firmes transnationales.

f) Les conditions défavorables faîtes aux producteurs indigènes et paysans, qui souffrent par ailleurs d'un traitement discriminatoire sur les marchés.

Sur ces différents problèmes, la discussion s'est généralisée, portant sur les différents lieux et niveaux où il conviendrait de faire porter la lutte contre le néolibéralisme. Les objectifs et les stratégies à court, moyen et long terme dépendront de la mesure dans laquelle les conditions sociales et politiques autoriseront un degré plus ou moins élevé de démocratie : la capacité à construire une économie plus juste et sous contrôle populaire dépend de ce paramètre.

Nous avons également souligné que la politique économique menée au cours du processus d'autonomisation devrait accepter la création de zones autonomes indigènes. Cette politique devrait trouver les moyens d'élever la productivité dans les activités de base, sans sacrifier les valeurs traditionnelles des populations indigènes, et de diversifier la production, de façon à garantir leur capacité de commercer en bénéficiant de termes de l'échange plus favorables dans les circuits internationaux.

Il a cependant été reconnu que la réanimation des économies locales ne pourrait s'effectuer avec succès que si l'économie nationale connaissait un processus de croissance suffisant pour assurer l'approvisionnement du marché national. La reconquête de l'appareil productif national oblige à remettre en cause la primauté accordée à la production d'exportation, et à envisager le sauvetage des industries nationales ravagées par l'ouverture à outrance des frontières.

Pour que cette réanimation soit effective, il faut disposer de ressources qui ne peuvent être libérées que par l'élimination de la charge de la dette. Aux timides tentatives menées en ce sens par le passé, symbolisées par les bons Brady émis sur le marché financier international, il faut substituer une négociation multilatérale, comme celle proposée par la campagne Cinquante ans ça suffit, et envisager une réforme des institutions financières internationales.

En conclusion, la table C s'est accordée sur la nécessité de lancer une campagne pour renforcer la capacité productive des groupes de petits producteurs exclus par le développement capitaliste. Il s'agit par là de favoriser le soutien et la participation populaire pour que ces groupes continuent à produire dans leurs régions d'origine, en leur assurant une qualité de vie acceptable et la possibilité de consolider leurs traditions et leurs cultures. Cela doit se faire avec le soutien de toute la société, pour pouvoir mettre en pratique des programmes alternatifs de développement rural. Des projets du même type en milieu urbain exigent également notre appui. Nous avons souligné avec force que le néolibéralisme étant un phénomène international, les réponses à lui apporter doivent également être internationales, et fondées sur la solidarité. Ce sont la Banque mondiale et le Fonds monétaire international qui ordonnent la mise en place des politiques néolibérales à l'échelle mondiale, et qui définissent les politiques financières. Afin de les combattre, les propositions suivantes ont été avancées :

– À court terme, il faut élargir la campagne Cinquante ans ça suffit à l'échelle planétaire, jusqu'à obtenir l'annulation de la dette. Il faut rejeter les programmes dits d'ajustement structurel ainsi que les modes d'évaluation macro-économique en vigueur, qui déforment la façon dont se mesure le progrès dans nos pays. Cela est important pour faire bien apparaître que les luttes de la société civile transcendent les frontières nationales, et doivent s'unir en un front de luttes commun, privilégiant l'organisation à la base.

– Lancer des campagnes internationales pour la fermeture des usines d'armement, la reconversion des dépenses militaires et la reconversion des industries afin de faire avancer la paix et de financer les services collectifs.

– Établir des règles économiques fondées sur un juste prix des matières premières, en poussant les organisations non gouvernementales (et non lucratives) à produire et commercialiser sur le marché solidaire à prix justes. Il s'agit de reconquérir les espaces économiques et sociaux permettant de satisfaire les besoins de base et de fortifier la capacité de production locale.

– Le principal agent utilisé par les pays capitalistes les plus riches pour imposer l'ouverture commerciale sans limite est l'Organisation mondiale du commerce, qui a succédé au GATT. Nous devons exiger sa dissolution.

– Mettre en place, après cette Rencontre, un réseau de personnes (ou de groupes) chargés d'appuyer et de coordonner les actions contre le néolibéralisme.

– Faire prendre conscience au monde entier de la nécessité que le progrès aille de pair avec la création d'emplois, la protection de l'environnement et la satisfaction des seize revendications de l'EZLN.

– Faire pression sur nos gouvernements pour qu'ils augmentent la dépense publique et agir pour la défense des services publics, et empêcher leur privatisation.

– Établir des impôts sur les profits spéculatifs, afin d'éviter la disparition d'activités productives.

– Enfin, la table 2C propose que la Rencontre s'élève contre la présence de l'armée mexicaine dans les communautés indigènes zapatistes.

D. Travail, dictature du libre-échange, dette et pauvreté

Le néolibéralisme, en tant que stratégie capitaliste, se caractérise par l'internationalisation d'une politique économique fondée sur l'exploitation extrême de l'être humain. Celle-ci se met en place principalement à partir des entreprises transnationales et du contrôle du système financier international, notamment les organismes comme le F.M.I. et la Banque mondiale.

La table ronde s'est intéressée aux principaux mécanismes utilisés par le capital pour imposer la stratégie néolibérale, ainsi qu'à leurs conséquences pour les travailleurs, c'est à dire la majorité de la population mondiale. On a aussi fait état de la nécessité d'impulser un mouvement internationaliste capable d'affronter avec succès l'ennemi commun.

Le néolibéralisme s'exprime dans les politiques économiques et sociales de chaque pays, à travers l'observation d'un certain nombre de règles et de pratiques communes, comme les privatisations ou la révision des droits des travailleurs, avec ou sans modification du droit du travail. Nous nous sommes plus particulièrement intéressés aux effets du néolibéralisme sur le travail, la dette, et les conditions de vie.

Le travail

1. Au niveau mondial, la mise en œuvre des politiques néolibérales de gestion de la main d'œuvre a consisté à entreprendre la dérégulation du marché du travail, et à provoquer la baisse du pouvoir d'achat des salariés, la hausse du chômage et celle de la pauvreté qui en résulte.

2. On observe le développement d'un certain nombre de pratiques, telles que le travail temporaire, le travail des enfants, le non paiement des temps de travail supplémentaires et le développement du travail à domicile.

3. La réduction de l'intervention de l'État dans les services collectifs s'est traduite par des diminutions de crédits dans différents secteurs (éducation, prestations sociales, santé) et par leur privatisation. Ce processus s'est accompagné de réformes dans le fonctionnement du marché du travail au détriment des travailleurs, telles que la limitation ou la suppression de l'assurance chômage.

4. Si tous les travailleurs ont vu leurs droits remis en cause, les plus affectés ont été les travailleurs immigrés dans les pays développés, contre qui des lois ont même été promulguées. Deux cas ont été particulièrement mis en lumière : celui de la France et de son attitude face aux immigrants algériens, turcs et africains, et celui des États-Unis et de leur réaction face à l'immigration latino-américaine, en particulier mexicaine. Même si chacun de ces cas est particulier, ils ont en commun que, dans un premier temps, ces pays, intéressés à se procurer une main d'œuvre bon marché, ont d'abord favorisé cette immigration avant de la restreindre et de laisser se développer le racisme à son encontre. On a ainsi discuté de la proposition 187 qui, aux États Unis, a pour principal objectif de limiter les droits des immigrants latinoaméricains : même si son application a été suspendue par le Congrès, elle a été reprise par le gouvernement, qui s'est engagé à mettre en œuvre certaines de ses dispositions, en promulgant des lois spécifiques, comme la loi dîte antiterroriste.

5. Nous avons relevé la contradiction existant au niveau de la mobilité internationale. D'un côté, les politiques néolibérales organisent et facilitent la l'internationalisation du capital et la destruction de la capacité productive des pays les moins développés en suscitant la migration des travailleurs vers les pays du centre, mais de l'autre elles organisent la persécution des travailleurs qui se déplacent dans d'autres pays pour obtenir un emploi.

6. Nous avons souligné le rôle de la femme dans le développement du capitalisme, qui l'opprime, dès lors que la reproduction humaine est devenue une force productive comme une autre. La femme joue un rôle de la plus haute importance en tant que force productive à exploiter ; la reproduction est envisagée comme une force de travail répondant à la division sexuelle du travail. Le néolibéralisme exploite la femme en la traitant non seulement comme la source du travail domestique, mais aussi comme une main d'œuvre bon marché.

Dictature du libre-échange et dette internationale

1. Nous avons dénoncé la façon dont se sont constitués des blocs économiques régionaux, que ce soit en Europe avec la création de l'Union européenne par le traité de Maastricht, ou en Amérique avec l'Alena. Ces Traités visent à soumettre les États nationaux aux intérêts du capital industriel transnational et à imposer les politiques néolibérales aux peuples des pays concernés. Ils ont eu pour résultat d'augmenter le chômage et de réduire les droits des travailleurs.

2. La dette extérieure a été analysée comme un autre instrument agissant dans le même sens. Sa renégociation et l'octroi de nouveaux prêts sont conditionnés à l'application de ce qu'on a appelé les programmes "d'ajustement structurel", uniformément exigés par les organismes financiers internationaux, et qui impliquent la restriction des dépenses sociales, l'ouverture des économies à la concurrence extérieure et la privatisation des services et des entreprises publics.

3. La dette pèse à différents niveaux. Le pouvoir du capital financier lui a permis de soumettre à ses exigences les pays, les producteurs et les consommateurs.

4. Un moratoire ne représente pas une solution au problème de la dette, mais seulement un déplacement dans le temps du problème.

5. Le rôle des banques, qui détiennent le monopole de l'octroi des crédits et un pouvoir discrétionnaire de fixation des taux d'intérêt, a été l'une des principales origines des endettements internes.

6. Nous avons mis en lumière les incohérences du néolibéralisme, qui préconise l'ouverture des frontières en même temps qu'il pratique le protectionnisme. C'est en particulier dans le cadre des relations entre pays développés et pays en voie de développement que cette contradiction a été relevée.

7. La restructuration économique favorisée par la politique néolibérale a approfondi les inégalités entre pays du nord et du sud, entre régions, et entre riches et pauvres au sein de chaque pays.

8. On constate néanmoins que le néolibéralisme a touché les différents pays de façon très semblable. Nous avons plus particulièrement relevé les similitudes entre les mesures de politique économique adoptées au Mexique et en France.

Qualité de la vie et pauvreté

1. Tout cela s'est traduit par une hausse sensible de la pauvreté, et même si les dommages infligés par le néolibéralisme ont été les plus graves dans les pays les plus fragiles : ceux-ci en ont constitué le banc d'essai, comme le montre l'exemple d'Haïti. L'appauvrissement et l'exclusion frappent également de larges secteurs de la société dans les pays les plus développés. Bien que leur ampleur et leur gravité varient d'un pays à l'autre, les problèmes rencontrés sont très semblables.

2. Nous avons insisté sur la nécessité de pratiquer un développement raisonnable. Cela signifie le respect d'un équilibre entre l'utilisation rationnelle des ressources naturelles et le développement, afin de jeter les bases d'un modèle économique plus humain, qui ne peut être réalisé que dans une société démocratique.

3. La nécessité de garantir l'alimentation de tous les êtres humains a été réaffirmée.

4. La science est une activité et un produit dont le grand capital limite l'accès aux pays riches, afin de créer une dépendance des pays pauvres à l'égard des plus développés.

5. L'ouverture des économies, jointe à la restriction des crédits et à d'autres mesures néolibérales telles que la privatisation des terres communautaires, mettent en danger l'économie paysanne et les paysans eux-mêmes ; or ceux-ci représentent une fraction significative, et parfois majoritaire, de la population des pays en voie de développement. Il a également été fait mention du problème de la privatisation de l'agriculture mexicaine et de l'importance que revêtait la sauvegarde du caractère collectif de la propriété foncière.

Compte tenu de ce diagnostic, notre table a fait les propositions suivantes :

– Impulser une campagne internationale de défense du droit au travail en tant que droit humain fondamental. Sachant que nous ne partons pas d'une situation identique dans tous les pays, cette campagne devra prendre en considération tous les types de travailleurs, au niveau régional et international, de façon à reprendre les revendication spécifiques de chacun d'eux.

– Identifier les intérêts communs et mettre en place une coordination internationale qui fasse un diagnostic et propose une évaluation des revendications et des conditions spécifiques, sans ignorer aucune catégorie de travailleurs.

– Joindre les forces des travailleurs salariés à celles des sans emploi, afin d'organiser des actions débouchant sur des résultats favorables aux deux. Intégrer également à la lutte les secteurs non salariés, aussi bien de la ville que de la campagne. Nous proposons de créer des réseaux de chômeurs et de coordination entre mouvements sociaux.

– Établir des réseaux de travailleurs et de consommateurs pour développer de nouvelles formes de consommation.

– Lutter pour la réduction de la journée de travail, l'augmentation des salaires et pour la modification des structures de pouvoir internes aux syndicats.

– Publier une déclaration contre le travail des enfants, le travail temporaire, le travail à domicile, et les heures supplémentaires non payées.

– Le capitalisme a trouvé de nouveaux modes de fonctionnement – par exemple avec la délocalisation et la dérégulation – qui rendent plus difficile pour les travailleurs d'exercer leur droit de grève. La grève est cependant réaffirmée comme une forme de lutte efficace des travailleurs à l'étape du capitalisme représentée par le néolibéralisme. Nous reconnaissons en particulier l'importance des grèves de solidarité, que ce soit au niveau national ou international. Nous reconnaissons aussi qu'il est important de rechercher de nouvelles formes de lutte et de résistance aux stratégies néolibérales visant à diviser et mettre en conflit les travailleurs.

– En ce qui concerne la dette extérieure, les mesures suivantes ont été proposées :

a) Annulation de la dette des pays en voie de développement ;

b) Paiement de la dette à travers un impôt sur les capitaux spéculatifs internationaux ;

c) Expropriation des biens des gouvernants ou anciens gouvernants qui ont contribué à la misère de leurs peuples, et restitution des fonds ainsi récupérés aux pays d'origine ;

d) Le produit de ces expropriations devra être utilisé au développement des pays du Sud, grâce à un fonds de développement créé à cet effet, et géré par des organisations populaires ;

e) Création d'un nouvel organisme bancaire international qui émettrait une monnaie internationale différente du dollar, de façon à priver les États-Unis de l'instrument de domination qu'est le dollar.

– Organisation d'une journée internationale de lutte contre le néolibéralisme.

– Déclaration contre la militarisation, et contre la production et le commerce des armes. Il est proposé que les ressources ainsi libérées soient reconverties en dépenses sociales.

– Déclaration contre le blocus de Cuba et la loi Helms-Burton.

– Soutien aux journées d'action des travailleurs de Toronto.

Ces revendications sont nécessaires compte tenu de la situation d'urgence et de la nécessité de résister au capitalisme, mais l'objectif fondamental de notre lutte doit être une société juste.

À propos de la dette, un groupe de délégués en a proposé la renégociation. Voici leur texte : "Nous, les pays pauvres débiteurs, qui exportions déjà nos ressources naturelles et fournissions une main d'œuvre bon marché au capital, sommes devenus de véritables tributaires de la banque mondiale. Nous avons déjà payé plusieurs fois ce que nous devions, ce qui nous a privé de l'épargne nécessaire à la relance de nos économies. Les flux qui sortent de nos pays sont plus importants que ceux qui y rentrent, de sorte que nous sommes convertis par la force en exportateurs de capitaux et en prisonniers de la banque mondiale. Nous proposons la renégociation de la dette extérieure à partir de remises de dette, d'une réduction des taux d'intérêt et d'un ralentissement des rythmes de remboursement permettant de payer ce qui est juste, tout en retrouvant la croissance. Pour obtenir une telle négociation, les pays débiteurs doivent décréter un moratoire."

PROPOSITIONS DE LA TABLE 2

– Réduction systématique de la journée de travail.

– Salaire garanti pour les chômeurs et les sous-employés.

– Respect des droits individuels au logement, à l'alimentation, à la santé et à l'éducation.

– Accès démocratique à tous les moyens de communication.

– Droit d'occuper les terres, les bâtiments et les équipements productifs abandonnés.

– Réduction des dépenses militaires.

– Reconnaissance du caractère universel des revendications fondamentales du peuple mexicain mises en avant par les zapatistes.

– Développement des liens entre les différents types de luttes qui, à l'inverse de l'atomisation croissante produite par le néolibéralisme, créent des formes communautaires d'organisation et de communication.

– Autodétermination dans l'utilisation et la gestion des ressources naturelles.

– Construction de réseaux internationaux d'insubordination et de révolte.

– Promotion de la consommation d'aliments sains, ce qui contraindra à diminuer le recours aux pesticides.

– Lancement de campagnes contre l'usage et le rejet de produits et de déchets toxiques.

– Consolidation de larges fronts nationaux et internationaux de débiteurs et reconnaissance de leurs organisations.

– Élimination de la dette du tiers-monde.

– Contrôle de la qualité des objets que nous imaginons et produisons.

– Mise en place d'assemblées et de conseils ouvriers et paysans pour que ceux-ci se constituent en instance alternative au contrôle étatique de la production et pour la protection des ressources naturelles.

– Mise en place d'autonomies locales en tant que contrepoids au pouvoir d'Etat.

– Construction d'une alternative économique à partir de la réappropriation de principes fondamentaux comme la dignité, la solidarité, l'autogestion, la diversité et la coopération, tous centrés sur les besoins humains intégraux.

– Constitution de réseaux de communication qui servent de soutien et de moyen d'échange entre les différentes luttes de résistance.

– Redéfinition des rapports villes-campagnes et définition d'une relation directe entre producteurs et consommateurs ; responsabilisation de ces derniers sur la qualité des produits qu'ils consomment.

– Boycotts internationaux des produits nocifs et des entreprises qui financent la production d'armes.

– Mise en place de réseaux commerciaux qui favorisent le développement de l'économie locale et son intégration à la communauté.

– Déclaration mondiale contre le néolibéralisme, diffusion des luttes locales et célébration d'une journée d'action directe contre le néolibéralisme.

– Formation d'une organisation internationale des travailleurs.

– Grève de la société civile en rejet de la politique néolibérale.

– Mise en place d'un impôt sur les opérations financières spéculatives, dont les rentrées seraient destinées à des projets de lutte contre la pauvreté.

– Campagne internationale de défense du droit au travail, en tant que droit humain fondamental.

– Création d'une coordination internationale pour l'identification des intérêts communs et des revendications spécifiques.

– Jonction des forces des salariés et des sans emploi.

– Création de réseaux internationaux de chômeurs.

– Construction de réseaux de travailleurs et de consommateurs pour défendre leurs intérêts communs.

– Déclaration contre la militarisation, la production et le commerce des armes. Campagne pour le démantèlement des industries d'armement.

– Réorientation des dépenses militaires vers les dépenses sociales.

– Expropriation des responsables convaincus de corruption ou de pillage des ressources publiques.

– Campagne pour le renforcement de la capacité productive des groupes exclus.

– Soutien des groupes indigènes, pour qu'ils puissent continuer à produire dans leurs propres régions, assurés d'une qualité de vie digne et du respect de leurs traditions et de leur culture.

– Lancement de programmes alternatifs de développement rural.

– Refuser les programmes d'ajustement structurel et l'évaluation macro-économique, qui déforme la mesure du progrès de nos pays.

– Établissement de règles économiques susceptibles de garantir un juste prix aux matières premières.

– Disparition de l'Organisation mondiale du commerce.

– Faire en sorte que le progrès aille de pair avec la création d'emploi, la protection de l'environnement et la satisfaction des 16 revendications de l'EZLN.

– Faire pression sur nos gouvernements respectifs pour qu'ils augmentent les dépenses sociales et pour empêcher la privatisation des services publics.

RÉSOLUTION SPÉCIALE ADOPTÉE PAR LA TABLE "ÉCONOMIE"

Nous, les participants à la table 2, soit près de 400 personnes de 25 nationalités, nous nous prononçons :

– Pour l'arrêt de toute violence militaire et paramilitaire dans la zone nord du Chiapas, qui a provoqué des destructions de maisons et de terres, des viols de femmes, des morts et le déplacement de plus de 7 000 indigènes de leurs communautés d'origine, principalement à Tila, Sabanilla et Salto del Agua. Cette situation est un obstacle à une paix juste et digne.

– Pour la dissolution des groupes paramilitaires fortement armés (gardes blanches), tels que "Paz y justicia" et les "Chinchulines", qui mènent une guerre de basse intensité pour le compte du gouvernement, du PRI et de l'armée fédérale.

– Pour que la paix juste et digne arrive jusqu'aux plus humbles, qui ont souffert dans leur chair des conséquences physiques et morales de la présence permanente de l'armée, connaissant la mort faute d'approvisionnement alimentaire et d'un développement normal.

– Pour une information véridique et rapide au niveau national et international, sur tout évènement qui se produirait dans cette région et pour que soit garantie la possibilité pour les groupes de défense des droits de l'homme d'oberver sur place, de façon à pouvoir vérifier et nourrir toute information.

Nous condamnons également les actions quotidiennes entreprises contre les habitants des communautés de Palenque, en particulier celle de Roberto Barrios :

– La présence d'hommes étrangers interdit l'accès des femmes à la rivière où elles se baignent, lavent leur linge et leur nixtamal (la farine de maïs, qui, après traitement à la chaux, est lavée à grande eau NdT)..

– Ces hommes envahissent la communauté sous prétexte d'effectuer des achats, mais ils s'en vont sans rien acheter. Leur irruption dans les boutiques de cigarettes et de boisssons fraîches effrayent les gens et les enfants.

– La présence de l'Armée fédérale dans les champs de maïs répand la peur dans la population, ce qui l'empêche d'effectuer la récolte, engendrant ainsi une rupture dans l'approvisionnement de la communauté.

– Les soldats profitent de l'absence des habitants pour voler des fruits.

– L'introduction de prostituées et d'alcool dans les campements militaires situés tout près des villages donne un mauvais exemple aux indigènes et participe d'une dégradation morale.

– Les hélicoptères ou de petits avions ne se contentent pas de vols d'intimidation, ils atterrissent dans les champs de maïs provoquant de gros dégâts

– La rivière, qui est la principale source d'eau de la zone, est polluée par les soldats, qui y rejettent détergents, urine, défécations et autres substances.

Nous avons encore un long chemin à parcourir

Discours de clôture du commandant Pedro

CCRI-Commandement général de l'EZLN

Frères et soeurs. La délégation de l'EZLN que nous représentons ici tient à vous remercier du fond du cœur pour l'effort et même l'obstination qui vous ont permis d'arriver en ces lieux, à l'Aguascalientes V Roberto Barrios de la zone Nord. Nous vous remercions beaucoup pour l'apport de grande valeur que vous avez effectué au sein des groupes de travail qui ont fonctionné pendant ces trois jours.

Nous autres, délégués de l'EZLN, pensons que vos travaux seront très utiles au bien de l'humanité. Nous pensons que cette Rencontre qui se tient sur ce sol, cette terre de rebelles, cette terre indienne, est le point d'où nous allons partir à la recherche d'un chemin nouveau pour construire le monde nouveau dont nous avons tous besoin. Un monde où nous ayons tous notre place, comme nous l'avons toujours dit, sans distinction de couleur, de race, de croyance ou de sexe. Un monde égalitaire.

Ce monde, nous ne pensons pas que c'est le gouvernement qui va le construire, ou les gouvernements en général, mais l'humanité, c'est à dire nous-autres et l'humanité que nous représentons ici, à cette Rencontre.

C'est pour cela que nous pensons que votre travail, frères et sœurs, est de grande valeur et de la plus haute importance pour l'humanité. Et c'est pour cela que nous vous en remercions.

Nous avons encore un long chemin à parcourir, et beaucoup à apporter, pour parvenir à ce monde nouveau que nous cherchons tous, dont nous avons tous besoin.

Nous pensons que si nous unissons nos paroles, nos pensées, nos expériences de lutte, nous pourrons construire ce monde nouveau. Ce monde que nous désirons, nous l'avons discuté durant ces journées.

C'est pourquoi nous espérons, frères et sœurs, que, où que nous soyons, nous continuerons à lutter, et à apporter ainsi notre grain de sable dans la construction de ce nouveau monde, nous continuerons à organiser nos peuples, nos nations.

Nous voulons aussi vous faire part du sentiment de nos communautés, de nos peuples, à propos de votre séjour parmi nous. En ce moment nos communautés, les bases zapatistes, sont fières de votre séjour en ce lieu, car elles peuvent constater que nous ne sommes pas seuls, mais que nous pouvons compter sur votre soutien à tous. Nous comptons sur le soutien de la société civile nationale et internationale.

En ce moment, nos communautés sont satisfaites, car nous espérons que le gouvernement et l'armée vont relâcher la pression militaire. Car ils continuent à augmenter la présence militaire, intimidant et terrorisant nos communautés, hommes, enfants et femmes.

Pour nous, votre venue parmi nous exprime votre appui. C'est la première fois que nous recevons en ces lieux des personnalités de différentes parties du monde. Nous n'avions aucune expérience de la façon de vous recevoir, de vous nourrir, mais nous avons fait tout ce que nous pouvions faire. Disons tout ce qui était à notre portée, même si ce n'était pas suffisant.

Voilà le peu que je voulais vous dire, frères et sœurs, de la part de la délégation de l'EZLN, et aussi que nous sommes très satisfaits des différentes tables rondes ou groupes de travail qui se sont tenus ces jours-ci, et satisfaits d'avoir cohabité avec vous.

Table 3

Toutes les cultures sont pour tous

Et les moyens ?

Des fresques au cyber-espace

Aguascalientes IV

Morelia

Des hommes et des femmes du monde entier sont venus à Morelia appelés par l'espoir.

Après un voyage d'Oventic à Aguascalientes IV se sont ouvertes les activités de la Table 3 : "Toutes les cultures pour tous" ; elle regroupait environ quatre cents participants de vingt-et-un pays du monde dont les commandants de l'EZLN : Zebedeo, Magdalena, Salvador, Elisabeth, Carlos, Emelina, Ismael, Yesenia, Eliseo et Alejandro.

Sur la joyeuse musique de "Porque esto ya comenzo y nadie lo va a parar" ("Parce que ceci a commencé et personne ne l'arrêtera"), le commandant Zebedeo a pris la parole pour inaugurer les travaux. La coordination de la table a remercié l'EZLN d'avoir redonné espoir à un monde qui l'avait perdu, et d'avoir pu réaliser cette rencontre dont la valeur éthique, morale et en tant qu'alternative de résistance et de construction d'un monde meilleur est aujourd'hui inestimable. On a remercié aussi la communauté de Morelia pour son hospitalité et la construction des belles installations de Aguascalientes IV, sachant qu'ils ont cédé pour cela une partie de leurs terres cultivables. Tous ceux qui sont venus des endroits les plus éloignés pour se retrouver avec de nouveaux frères ont également été remerciés et les indications ont été fournies pour que les rapporteurs se répartissent sur les différents thèmes et que commence le travail.

Une des caractéristiques de cette table a été la présence d'artistes et de travailleurs de la culture, dont certains ont présenté leur rapport sous forme de pièce de théâtre ou de poème. Il y avait aussi bien des jongleurs que des groupes de musique classique, des troupes de théâtre de différents pays, des chanteurs, des ensembles de musiques régionales du Mexique, des poètes, des peintres, des groupes d'improvisation, ainsi que de nombreux invités qui, spontanément leur ont emboîté le pas, sans oublier les nombreux groupes de Morelia même. La coordination des activités artistiques a organisé la présentation de tous ces groupes parallèlement dans la communauté et à Aguascalientes, de façon à ce que tous puissent intervenir sans interférer sur le travail. Des activités artistiques ont ainsi été organisées le matin avec des enfants de la communauté de Morelia, et l'après-midi avec l'ensemble de la communauté. A Aguascalientes, différents marathons ont eu lieu à partir de neuf heures du soir, et parfois pendant la journée. Après les présentations, on a dansé toutes les nuits jusqu'au petit matin. Une exposition des peintures a également été installée sur les murs de l'auditorium et plusieurs vidéos ont été diffusées.

Les activités artistiques ont contribué à créer une ambiance ludique détendue et fraternelle, qui a aidé à la réalisation du travail et à l'établissement de bonnes relations entre tous les participants. Elles ont également permis aux participants à la Rencontre, d'établir des liens avec les habitants de la communauté de Morelia qui, heureux des spectacles présentés à la communauté, venaient le soir aux marathons de Aguascalientes où leurs groupes se produisaient et où nous finissions tous par danser.

La répartition des participants sur les différents thèmes a été hétérogène. Alors que les thèmes "Communication", "Art", "Éducation et science", onr réuni une centaine de participants, celui de "Cultures diverses" n'en a attiré que trente deux. Dans chaque groupe, tout le monde est intervenu, et les participants des différents groupes ont eu l'occasion de s'écouter et, dans certains cas, de commenter les autres interventions. Les conclusions de chaque thème ont été élaborées collectivement par les participants avec l'idée – qui a prévalu au cours de la Rencontre – que la majeure partie du travail devait être le fruit d'un effort collectif.

D'une façon générale, les interventions orales des participants ont été plus riches que les rapports reçus. Ces interventions ont montré la variété des expériences accumulées pendant des semaines de travail par de nombreux groupes, et différents aspects de leur lutte de résistance dans leurs propres pays. Près d'un tiers des participants provenait d'organisations internationales de solidarité avec le Chiapas et le mouvement zapatiste. Ajoutons les Mexicains qui représentaient les Comités civils de dialogue et d'autres formes de solidarité avec le zapatisme, soit environ dix pour cent supplémentaires. A peu près cinq pour cent venaient d'universités et de centres d'études ou de recherche, et autant ne représentaient aucun groupe ; il y a eu aussi quelques syndicalistes. Les autres participants appartenaient à différentes organisations politiques d'opposition ou à des médias de différents pays qui, bien que proches du zapatisme, ne sont pas nés du mouvement international engendré par l'EZLN. Cette répartition semble montrer la portée significative du zapatisme sur des secteurs qui, auparavant, n'avaient pas été organisés.

La plupart des personnes présentes (plus de soixante quinze pour cent) n'a pas présenté d'exposé. Parmi tous les participants aux tables, il n'y a eu que quelque quatre-vingts rapports, dont seuls soixante-quatre ont été lus parce que leurs auteurs n'étaient pas présents à l'événement ou n'ont pas participé au thème sur lequel portait leur document. Vingt-deux rapports sur le thème "Moyens de communication" ont été commentés, vingt-quatre sur celui d'"Éducation et science à visage humain", et seize sur le thème de l'"Art". A la table portant sur "Cultures diverses", trois rapports ont été lus mais l'activité principale a été un fort intéressant débat sur les différents thèmes culturels proposés par les personnes présentes. Sur le thème de la "Communication" et celui de l'"Art", les rapports émanaient de plusieurs pays du monde (principalement Espagne, Allemagne, France, Italie, Mexique et États-Unis), alors que, pour celui portant sur "Éducation et science", quatre-vingt pour cent des participants étaient mexicains.

Dans les groupes, l'influence du néolibéralisme sur les différents champs de l'activité humaine a été analysée et des alternatives ont été proposées pour essayer de contrecarrer ses effets. Chacune des tables s'attachait à ce que, conformément à la philosophie zapatiste, les propositions issues de cette Rencontre n'aient ni une définition zapatiste ni aucune autre définition. Ainsi, en refusant l'esprit d'avant-garde et le sectarisme, toutes les propositions avaient la même place, à la seule condition de rechercher un monde plus humain.

Après trois jours de travail sur les quatre thèmes, les participants et la commission d'organisation ont préparé les documents sur les exposés et les conclusions des propositions et des débats. Les propositions de chaque table ont été lues en assemblée plénière, ce qui donna lieu à quelques modifications et annexes, pour que les documents soient approuvés par tous.

L'assemblée plénière s'est déroulée dans l'ambiance de solidarité et de joie que la confrontation d'expériences, le travail et les manifestations artistiques avaient créée. On a remercié les commandants de l'EZLN pour leurs discours et le temps passé avec nous, et la communauté pour l'attention portée, la nourriture délicieuse, la musique, la présence des enfants, garçons et filles, des hommes et des femmes, jusqu'à la surveillance de la propreté des toilettes et aux pierres placées pour éviter les bourbiers. Le travail des artistes, de la commission d'organisation et des participants aux tables s'est caractérisé par la bonne volonté et la souplesse avec lesquelles ont été résolus les problèmes qui surgissent inévitablement au cours d'un événement si riche et si divers. Le commandant Zebedeo a lu quelques mots de conclusion et les presque six cents personnes de l'assemblée ont entonné l'hymne zapatiste.

On trouvera en annexe les conclusions sur chaque thème, qui ne sont que le début d'un processus de rencontre où l'essentiel n'est pas qu'une idée ait prévalu ou que les conceptions soient nouvelles ou dépassées, mais que toutes les voix – aussi distinctes soient-elles – aient pu se faire entendre. Dans cet esprit, nous présentons d'avance nos excuses si nous nous n'avons pas su recueillir fidèlement toutes les voix, et espérons apprendre à le faire mieux pour collaborer à la construction du chemin de l'acceptation, du respect, de la tolérance et de la solidarité que tous nous voulons et dont nous avons besoin.

Commentaires sur les activités artistiques

L'expérience que nous avons vécue les 29, 30 et 31 juillet 1996 à la Table de Culture, à Aguascalientes IV, Morelia et l'organisation des activités artistiques pendant cette foisonnante Rencontre – ainsi que les journées de pluie qui formaient des chemins boueux emplis de boue, de rires, d'orthoptères, de jungle, d'odeur de bois, de pleurs et d'avions militaires – ont créé en nous le besoin de faire savoir ce qui a été réalisé en si peu de temps. Le temps existait-il d'ailleurs ?

Nous n'étions pas aussi préparés que certains camarades belges et français qui prenaient des médicaments contre la malaria, ou que la joyeuse Isabel Escudero, professeur de psychodidactique et de communication à l'Université nationale d'enseignement à distance de Madrid, et surtout poète – et quel poète ! – qui portait un authentique costume de safari et un appareil spécial contre les morsures de serpents (qui, bien sûr, ne fut pas nécessaire), ou que la camarade de campement des États-Unis à qui toutes disaient qu'elle ressemblait à la reine d'Afrique avec son équipement miniature intégrant moustiquaire et le reste. La narratrice a eu froid – mais s'est réchauffée en dansant – et n'a utilisé qu'une fois l'insecticide anti-moustiques, sans savoir que l'attaque ne viendrait pas d'eux, mais de la quantité d'artistes, qui, venant pour la plupart pour la première fois au Mexique, arrivaient directement à la Rencontre en zone zapatiste. Point de départ de la découverte du Mexique.

En comptant les enfants et les adultes de la communauté de Morelia, et environ six cents personnes à Aguascalientes IV, plus de soixante quinze groupes d'artistes ont défilé : artistes de la communautés, artistes plasticiens, cybernétistes, vidéastes, photographes, etc.

Les artistes plasticiens étaient bien chargés ! Ils avaient des xérographies, des huiles, des aquarelles, des encres, des dessins, des couvertures, des projets de peintures murales, des sculptures. Aïe ! Tous ensemble, ils ont organisé l'espace dont ils avaient besoin et ils ont installé leurs œuvres près des dessins des enfants de la communauté, les protégeant de joie naturelle de la pluie, dans le grand auditorium construit spécialement, tout en bois, par la communauté. Là s'est réfugié le monde des inclémences de la météo.

Une exposition d'infographie a attiré mon attention, où "la photographie n'est pas une fin en soi, mais un élément de plus qui forme l'ensemble" (Jorge Juan, Malaga).

Tous les participants n'ont pas amené leurs œuvres. Au cours d'une discussion avec un Français, je restais sans voix rien qu'à penser à ce qui serait advenu s'il avait apporté ses installations ; je m'en souviens bien, peintre installationniste qui ne parlait pas espagnol et qui passait toute la journée en contemplation devant la nature et son spectacle, il disait que ça lui suffisait. A la fin, le rouge aux joues, il a commencé à balbutier ses premiers mots d'espagnol ; ou était-ce du tzeltal ?

Parmi les poètes, jongleurs, acteurs, chanteurs et musiciens qui ont porté les violons, guitares, marimbas, flûtes, percussions, vestiaires, décors de scène, etc... nous avons eu le plaisir d'avoir des artistes d'Allemagne, d'Espagne, de France, de Belgique, du Pérou, des États-Unis, de Porto Rico, d'Italie, du Japon, d'Irlande, du Mexique, du Brésil, du Costa Rica, et avec eux, avec les enfants, les jeunes et les adultes de la communauté, nous finissions la journée en dansant, pour nous réveiller et constater que nous avions encore la même volonté et la même espérance.

Nous remercions les artistes de la communauté (enfants et adultes) qui ont chanté et dansé avec nous pour la joie que nous a apportée de nous avoir égayés par leur infatigable et savoureux groupe musical. Nous voulons également signaler que deux chansons ont été composées sur la Rencontre, par le groupe espagnol Canarias et le groupe musical de la communauté de Morelia. A la fin de chaque journée de la Rencontre, nous avons chanté et dansé tous ensemble.

Pour l'élaboration des documents rapportant les conclusions sur chaque thème, une procédure aussi démocratique que possible a été suivie afin que de refléter le plus fidèlement possible le sentiment collectif et de recueillir toutes les voix et propositions. Sur certains thèmes, les rapporteurs ainsi que, parfois, le médiateur ont élaboré un document de synthèse qui a fait l'objet de discussions et de corrections par l'ensemble des participants à chaque thème. Sur d'autres thèmes, quelques participants se sont réunis pour élaborer les conclusions, qui ont été lues au cours de l'assemblée plénière de Morelia, où des modifications et des ajouts ont été apportés.

Nous étions presque morts.

Discours du commandant Zebedeo

l'ouverture de la table de travail.

Comme vous le savez, nous appartenons à une ethnie. Je suis tzeltal et il nous coûte de comprendre votre langue, que ce soit le castillan ou l'espagnol : je ne le maîtrise pas. Mais j'ai réussi à comprendre un peu ce que vous avez exposé. Cette tâche est très grande, très longue et elle doit être continuée vers ce que nous voulons. Oui, nous sommes présents à cet Aguascalientes, nous sommes arrivés dans ce coin du Chiapas qui était très marginalisé, où personne ne venait et où nous sommes maintenant. Nous étions presque morts. Merci à vous qui vous êtes adaptés à cet espace, où nous voulons trouver ce que n'avons pas ; et j'imagine que votre volonté est aussi de trouver ce que nous n'avons pas. Mais pour trouver ce que nous n'avons pas, nous devons le chercher. Nous devons faire en sorte d'y arriver.

Nous, de l'EZLN, nous croyons que c'est une tâche dont nous ne pouvons pas encore dire qu'elle progresse : nous en sommes à peine au premier pas ou aux premiers pas.

Je pourrais vous parler aussi de la construction d'une maison, de la construction de cet Aguascalientes. Nous avons commencé à le construire et les enfants, les hommes et les femmes sont venus participer. Nous avons posé les premières pierres pour commencer le travail. Nous pensions que cela ne serait jamais fini, mais il y a toujours eu quelqu'un pour ouvrir la route et trouver ce que nous voulons. Si cet éclaireur est toujours à la recherche de ce qu'il veut, nous devons le trouver. C'est ainsi que nous avons commencé à bâtir et nous avons pu le faire en quelques jours.

A. Les moyens de communication,

un chemin vers la liberté

Attirés par les vents zapatistes et par le doux ouragan qui se ont balayé les cinq continents, il nous a semblé nécessaire de commencer la construction d'une alternative de vie véritable, une vie dans laquelle le dialogue nous amène à tisser des liens et des relations, face à face, pour que le visage humain resplendisse en toute société et à tous les niveaux, qu'ils soient locaux, régionaux, nationaux ou mondiaux. En d'autres termes, nous nous sommes proposés de créer des relations sociales là où subsistent les différences entre les peuples mais sans domination des uns par les autres. D'où notre tâche fondamentale qui consiste à utiliser largement et avec le plus possible de créativité toutes les formes de communication, ce qui est notre meilleure arme contre le néolibéralisme et pour l'humanité.

Le néolibéralisme utilise les moyens de communication dans sa stratégie d'exclusion et de soumission des grandes majorités. Les médias dominants manipulent et traitent les êtres humains comme des objets, fabriquent des messages aliénants et une réalité virtuelle qui ne sert que les intérêts du grand marché plongeant dans la misère des millions de personnes dans le monde entier. Il faut dénoncer les pièges et les mensonges des régimes technocratiques et s'interroger sur l'illusion démocratique et la supposée société de bien-être qu'ils nous vendent ; celle-ci convertit aussi en illusion la liberté et la justice, en prétendant nous soumettre à l'esclavage de l'argent et en générant des modes de vie qui ont pour base l'exclusion et l'individualisme.

Il est nécessaire de garantir la communication sous toutes ses formes, depuis les plus traditionnelles utilisées par les communautés paysannes jusqu'aux moyens électroniques les plus sophistiqués, et d'en faire des outils dans la lutte contre le pouvoir de l'argent.

La stratégie de lutte de l'EZLN est une illustration des possibilités d'utilisation des moyens de communication existants pour propulser un mouvement populaire au niveau mondial, même sans disposer de ses propres médias. Par contre, d'autres expériences de luttes populaires sans tactique précise de communication, même en ayant ces moyens, n'ont pas eu autant d'impact.

Comme stratégie centrale, nous proposons de créer le Réseau international de l'espérance civile et participative, qui lutte pour un monde nouveau. C'est la tâche de tous, mais elle incombe plus particulièrement aux travailleurs et travailleuses de tous les médias alternatifs, officiels ou privés, qui acceptent l'engagement d'une communication sincère et véridique, objective, opportune et suffisante, qui défende le droit des peuples à une vie digne.

C'est pour cette raison que les moyens de communication doivent se renforcer, par le biais de l'utilisation d'un langage non discriminatoire à tous égards, dans la pluralité et le respect des droits de toutes les personnes et de tous les peuples.

Réseau international de l'espérance

La seule façon de créer est de faire, de suivre son propre chemin vers la vérité, de construire un langage neuf qui reflète les aspirations de nos peuples. En accord avec les conditions de chaque pays et les possibilités de chaque organisation, nous proposons de créer des réseaux de communication civile et participative en utilisant tous les moyens existants et en en créant de nouveaux tant horizontaux que multidirectionnels, et d'échanger les coordonnées des organisations, des institutions et des personnes qui peuvent travailler ensemble. Il faudra lutter pour exercer nos droits légitimes de communication et de libre information, quitte à accentuer la guérilla des médias.

Notre objectif à long terme doit être de susciter un mouvement international pour l'humanité et contre le néolibéralisme, et de créer une philosophie de communication libératrice. Pour cela, il faut promouvoir l'échange d'informations sur ce qui se passe dans nos pays, régions et communautés du fait des politiques néolibérales, sur leurs conséquences et les luttes pour s'y opposer. Nous nous proposons de discuter, de diffuser, de retransmettre et de partager les collaborations et les correspondances entre les différents moyens de communication alternative de toute la planète.

Nous nous engageons, en conséquence, à promouvoir les projets de communication alternative, qui intègrent la connaissance et l'expérience d'organisations et de collectifs dans un effort commun pour promouvoir la création de nouveaux médias de communication avec un sens critique et une prise de conscience, qui soient utiles au niveau populaire à l'organisation de la résistance contre l'argent du pouvoir et le pouvoir de l'argent.

De même, il est indispensable d'intégrer un front de défense et de lutte au niveau mondial qui appuie les médias alternatifs de manière effective, et plus spécialement la radio et la presse écrite, objets de persécution et d'agressions judiciaires ou pénales, ainsi que la revendication des droits à la liberté de pensée et d'expression.

La réalisation d'actions communes au niveau international pour renforcer le mouvement contre le néolibéralisme, en tenant compte des conditions de chaque pays et de chaque région, sera la forme la plus efficace pour forger l'esprit et l'image du nouveau monde que nous désirons. Parmi ces actions, il faut réaliser d'autres rencontres intergalactiques, nationales et régionales, des séminaires, des congrès, des stages et des ateliers de travail, des fêtes, des concerts, des spectacles ainsi que des manifestations, des marches, des actes de protestation ou de proposition, dont l'objectif commun sera de combattre le néolibéralisme et de contribuer à l'élaboration d'un monde nouveau.

Il faut créer un véritable lien entre les travailleurs des médias, tant officiels que privés, locaux, nationaux ou internationaux, avec la volonté de construire collectivement de nouveaux chemins d'échange et de libération.

Quant aux réseaux électroniques existants, il est nécessaire de les utiliser comme vecteur de liaison du mouvement de résistance international et d'entrer en contact avec les organisations qui élaborent de quoi servir les luttes de libération de nos peuples, et d'amplifier leur impact vers d'autres milieux. Pour cela, il est recommandé de trouver des protocoles normalisés d'échanges d'informations électroniques, des systèmes de sécurité, de chiffrage et d'authentification de la source d'information. Il faut explorer et mettre en pratique des alternatives d'accès aux réseaux électroniques à coût réduit, créer des outils et des ressources propres, former des utilisateurs, développer des campagnes de dons, d'échanges, etc.

Parmi les campagnes à mener par le Réseau international de l'espérance, celles de soutien – économique ou autre –, ont une signification particulière et devront permettre de créer au niveau international des Aguascalientes zapatistes par différents moyens de communications, et plus particulièrement par la radio ; leurs devises pourraient être "La fête de la parole", "Pour qu'on entende les sans-voix", "À vive voix", "Ya basta !" etc et ils soutiendraient la campagne "Pour une paix sans otages" demandant la liberté immédiate des prisonniers présumés zapatistes injustement emprisonnés.

Pour créer une image globale et coordonnée de la lutte pour l'humanité et contre le néolibéralisme, il est important d'adopter des symboles, des logos, des couleurs et d'autres éléments qui puissent être utilisés librement dans les journaux, revues, tracts, cassettes audio et vidéo, journaux muraux, pages électroniques, ... Les zapatistes ont rénové le langage traditionnel de la gauche avec un langage neuf qui regroupe les traditions et ses propres formes d'expression au travers de lettres, de contes, poèmes, déclarations, etc. Être ouvert aux problèmes réels des personnes ainsi qu'aux groupes (même antagonistes) peut créer des espaces de dialogue et de construction d'une paix juste et digne.

Dans la défense des droits individuels et collectifs à une communication véridique, opportune, objective et suffisante, nous proposons de développer une campagne permanente de dénonciation du mensonge, de la tromperie, de la distorsion de la réalité et du silence des grands médias.

Parmi les quelques activités immédiates, citons la plus ample diffusion, par tous les moyens possibles, des conclusions et des résultats de cette première Rencontre Iintercontinentale pour l'humanité et contre le néolibéralisme, la campagne européenne Un Bateau pour le Chiapas, effort de communication entre les peuples, non seulement solidaire, non seulement humanitaire, mais beaucoup plus que cela. Il a été proposé d'instaurer une Journée internationale de lutte pour l'humanité et contre le néolibéralisme, durant laquelle chaque organisation et chaque personne engagée mènerait des activités symboliques.

DISCOURS DU COMMANDANT ZEBEDEO

À LA DEUXIÈME SESSION.

Il semble qu'aujourd'hui il y ait beaucoup de monde. Nous contribuons de notre mieux à la recherche de ce que nous n'avons jamais eu, surtout dans cette région, dans ce coin du Chiapas. Région du Mexique où nous n'avons jamais eu de communication. Je parle de radio, de revues, de journaux, de publications. Nous sommes très isolés, mais avec cette Rencontre, nous en savons plus et nous pensons que nous allons apprendre plus et mieux encore.

Nous, les indigènes, sommes très nécessiteux et avons besoin de votre contribution, de votre participation, de votre impulsion, vous qui êtes peut-être plus experts en cela. Nous avons peu de connaissances, mais nous avons envie de faire encore et de trouver, donc, cette nécessité.

De la forme prise dans les communautés

par la discussion et la participation aux assemblées

Dans la communauté, il faut être très attentif. Les camarades de la communauté sont attentifs à la parole de leur représentant et, une fois qu'ils l'ont écoutée, nous faisons également des groupes comme ici. Chacun discute pour savoir s'il est nécessaire de faire ce travail, ou de celui à faire en priorité, ou de celui qui est le plus important. Puis, après ce petit groupe, on se réunit de nouveau en assemblée plénière, et là – avec notre culture – nous ne sommes pas très "baratineurs". Bref, je ne sais pas si vous me comprenez, mais nous ne parlons pas beaucoup, nous sommes très concrets.

Une fois l'analyse faite en groupe, on va à l'assemblée pour prendre des décisions. Il n'est pas important de prolonger les discussions. Les membres de la communauté s'insurgent facilement lorsque quelqu'un prend la parole et qu'il s'éloigne du sujet. Dans ce cas, ils manifestent, ils crient et ne lui laissent pas la parole. Pourquoi ? Parce qu'ils croient qu'il sabote le sujet. Immédiatement, c'est l'autorité qui prend la parole et dit : "j'ai déjà exposé ce problème et je voudrais que vous me disiez si c'est bien et si le groupe est d'accord" ; la communauté demande aussitôt : "nous allons l'organiser" et les autorités programment la journée pendant laquelle sera effectué le travail. De cette façon, les accords aboutissent en deux ou trois heures et le lendemain, il est possible de travailler.

Ça, c'est ce que nous faisons et je peux vous raconter comment nous avons fait cet Aguascalientes. Nous avons convoqué toutes les autorités des communautés de la région. En quatre heures, nous sommes parvenus à un accord. Nous avons discuté de la façon de faire les repas ; les autorités elles-mêmes ont dit : "nous ne demandons pas de salaire. Nous allons venir travailler et le faire." Telle est notre culture. C'est notre façon de communiquer, c'est par ce mécanisme que nous agissons dans nos communautés.

J'espère vous avoir apporté quelque chose, que vous avez compris ce que je vous ai dit et veuillez m'excuser si je n'ai pas été assez clair, dans le cas contraire, considérez ceci comme une expérience. Si vous le ressentez ainsi, ici s'arrête mon discours.

Comment résolvez-vous le problème lorsque quelqu'un pense différemment ?

Bon, tout a été discuté dans les groupes et tout ce qui ne sert pas à la communauté a déjà été supprimé. L'assemblée plénière est là pour que la communauté prenne les décisions. Ce qui ne sert pas est laissé de côté et il n'est plus permis d'en discuter à l'assemblée. Les gens viennent directement prendre les décisions et réaliser les accords.

Dans notre culture, comme je vous le disais, nous n'utilisons pas beaucoup le mot discussion. Quelqu'un demande la parole et la grande majorité des communautés ne le permet pas. Si quelqu'un veut prendre la parole pour détruire ce que l'autorité a exposé, il est ignoré et on ne l'écoute plus. Ce n'est pas de l'autoritarisme, c'est pour le bien de la communauté. Il faut bien penser et tenir compte du fait que nous allons vers une construction et non vers une destruction.

DISCOURS DU COMMANDANT ZEBEDEO

PENDANT LA DISCUSSION DES CONCLUSIONS

Je voudrais prendre la parole. Il semble que dans les conditions actuelles, tout aille bien. Ainsi que je vous l'ai dit tout à l'heure ,j'espère qu'on va arriver à de bons accords, à un bon consensus, car c'est le chemin que nous recherchons. Dans notre culture, il importe peu de savoir si l'un et l'autre ont des noms de famille différents. Nous nous appelons tous frères. Pour nous, si je dis "frère" à quelqu'un c'est comme si ma mère était sa mère et mon père son père. Nous sommes comme cela. Je ne sais pas si cela se passe comme ça entre frère aîné et frère cadet. Nos relations sont comme ça. Quand nous nous appelons frère c'est que nous sommes humains et frères, et que tous nous avons besoin de quelque chose.

C'est pour cela que nous sommes là, à partager une table de fraternité pour construire quelque chose de véridique ; quelque chose de différent, donc, pour que nous puissions quitter ce monde d'hostilité. Ce monde qui ne fait qu'amener une majorité de nos frères à la mort. A priori, notre présence ici s'explique par le fait que nous sommes convaincus qu'il faut faire le travail, l'effort, et le sacrifice pour construire et espérer.

B. Éducation et science à visage humain

Bienvenue à Aguascalientes IV, la maison de tous, notre espoir, l'espérance de l'humanité. Nous vous souhaitons un bon séjour et de bons résultats à cette table. Que le sacrifice de ceux qui sont venus de si loin ne soit pas vain, qu'ils ne pensent pas à eux, qu'ils pensent avec leur cœur et cherchent l'unité sans distinction de couleurs ou de races, et que ce soit pour le bénéfice de l'humanité. Nous souhaitons qu'il y ait de la flexibilité et que l'on mette l'accent sur les thèmes riches qui aident à satisfaire les besoins de tous et que nous ne nous perdions pas en vaines discussions.

Bienvenue du commandant Salvador

A cette table ont participé environ cent personnes de douze pays : Espagne, Pays Basque, Galice, Colombie, Chili, France, Mexique, États-Unis, Allemagne, Italie, Angleterre, Argentine, Suisse et Japon. Parmi les participants, il y a eu des travailleurs de plusieurs universités, des militants de partis politiques, de comités de solidarité avec le Chiapas, d'autres avec une expérience informelle et des projets alternatifs de santé, ainsi que des personnes ayant soutenu des projets d'enseignement de la science pour le bénéfice de l'homme.

Un des piliers fondamentaux de la reproduction du système politique est l'éducation ; elle a été utilisée comme instrument pour légitimer une dynamique de gouvernement qui cherche à former une masse de population productive, mais non pensante et critique ; elle favorise l'homogénéisation et annule les différences culturelles et de genre, ignorant absolument la spécificité des milieux ruraux et les langues autochtones ; elle privilégie l'individualisme et la concurrence en renforçant l'économie de marché, l'inégalité et la discrimination ; elle ne respecte ni ne prend en considération les besoins vitaux et le droit au choix du mode de vie. En fin de compte, il s'agit d'une position politique à laquelle nous nous opposons à cause des conséquences négatives que je biens de mentionner. Un exemple significatif et probant en est la négation des populations indigènes au Mexique en tant que groupe culturel, et donc de leur identité et de leurs besoins.

Nous voulons qu'il soit clair qu'en tenant compte de l'identité des peuples nous ne prônons pas la ségrégation politique, économique ou sociale, et nous ne nions pas l'universalité des droits et des valeurs humaines fondamentales.

Les organismes économiques internationaux qui soutiennent ce modèle sont chargés de transmettre le caractère idéologique et politique implicite dans l'éducation ; ils utilisent les gouvernements des États, en parvenant à faire pression sur eux. Historiquement, le peuple a perdu son droit de participer aux plans et programmes d'éducation.

Les politiques de privatisation et de décentralisation creusent l'inégalité entre les différentes classes sociales, entre villes et campagnes, dès que l'État n'assume pas une distribution équitable et suffisante des ressources aux municipalités pauvres. Nous considérons que la décentralisation culturelle et éducative est nécessaire au respect des identités culturelles autochtones, en gardant à l'esprit que l'État doit fournir une éducation digne et démocratique pour tous, et en faisant du budget de l'éducation l'un des facteurs prioritaires du développement national.

Les sciences expérimentales et le développement technologique ont été conçus comme le seul moyen de compréhension de la réalité et du développement, et ont soutenu une seule "réalité", qui nie la diversité culturelle et les différentes conceptions du monde liées aux différents coutumes et langues : elles ignorent le savoir des cultures indigènes ou minoritaires dans les méthodes de culture, l'herboristerie, les médecines alternatives, etc. Pour tout cela, nous dénonçons le fait que la science n'est jamais neutre, car elle reflète les intérêts du pouvoir économique dominant. Nous ne pouvons pas oublier que le savoir constitue un des mécanismes de domination : "ton ignorance est mon pouvoir". Par contre, une science qui part de la connaissance locale et culturelle, et qui la respecte, mais qui s'ouvre également à d'autres options de compréhension de la réalité, peut être un instrument de réflexion tant qu'on ne la considère pas comme la vérité unique. La science doit être au service de l'être humain et non le contraire.

Avec la volonté indéniable d'aller vers l'élaboration d'une éducation qui permette le développement des différentes cultures, nous proposons une éducation qui soit au service de la population et qui renforce la solidarité entre les individus et les peuples. Dans cette optique, les points suivants sont importants :

- Valoriser la connaissance comme voie de développement et de préservation de la culture à partir des racines historiques et culturelles des peuples.

- Valoriser, dans le processus éducatif, non seulement l'ensemble des savoirs eux-mêmes, mais les outils spécifiques de chaque groupe pour leur application.

- Aider à l'interaction entre les cultures, ce qui permettra un enrichissement mutuel.

- Récupérer et revaloriser les connaissances traditionnelles pour restimuler l'identité des peuples et des personnes.

- Dispenser l'éducation dans la langue maternelle en plus de la langue utilisée comme vecteur d'interaction.

- Respecter le droit de chaque culture de définir de façon autonome son propre processus éducatif, tant du point de vue des méthodes et du contenu que des ressources humaines et des matériaux.

- Reprendre la méthodologie de l'éducation populaire, en insistant sur son caractère constructif.

- Empêcher l'immersion des enfants dans le consumérisme.

- Promouvoir une recherche scientifique et technique au service du développement des peuples, pour établir un lien entre l'écologie, la production et la consommation de l'énergie. Cette recherche aura pour but d'améliorer les ressources agricoles ainsi que tous les aspects considérés comme primordiaux pour chaque groupe d'hommes.

- Stimuler le développement de la pensée et la conscience critique et considérer la "recherche-action" comme la méthodologie pédagogique d'une nouvelle éducation.

- Enseigner la science en faisant appel à la réflexion, comme outil servant à développer la capacité d'abstraction.

- Promouvoir la diffusion des connaissances qui permette une plus grande participation de la société dans les prises de décision.

- Promouvoir l'éducation sexuelle à tous les niveaux.

- Développer le travail en commun et l'apprentissage mutuel entre maîtres, parents et élèves.

- Créer des systèmes d'évaluation non compétitifs.

- Respecter et faire connaître les droits de l'enfant, en le guidant vers la connaissance de soi et de l'environnement.

- Créer des auberges-écoles et envisager des programmes nutritionnels à l'intérieur même de l'éducation.

- Comprendre la nécessité d'une politique internationale qui dispense une éducation pour les immigrants et d'une pédagogie qui mette en valeur les femmes.

Dans la définition de stratégies pour l'élaboration d'une éducation alternative au néolibéralisme, nous avons proposé la création de comité sociaux de base, ainsi que la création – ambitieux projet – d'une université ouverte, internationale et par correspondance, qui permette la recherche de la connaissance universelle, en prenant comme base l'expérience de l'Université bolivarienne pluriculturelle ; nous considérons qu'il est extrêmment important de :

- Exiger 8 % du PIB pour l'éducation à l'échelon international.

- Exiger que l'État prenne en charge l'éducation avec les caractéristiques que demandent les peuples.

- Nous transformer en acteurs politiques dans l'éducation, en créant une organisation politico-éducative qui puisse faire pression pour une réponse aux demandes éducatives.

- Promouvoir la résistance des enseignants aux plans institutionnels, au profit d'une éducation critique.

- Que les maîtres parlent et réfléchissent sur le néolibéralisme avec leurs élèves et sur ce que propose le zapatisme.

- Créer des rencontres internationales d'éducateurs.

- Créer des réseaux internationaux de recherche éducative.

- Organiser des congrès dans les universités auxquels participeraient les étudiants pour élaborer des propositions alternatives capables de résoudre les problèmes de la majorité des gens dans leurs pays, et particulièrement au Mexique, et de proposer un nouveau modèle de pays et de société.

- Développer l'autogestion financière et l'organisation coopérative comme alternatives au système éducatif.

- Mener des consultations internationales pour élaborer des propositions et des stratégies favorisant une éducation à visage humain.

- Dans l'immédiat, travailler à la planification et la création de l'Université zapatiste bolivarienne pluriculturelle, qui ne peut se concevoir que comme une université ouverte, internationale et par correspondance, qui contribue à la formation d'un monde nouveau.

- Enfin, il est proposé que l'éducation respecte l'exemple de tolérance et d'éthique que le zapatisme a donné, en ouvrant de nouvelles espérances pour un monde meilleur.

DISCOURS DU COMMANDANT SALVADOR

À LA TABLE ÉDUCATION ET SCIENCE

Camarades, bonsoir. Avec votre permission, je m'adresse à vous pour vous faire quelques commentaires sur ce qui a été exposé jusqu'à maintenant. Tout d'abord, je vais me permettre de parler plus que chaque rapporteur car moi je suis resté cinq cents ans sans pouvoir parler. Et maintenant que nous avons abandonné le silence, je ne mesurerai pas le temps qui m'est imparti.

A propos des maîtres considérés comme dompteurs : oui, nous les voyons comme ça et c'est ainsi que les enfants deviennent semblables à des fauves domptés régis par l'égoïsme, et c'est là le principal obstacle de l'humanité.

Pour nous, l'important est d'apprendre à travailler, et non pas ce que vous, vous appelez éducation universelle. L'éducation commence au foyer, sans besoin de documentation aucune. Pourquoi nous préoccuper de l'école traditionnelle ? Elle coûte cher et nous n'allons pas attendre. Nous devons agir dès à présent avec votre aide. On y arrivera avec des forums, de la musique, sans égoïsmes et avec harmonie.

Je répète ce qui a été dit hier : il n'est pas utile de discuter, mais d'apporter des propositions, des alternatives. Les enfants deviennent compétiteurs et égoïstes par les examens. Il faut considérer l'éducation, non pas comme une suite de conférences, mais plutôt comme ce qui apprend à vivre dès le foyer. La vie doit être comme l'enseignent les maîtres et non comme le disent Zedillo et Bill Clinton. Nous sommes un commerce, un objet. Réfléchissez bien pour que la discussion ne se prolonge pas et que les propositions affluent. Ceci n'est pas la fin, ce n'est que le début. C'est pour cela que les propositions sont plus importantes que les conclusions.

Être un maître n'est pas gagner un salaire, mais apprendre à se sentir l'égal des enfants, et non supérieur à eux. L'éducation commence au foyer. Nous devons agir avec l'aide de tous, créer des liens.

Il faut casser l'égoïsme avec la culture, avec la musique. Les interventions ne doivent pas être des discussions, il ne faut pas chercher la meilleure idée mais comment arriver à l'unité.

Enseigner là où vous êtes, avec ce qui s'y trouve. Au Chiapas, l'histoire a été supprimée des livres. Pour le gouvernement, ses costumes ne sont plus que des objets à vendre aux touristes. Cela fait mal, c'est pour cela que nous nous sommes levés en armes. L'éducation et la culture sont devenus des commerces pour le gouvernement.

L'importance de l'éducation populaire est évidente : travailler dans la nature, avec la nature, avec ce que vous avez, sans besoin d'infrastructure. L'important est de savoir ce que recherche, ce que veut, ce qu'est un éducateur. Se sentir l'égal des enfants et apprendre d'eux. Nos enfants ont été traités comme des animaux en cage, ils ont oublié de marcher. C'est ainsi qu'ils deviennent individualistes par les examens mêmes.

On leur a raconté qu'il y avait des frontières et qu'ils ne pouvaient pas les franchir. Et c'est là l'importance d'une rencontre intercontinentale – la première –, qui casse les frontières : frontières politiques, culturelles, toutes les frontières. On nous a dit que nous avions des frontières.

Qu'il est bon d'être ensemble aujourd'hui !

DISCOURS DE LA COMMANDANTE ELISABETH

SUR L'EXPÉRIENCE DE LA FEMME ZAPATISTE

Je veux faire un discours. Nos ancêtres travaillaient unis, collectivement, ils avaient leur calendrier, ils fabriquaient et teignaient leurs vêtements. Cela et plus encore a été détruit par les Espagnols. C'est d'eux que nos grand-parents et nos parents ont appris que la femme appartenait et restait à la maison. Nous vivions enfermées, sans participer.

Mais maintenant nous voulons être Mayas de nouveau. Le gouvernement ne tient pas compte de nous autres indigènes, il nous traite comme des animaux, personne ne nous demande si nous sommes d'accord pour que nos ressources soient extraites. Il est temps de redonner vie à tous les peuples du monde et pas seulement à celui du Chiapas.

Maintenant nous autres femmes, nous avons changé, nous travaillons collectivement, nous travaillons la terre, nous avons dit : Ya basta ! (ça suffit !) Nous voulons nous organiser en tant que femmes et on ne nous laisse pas faire. Mais maintenant, nous sommes en lutte, et voulons redonner vie aux peuples du Chiapas. Nous avons déjà notre loi révolutionnaire, même si le gouvernement ne l'accepte pas. Maintenant nous nous organisons en tant que femmes, nous voulons la terre pour la travailler. Maintenant nous, femmes, sommes presque libres, parce que nos camarades ont acquis une conscience.

Aguascalientes est à vous. Chacun est un Aguascalientes et nous voulons que chacun,où qu'il soit, construise un Aguascalientes.

C. Des arts et de la créativité comme résistance

Pour la première fois, accourant à l'appel des plus petits, des plus oubliés, les indigènes de l'EZLN, les artistes et les participants de beaucoup de pays, nous nous réunissons dignement dans cette Rencontre, pour nous écouter et parler de ce qui nous touche et nous diminue en tant que personnes et en tant que société du néolibéralisme, ce désert qui croît, dévastateur et que nous avons l'intention d'arrêter.

Nous comprenons l'art comme l'expression humaine de la liberté de création et de participation collective ; comme résistance rebelle et expression libératoire, la liberté étant la texture même de notre être. L'art comme droit de la société dans son ensemble, et non comme privilège de quelques-uns, comme l'œuvre de l'être humain et non comme simple objet mercantile. Nous insistons sur la dimension subversive de l'art.

Le néolibéralisme, étant essentiellement contre la participation collective et la diversité culturelle, affecte la totalité de nos vies et les mutile ; s'accrochant à l'imposition d'un modèle économique et politique autoritaire, il prétend effacer de la mémoire l'histoire et la culture des peuples soumis à son projet.

Le totalitarisme néolibéral, comme tout totalitarisme non seulement écrase, dicte sa loi et assujettit, mais prétend aussi imposer des limites infranchissables à l'individu et à la société qui empêchent de construire un monde habité par la beauté, qui revendique l'imagination et le plaisir. Nous considérons que nous devons exercer le droit d'être les protagonistes de notre créativité individuelle et collective pour redimensionner le futur et le dessiner.

Opposons à l'immoralité, à la violence et à la corruption néolibérale l'exemple zapatiste pour affronter le système avec une efficacité transformatrice. Peignons d'ores et déjà les premières couleurs de cette internationale de l'espérance.

Recherche de racines et d'origines

Nous, nous sommes les coutumes de nos ancêtres.

C'est contre ce que nous avons été, et pour ce que

nous avons été, que nous serons ...

COMMANDANT EMELINA

Nous ne faisons plus rien dans le présent, nous avons accouché de notre mémoire, de notre histoire, de notre milieu. C'est une culture moderne qui s'est entêtée à diviser l'indivisible, comme le ressentir et la pensée, en faisant de l'homme une machine ; la recherche de racines n'est possible qu'en remplissant chaque acte quotidien, chaque petit détail de symboles, de croyance et d'abandon.

lorsque meurt un vieux,

une bibliothèque brûle,

lorsque meurt un enfant,

c'est un devenir qui s'éteint.

La culture du consumérisme a transformé le vieillard et l'enfant en objets. Le vieillard loin du prototype romantique et idéaliste, est ce personnage qui, à travers l'expérience, donne toute sa valeur au quotidien. La fonction du vieillard se revendique dignement, si sa vie éclaire et soutient la culture de l'enfance.

Ce n'est pas la connaissance abstraite et théorique mais la métaphore, l'art populaire qui donne tout son sens à l'existence d'une communauté qui se reconnaît comme telle. La modernité a converti la connaissance humaine en actes spécifiques et rationnels qui oublient le caractère entier des hommes et des femmes envers les autres et envers la nature. Nous sommes intégrés dans nos trois dimensions, physique, émotionnelle et intellectuelle, mais nous ne sommes en harmonie que si nous considérons l'autre comme une source de vérité.

Nous ne pouvons pas nier cinq cents ans de domination, mais nous pouvons transformer une technique utilitariste en une technique capable de préserver et de soutenir les identités culturelles du monde.

Notre intention, en tant qu'artistes dans cette rencontre, est d'apprendre mutuellement à communiquer les différentes pensées, notre multiple et infinie essence, dans la mesure où les indigènes ont été une source vitale pour que chacun de nous retrouve le sens des trois questions fondamentales de l'homme : d'où venons-nous ? que sommes-nous ? où allons-nous ? Il est vrai également que nous, qui sommes tous métis, nous pouvons offrir des outils artistiques pour que chaque communauté et chaque identité vive et développe ses propres expériences de jouissance et de vie.

Actions immédiates.

Il est proposé que le 12 octobre, mal-nommé Journée de l'Hispanité, soit une journée internationale de réalisation de graffitis et d'activités similaires. Nous demandons, nous prions, nous supplions, que, ce jour-là, les sympathisants de la cause zapatiste sortent dans la rue et réalisent des actions culturelles en faveur de l'EZLN, pour l'humanité et contre le néolibéralisme. Le témoignage de la presse est nécessaire. En tant que concession, il faudrait gérer les autorisations pour que l'accès aux sites choisis pour les graffitis et autres peintures murales ne gênent pas les autres. On peut prendre l'option d'utiliser des œuvres transportables.

Nous suggérons aussi que le 1er janvier soit une journée d'action similaire à celle du 12 octobre.

Nous proposons d'organiser une escorte de la paix et une troupe de musiciens (appelée passacailles dans d'autres pays), qui fassent acte de présence les jours où les armées officielles défilent publiquement, ainsi que des actes politiques et culturels où nous vous demandons de porter le drapeau zapatiste et, si possible, le drapeau de la paix.

Par ailleurs, nous pensons qu'il serait pertinent de promouvoir des autoproductions musicales, vidéographiques, éditoriales, etc ... en soutien à la lutte pour l'humanité et contre le néolibéralisme. Plus le mouvement serait ample, plus les personnes intéressées pourraient communiquer entre elles. Faites-le, s'il vous plaît, car nombreuses sont les personnes qui sont intéressées.

Quant à une campagne internationale des arts contre la politique économique, nous proposons la réalisation d'actions comme des ventes, des enchères et autres collectes de fonds pour le Chiapas, où ni le jour, ni l'heure, ni le lieu n'auraient d'importance, seule comptant la continuité, le but étant de toucher tous les secteurs de la population.

En tant que personnes nous intéressant à la culture, nous allons apporter notre petit grain de sable par la réalisation de danses, de peintures, de sculptures, de musique, de décalcomanies, de cinéma, d'affiches, de vidéos, de poésies, etc. sur le thème du zapatiste révolutionnaire ou de la solidarité, pour promouvoir ainsi la juste cause de l'EZLN.

La proposition relative au fait que les actions des artistes doivent revendiquer les droits des travailleurs est incluse dans les points antérieurs. Il est impératif de lancer un appel à la participation à des événements tels que le premier mai, les réunions syndicales ou d'usines, aux institutions en grève, etc... en présentant les aspects du zapatisme. La création du Réseau international d'artistes pour l'humanité et contre le néolibéralisme est fortement souhaitée. Ce point est adopté à la majorité.

Quant à la libération des seize prisonniers présumés zapatistes, pour eux nous demandons tout, et pour nous, la solidarité. Nous allons convoquer des conférences de presse pour dénoncer la situation dans laquelle se trouvent nos camarades. Dans toutes les directions de la rose des vents, nous enverrons des fax et tout type de notes aux ambassades et consulats du Mexique de nos pays respectifs, de préférence avalisés par des institutions publiques et culturelles, en attirant l'attention des médias. Nous pensons organiser immédiatement des manifestations artistiques avec le plus de monde possible, pour la libération de ces camarades injustement emprisonnés.

Nous nous proposons également de réaliser un jour un gigantesque concert, quelque part dans le monde. Ce n'est qu'une idée, et nous proposons pour cela la création d'une commission internationale. Pour l'instant, la personne à contacter est la camarade Ingrid Lohse.

La proposition la plus viable, qui a également le budget nécessaire, est celle de camarades d'une organisation belge qui propose d'inviter une troupe théâtrale du Chiapas pour effectuer une tournée dans certains pays d'Europe.

Éducation et ateliers

Notre objectif est d'introduire la créativité dans les écoles et dans tout autre milieu éducatif, en occupant les espaces institutionnels pour un développement intégral participatif de l'individu avec une projection vers notre milieu, avec un véritable respect des valeurs humaines.

Pour arriver à la concrétisation de cet objectif, nous proposons la musique, la danse, les arts plastiques, la narration créative, les jeux sans compétition, l'éducation sexuelle, la communication non verbale (expression corporelle, mime, pantomime, guignol, marionnettes, et toutes les formes possibles de participation créative). Pour ce faire, nous devons rapidement présenter des projets concrets, des activités précises, en accordant le premier plan aux sujets principaux de cette Rencontre : par des dialogues horizontaux permanents, refléter les propositions des participants, prôner la responsabilité individuelle et collective et, bien sûr, respecter la diversité culturelle et idéologique.

Nous proposons la revendication du droit à l'éducation et soulignons l'importance de la ré-appropriation du corps. Tout cela suppose une subversion des valeurs néolibérales ; il faut que ces programmes soient présentés de façon intelligente, en sachant comment, quand et à qui est transmis notre message.

Réseaux de communication

Il est fondamental que les artistes et les autres travailleurs porteurs d'idées, d'histoire et de culture, nous mettions sur pied des réseaux de communication pour : a) des échanges créatifs, b) recueillir une aide financière (surtout pour les artistes) de la part d'autres organisations et c) promouvoir le mouvement zapatiste, en nous faisant ses porte-parole à travers le travail culturel et politique.

Dans ces réseaux seraient inclus d'office les participants à la table 3, des artistes du Chiapas, de jeunes artistes, des artistes marginalisés et des artistes engagés dans la cause zapatiste qui travaillent dans d'autres parties du monde, y compris ceux qui n'ont pu être présents à cette Rencontre.

Les objectifs des réseaux de communication sont de renforcer le mouvement zapatiste à travers l'art et de revaloriser le travail de l'artiste.

L'échange artistico-culturel de produits et d'œuvres interviendra au fur et à mesure de la connaissance réciproque et de la communication entre les uns et les autres. Les formes de création collective et l'aide aux artistes pourront se renforcer grâce à des rencontres éducatives dans des centres culturels du genre de Aguascalientes, fixes ou mobiles, de rencontres d'artistes de renom local, régional, national et international et à la coordination des réseaux existants (comme le Réseau d'échange et de commerce alternatif de Abya Yala).

Espaces culturels et poches de résistance

Le premier Aguascalientes,

c'est toi-même.

Combien d'Aguascalientes y a-t-il sur la planète, et où sont-ils ? Dans combien d'endroits du monde existons-nous, nous les zapatistes ? Pour communiquer entre nous et rester proches les uns des autres, utilisons tous les moyens, y compris les plus récents de la technologie à notre portée. Pour nous informer, nous stimuler et partager des activités, des rêves et des expériences, d'un côté à l'autre de l'Atlantique. Des événements les plus simples aux occupations de bâtiments ou aux réquisitions d'espaces abandonnés pour construire les futurs Aguascalientes, temporaires ou permanents. Souvenez-vous qu'à Paris, il y a eu un Aguascalientes de deux jours et qu'il a laissé des traces. L'important, c'est que tout engendre la créativité, la chaleur et la joie de vivre.

En outre, il n'est pas question de s'imiter, ne serait-ce que par le nom. Ce seront les camarades de chaque endroit qui décideront des particularités en accord avec leur propre réalité et leur entourage. C'est cela qui coordonnera et unifiera les voix de tous les Aguascalientes, lieux d'une pratique culturelle de résistance.

Une proposition concrète a été de créer un musée, mais contrairement à la notion occidentale, il sera vivant, et non statique et inerte. Toujours en activité, en mouvement, il n'y aura pas de distinction entre l'art majeur et l'art mineur, comme l'artisanat. Ce musée sera patrimoine zapatiste. Des noms possibles ? Peut-être Artescalientes (Arts chauds), Aguardientes (Eaux de Vie) ? ... Il sera autofinancé, à partir de ventes aux enchères d'œuvres offertes.

Telles ont été quelques unes des formes de soutien à la poursuite et à l'extension de la lutte zapatiste, conçues et proposées, en une cascade interminable, durant cette Rencontre. Elles font partie de l'arsenal croissant et toujours plus important des zapatistes militaires et civils ... et rappellent aux hiérarques et à la globalisation que les ballons crèvent aussi.

D. De la diversité des cultures à la société du spectacle

Trente deux délégués de France, d'Italie, d'Allemagne, des États-Unis et du Mexique ont débattu sur ce thème. La plupart sont des travailleurs du secteur culturel et participent à des mouvements sociaux, même s'ils revendiquent haut et fort leur individualisme radical. Il y avait des acteurs, des étudiants, des poètes, des clowns, des écrivains et des chercheurs.

Ce rapport est le fruit d'un effort collectif et le consensus de tous les participants à cette table.

Préambule

Premièrement, précisons que, dans le titre du thème : "De la diversité des cultures à la société du spectacle" nous avons substitué "les cultures" au terme "la Culture" pour faire un pied-de-nez aux positions hiérarchiques, centralistes, hégémoniques que peut impliquer le terme "Culture" au singulier et avec une majuscules.

À cette table, nous avons essayé d'aborder les différents thèmes au sens large, sans donner dans la simplification. La taille réduite du groupe a permis de les aborder avec une certaine liberté, en laissant apparaître une foule d'aspects, de positions et d'opinions. Nous avons donc pu constater cette diversité, ainsi que la difficulté d'en faire la synthèse en un temps et dans un espace réduits.

Introduction

Pour aborder le thème des cultures et de la société du spectacle, nous sommes partis de la culture telle qu'elle a été définie à la table des "droits indigènes" du dialogue de San Andrés Sacamch'en de los Pobres :

"La culture est ce qui se fait et ce qui ne se fait pas, ce qui se voit et ce qui ne se voit pas. C'est une façon d'être, de vivre et de cohabiter, le produit de nos rapports avec la nature et les autres hommes et femmes. Elle s'exprime dans les fêtes, les bals, la nourriture, la musique, l'art, les vêtements, les usines, la langue. Mais ce n'est pas uniquement cela, c'est tout le sens de la vie."

C'est à dire que ce n'est pas uniquement le folklore, ni seulement l'art. Nous avons souligné pendant la discussion les relations de la culture avec le quotidien, avec les pratiques et les représentations que les différents individus se font d'eux mêmes et des autres.

Les frontières de la culture sont des barrières mais ont aussi des portes : ce sont des espaces d'interrelations, de relations temporelles, des espaces virtuels et des espaces physiques.

Les cultures sont des modes de vie.

Les cultures et la société du spectacle

Néolibéralisme et cultures.

Nous savons que le néolibéralisme est la forme avancée et globalisatrice qu'adopte le capitalisme. La relation du spectacle avec le néolibéralisme s'exprime comme "le capital a un tel degré d'accumulation qu'il en arrive à être une image".

À tout soumettre aux lois du marché, on commercialise non seulement les objets mais également les personnes, les relations humaines et leurs cultures en les rendant exotiques et stéréotypées, en convertissant tout en produit de consommation. Le néolibéralisme tend à uniformiser même la diversité. Par contre, simultanément, il divise les personnes. L'exemple en est l'exacerbation du nationalisme qui peut nous conduire à la guerre comme en ex-Yougoslavie.

Le capitalisme néolibéral s'est caractérisé aussi par sa déprédation en convertissant la nature en un banal produit de consommation.

Dans la société du spectacle, la capacité d'étonnement et de critique se voit menacée par le contrôle du désir de voir, qui est alimenté par un marché audiovisuel impitoyable.

Tous et tout font partie du spectacle, parfois involontairement ou sournoisement ; c'est le cas de la vie politique institutionnelle (les débats politiques deviennent spectacles) et de la guerre (la guerre du Golfe). La violence et l'intimidation deviennent triviales.

Traditionnelles, populaires, modernistes et de masse : les sous cultures

La tradition et le modernisme ne sont pas seulement opposés : le mélange de leurs éléments peut servir à créer de nouvelles propositions (l'EZLN est le cas le plus flagrant). Une tradition, c'est quelque chose qui continue d'être actif et de vivre au présent. On peut sauvegarder une tradition par décision interne. "Une véritable tradition n'est pas le témoignage d'un passé écoulé : c'est une force vivante qui anime et informe le présent", disait Stravinski. Les sociétés traditionnelles et la société moderne ont des formes parfois équivalentes. Le nomadisme d'aujourd'hui, des néohippies et autres groupes marginaux et d'auto-exclusion de la société actuelle, s'assimile aux tribus nomades et aux gitans.

Les médias s'approprient ce qui est populaire, le récupèrent et le reconditionnent en marchandise, tout en marginalisant les éléments qui ne lui sont pas utiles.

Néanmoins, nous ne devons pas voir la communication de masse comme un espace d'aliénation, car les éléments qui nous sont présentés sont également récupérés par la culture, qui leur donne une nouvelle signification.

Le politique et la culture

La politique fait partie de la culture et les deux ne sont pas divisibles. Les positions politiques sont donc culturelles. Le néolibéralisme, comme partie intégrante de notre culture, se trouve personnalisé dans chacun des êtres qui la compose, y compris nous-mêmes. C'est pourquoi on ne peut pas réduire les questions politiques à des pratiques électorales ou militantes. Par exemple, certains groupes de théâtre se disent apolitiques, et présentent des époques et des lieux différents ; leur participation politique ne correspond pas à un rythme de changement ou une évolution rapide. Ce n'est par pour cela qu'il faut les croire hors des processus politiques. La progression des différents groupes sociaux n'a pas non plus à se faire de façon homogène vers un même endroit, ni avec les mêmes désirs.

Partant de l'idée que la politique fait partie de l'intériorisation de la culture, les changements politiques doivent venir de l'intérieur même des individus, des collectivités et de leur quotidien, et pas uniquement des structures et des institutions politiques.

La personne dans la culture

Les rapports entre intellectuels sont menacés par un double danger. D'un côté, le fait de concevoir l'autre comme un autre soi-même implique sa négation. Au contraire, si on le conçoit comme totalement différent, cela confine à l'exotisme et engendre des sentiments de haine, de racisme, de xénophobie, d'homophobie, de nationalisme, etc.

La résistance et les changements s'opposent non seulement à une menace du pouvoir extérieur, mais également aux formes intérieures de ce pouvoir.

Il faut éviter la construction manichéenne d'un ennemi parfaitement défini et complètement extérieur à nous-mêmes.

Un des facteurs fondamentaux de la défense et de la pluralité des droits culturels est la revendication de la dignité.

Culture et médias

Les médias font de certains aspects de la culture (folklore, art) une marchandise, les éloignant des personnes qui les produisent. Par contre, les médias ne sont pas seulement des instruments d'éloignement, car il sont aussi les médiateurs culturels incorporés par la culture populaire. La réalité sociale se construit dans les médias. Nous avons parlé de l'utilisation des médias d'une façon flexible et contextuelle. Il faut utiliser les médias et non l'inverse.

Nous proposons de créer de nouveaux médias, ainsi que des stratégies efficaces pour éviter la neutralisation ou l'annulation de certains discours ou pratiques de mouvements ou groupes alternatifs.

Formes et espaces de résistance culturelle

Les formes de résistance culturelle se manifestent dans des réseaux et des espaces du quotidien, dans la fête du quartier, sur internet, dans les espaces physiques libres, symboliques. Elles se manifestent non seulement par des actions, mais également dans des attitudes de résistance, de reconnaissance et d'appropriation. Elles créent aussi des espaces d'interaction et de réaffirmation de son identité.

De même, le thème de la marginalisation et de l'automarginalisation en opposition à l'intégration a été abordé. Il a été fait remarquer que nous sommes intégrés dans une culture néolibérale que nous ne pouvons ignorer, mais qu'il existe également des mouvements alternatifs qui font des propositions.

Si nous sommes partie intégrante de la culture néolibérale, la lutte se fait également contre nous-mêmes.

L'EZLN, la diversité culturelle et la société du spectacle

La table a exprimé ses remerciements d'avoir eu l'occasion de participer à cette Première Rencontre pour l'humanité et contre le néolibéralisme ; c'est un événement qui montre la créativité culturelle de la résistance et qui reflète en partie le monde que nous voulons.

Il a été considéré que plus qu'une idéologie, le zapatisme est un projet qui rend possible la convergence vers un monde meilleur sans marginalisation et intégrant les diversités culturelles, puisqu'il n'appelle pas à un mouvement mais à une multitude de mouvements : "Chacun a son propre revers de la médaille". Il incorpore l'humour, le ludique et le poétique à sa lutte politique et l'antimilitarisme à sa pratique militaire. L'usage que l'EZLN fait des médias est un exemple de lutte créative.

PROPOSITIONS ET POSITIONS

- Affirmer nos différences pour rechercher nos coïncidences : la convergence.

- La lutte est au quotidien et dans l'intimité, c'est-à)dire en nous.

- Cesser d'être des spectateurs pour nous convertir en acteurs sociaux.

- Le zapatisme n'est pas une idéologie mais un projet imaginatif et poétique en constante construction.

- Plaider pour la fin des conflits par la non-violence.

- La réalité sociale est si complexe que nous ne pouvons tomber dans le réductionnisme.

- Nous reconnaître dans l'autre comme une partie de nous-mêmes.

- La culture doit être l'expression d'un être digne. Il ne faut pas permettre qu'elle soit convertie en objet.

- Revendiquer le ludique et le sensible.

- Le néolibéralisme absorbe les expressions contestataires et rend ainsi nécessaire la perpétuelle réinvention de celles-ci.

- Ouvrir, prendre ou libérer les espaces de tous types, pour la libre manifestation culturelle, artistique, politique, éducative, sanitaire, etc.

- Créer un réseau alternatif pour la distribution et l'échange des matériaux culturels produits dans les différents endroits.

- Étendre les mécanismes d'échange d'information alternative face aux monopoles des médias de masse.

- Pour que tous ces points ne restent pas vaine spéculation, il faudrait que nous travaillions à un changement d'attitude qui nous conduise à nous reconnaître entre tous comme des êtres humains égaux.

- Mouvements de solidarité, convergences à partir des différences, assumer que nous sommes différents et à partir de nos différences construire des attitudes qui ne soient ni sexistes ni racistes.

QUE CETTE RICHESSE DE PAROLE

AILLE DE L'AVANT

Discours de clôture du commandant Zebedeo

du CCRI-Commandement général de l'EZLN

Avec l'autorisation des camarades de cette délégation, avec l'autorisation de mes camarades absents. Aux camarades des troupes insurgées, je demande l'autorisation ainsi qu'à vous tous de prendre la parole.

Nous sommes dans la phase des remerciements : ces discours terminent cette Rencontre, mais aussi ces discours commencent cette rencontre où nous cherchons nos rêves. Le moment est venu de faire les premiers pas de l'espoir, que tous, hommes et femmes, nous portons.

Je voudrais aussi remercier les camarades organisateurs pour leur aide : ils ont travaillé durement. Les camarades techniciens du son qui nous ont aidé par leur présence. Les camarades de la sécurité. Le camarade qui est resté en permanence pour surveiller l'eau. Il nous a rendu un service qui nous a donné la fraîcheur du Dieu de l'eau. Merci aussi aux camarades qui nous ont présenté leurs créations, leurs programmes artistiques, aux camarades qui ont collé leurs affiches qui ont décoré cet Aguascalientes, et également à vous tous qui avez été présents, vous qui venez de différents parties du monde et qui, pendant trois jours, avez souffert de l'eau et de la boue. Vos pieds ont souffert et nous considérons que vous avez vécu comme vivent depuis cinq cents ans les indigènes du Chiapas et du monde entier.

Nous pensons que vous avez commencé ainsi à partager la souffrance ; peut-être parfois vos estomacs se sont lamentés parce qu'ils avaient faim, de cette même faim qu'ont les indigènes depuis cinq cents ans et dont ils souffraient également parce qu'ils n'avaient pas de terres.

Cela serait la reconnaissance de tous les camarades : je demande que nous nous levions tous, que nous nous applaudissions tous, hommes et femmes.

Quand vous applaudissez, vos mains ressemblent à des pelles appelées à construire une maison. Ce sont des pelles pour construire une maison où nous tiendrons tous, pour construire un monde nouveau.

Maintenant, nous allons nous asseoir pour ne pas fatiguer nos les pieds. Et maintenant, je vais lire ce petit document que nous avons tous rédigé pour vous.

Camarades zapatistes hommes et femmes, camarades internationaux

Aujourd'hui, 31 juillet 1996, nous finissons les travaux de la table numéro 3 qui portait sur le thème des cultures et les sous-thèmes pour lesquels nous avons été convoqués. Aujourd'hui, nous emportons dans nos maisons les semences de l'espoir, la semence internationale de l'espoir dans nos pays, au Mexique, en Europe et dans le reste du monde.

Cette semence de l'espoir représente un monde meilleur pour tous. Il faut savoir la soigner, il faut savoir la porter dans tous les recoins de tous les États, pays et continents. L'espoir d'un monde nouveau, où nous aurons tous notre place en tant qu'êtres humains. Pas comme des hommes et des femmes exploités ou exploiteurs. Non comme des riches et des pauvres, mais dans le respect pour la cohabitation des cultures du monde. De la même façon que nous savons partager la fête et la joie, nous devons apprendre à partager équitablement le savoir, le développement et le bien-être.

Au cours de cette rencontre, les hommes et les femmes du maïs avons écouté et appris les paroles de ceux qui, avec leur cœur, sont venus connaître nos terres, notre culture et notre façon de vivre.

Cela ne suffit pas. Le chemin est long et il commencera lorsque nous serons tous unis, lorsque les voix des sans-voix de toutes les terres, pays et cultures du monde s'uniront et chanteront à l'unisson : non au néolibéralisme. Non au capital pour lequel nous ne sommes qu'une marchandise. Non aux industries qui exploitent sans contrôle les ressources naturelles, les hommes, les femmes et les enfants du monde. Non aux moyens de communication au service du capital. Le capitalisme s'est imposé à feu et à sang dans le monde. S'il est nécessaire de tuer ou de mourir pour nous libérer de cette maladie, nous les hommes et les femmes véritables, nous sommes prêts. Nous sommes présents en ayant conscience que c'est maintenant ou jamais.

Si le chemin c'est la paix, le dialogue, la compréhension et l'information véridique, cet Aguascalientes IV et tous les autres sont la preuve de notre volonté de dialoguer avec tout le monde. Nous voulons la paix, mais la paix juste et digne.

Nous savons que la route est longue et que beaucoup de rencontres comme celle-ci sont nécessaires. Il faut beaucoup d'Aguascalientes, non seulement au Mexique mais dans tous les coins d'Amérique, d'Asie, d'Europe et d'Océanie.

Un changement de conscience mondial est nécessaire, un changement de conscience individuel de nous tous qui habitons la planète et qui faisons partie de toutes les cultures du monde.

Un changement est un long processus. Les riches doivent cesser d'être riches, non pour devenir pauvres ou exploités, mais pour être égaux. Un monde d'égalité où il n'y aurait ni pauvres ni riches, ni exploiteurs ni exploités. Le rêve zapatiste, qui commence à se faire réalité ici, aujourd'hui et toujours pour un lendemain meilleur sans misère et sans mort, dans les cinq Aguascalientes zapatistes.

La participation des indigènes est claire pour nous. Nous avons apporté des journées de travail volontaire pour la construction des Aguascalientes, de la nourriture, la surveillance, etc. dans le but de créer un espace de dialogue où l'on puisse écouter nos voix.

Nous avons envoyé nos délégués pour écouter, pour apprendre et aussi pour participer. Nous les hommes et les femmes véritables, nous n'avons pas l'habitude des longues sessions de discussion, ni des phrases et des mots compliqués. Notre langue est simple car véridique. Nous ne sommes pas des "baratineurs".

La délégation zapatiste a toujours répété que le gouvernement fédéral continue de harceler les travailleurs de cette Rencontre dans les Aguascalientes.

Pendant ces quelques jours, il y a eu plusieurs vols en rase-mottes de l'armée mexicaine et des mal-gouvernants sur les Aguascalientes ; et avant le début de cette Rencontre, il y a eu des patrouilles de sécurité publique. Dans tous nos Aguascalientes, à la Realidad, à Oventic, à Roberto Barrio et à Morelia, vous avez senti ces survols rasants.

Toute cette intimidation ne changera jamais notre volonté de continuer d'aller de l'avant, notre volonté de lutter. Si nous nous sommes armés, c'est parce que nous sommes prêts à vivre ou à mourir. Nous avons utilisé le peu d'argent que nous avions, nous l'avons dépensé pour nos armes et il n'est pas si facile d'abandonner notre lutte révolutionnaire.

Nos bases de soutien sont prêtes pour résister à la répression, à la persécution et aux poursuites. Nous sommes également prêts avec nos pieds et nos cœurs à aller de l'avant malgré toutes les manœuvres du gouvernement. Pas seulement les manœuvres militaires, mais également les manœuvres que les mal-gouvernants font aux institutions, comme la Sedesol qui prétend acheter la dignité zapatiste avec quelques tonnes de maïs et un misérable crédit de soutien à la production.

Nous sommes prêts à ne pas tomber dans ces manœuvres, dans ces pièges que nous tend ce mauvais gouvernement.

La dignité zapatiste n'est pas une marchandise du capital. La dignité zapatiste ne s'achète ni ne se vend. Si nous ne nous sommes pas rendus après la répression du 1er janvier 1994, avec les bombardements des communautés dans la région d'Almirano le 7 janvier de la même année, avec celle de février 1995, nous ne nous rendrons pas maintenant. Dans nos langues maternelles, nous ne savons pas ce que veut dire le mot reddition.

Nous, avec nos paroles, non seulement nous annonçons ce que nous faisons mais nous faisons ce que nous disons.

Nous saluons les frères et les sœurs qui, avec leur bonne volonté et leur sens de l'engagement sont venus jusqu'ici à cette communauté de Morelia, de la municipalité d'Altamirano au Chiapas.

Nous saluons les frères et les sœurs qui n'ont pas pu venir, mais qui étaient présents de tout cœur avec nous.

Nous souhaitons donc que la richesse de ces paroles aille de l'avant.

Retournez dans vos régions, dans vos coins, dans vos pays, dans vos villes et dites la vérité, rien que la vérité, et que nous emportions tout cela, toute cette fête, toute cette cohabitation que nous avons vécue pendant trois jours, et que nos camarades des endroits où vous vivez ressentent ce que nous avons vécu avec vous.

Je vais mettre fin à ce discours. Je sais que vous partez demain, les uns à San Cristobal, d'autres à la Realidad ; cette délégation vous souhaite bon voyage et que vous ayez la santé, la motivation et le courage de toujours dans cette lutte. Nous pourrons trouver notre juste cause, l'espérance et ce que nous désirons tous pour vivre, ce que nous avons maintes fois répété, un monde meilleur où nous ayons tous notre place.

Table 4

Qu'est-ce qu'une société qui n'est pas une société civile ?

AguscalientesII

Oventic

Nous les désorganisés, nous avons discuté de choses que la politique avait oubliées. Pendant quatre jours, nous nous sommes réunis à Oventic, représentants d'ONG, syndicats, organisations sociales, maîtresses de maison, chômeurs et chômeuses, artistes, migrants, homosexuels, lesbiennes, académiciens, scientifiques, et beaucoup d'autres, certains encore non classés ; mais tous nous ressentant comme partie intégrante de ce que nous appelons la société civile. Bien que nous soyons toujours incapables de définir ce qu'est la société civile et de dresser la liste de ceux et celles qui la composent, aucun d'entre nous ne s'est senti relégué, marginalisé ou exclu. Chacun d'entre nous a plutôt cherché de quelle façon il ou elle pouvait participer, avec ce qui fait sa différence mais qui lui permet de créer un espace commun avec les autres : l'espace de la société civile.

Nous avons beaucoup parlé d'une société nouvelle et nous avons essayé de lui donner un nom, mais nous n'avons pas trouvé les mots. Comment nommer quelque chose à l'état de germe, qui n'existe pas encore, qui surgit de ces terres du sud-est mexicain mais qui est encore fragile et reste menacé ?

Dans ce contexte, nous nous sommes réunis pour partager nos luttes contre l'exclusion, en cherchant à identifier – au milieu de nouvelles expériences et d'antiques traditions – des formes alternatives aux tendances dominantes d'organisation de nos sociétés. En tant que société civile internationale, nous devons inventer nos propres formes d'organisation, nos symboles ; nous devons mener à bien des actions conjointes car, isolées, elles n'ont pas autant de force. Nous avons besoin d'un symbole commun qui nous unisse dans notre diversité, qui nous donne une identité : une bannière de l'espérance.

Pour organiser le débat, nous nous sommes répartis des sujets, des thèmes de discussions qui se retrouvent dans notre vie quotidienne et déterminent notre qualité de vie. Dans la discussion, nous sommes passés du général aux problèmes spécifiques auxquels se confrontent divers secteurs. Nous avons essayé d'identifier quels étaient les plus grands impacts du néolibéralisme sur nos vies, et de comprendre comment nous organiser pour affronter ces impacts, quelles alternatives ou manières d'agir nous proposions pour globaliser nos luttes particulières afin de les convertir en une lutte conjointe.

Les pages qui suivent présentent les conclusions résumées des débats. Elles ne regroupent pas tous les thèmes importants et ne représentent pas non plus tous les points de vue exprimés ; en réalité, elles reflètent combien il a été difficile de nous réunir pour la première fois, d'apprendre à écouter et à être écoutés. Nous reconnaissons ne pas avoir traité de façon satisfaisante de nombreux thèmes et problèmes fondamentaux. Des crises mondiales aussi graves que celle de la faim n'ont pas été discutées ; des voix aussi importantes que celles des femmes pauvres et citadines des pays les moins développés n'ont pas été suffisamment représentées. En ce qui concerne d'autres thèmes qui, eux, ont été abordés, nous n'avons pas abouti à des conclusions satisfaisantes pour tous et toutes. Mais proposer des solutions définitives pour chaque problème et chaque conflit n'était pas le but de l'exercice.

Venus de secteurs très divers de la société, nous nous sommes proposés de nous asseoir ensemble, et nous avons réussi ; nous nous sommes rendu compte que nos luttes avaient beaucoup en commun et qu'elles ne devaient plus jamais être isolées, mais que nous devions plutôt élaborer une stratégie conjointe contre un ennemi commun.

La diversité, la complexité, et même les contradictions présentes à cette Rencontre, montrent notre désir de soutenir et de créer des espaces ouverts à tous et à toutes, pour une rencontre continue, pour le débat et les différences. Malgré la diversité des expériences, des perspectives et des propositions, ce qui nous a le plus étonnés a été le grand nombre de nos points communs ; surtout le désir de pouvoir vivre en paix et dans la dignité, et notre disposition à travailler ensemble à ce qui promet d'être une lutte ardue jusqu'à cet objectif, qui se profile à grande échelle, tel un horizon chaque jour moins distant.

A. Une société civile organisée

Qu'en est-il du syndicalisme, des ONG, de l'autonomie,

de l'autogestion, des mouvements urbains et ruraux ?

Le thème A a été discuté dans cinq tables, d'où sont sortis cinq documents. Ce résumé regroupe, dans la mesure du possible, les idées principales ainsi que l'ensemble des résolutions et déclarations de principes qui en émanent.

Le coût social de la contre-révolution néolibérale

A la fin des années soixante-dix et au début des années quatre-vingt, l'histoire mondiale est entrée dans une nouvelle phase. Le néolibéralisme, ou "libéralisme autoritaire", implanté à feu et à sang par la nouvelle droite, a initié une vertigineuse et profonde contre-révolution à l'échelle planétaire. Ce système a eu pour effet d'altérer le tissu social, de diminuer le pouvoir des citoyens, d'aggraver l'aliénation et de conduire au règlement des conflits sociaux dans la violence. Cette globalisation a littéralement causé la mort de millions d'êtres humains et la disparition d'une infinité d'espèces animales ; elle a provoqué une chute brutale du niveau de vie des habitants du monde, et plongé de vastes secteurs dans le désespoir.

Pourtant, optimisme et joie ont des raisons d'être. Les profondes contradictions de cette nouvelle étape de l'histoire mondiale ont aussi suscité l'apparition de nouveaux acteurs sociaux et le développement d'une grande créativité des citoyens pour affronter les assauts de l'injuste système économique et social. On peut souligner deux des nombreuses manifestations de la résistance et de l'opposition au néolibéralisme et à la globalisation exprimées dans le monde : d'une part, la société civile est apparue comme l'opposant le plus expérimenté, varié, intégrateur et radical au "capitalisme sauvage" ; de l'autre, la situation d'oppression dans tous les pays a mis au grand jour des intérêts et des nécessités communs à toute la planète, ce qui permet, peut-être pour la première fois de toute l'histoire, une lutte commune des différents secteurs sociaux pour construire un monde plus humain.

La nécessité universelle d'un monde plus juste et intégrateur, par opposition au monde néolibéral codifié et excluant, est le grand événement de notre siècle ; elle ouvre la possibilité de réunir les luttes locales, nationales, sectorielles et de classes dans une lutte unique pour la formation d'une Communauté planétaire, l'auto-réalisation de la société civile et la construction d'un monde "où de nombreux mondes auraient leur place".

C'est pourquoi, malgré l'obscurité de ce vingtième siècle finissant dans laquelle nous a plongés la prétendue globalisation néolibérale les participants et les participantes à la Première Rencontre contre le néolibéralisme et pour l'humanité, réalisée au Chiapas, au cœur de la communauté zapatiste, nous nous sentons emplis d'un optimisme historique. Car nous sommes convaincus que face au futur inévitable dont parlent les seigneurs de l'argent, existe un futur ouvert à de multiples possibilités et que l'une d'elles est justement la construction d'un monde où la vie et la dignité humaine seront instaurées sur toute la Terre.

C'est pour cela que nous appelons à la formation d'un réseau international des luttes pour l'humanité et contre le néolibéralisme. Ce réseau, profitant de l'expérience des vieilles luttes des peuples du Monde et joint à la rébellion des travailleurs et travailleuses, incorporerait et renforcerait l'expérience et les besoins des nouveaux acteurs sociaux, regroupés sous la bannière de la société civile, pour opposer une alternative globale au monde imposé par le capital.

Les effets du néolibéralisme sur la société

De par son projet de globalisation depuis le sommet, le néolibéralisme a imposé un modèle de vie mercantile, autoritaire et inhumain. Il consiste en une restructuration des processus productifs, un assouplissement des frontières pour le capital, un accroissement des pouvoirs des grandes multinationales, la prédominance du capital spéculatif sur le capital productif, une inégalité économique croissante, l'intensification de la concurrence inter-capitaliste, le démantèlement des industries productives nationales, l'effritement de l'État curieusement qualifié de "providence", une nouvelle réglementation économique qui ne protège plus la population, de nouvelles formes de subsistance pour les riches et de puissantes formes de domination politique telles que la privatisation des services publics et, du même coup, des droits et nécessités de la population.

Dicté par la politique néolibérale, le nouvel ordre mondial a imposé de nouvelles formes d'intégration régionale fondées sur les intérêts du grand capital, nommées contradictoirement "globalisation". Le Traité de Maastrich, l'Accord de libre échange nord-américain, le Mercosur et les négociations préliminaires du Sommet du Pacifique illustrent de nouveaux processus d'intégration régionale, où les intérêts populaires et les nécessités humaines n'ont pas leur place. Ces directives de l'économie mondiale ont accru la division internationale du travail, en privilégiant la concentration des richesses dans les mains des maîtres du capital financier et autres secteurs privilégiés des métropoles. En même temps, elles ont rendu plus misérables les pays du Sud.

La restructuration des processus productifs et, par exemple, le transfert des usines des grandes puissances vers les pays périphériques ont simultanément détruit des modes de résistance des travailleurs des pays du Nord, et provoqué une plus grande exploitation dans les pays du Tiers Monde, où ont afflué les investissements ; ceci a occasionné un chômage brutal et un tragique appauvrissement dans le monde entier. Parallèlement, la spéculation financière a détruit la capacité productive et a soumis le cours des innovations technologiques aux intérêts du grand capital.

Dans les pays du Sud, le libéralisme autoritaire a détérioré les conditions de vie, ce qui a provoqué un flux migratoire international de millions d'êtres humains vers des pays économiquement plus développés ; la vie économique de leur pays d'origine s'en trouve disloquée pendant que dans les pays d'arrivée, le prix de la force de travail baisse.

Cette contre-révolution a profondément altéré la vie sociale et encouragé l'individualisme, en inventant une fausse opposition entre les intérêts individuels et les intérêts collectifs ; elle a aussi ravivé les vieux conflits inter-ethniques.

Les frontières nationales sont tombées pour que le capital puisse circuler librement mais, en même temps, elles ont été militarisées ; la technologie de guerre la plus moderne a été utilisée pour empêcher le passage pour raisons économiques ou politiques de millions de travailleurs expulsés de leur pays d'origine. Les immigrants sont reçus avec des comportements racistes, utilisés par le néolibéralisme pour créer de nouvelles divisions artificielles entre eux et les travailleurs locaux. Une vague d'intolérance a ainsi été déclenchée comme, par exemple, contre les Turcs en Allemagne, les Mexicains aux États-Unis, les Marocains en Europe, ou contre les millions de déplacés du monde, dont l'exode, le plus important de l'histoire, a été imposé par le libéralisme lui-même.

Le pouvoir croissant des grandes multinationales et de leurs associés locaux a affaibli la souveraineté des États nationaux. Le démantèlement de l'État providence implique un nouveau pacte social profondément désavantageux pour les peuples du monde : il réduit violemment leur niveau d'éducation, d'accès à la santé et à la protection sociale. Cette déréglementation économique est en réalité une nouvelle réglementation qui protège la minorité et augmente les privilèges des grands riches.

Il résulte aussi du néolibéralisme une intensification des formes de contrôle, de corruption, de chantage, de corporatisme et d'exploitation des travailleurs de tous les secteurs sociaux, dans les campagnes comme dans les villes. De nouvelles formes de manipulation électorale ont été introduites, et cela s'est traduit par la construction de démocraties virtuelles, sans authentique ingérence de la population dans les décisions gouvernementales.

Depuis le macromonde à l'échelle planétaire jusqu'au micromonde de la vie de l'individu, la globalisation a imposé des relations de subordination et de hiérarchisation au détriment de l'intérêt des majorités. Par exemple, dans une relation verticale, le capital multinational a imposé ses intérêts, ses plans et ses règles économiques aux États nationaux. Ces derniers se sont convertis en complices d'un régentement des communautés locales, en minant les valeurs et la dynamique des peuples indigènes, des quartiers dans les villes ou des petits villages ruraux ; simultanément, il touchait les familles, corrompait et rendait autoritaires les relations entre hommes et femmes, jeunes et adultes, indigènes et métis, etc.

L'instauration de nouveaux modes d'organisation du travail post-fordistes a contrarié l'organisation des travailleurs. De par l'imposition d'un nouveau contrat social, fondé sur l'atomisation et l'individualisme, les syndicats officiels ont perdu une bonne part de leur influence. Les organisations indépendantes de travailleurs se sont butées au conservatisme de nombre de leurs composantes, dû à la peur du chômage, et ont tardé à se rendre compte de l'importance d'une alliance avec de nouveaux secteurs sociaux ; elles ont manqué d'initiative politique et se sont adaptées difficilement à la reconversion du secteur productif et aux nouvelles méthodes de contrôle en entreprise. L'armée grandissante des travailleurs précaires s'organise lentement et met du temps à répondre de façon adéquate à cette nouvelle situation.

Dans le domaine de la culture, le néolibéralisme a aussi causé des changements drastiques et rapides. Il a converti l'État national en un véritable administrateur des intérêts des grands centres du pouvoir financier et a donc substitué à l'identité nationale la fausse identité de la patrie de l'argent. Il s'est servi du contrôle des médias pour créer une réalité virtuelle dans laquelle le rôle des citoyens s'est réduit à celui de public d'un tragique spectacle social ; il a ainsi condamné à la frustration des millions d'êtres humains.

L'éducation se doit d'être essentiellement une forme d'appropriation de l'expérience et des valeurs des générations antérieures. Pourtant, le néolibéralisme a coupé le pont entre les générations construit par la démocratisation du savoir que les luttes historiques avaient permise. Il a amoindri son importance en la réduisant à une simple transmission d'informations basiques, destinées à préparer techniquement et idéologiquement une main-d'œuvre bon marché. Le néolibéralisme a détruit l'éducation publique en diminuant drastiquement son budget, en la soumettant aux froids intérêts du marché et en la vendant telle une marchandise, tout en faisant supporter ses coûts aux élèves et aux parents. Il a réduit les effectifs, condamné les professeurs à la pauvreté, privatisé des centres d'enseignement et des fonctions de l'éducation, et a montré son hostilité à toute initiative tendant à convertir l'éducation en une pratique critique et transformatrice dans un sens social et démocratique. Il a également isolé l'école de la communauté et des nécessités sociales, pour l'assujettir aux besoins des entreprises. Et, pire, il a corrompu, divisé, et dans certains cas utilisé la répression policière contre le mouvement étudiant.

De plus, le système de mort implanté par le néolibéralisme dispose d'autres expressions tragiques, telles que la concurrence inter-capitaliste et la guerre larvée qui implique un gaspillage annuel de 800 000 dollars pour l'armement. Ce système a gâché l'opportunité accordée par la fin de la guerre froide d'arrêter la course à l'armement nucléaire, menaçant sans cesse le monde d'une hécatombe nucléaire. D'autres facteurs concourent à cette situation : l'instabilité politique de l'ex-Union soviétique, la poursuite des essais nucléaires, et la prorogation inconditionnelle et permanente du Traité de non prolifération des armes nucléaires qui, dans la pratique, accorde à certains pays le droit de posséder ce type d'instruments de mort. A cette menace d'extinction du genre humain s'ajoute celle des milliards de tonnes de déchets nucléaires entreposés de façon irresponsable dans tous les continents.

Le néolibéralisme signifie également l'instauration d'un système prédateur, dont les conséquences sur la nature sont dévastatrices. La déforestation de l'Amazonie, la coupe immodérée du bois dans des régions entières, la pollution des mers et des rivières par le rejet des déchets industriels, la destruction de la couche d'ozone, le nuage de "smog" qui recouvre de nombreuses villes, la désertification de l'Afrique ou la réduction de la biodiversité ne sont que quelques-uns des nombreux exemples que nous pourrions citer pour illustrer à quel point la nouvelle phase du capitalisme a irrémédiablement détérioré la nature.

B. Femmes et société civile exclue

Homosexuels, séropositifs, toxicomanes, vieillards et enfants

La discussion du thème des femmes face au néolibéralisme a été divisée en quatre sujets : le féminisme, les femmes indigènes, les lesbiennes et homosexuels, et la santé. Dans cette table, nous nous sommes proposés de ne pas qualifier le terme de néolibéralisme ni de chercher ses définitions, mais plutôt de garder les questions ouvertes. Voici certains des principaux points deconsensus :

Le patriarcat est le fondement du néolibéralisme ; ses effets sont la négation de la démocratie et l'exclusion de grands secteurs de la société : indigènes, jeunes, lesbiennes et homosexuels, indigents, malades, handicapés, filles et garçons abandonnés à leur sort, anciens et anciennes, migrants et migrantes.

D'autres fondements du néolibéralisme sont le concept de liberté compris comme la libre concurrence ; la domination des minorités qui contrôlent l'économie et la politique, et cherchent à asservir les majorités par l'emploi parfaitement étudié de la marginalisation, la discrimination et l'exclusion ; l'homogénéisation des individus ; l'uniformisation massive des consciences pour entraver les capacités individuelles de réfléchir, de se développer et d'espérer – qualités humaines qui permettent l'organisation en vue d'objectifs communs tels que la paix, la justice, la liberté, ou le bonheur. La fragmentation, la confiance dans le marché et dans la productivité sauvage au moindre coût sont aussi des bases néolibérales. La logique de ce système est une logique de mort. L'unique diversité à laquelle il accorde de l'importance est celle des produits. "Déshumaniser" est sa consigne.

Le zapatisme est son exacte antithèse ; en effet, le "Tout pour tous, rien pour nous" s'affronte directement à la thèse centrale du néolibéralisme : "Rien pour tous, tout pour nous".

Les femmes face au néolibéralisme

La situation des femmes entre dans un schéma très complexe car on ne peut parler d'elles comme d'un groupe ou d'un secteur. Elles constituent plus de la moitié de la population mondiale et sont présentes dans tous les groupes humains. Parler des problèmes des femmes équivaut à parler des problèmes du monde entier, mais dans une perspective de rapports sociaux entre les sexes. La soumission des femmes sert les intérêts des gouvernements. Voici les maillons de la chaîne de domination du système néolibéral détachés par les femmes :

• la famille patriarcale : elle empêche la construction de structures sociales plus communautaires et diverses,

• le concept de nation vue comme une grande famille,

• l'entretien par les États de la production d'armes, la répression, le contrôle, les guerres,

• l'argent,

• les rôles traditionnels enferment les femmes et les hommes dans des lignes de conduites prédéterminées à tous les niveaux et entravent les femmes dans leur développement professionnel et intellectuel, ou dans leur vie affective en leur imposant l'hétérosexualité.

• l'égalité n'a pas été obtenue dans les pays les plus industrialisés.

• un des cas les plus difficiles est celui des femmes migrantes. Dans de nombreux pays d'Europe, leur statut légal dépend du mariage.

• la violence sexiste est promue dans les médias.

En analysant la manière dont le néolibéralisme atteint les femmes, c'est à dire comment les politiques néolibérales affectent leurs conditions de vie, on ne peut éviter de considérer le travail reproductif qui leur est imposé. De fait, leur accès au travail productif implique une double charge de travail : elles doivent continuer d'accomplir seules leur travail reproductif non rémunéré, en plus du travail productif. La politique de réduction budgétaire qui touche les services sociaux affecte particulièrement les femmes, dont la journée de travail est beaucoup plus longue à cause de la charge de travail qui, une fois de plus, retombe sur elles. Or, la nouvelle organisation du travail impose aux travailleurs des deux sexes une disponibilité maximale en temps et en énergie.

En ce qui concerne les femmes mexicaines, la discrimination et la marginalité qu'elles subissent est alarmante, et principalement pour les femmes indigènes ou celles qui vivent avec de faibles revenus. Bien que le mouvement féministe mexicain ait remporté des victoires concernant leurs propositions sur les rapports sociaux entre les sexes, les femmes ne sont pas encore parvenues à accéder aux centres de décisions. Dans les organisations démocratiques, la plupart du temps, on leur met des obstacles ou on réduit leur action à des travaux de base. Au Mexique et dans toute l'Amérique Latine, de par le fort enracinement de la tradition familiale patriarcale, les Mexicaines vivent quotidiennement la violence intra-familiale, la violence dans les rues ou au travail. Le harcèlement sexuel reste un problème grave.

Par conséquent, elles ne jouissent pas des mêmes opportunités de travail et d'éducation, et ne reçoivent pas toujours le même salaire que les hommes pour le même emploi.

Le zapatisme coïncide avec certains points des thèses féministes dans la mesure où il propose une nouvelle éthique du pouvoir : un pouvoir non patriarcal, un pouvoir décentralisé ("commander en obéissant"). Il parle d'un monde sans hiérarchie, horizontal, où les voix de toutes et de tous seraient écoutées.

Les femmes indigènes

Dans le groupe de discussion sur les femmes indigènes, les commandantes zapatistes ont répondu aux questions des participantes quant à leur situation : elles ont toujours été écartées et ont vécu comme des animaux. Elles ont supporté la violence venant du gouvernement, comme à l'intérieur de leurs familles ; elles n'ont pas été écoutées dans les assemblées. Pour ces raisons et beaucoup d'autres, elles ont décidé d'entrer dans l'EZLN.

Avant d'appartenir à l'EZLN, leur situation était plus dure. Aujourd'hui, on les écoute et on les prend enfin en compte. Leur situation est déjà différente. Celles qui ne se sont pas intégrées à l'organisation souffrent toujours de la même situation.

Le diagnostic général de la table de discussion sur les femmes indigènes a été le suivant : la situation des femmes indigènes reste la plus grave car elles sont discriminées en tant que femmes, pauvres, et indiennes.

La participation des femmes à l'EZLN a surpris, de par le caractère innovateur de leurs propositions ; les zapatistes conduisent une politique d'intégration. Lors des dialogues de paix avec le gouvernement fédéral, les zapatistes ont pu présenter des demandes d'orientation féministe, tout en respectant la cosmogonie indigène. L'EZLN a invité des femmes d'organisations sociales, de groupes féministes et des femmes de tous genres aux dialogues de San Andrès.

Avec le soulèvement zapatiste, un espace a été ouvert aux femmes. Or, la représentation politique est un axe essentiel de la lutte pour la transformation des rapports sociaux de sexes. Il est nécessaire d'unir nos efforts pour soutenir le travail organisé de toutes les femmes indigènes du monde cherchant une vie digne et pleine.

Lesbiennes et homosexuels

Au sujet des lesbiennes et homosexuels, le diagnostique a été le suivant : les lesbiennes et homosexuels ont toujours existé mais ont vécu rejetés ou rejetées, car on les considère comme des malades, anormales et anormaux, folles et fous, dangereuses et dangereux. Dans la société néolibérale, être lesbienne signifie avoir une double vie, car cette orientation sexuelle provoque le rejet d'une société qui ne peut tolérer les différences. C'est ainsi que dans le monde entier, les lesbiennes sont condamnées à la discrimination, l'exclusion, l'invisibilité.

La famille patriarcale, qui s'inscrit dans un modèle néolibéral de domination, est une institution que l'on peut totalement remettre en question. Le mariage reproduit ces lignes de conduite et se convertit en un petit foyer de domination patriarcale. Il faut chercher de nouvelles manières de comprendre et structurer la famille et le mariage.

Lors de la discussion, il a été mentionné que les zapatistes avaient appelé les homosexuels et les lesbiennes, les avaient inclus dans leur lutte et créé un espace de dialogue.

Filles et garçons

La pensée néolibérale n'accorde aucune importance à la problématique des enfants, pourtant protagonistes du futur. Tout changement social nécessite une démarche tournée vers eux. L'éducation n'est pas seulement un apport scolaire car les enfants se forment aussi dans la vie de tous les jours. Il est donc nécessaire de travailler pour que les centres infantiles et d'éducation répondent réellement aux besoins physiques et affectifs des petits, à leur recherche d'identité et à leur créativité, pour les amener à se forger une conscience critique, solidaire et respectueuse de leur environnement. Parce que le jeu est le fondement d'un développement intégral de l'être humain, et que les lieux qui lui sont destinés sont insuffisants et se réduisent toujours plus, il est important de promouvoir la création d'espaces de jeu et de récréation.

Santé

De nombreux gouvernements ne respectent pas les accords internationaux conclus en matière de santé. Les problèmes de santé des femmes indigènes sont le résultat de leur marginalisation, de la discrimination et du racisme. Tous les problèmes sanitaires retombent sur elles.

La situation des femmes vivant avec de faibles revenus (on a particulièrement discuté des femmes indigènes) permet un plus grand rapprochement entre les mères et les enfants ; mais elles ne peuvent compter sur des conditions économiques suffisantes pour garantir la santé et la vie heureuse des nouveau-nés.

Loin de lui accorder l'importance qu'elle a dans la structuration des relations sociales et humaines, la société néolibérale réduit la maternité à une raison supplémentaire de consommer.

Nous devons bien comprendre que le système néolibéral est présent à l'intérieur même de chacun de nous, et que chaque jour, nous le reproduisons dans nos vies par nos angoisses et frustrations. Cela s'exprime par des tendances destructrices, un désir indiscriminé de pouvoir, un manque de respect, des agressions à l'intégrité physique et morale, etc., se traduisant par des tensions chroniques qui affectent la structure organique de nos corps, par ce que William Reich nomme "la plaie émotionnelle".

Sida

Le sida est LA maladie par excellence de notre fin de millénaire, et surtout de l'époque néolibérale. Le sida n'est pas une maladie, mais plutôt une déficience immunitaire qui favorise l'apparition en chaîne de diverses maladies pouvant conduire à la mort. Le sida est la première pandémie de l'histoire de l'humanité. Sa diffusion sur les cinq continents est la conséquence de la globalisation de la domination capitaliste néolibérale. Le sida touche tant les pays en voie de développement que les métropoles des pays capitalistes "avancés".

Les pandémies – et le Ssida en est le plus parfait exemple – nous confrontent à des problèmes sociaux qu'il faut résoudre rapidement. Pour combattre le sida, nous proposons l'analyse du préjudice, la liberté de choisir, l'autodétermination des situations personnelles sans que personne ne soit rejeté, la reconstruction de notre propre identité, la récupération du pouvoir et de notre propre vie, la distribution gratuite de préservatifs et de matériel d'information concernant la problématique du sida.

Dans l'obscurité des vie perdues, on ne voit que des lueurs illusoires, mais la résistance reste forte pour notre essence humaine, et les possibilités de se libérer sont encore à développer.

Pharmacodépendance

Le néolibéralisme n'a pas exclu les personnes pharmacodépendantes. Il les a intégrées comme des consommatrices et des victimes d'un système économique qui, à l'abri des politiques de libre entreprise et de globalisation, est devenu un nouvel instrument du capital, destiné à renforcer la domination des pays ou groupes.

Le trafic de drogue s'est converti en un facteur fonctionnel d'importance vitale : par sa puissance économique et sa faculté d'engendrer la corruption, il affaiblit le pouvoir de résistance des personnes et des communautés à la destruction de leur environnement.

CE QUE NOUS VOULONS

Que les concepts d'être homme et d'être femme dans la société soient redéfinis. Que les compétences individuelles se développent. Que l'on comprenne que la construction d'une société nouvelle ne peut aboutir sans la voix, sans la présence des femmes. Que, quand on légiférera sur les droits à l'autonomie des peuples indigènes, on garantisse une participation politique équitable des femmes. Que les us et coutumes qui violent les droits humains des femmes indigènes soient revus. Que les droits des travailleuses domestiques soient reconnus. Que les hommes s'interrogent sur leur rôle patriarcal dans la famille, au travail, en politique, et qu'ils prennent la décision d'abandonner leurs attitudes sexistes qui empêchent le bon déroulement des projets féministes. Que les femmes indigènes du monde entier apparaissent dans toutes les lois, comme cela a été obtenu à San Andrès Sacamch'en de los Pobres. Que les hommes sexistes révisent leurs attitudes inhumaines et primitives pour mettre fin au harcèlement et à la violence sexuelle sous toutes ses formes. Que l'on comprenne que la sexualité est profondément enracinée dans la vie, qu'elle en fait partie intégrante. Que l'on comprenne que l'orientation sexuelle n'est pas sujette à discussion et que les relations affectives et amoureuses doivent être libres. Que l'on bannisse le concept selon lequel l'unique fin de la sexualité serait la reproduction. Que l'on comprenne que les droits sexuels sont des droits humains.

Nos rêves

Nous rêvons d'un monde où la société ne se conformerait plus à des structures patriarcales ; d'un monde sans militarisme, sans discrimination sexuelle, raciale, religieuse, ni orientation sexuelle ; d'un monde où les femmes de toutes races, religions ou classes jouiraient du droit au plaisir, à tous les niveaux. Un monde sans violence ; un monde où être une femme serait un plaisir et non une charge excessive de travail.

Nous rêvons d'un monde où le désespoir se transformerait en une force organisée et enthousiaste ; d'un monde où avoir un ventre fertile ne deviendrait plus un cauchemar de familles nombreuses, avec son inévitable cortège de pauvreté et de douleur ; d'un monde où les enfants apprendraient à partager et à être solidaires, où ils pourraient construire la planète sur laquelle ils voudraient vivre ; d'un monde humain et libre, sans aucune espèce d'esclavage.

En deux mots, nous sommes pour l'humanité et contre le néolibéralisme.

LES MYTHES GÉNIAUX DU NÉOLIBÉRALISME

"Bien-être pour toutes et tous". "Individualisme". "Tout est immédiat". "Commercialisation de tous les aspects de la vie". "Les médias transmettent la vérité, non une réalité virtuelle". "L'homologation et l'uniformisation massive des cultures est opportune". "Sois compétitif et tu triompheras". "L'efficacité avant tout". "Consommer, c'est exister", "Obéir et se soumettre, c'est le bonheur".

Nous proposons à toutes et à tous de travailler ensemble à la destruction de ces mythes et à la construction d'un monde meilleur.

Le sentiment de toutes les femmes présentes à cette table se résume par cette phrase zapatiste : "Quand nous marchons tous égaux, nos cœurs sont contents".

Tant qu'il y aura une seule femme opprimée, il y aura des oppresseurs et nous ne pourrons parler d'un monde libre. Liberté, justice et révolution dans la rue, à la maison, et au lit.

C . RÉPRESSIONS et

D . RÉSISTANCES

Antimilitarisme, écologie, prisons et asiles.

La lutte pour les Droits de l'Homme.

Nous nous élevons contre le processus de militarisation que vivent actuellement le plus grand nombre des États qui composent la communauté internationale. Le processus de militarisation de la société civile qui se vit actuellement dans les villes et à la campagne porte atteinte aux acquis démocratiques et viole les libertés individuelles et collectives. Il entraîne des effets désastreux dans la vie quotidienne. Cette stratégie utilise les terrorismes ou les trafics de drogue comme excuses pour justifier ses interventions et se convertit, peu à peu en véritable terrorisme d'État, voire en "narco-politique". La principale conséquence de la militarisation réside dans l'augmentation des budgets militaires, réduisant d'autant les sommes destinées aux services et aux prestations sociales. Elle établit, en outre, le contrôle des populations par des fichiers électroniques et des vidéos : un contrôle d'identité arbitraire. L'armée s'ingère, de fait, dans le supposé maintien de l'ordre public dont la charge revient normalement aux polices locales ou municipales, pendant que celles-ci se voient structurellement chaque fois plus militarisées, ce qui entraîne la perte des droits civiques.

Dans le cas du Chiapas, les paroles du commandant David décrivent bien la situation : "Le gouvernement a militarisé l'État du Chiapas. Le peu de terres dont nous nous occupons, où les communautés plantent leur maïs, sont envahies de chars et de campements militaires. Oventic est entouré de cinq casernes. Ils ont construit leurs camps sur le peu de terres que nous avons ..."

"En outre, il y a la Sécurité publique, il y a d'autres groupes armés, les paramilitaires, les gardes blanches qui sont aussi indigènes et pauvres. Ils sont aussi armés et provoquent des violences dans les communautés. Ils disent avoir pour mission de maintenir l'ordre dans les villages, mais en fait ils cherchent ceux qui s'organisent dans les villages pour les tuer. Ils reçoivent une solde et des armes de la part du gouvernement et des riches éleveurs ... Ils sont très perfides avec les populations indigènes : ils leur ordonne de semer de la marijuana. Quand la plante pousse, ils reviennent et disent "vous voyez ici, il y a de la marijuana". Sous prétexte de la brûler, ils se mettent à ratisser les communautés indigènes."

La militarisation des communautés produit des effets négatifs et répressifs :

– Occupation des terres communales.

– L'armée fédérale se conduit comme une armée étrangère d'occupation contre les communautés.

– Harcèlement et contrôle total des communautés indigènes, empêchant toute tâche quotidienne en matière de justice, de santé, d'éducation, d'approvisionnement ou d'activité sportive.

– Ils encouragent la culture du cannabis pour accuser ensuite les indigènes.

– Prolifération de la prostitution et croissance de la consommation d'alcool, facteurs qui ont été déterminants dans l'histoire pour la destruction des communautés indigènes.

– Usage de la violence physique et psychologique, vols, mises à sac, tortures et viols de femmes indigènes.

– Création de groupes paramilitaires et de gardes blanches.

PROPOSITIONS

– Dénoncer systématiquement ces abus par tous les moyens à notre portée.

– Promouvoir une meilleure connaissance de nos propres droits.

Prisonniers politiques et sociaux, migrants

et Droits de l'Homme

A partir des politiques de sécurité publique, le néolibéralisme exerce ses activités de répression et de contrôle. La répression est mise en œuvre par les voies institutionnelles et au moyen d'une guerre de basse intensité. Elle impose des réformes constitutionnelles à tendances répressives aux noms de la sécurité publique, de l'état de droit et de la préservation de la paix sociale.

L'appareil de domination s'accorde le pouvoir de châtier une délinquance que lui-même génère, allant jusqu'à la peine de mort en passant par des sanctions extrêmement sévères. Des procédés judiciaires qui bafouent les droits civiques et politiques justifient, un peu plus tard, la négation des droits les plus élémentaires envers ceux qui ont été privés de liberté. Qui a donné le pouvoir à l'État de nier les Droits de l'homme qui sont inhérents aux hommes et aux femmes ?

Le néolibéralisme libère la circulation des marchandises et restreint la circulation des personnes : les travailleurs. Les gouvernements des pays riches sont responsables de la misère des migrants qu'ensuite ils persécutent. Ceux-ci ne sont pas seulement victimes de la violence dans le pays vers lequel ils fuient, mais aussi sur le chemin vers ce pays.

PROPOSITIONS

– Pour la reconnaissance du caractère de prisonnier politique et contre sa réduction au statut de prisonniers de droit commun ou de terroristes.

– Contre l'utilisation de prisonniers politiques comme otages.

– Contre la répression des militants politiques par la déportation, l'expulsion, l'extradition, l'exil et le confinement dans des pays tiers.

– Contre le rapt, la torture et la disparition de ceux que l'on poursuit politiquement.

– Nous dénonçons la répression institutionnalisée contre des groupes ethniques, étrangers, immigrants et les vagues fascistes qui surgissent en conséquence des politiques racistes et excluantes des gouvernements.

A propos des interventions psychiatriques

(hôpitaux, asiles et autres castrations)

Le principal territoire de conquête et de colonisation du capital est le corps humain. L'emploi de produits pharmaceutiques, d'électrochocs et de la lobotomie sont aujourd'hui pratique courante dans les hôpitaux psychiatriques ; ils représentent un des plus hauts niveaux d'intervention violente sur les corps.

Les prétendues "sociétés avancées" créent leurs propres maladies. Il est nécessaire de mettre en question notre manière de voir les maladies mentales. Les supposés malades mentaux, schizophréniques, etc. sont le reflet d'une société malade. Beaucoup parmi eux n'ont pas pu tolérer la frustration de vivre dans une société déshumanisée, qui convertit tout en marchandises et en choses.

Beaucoup de ceux qui ne sont pas d'accord deviennent des victimes et sont catalogués comme "fous" ou malades mentaux. Ils sont enfermés contre leur volonté et traités comme une gêne sociale. Ils sont enfermés pour s'être rebellés contre un système injuste, une famille castratrice ou parce qu'ils représentent un obstacle aux intérêts économiques d'un puissant quelconque.

Personne ne doit subir une intervention dans son propre corps sans avoir exprimé son consentement. Personne ne doit se voir obligé de devenir normal, ni d'être d'accord. Chacun a le droit de prendre la parole et d'être écouté dignement, en tant qu'être humain.

Nous appelons à lutter pour la disparition des sanatoriums judiciaires où les détenus politiques et sociaux souffrent doublement : par la prison et par la torture psychiatrique.

Nous devons combattre l'usage de méthodes psychiatriques ou psychologiques appliquées aux contestataires, ou bien utilisées pour imposer des intérêts économiques ou politiques dans les guerres de basse intensité.

Combattons tout type d'internement involontaire dans les hôpitaux psychiatriques ou autres institutions de ce genre.

Luttons contre toute méthode psychiatrique ou psychologique qui porte atteinte à la dignité humaine. Luttons de toutes nos forces contre toute technique qui puisse atrophier la capacité de penser avec notre propre tête. Nous sommes également contre les techniques de manipulations psychologiques comme la "séduction subliminale", ainsi que toute autre façon de tromper les êtres humains.

Mais surtout, nous invitons chaque individu à s'arrêter devant un miroir et à se rappeler que l'ennemi est aussi au dedans de nous. Si nous voulons changer le monde, rappelons-nous que nous sommes aussi le monde. N'oublions jamais que dans une société totalitaire, nous sommes tous exposés à être considérés comme "fous". Seuls l'amour, la solidarité, l'amitié et la communauté humaine peuvent nous sauver de l'isolement et de la solitude. La seule folie est l'isolement, la solitude. La seule folie serait de ne pas lutter ensemble, de nous isoler.

PROPOSITIONS

– La société civile que nous voulons n'est pas une forteresse, mais un espace ouvert, un seul monde dans lequel toutes et tous aient leur place.

– La société civile que nous voulons n'est pas raciste, mais sociale et solidaire.

– La société civile que nous voulons n'a pas besoin d'armée, pas même défensive ou préventive. La société civile que nous voulons est une société en paix.

– La société civile que nous voulons n'a pas comme support une Terre-poubelle, un désert ou un espace nucléaire. La société civile que nous voulons est celle qui contemple notre planète comme la Mère qui génère nos vies.

– La société civile que nous voulons n'est pas une société homogénéisée ou clonée, mais égalitaire dans ses différences, plurielle devant l'égalité et juste dans son savoir-faire.

– La société civile que nous voulons est celle du partage des richesses, de l'emploi et des modes de production. C'est la société qui met "nous" avant "je", "le nôtre" avant "le mien", "être" avant "avoir" et "communautaire" avant "individuel".

– La société civile que nous voulons n'est ni celle des mots inventés pour dominer ou pour dépouiller, ni celle des idées usées. La société civile que nous voulons est celle qui existe dans les mots LIBERTÉ, JUSTICE et DIGNITÉ.

– La société civile que nous voulons n'est pas celle qui construit un nouvel ordre international sur les propositions économiques néolibérales. La société civile que nous voulons doit se fonder sur l'échange juste, égalitaire et alternatif qui permette de vivre dignement de son propre travail.

– La société civile que nous voulons n'inscrit pas la femme à la marge, pas plus qu'elle ne la soumet à la précarité dans sa vie, dans la cohabitation, au foyer familial, ni au travail.

– La société civile que nous voulons établit un traitement d'égalité et de partage entre les sexes.

PROPOSITIONS DE LA TABLE 4

A propos de l'organisation

– Former un réseau international de lutte pour l'humanité et contre le néoliberalisme.

– Favoriser les réseaux qui regroupent des collectifs petits et grands pour que tous puissent dire leurs paroles.

– Établir un réseau de communication.

– Créer un réseau international des femmes et de lesbiennes féministes contre le néolibéralisme patriarcal.

Ces organisations doivent :

– Avoir comme facteur unificateur la lutte contre le modèle néolibéral.

– Agir parmi les communautés sociales de base.

– Être coopérativement autogérées.

– Être démocratiques.

– S'assurer la pleine participation des communautés.

– Pratiquer l'égalité des sexes.

– Respecter la diversité.

– Manifester de la tolérance.

– Être contre la guerre et pour les pressions politiques.

– Ne pas entrer dans le jeu des institutions gouvernementales, ni se convertir en entreprises de solidarité et de coopération.

– Revendiquer l'auto-défense non-violente.

– Promouvoir des alliances entre les secteurs ouvriers, paysans, indigènes et populaires.

– Promouvoir des consultations nationales et internationales.

– Utiliser les divers moyens de communication.

– Etablir des vases communicants horizontaux entre ceux-ci.

A propos du travail

– Démocratiser le monde du travail et de la production, redistribuer les richesses produites, changer les relations professionnelles et rendre au travail son sens et son caractère égalitaire.

– Revaloriser le travail et rendre au travailleur sa dimension humaine.

– Utiliser la technologie et le développement scientifique pour l'humanisation du travail et non pour l'exploitation des travailleurs.

– Un nouveau mouvement ouvrier qui ne défende pas seulement les succès acquis par les travailleurs, mais qui ait pour nouvelles revendications : rémunération du travail supplémentaire, abolition du licenciement, contrôle de la production par les travailleurs, sécurité sociale couvrant maladie et chômage, lutte contre la privatisation, traitement égal pour les travailleurs étrangers, en toute indépendance vis-à-vis du gouvernement, des partis, du capital et des syndicats officiels. Et qui respecte sans réserve la liberté d'association de tous les travailleurs.

– Promouvoir la lutte, non seulement dans chacun de nos pays, mais par tout type de mouvement à caractère international, en nous organisant par filière industrielle et par secteurs d'activité contre les entreprises multinationales et contre certaines organisations internationales.

– Que le syndicalisme soit promoteur de la transformation globale et ne contente pas de s'occuper de questions professionnelles, qu'il prenne place dans un large front social.

– Exiger le plein respect du droit de grève et annuler les entraves juridiques qui le limitent.

– Un ajustement du salaire qui garantisse que tous les gens puissent vivre et faire vivre leur famille dignement, en satisfaisant tous leurs besoins.

– Un référendum sur la liberté syndicale.

– Occuper les espaces politiques comme les paysans occupent les terres.

A propos d'éducation

– Il est souhaité une éducation intégrale et humaniste, orientée vers les nécessités sociales, qui revendique la liberté, l'égalité, la dignité et la tolérance. Une éducation de réflexion, d'intégration, scientifique et à visage humain, d'égalité des sexes.

– Nous nous opposons à ce que l'éducation constitue un système de contrôle idéologique de l'Etat. Le gouvernement a l'obligation de dispenser l'éducation mais pas de la contrôler.

– Exiger une participation directe de la société dans la décision et l'élaboration des plans et des programmes publics.

– Créer des écoles qui respectent l'existence de différences comme une condition préalable à l'égalité. Faire que l'éducation scolaire soit complémentaire d'autres formes d'éducation : éducation populaire, éducation d'adultes, réseaux d'échanges réciproques de savoir, communautaire, spécialisée, etc.

A propos de l'écologie et de l'environnement

– Empêcher la déprédation des ressources non renouvelables et renforcer les dynamiques internationales écologistes. Exiger des gouvernements, des entreprises et des particuliers la conservation de la biodiversité.

– Promouvoir le développement de la recherche sur les problèmes d'écologie et leurs solutions possibles, ainsi que sur l'utilisation d'énergies alternatives.

– Promouvoir le recyclage et la réutilisation d'emballages.

A propos de la santé

– Dénoncer la mort de millions de personnes, et particulièrement de femmes et d'enfants, par des maladies guérissables.

– Exiger que la santé soit considérée comme un droit social.

– Promouvoir l'autogestion, l'organisation communautaire, le sauvetage de la médecine traditionnelle et de la médecine préventive. Rendre accessible à tous le fruit des avancées technologiques.

– Les travailleurs de la santé doivent fonder un réseau de connaissances inter-disciplinaires en vue d'acquérir une vision intégrale de l'être humain. Ce travail s'opposerait au "fléau émotionnel" qui est à la base des problèmes dont souffre la société.

– Il est proposé aux femmes de travailler sur un programme de santé, à partir d'une vision féministe.

– Susciter un mouvement international pour freiner l'ingérence des organismes internationaux dans la définition des politiques sociales nationales. Exiger une meilleure responsabilité des États afin de porter à la santé une attention suffisante et de bonne qualité pour toute la population.

– Pour combattre le sida il est proposé de réduire la souffrance, de promouvoir la liberté de choix, l'autodétermination dans les situations particulières, en veillant à ne frustrer personne. Mais également : la reconstruction de l'identité propre, la récupération du pouvoir de sa propre vie, la distribution gratuite de préservatifs et de matériel d'information sur le sida.

A propos des femmes, des garçons et des filles

– Renforcer les relations entre les femmes du monde entier.

– Réaliser des rencontres internationales de femmes avec pour objectif de trouver ensemble des formes de lutte anti-patriarcale et anti-néolibérale.

– Etudier, dans ces rencontres, la possibilité de réaliser des rencontres continentales et intercontinentales de femmes et d'hommes féministes contre le néolibéralisme ; dans le même esprit que cette convocation zapatiste.

– Renforcer le réseau international de solidarité des femmes avec toutes les indigènes d'Amérique du Sud.

– Publier un bulletin ou un livre sur les accords pris ici au sujet des femmes. Pour cela, les délégué(e)s de chaque pays participant pourraient s'engager à traduire dans leur langue maternelle les accords et les résolutions prises, ainsi qu'à les diffuser sur les cinq continents.

– Formuler un glossaire des termes qui s'emploient parmi les groupes féministes et qui concernent les questions de sexe pour être diffusé dans le plus grand nombre de langues, de manière à ce que la méconnaissance de termes comme "féminisme", "sexe", "équité" ou bien "actions affirmatives", entre autres, cesse d'être un prétexte à entraver notre lutte et à permettre à un plus grand nombre de personnes de nous rejoindre.

– Promouvoir une conscience du sexe masculin susceptible d'éradiquer les rôles traditionnels et le machisme, de contribuer à une attitude positive face au féminisme.

– Lutter contre toute forme d'abus commis sur garçons et filles.

– Veiller à ce que soit appliquée la Convention des droits universels des filles et des garçons.

– Créer des espaces d'échanges réciproques, de communication et de dénonciation des abus envers garçons et filles destinés aux gens intéressés par la problématique de l'enfance.

A propos de la militarisation

– Renforcer les réseaux internationaux de dénonciation des abus commis du fait de la militarisation de notre société civile.

– Réaliser des manifestations publiques imaginatives, qui rendent évident notre rejet de cette militarisation constante et arbitraire de la société civile.

– Exiger des États qui se disent démocratiques qu'ils renoncent à ces pratiques répressives.

A propos des prisonniers politiques et des migrants

– Dépénaliser l'activité politique.

– Exiger le respect absolu des droits de l'homme pour les prisonniers.

– Instaurer une journée internationale pour la liberté des prisonniers politiques du monde entier.

– Abolition partout de la peine de mort.

– Instaurer universellement le droit de libre expression et d'usage de sa propre langue.

– Obtenir que toute personne qui ne parle pas la langue de celui qui la prive de liberté puisse être assistée d'un traducteur fiable ou disposer d'une traduction.

– Appuyer la campagne : Aucun être humain n'est illégal.

– Faire pression sur les gouvernements pour qu'ils assument leur responsabilité face aux personnes migrantes, ce qui se traduit par une obligation économique, politique et morale d'accueillir ces déplacés provenant de pays rendus pauvres.

RÉSISTER PAR NOTRE ACTION

ET PAR NOTRE PENSÉE

Paroles du commandant David à propos

des nouvelles formes d'organisation

Frères et sœurs, nous voulons profiter de cette occasion où la majeure partie des participants à la Rencontre intercontinentale sont réunis. Nous nous sommes dotés des nouvelles formes d'organisation zapatiste, mais nous voulons vous dire ce que nous croyons aujourd'hui nécessaire pour pouvoir continuer notre tavail, notre lutte. Nous autres les indigènes, les zapatistes, nous voyons qu'il manque beaucoup de choses à tous les peuples, dans toutes les organisations, dans toutes les villes. Même entre nous, les zapatistes, il manque beaucoup de choses ; nous sommes en train de progresser, mais il nous manque beaucoup de choses encore.

Selon nous, il est nécessaire de continuer à chercher de nouvelles formes d'organisation, de nouvelles façons de lutter. Mais nous avons aussi besoin de trouver de nouvelles façons de penser, de nouvelles manières d'interpréter la réalité ; de chercher de nouveaux moyens d'agir, de nouvelles méthodes pour travailler et pour éduquer afin d'atteindre nos objectifs qui sont la justice, la liberté, le bien-être de chacun, de tous les peuples que compte l'humanité.

Nous croyons nécessaire d'éviter certaines choses, celles qui nous ont empêché de nous développer en tant que peuple, ces choses qui n'ont pas permis l'unité et la coordination de tous les femmes et les hommes de la Terre.

En chacun de nous habite l'égoïsme, dans notre cœur, dans nos pensées. Nous devons trouver comment neutraliser cet égoïsme pour que notre travail, nos efforts soient plus efficaces. Nous avons aussi besoin d'extirper de notre tête et de notre cœur l'ambition qui règne chez beaucoup d'hommes et de femmes. Mais aussi l'esprit de compétition et l'individualisme, toutes ces choses qui, nous le voyons bien, interdisent l'unité entre les peuples. Avec l'égoïsme, avec l'individualisme, l'esprit de compétition et l'ambition empêchent le vrai développement d'un peuple, son union et l'organisation de tous les secteurs sociaux dans tous les pays du monde.

Nous croyons qu'il est très important de chercher la manière de se doter de formes nouvelles d'unité, d'organisation, de travail et c'est précisément ce que nous essayons de faire dans toutes les communautés indigènes. Tenter d'expliquer à nos frères, à nos compagnons et aux bases de soutien qu'il nous faut chercher tous ensemble la meilleure voie pour unir nos forces. Rendre cohérent notre travail pour qu'entre tous nous trouvions la solution à nos problèmes, à nos nécessités et pour que le fruit de notre effort, des efforts d'hommes et de femmes, d'enfants et de vieillards, profite à ceux qui rendent possible ce travail.

C'est ce que nous appelons partager le fruit de notre travail. Partager justement ce qui correspond à chacun. C'est pour nous le signe de l'unité, de la fraternité, de l'humanité. Mais obtenir cela est difficile et il est nécessaire d'apprendre beaucoup de choses pour pouvoir œuvrer de cette façon. C'est pourquoi nous invitons continuellement toutes les personnes, et surtout nos peuples indigènes qui sont en résistance, à tout supporter : l'attitude de ce mauvais gouvernement, les blocages économiques envers toute la société, qui nous enlèvent absolument tous les moyens qui nous permettent de produire.

Nous les indigènes, surtout les zapatistes, devons résister en partageant le peu que nous avons, résister aux forces, aux idées, aux manipulations du gouvernement et des fonctionnaires. À tout ce qui vient du pouvoir établi, nous avons à résister par notre action, par nos réflexions et par notre lutte pour une vie plus juste. Ceci est ce que nous croyons nécessaire ; c'est ce que, nous, nous croyons valable pour chaque endroit du monde, quel que soit le groupe social, pour tous les travailleurs dont a m'a parlé. Tout comme eux dans ces moments, nous avons besoin de beaucoup de choses. Nous voulons chercher quelque chose, chacun doit trouver la solution à ses problèmes. D'autres peut-être trouveront, mais comme personne au monde ne peut tout faire, nous croyons que l'unité et l'organisation sont nécessaires. Et puis réfléchir, réfléchir ensemble pour trouver notre chemin. C'est ce que nous voulons vous dire, et j'achève ainsi de parler de ce que vous pourriez appeler une réforme de l'organisation.

Et maintenant, avec tout le respect que je vous dois, nous voudrions abuser de votre temps pour vous dire ce que nous vivons réellement, ce que nous sentons au sein de nos communautés, ce que vivent nos peuples alentour. Aujourd'hui, nous avons vu de près, dans cette zone-ci, une des attitudes du mauvais gouvernement. Quand nous sommes passés parmi les différentes Tables de travail pour vous avertir qu'il y avait des mouvements de troupes de la "sécurité publique", il y a eu aussi le survol d'un avion des forces spéciales de l'armée mexicaine, ce dont vous avez été témoins. Ce que nous vous annoncions n'est qu'une seule chose de ce que nous avons enduré jusqu'à présent. Le gouvernement nous a toujours traités avec cette méfiance, ce contrôle. Il nous menace perpétuellement ainsi, avec ses avions, avec ses hélicoptères militaires. Il les envoie jour et nuit, et c'est comme ça que nous vivons depuis tant de mois. Ce que vous pouvez observer dans la communauté d'Oventic-Aguascalientes II, les autres Aguascalientes le supportent également, et c'est ainsi qu'ils vivent depuis plusieurs mois. C'est sous les vols rasants des avions et des hélicoptères, de jour comme de nuit, que notre village a vécu, comme les autres Aguascalientes : La Garrucha, La Realidad, Roberto Barrios, Morelia. Nous vivons cela continuellement, cela constitue une grande menace de la part du gouvernement mexicain.

Depuis que nous avons commencé à dialoguer, nous avons clairement exprimé notre véritable volonté politique de touver des solutions à nos problèmes, mais le gouvernement n'a pas cessé de nous menacer à n'importe quel sujet. Et il a envahi nos terres avec des milliers de soldats avec tout leur armement, avec tous leurs véhicules et leurs chars, en occupant le peu de terres dont s'occupent nos frères, nos compañeros indigènes et paysans. Des menaces et un harcèlement militaire envers les populations civiles. Vous pourrez témoigner de ce qui peut se vivre ici, alors que le gouvernement assure que tout y est totalement tranquille, qu'il ne se passe rien, que tout est en paix. Maintenant vous savez. Cependant, nous, les zapatistes indigènes, ne pouvons interrompre notre travail pour autant, tout cela n'interrompra pas notre marche. Cela ne peut pas nous effrayer. Nos efforts et notre route, rien ni personne ne pourront les arrêter. Personne ne va changer notre réflexion, personne ne va modifier nos idéaux de lutte, personne ne pourra arrêter notre décision de combattre pour une vie plus juste et plus humaine. Quoi qu'il arrive, nous avons tous le devoir de lutter pour le bien-être de l'humanité. Tous, nous devons nous battre. Aussi grandes que soient les forces du gouvernement, celui-ci doit laisser nos peuples se gouverner. Ensemble, c'est notre travail que nous voulons poursuivre. Nous allons chercher comment marcher ensemble avec nos frères des différentes parties du monde. Ces menaces, ces pressions de la part du gouvernement, de l'armée mexicaine ne nous font pas peur : nous les subissons depuis des mois. Des milliers de soldats menacent jour et nuit notre peuple, les femmes, les enfants, les anciens, les malades. Mais tout cela ne nous terrorise pas parce que il est clair pour nous que nous disposons de plus de force qu'eux ; et avec vous, bien plus de force encore. Que notre puissance n'est pas celle des armes. La force la plus importante que nous ayons, les zapatistes, les indigènes et vous, est celle du bon sens, celle de la justice ; c'est la quête d'une vie plus juste et digne pour tout un chacun. C'est vouloir humaniser l'humanité, c'est se battre pour vivre avec dignité.

Nous disons à ceux qui croient pouvoir faire confiance à la force des armes des puissants que nous pouvons les battre avec la force de la raison, de la justice. Et nous luttons, parce que nous savons que nous avons raison et que nous voulons vivre comme un peuple, comme des êtres humains. Nous avons besoin du bien-être de l'humanité, c'est notre péché mortel aux yeux de ceux qui ont pouvoir et argent ; aux yeux de ceux qui ne pensent à rien d'autre qu'à accumuler des richesses, qu'à écraser les autres. C'est la réflexion de ceux qui veulent détruire, détruire notre peuple, détruire la vie de milliers de femmes et d'hommes de la Terre, et non construire pour que nous vivions tous comme un peuple, comme des êtres humains. C'est pourquoi nous devons toujours avoir dans notre cœur l'idée de construire, et pas de détruire des peuples voisins. Nous sommes décidés à aller de l'avant dans notre juste lutte en faveur de l'humanité.

Muchas gracias.

Table 5

Dans ce monde beaucoup de mondes ont leur place

Tout pour avoir un espace de dignité humaine

Paroles de bienvenue du commandant Hernán,

du CCRI-Commandement Général de l'EZLN

Bonsoir, frères et sœurs. Au nom du Comité Clandestin Révolutionnaire Indigène, Commandement Général de l'Armée Zapatiste de Libération Nationale, je salue chaque participant de ce forum international.

Nous, les dix-sept commandants ici présents, resterons avec vous durant cette Rencontre. Nous souhaitons la bienvenue aux frères venus du Danemark, de France, de Suisse, d'Espagne, d'Italie, du Chili, d'Uruguay, d'Argentine, des États-Unis, du Canada, d'Allemagne, de Belgique, de Grèce, du Japon, du Brésil, d'Australie, d'Équateur, du Mexique, etc. à cette Rencontre internationale contre le néolibéralisme et pour l'humanité, que nous tenons dans cet Aguascalientes III, village de Francisco Gómez, appelé auparavant La Garrucha, et nouvelle municipalité indigène du territoire rebelle zapatiste, Chiapas, Mexique.

Nous vous remercions aussi pour votre présence dans cette grande Rencontre, parce que pour nous, pour vous, pour tous, cette rencontre est celle de l'espoir d'arriver à une paix juste au Chiapas et dans le monde entier.

Tout pour avoir un espace de dignité humaine.

Les constructions réalisées dans cet Aguascalientes sont le fruit d'efforts considérables réalisés par des hommes et des femmes dignes.

Il a été construit pour tous : hommes et femmes, sans considération de race, de couleur, de langue, de religion ou d'affiliation politique. Il a été créé pour que tous, nous y parlions avec des mots et non avec des armes.

C'est un espace où tous, nous construirons la paix juste et digne, obtenue par une démarche politique et non par les armes.

C'est un espace où ont leur place beaucoup de cœurs dignes, qui luttent pour un monde plus humain.

C'est un espace où a sa place tout un monde humain qui lutte contre le néolibéralisme.

C'est un espace où tous les cœurs du monde luttent pour la démocratie, la liberté et la justice.

Un espace où indigènes et non indigènes, zapatistes et non zapatistes, mettent toute leur dignité à vous connaître, non seulement à connaître vos visages et votre couleur de peau, mais votre opinion et votre façon de lutter et d'espérer. Pour que bientôt nous sachions comprendre les problèmes que le néolibéralisme engendre jour après jour.

Cet Aguascalientes est un village zapatiste, d'hommes, de femmes et d'enfants, qui ont travaillé pour que les hommes et les femmes du monde entier luttent avec dignité.

Nous avons apporté notre petite graine à ce travail, portant sur nos épaules les matériaux que vous voyez là, là où nous sommes, là où nous parlons, là où nous apportons maintenant notre grain de sable pour aboutir à une paix véritable. Nous, les tzeltales, les tojolabales, les choles, les tzotziles, tous.

Nous avons aussi apporté près de 40 000 pesos, produit de notre sueur et de nos bras fatigués, mais heureux de travailler, sans compter sur la moindre aide du gouvernement.

Ainsi, nous voyons que dans l'unité, nous pouvons arriver à la paix, nous pouvons construire le monde que nous voulons, un monde où nous pourrions vivre en paix, comme des humains et non comme des animaux mal traités, un monde où beaucoup de mondes aient leur place.

Un monde de démocratie, de liberté, de justice et de paix véritables.

Frères,

Que notre travail en ces trois jours de Rencontre soit fécond.

Parce que là-bas, dans tous les peuples du monde, il est des gens qui attendent le fruit de notre travail, à nous qui, ici, luttons pour l'humanité.

Ici, bien que nous soyons surveillés, bien qu'il y ait des patrouilles de l'armée fédérale de tous côtés, bien que nos communautés soient survolées par des avions et des hélicoptères militaires, nous, les zapatistes, nous continuerons à travailler pour la paix.

Parce que, de la même façon que nous travaillons puis récoltons nos champs de maïs, nous travaillerons dans cet Aguascalientes pour récolter un jour le futur de l'humanité, la nouvelle vie de l'humanité.

Démocratie, Liberté, Justice !

Depuis les montagnes du Sud-est mexicain.

Aguascalientes III

Francisco Gómez, La Garrucha

Nous sommes arrivés dimanche, il faisait déjà nuit, à Aguascalientes III, situé à l'entrée des gorges de la Forêt Lacandone. Le commandant Hernán a ouvert nos travaux le lundi 29 à midi. Il a expliqué que Aguascalientes était "le fruit d'efforts considérables réalisés par des hommes et des femmes dignes". Il a aussi expliqué qu'à partir de cette Rencontre, le village de La Garrucha s'appellerait Francisco Gómez, en l'honneur d'un grand homme, fondateur de l'Armée zapatiste, tombé dans les premiers jours de janvier 1994 lors des combats d'Ocosingo. Dès le début, le commandement a déclaré que ce qu'il y avait de meilleur en nous devait être exprimé librement, même si cela ne coïncidait pas avec le discours ou la pensée zapatiste.

Dans ce discours d'ouverture ont aussi été salués les représentants de tous les peuples réunis dans la Table 5, table de la diversité et de l'union. À partir de ce moment, nous avons effacé les frontières arbitraires des pays : nous étions un peu plus de 200 invités, "Indiens du monde entier" : d'Europe nous avons écouté des Bretons, des Parisiens, d'autres Français, des Suisses de divers cantons, des Danois, des Flamands, des Belges, des Bulgares, des Autrichiens, des Basques, des Andalous, des Galiciens, des Castillans, des Valenciens, des Catalans, des Portugais, des Allemands de l'est et de l'ouest, des Italiens du nord et du sud, des Grecs, des Siciliens, d'autres Méditerranéens – et j'en oublie sûrement. Nous avons reçus des Japonais, qui connaissent les luttes des habitants et des immigrants de leurs îles. On nous a présenté des Américains, venus du Québec ou de Córdoba, des Latino-américains se souvenant de luttes communes avec les indigènes des déserts, des forêts, des sierras et des pampas, indiens des nations Lakota, Navajo, Mohawk, Sioux, O'odham, et Xinaca. Ont participé des Mixtèques, des Nahuas et des Nahoas, des Yaquis, des Konkaks, des -hañhus, des Wixáricas, des Perepechas, des Zapotèques, des Tzeltales, des Tojolabales, des Choles ; tous également mexicains, comme ceux du Chiapas, de Veracruz, de Mexico ou du nord du pays. Beaucoup d'invités ont parlé depuis leur histoire de métis, descendants d'immigrants ayant parcouru les cinq continents (nous sommes tous également des immigrants), nordiques d'Amérique, Chicanos d'Aztlán, une Allemande d'Amérique Centrale, un Australien né en Argentine, une Catalane et un habitant de Oaxaca de Paris, plusieurs habitants d'îles revendiquant d'être Africains (nous sommes également tous des noirs), et tant d'autres ... Et se sont racontés, les Gitans, les Yougoslaves, les Algériens, les Canaques et les Cofanes, et ceux d'autres communautés ayant la même histoire. Nos multiples identités mises sens dessus dessous depuis 1994, par les nouvelles du zapatisme et aujourd'hui par l'expérience des Aguascalientes. Nous affirmons qu'ici, il n'y a pas "d'étranger", et que tous ont l'identité commune qui nous a réunis, une identité de culture s'opposant à "l'anticulture que le néolibéralisme prétend nous imposer".

Dans la Rencontre ont aussi été présentes les bases d'appui de la région, hommes, femmes, adolescents, enfants, vieillards, tous voulant savoir de quelle partie du monde nous venions, ce que nous parlions et écrivions, comment nous marchions et comment nous dansions. Exprimons leur notre plus profonde reconnaissance d'avoir rendu possible cette Rencontre à Francisco Gómez.

À Aguascalientes, l'espace s'est relativisé : vie et travail se sont rejoints sous les toits de bois, sous la pluie ou le soleil. Ensemble, nous avons mangé, dormi, connu, parlé, traduit, écouté, écrit, dansé ; les actes ont su trouver leurs places et leurs moments, et sans cesse nous avons sorti et rangé couvertures, tables, planisphères et marimbas.

Le temps s'est relativisé : chacun arrivait avec son rythme, les horloges de la forêt indiquaient trois heures différentes et nous voulions revenir au calendrier antique. Dans un temps apparemment limité, nous avons fait entrer 8 000 heures de travail consacrées à rêver, décrire, projeter une nouvelle civilisation.

Les langues et les mots aussi se sont relativisés. L'espagnol, métissé d'autres langues, a acquis de nouvelles tournures, de nouveaux accents. Les interprètes volontaires ont montré que l'on pouvait franchir les frontières linguistiques et faire comprendre un message à tous.

Nous avons discuté des thèmes du racisme, du militarisme et de la guerre, des réfugiés, des déplacés et du nationalisme, du droit à l'autodétermination et à l'autonomie, des identités vieilles et nouvelles, des multiples façons de résister et de construire ensemble des réseaux et des chemins communs. Le premier soir, les exposés ont témoigné des peuples d'Amérique qui refusent de mourir, et l'on nous a donné cinq points de vue différents sur les raisons et les sentiments qui alimentent cette lutte.

Un des invités – concentré sur son notebook au milieu de la confusion – absorbait l'esprit qui régnait sur notre groupe et le transcrivait. Giulio Girardi a présenté son texte à l'auditoire international et aux bases d'appui ; il nous a appelés à prendre conscience du moment historique que les zapatistes nous faisaient vivre : l'annonce d'une nouvelle histoire qui commence à peine. À la fin, il a rappelé un message du révolutionnaire russe Bakounine : "Parier sur l'impossible, voilà comment, tout au long de l'histoire, on a avancé dans la découverte et dans la réalisation du possible."

Les bases zapatistes ont posé la question centrale de la Rencontre : qu'est-ce que le néolibéralisme ? Pierre Beaucage a présenté sa réponse lors d'une conférence organisée par la communauté locale et traduite en tzeltal. Il se souvient comment Xel a traduit avec précision 'néolibéralisme ' en tzeltal par ach-yuúntayel-sjoltakin, c'est-à-dire la-nouvelle-subordination-aux-profits. Pour illustrer la différence entre la logique du capital et la logique populaire, Beaucage a donné l'exemple de l'ancienne hacienda voisine de Las Delicias : 6 personnes s'occupaient de tirer le maximum de profits de ses 1 900 hectares, aujourd'hui ils permettent à 180 familles de manger. À la fin, plusieurs zapatistes firent des commentaires : "On sait mieux ce que veut dire 'néolibéralisme', mais il ne faut pas nous endormir sur cette nouvelle connaissance !" ; "On voit bien qu'il y a deux forces : l'argent et le travail. Notre force ne sera jamais l'argent, on n'a jamais plus de 10 ou 15 pesos en poche. Mais on a une grande force de travail. Et avec elle, on peut lutter".

Tout au long de notre travail, nous nous sommes rappelé les uns aux autres qu'en cette fin de millénaire, le néolibéralisme cherche à créer ou à renforcer les divisions entre les groupes et les peuples, construisant de nouvelles murailles ou renforçant les frontières existantes, essayant de fomenter des conflits entre frères et sœurs, entre "les Indiens" du monde entier. Ces divisions sont le danger essentiel pour les cultures, pour tous les êtres de cette planète qui veulent vivre ensemble en paix. Il y a eu une réponse générale : cherchons les revendications communes et, collectivement, luttons pour la construction de sociétés où la globalisation soit celle de la justice, de la liberté, de la dignité et de la vie en harmonie avec la nature.

Nous avons conclu que les chemins, pour nous rencontrer et nous unir autour d'actions variées, sont multiples ; ils partent des racines de chacun, de sa façon particulière de vivre, de parler, de lutter. La construction de mondes alternatifs doit se faire à partir d'un monceau de cultures, de politiques et de formes de résistance des peuples. En particulier, parmi les peuples indiens surgiront ceux qui réclament leur place dans l'histoire. De bien des façons, nous exigeons le respect des identités, comprises comme constructions historiques et plurielles, marquées par les luttes et la résistance active contre l'oppression, l'exploitation, l'exclusion et la guerre. En somme, nous nous prononçons contre la barbarie.

Dans la forêt Lacandone, chaude et humide, se sont croisées les traces de nos pas. Nous portons tous des savoirs précieux et des pratiques acquises dans d'autres espaces de travail et de lutte. C'est pourquoi nos initiatives et nos interventions n'étaient pas toujours à l'unisson. Il y a eu des frictions difficiles, parfois des critiques ou des autocritiques pour des attitudes peu conformes au contexte. Il y a eu toute une discussion parallèle au thème de la Table ronde : devons-nous ouvrir ou fermer le cercle de nos discussions ? écouter les conférences en séances plénières ou réfléchir en petits groupes ? nous donner tout le temps nécessaire, oubliant sa valeur marchande, ou bien nous souvenir que, où que ce soit, le temps est compté ? faire des synthèses en utilisant notre propre vocabulaire, ou bien employer celui des autres ? construire une connaissance commune ou nous mettre d'accord sur des motions et des projets d'actions ? nous concentrer sur les interventions, ou bien méler musique et voix ? voter tout, ou ne rien voter ? résoudre nos divergences par des votes, ou nous donner le temps d'arriver à un consensus ? parler et écouter ou bien agir ? faire confiance en la sagesse des anciens, ou laisser la place aux jeunes ? commander, obéir ou apprendre à faire les deux à la fois ? Quel est le moment approprié pour chacune de ces options ? Comment arriverons nous à faire que le contre-pouvoir ne reconstruise pas un nouveau pouvoir ? Comment être conséquent à la fois avec le respect de l'histoire de chaque vie ou de chaque nation et avec l'intention de créer une nouvelle éthique ?

À la fin, nous avons reconnu que bien des questions restaient sans réponse, comme le dit la sagesse de ces terres. Il reste encore à formuler un nouveau langage et à forger de nouvelles pratiques, autonomes, qui conjuguent le profond respect de la diversité et la conscience politique que chacun doit avoir de la tâche, toujours rappelée : "ensemble, créons le chemin en marchant". Nous avons été encouragés par le fait de nous savoir accompagnés des efforts zapatistes et de la volonté têtue de satisfaire l'aspiration de l'homme pour un monde où beaucoup de mondes aient leur place. Les textes qui suivent essaient de transcrire la richesse des contributions, et de signaler les points de convergence constructifs. Nous rappelons que ce sont les textes d'une rencontre, des textes ouverts au temps. Ainsi que l'a recommandé le commandant Fernando, alors que nous montrions une certaine impatience : "on n'arrive à l'autonomie qu'après beaucoup de travail, comme celui que vous êtes venus faire ici". Et nous restons ainsi, jusqu'aux prochaines rencontres, jusqu'aux prochains accords : une petite partie de vous, que nous sommes derrière nous-mêmes, et une petite partie de nous, que vous êtes derrière vous-mêmes.

A. La réalité, comme barbarie

Autoritarisme, génocide, ethnocide, guerre civile.

Les différents aspects de ce thème ont été discutés par environ 35 camarades, venus d'Allemagne, de Belgique, du Canada, d'Espagne, du Pays Basque, de Catalogne, des Iles Canaries, de France, des États-Unis et du Japon. Pour le Mexique étaient représentés le Conseil de Guerrero 500 ans de résistance indigène et noire, l'organisation Xi-nich, de Palenque, Chiapas, le Comité civil zapatiste 17 novembre, de la ville de Mexico et le Comité civil pour le dialogue "El Arco Donato Guerra".

L'EZLN était représentée par les commandantes Hernán, Daniela, Dionisio et Simon. Les interventions ont montré une riche mosaïque d'expériences diverses. Nous avons discuté des liens entre le développement actuel du néolibéralisme au niveau mondial, la militarisation et la répression des différences culturelles et ethniques, des minorités et des dissidences. Nous avons présenté les formes adoptées par les différentes luttes pour résister à l'oppression, l'inégalité, la discrimination et la négation des droits des peuples ; ces luttes ont pris bien des chemins de par le monde, depuis les luttes élémentaires pour la survie et la reproduction physique et culturelle, jusqu'aux luttes pour l'autonomie, la démocratie et l'autodétermination.

Dans ce qui suit, nous essayons de transcrire les points de vue et les idées exprimés sur ces problèmes et ce qu'ils signifient.

LES VISAGES DE LA BARBARIE

Le racisme

C'est l'une des bases des génocides et des ethnocides. L'expérience montre que le racisme s'exprime de différentes façons selon les niveaux de la société, et qu'il a pour fondements les inégalités économiques.

Ce n'est pas la seule arme idéologique utilisée par ceux qui veulent conquérir ou conserver le pouvoir, ou pour justifier la mort de l'autre, mais c'est l'une des plus employées et des plus efficaces. C'est pourquoi il serait important d'identifier les moyens utilisés par les pouvoirs pour fomenter et manipuler le racisme dans les populations. C'est de cette façon que l'on pourra développer des stratégies effectives contre son expansion. Le succès de cette tâche priverait le pouvoir d'une de ses armes les plus efficaces, les plus douloureuses et les plus inhumaines.

Le nationalisme xénophobe, un danger pour la paix

Nous avons lancé un cri d'alarme contre les nationalismes aux couleurs d'intolérance et de xénophobie qui deviennent un danger pour la paix. Ils sont soutenus par des groupes de pression liés à l'industrie de la guerre, et dont l'intérêt est de fomenter des conflits pour en tirer un bénéfice personnel. C'est le cas des luttes qui se déchaînent en ex-Yougoslavie. Il serait difficile de convaincre les Serbes ou les Croates, ou qui que ce soit, de tuer et violer pour que leurs dirigeants aient plus de pouvoir ou plus de bénéfices ; aussi ceux-ci recourent-ils à la manipulation idéologique et fomentent-ils la haine pour une autre race ou un autre groupe ethnique.

En résumé, le racisme et la xénophobie servent d'outil au pouvoir pour mobiliser la population et lui faire exécuter sa politique de génocide. Ce mécanisme revient sans cesse au cours de l'Histoire.

Le génocide

Les formes de génocides et d'ethnocides sont nombreuses. Il y a le génocide ouvert - par guerres d'extermination – comme, par exemple, contre les Indiens d'Amérique du Nord, et de nombreuses régions d'Amérique du Sud. Mais il peut aussi se pratiquer de façon cachée, en laissant les peuples mourir de pauvreté, de maladie et de faim, comme au Mexique. Pour tuer les peuples, les armes ne sont pas nécessaires : il suffit de les laisser mourir de maladies guérissables.

Une constante des territoires indigènes est le non-accès à l'éducation, ce qui fait que les Indiens réalisent les pires travaux comme main-d'œuvre non qualifiée et sur-exploitée. A ceci s'ajoute l'exploitation des ressources naturelles de leurs zones pour le bénéfice de compagnies transnationales qui emportent les bénéfices et laissent derrière elles des désastres écologiques. Le Chiapas est un bon exemple d'État riche, mais dont la population est majoritairement appauvrie. Il fabrique de l'électricité pour le reste du pays, et néanmoins les communautés indiennes ne disposent pas de ce service ... ou le paient excessivement cher. Et pourtant les barrages ont envahi leurs terres collectives, où ils produisaient leur maïs et leur haricot.

L'ethnocide

L'élimination d'un groupe humain peut se faire par la destruction de sa culture. L'assassinat culturel des groupes ethniques a été un processus très fréquent dans l'histoire récente de l'humanité. L'ethnocide se définit comme la politique de destruction systématique de l'identité culturelle d'un groupe ; c'est une politique d'État et non un processus spontané de changement culturel.

Il y a beaucoup d'exemples d'ethnocides : en France, il a été commis en Bretagne, en Corse et en Occitanie, le gouvernement franquiste l'a pratiqué sur les Catalans et les Basques, l'Angleterre sur les Irlandais, les Gallois et les Écossais, les États-Unis et les pays latino-américains sur les populations indiennes.

On a observé que les populations hétérogènes du point de vue ethnique et culturel ne reconnaissent en général pas leur pluralisme. Historiquement, la tendance a été qu'un groupe impose sa domination sur les autres, qu'ils soient majoritaires ou minoritaires. Le groupe dominant identifie alors la nation à ses propres intérêts et utilise les concepts d'unité nationale ou de sécurité nationale pour réprimer ceux qui s'opposent à lui. La construction de la nation sur la base de l'homogénéité ethnique débouche couramment sur une idéologie nationale fondée sur le racisme. Il suffit de voir le cas de l'Allemagne nazi.

Ayant constaté l'évidence de multiples ethnocides, nous avons conclu que le respect de l'identité culturelle doit être reconnu comme un droit effectif conduisant à une politique d'appui actif au développement culturel et matériel.

Les guerres de basse intensité

Lors de la première session, le commandante Hernán nous a appelés à considérer la situation de guerre contre les populations, et décrit en particulier les agressions dont ont souffert les communautés indigènes du Chiapas. Les interventions qui ont suivi ont conduit aux conclusions suivantes :

Les gouvernements mettent en route toute leur machinerie militaire et policière dès que les populations opposent une résistance aux politiques qui les oppriment et les marginalisent. Pour mettre des barrières à leurs actions et les harceler, pour leur imposer un contrôle social et/ou les exterminer, on emploie aujourd'hui la guerre de basse intensité. Il s'agit d'une science répressive perfectionnée aux États-Unis après la guerre du Vietnam et utilisée maintenant en Amérique centrale et dans tous les conflits du monde.

Au Mexique, cette forme de guerre utilise par exemple la militarisation des zones indigènes, sous prétexte de lutte contre le trafic de drogues. Le gouvernement se donne l'apparence de dialoguer avec l'EZLN, mais il accroît sa présence militaire au Chiapas et dans d'autres régions indigènes du pays. Ses services de renseignement s'infiltrent et forment des jeunes, de sorte que quand l'armée se retire, les communautés se retrouvent divisées.

Au Mexique, comme dans d'autres pays de ce que l'on appelle le Tiers Monde, le néolibéralisme a une attitude sauvage face à la vie du peuple. Partout dans le monde, le bien-être des populations et l'harmonie de vie entre les êtres humains ne présentent aucun intérêt pour le néolibéralisme. L'État abandonne ses fonctions de bienfaiteur et tous les services qu'il avait l'habitude de fournir sont privatisés. Si l'économie s'ouvre, la politique se ferme, la répression augmente et le système n'a aucune intention de faire des concessions.

RÉSISTANCE ET LUTTE

Résistance au militarisme

Le militarisme est imposé aux peuples par les gouvernements. Son chemin se heurte fréquemment à la résistance des civils. Prenons l'exemple des objecteurs de conscience en Espagne : ils ont refusé de faire leur service militaire pour des raisons de conscience. La loi faisant qu'ils peuvent être jugés et jetés en prison, leur lutte s'est transformée en insoumission et en désobéissance civile. Plusieurs groupes de soutien se sont créés : groupes culturels, groupes de jeunes, groupes de parents, etc. Le mouvement a gagné des forces, de sorte que l'État s'est vu obligé à changer de stratégie. Aujourd'hui, il applique une répression sélective et des amnisties successives. Récemment, le gouvernement a cherché à modifier la loi pour interdire aux insoumis le droit de vote et le droit d'occuper des fonctions publiques.

La lutte pour le droit à l'autodétermination

Les participants de cette table ont été d'accord sur le fait que l'autodétermination est un droit humain fondamental et collectif qui devrait protéger toutes les communautés ethniques, tous les peuples, qu'ils soient dotés d'organisations politiques ou qu'ils soient répartis sur les territoires de plusieurs nations. Les États, au-delà de toute considération politique, doivent admettre comme principe juridique que le droit à l'autodétermination, fondé sur les idées de liberté et de démocratie, impose des obligations aux autres peuples et aux États. La reconnaissance de ce droit serait la base de la construction de la paix en beaucoup de lieux aujourd'hui en conflit.

L'autonomie et l'autodétermination doivent être compris comme un moyen de libérer les peuples et non comme une fin en soi. De fait, l'égalité sociale définitive n'est atteinte nulle part, car il faut renouveler sans cesse les formes de lutte, depuis l'insoumission jusqu'à la révolution permanente.

L'autonomie, une proposition pour construire la démocratie

L'autonomie proposée pour les régions indigènes du Mexique par des organisations comme le Conseil de Guerrero 500 Ans de résistance indigène et noire et le Xi-nich, a un sens bien différent du séparatisme, car il cherche à redéfinir la relation entre les peuples et l'État en termes de respect et de véritable démocratie, mais sans rompre l'unité nationale.

On nous répond qu'au Mexique il n'y a pas de régime d'autonomie prévu par la Constitution. Si – sur le papier – la Constitution mexicaine est en faveur des travailleurs, dans la pratique, les droits constitutionnels et les garanties individuelles ne sont pas respectés. Le système politique est régi par un autoritarisme présidentiel ; et ce que le gouvernement qualifie d'État de droit est en réalité un bien grand mensonge : dans le cas des peuples indiens, il s'agit de facto d'un ethnocide. Alors qu'en Europe la démocratie est une façon de vivre, même quand elle est limitée, au Mexique c'est encore une idée subversive, l'aspiration d'arriver à une vie digne.

Il ne peut y avoir d'autonomie sans démocratie, et les Indiens apportent l'autonomie à la démocratie. Ce que les Indiens mexicains veulent, ce n'est ni une balkanisation ni la création de réserves, mais un nouveau projet de nation qui mette fin à la marginalisation et à l'exclusion, et permette la représentation des indigènes à tous les niveaux du gouvernement. Dans le processus d'autonomie, il faut donner un rôle fondamental à la femme indigène, car il n'y aura jamais de régime libre et démocratique si l'on ne reconnaît pas l'égalité des droits des femmes et des hommes.

CONCLUSIONS ET ALTERNATIVES

Comment lutter contre le néolibéralisme ? Comment mettre fin à l'ethnocide et à l'autoritarisme ? Comment arriver à la paix ?

Le néolibéralisme a globalisé la barbarie. Il fabrique la pauvreté pour la plus grande partie des gens, il détruit la nature et engendre les guerres. Il produit le bien-être pour une minorité et la majorité de la population n'entre pas dans ses projets : elle reste marginalisée et sans travail. Il développe la militarisation internationale, et quand un peuple devient un obstacle pour lui, il l'élimine.

Cette Rencontre a permis de constater que le néolibéralisme porte préjudice non seulement aux peuples des pays sous-développés, mais aussi à ceux des pays avancés - Japon, États-Unis, Europe. Là aussi, il y a de graves problèmes de chômage, d'oppression et d'inégalités.

Seul un effort global peut arrêter la globalisation néolibérale. Pour cela, nous avons formé des comités de résistance contre le néolibéralisme. Cette Rencontre se propose de trouver des façons de continuer à additionner nos forces dans cette lutte internationale. Ceci implique la création de réseaux d'information qui fassent connaître les formes de résistance, qui donnent l'alarme en cas de répression et appellent à la solidarité quand elle est nécessaire.

B. Nouvelles et vieilles identités

Les "Indiens" du monde entier

Indiens et non-Indiens,

nous sommes tous frères

Notre identité est composée de beaucoup d'identités. D'histoires différentes qui ont une mémoire ou qui cherchent à la récupérer pour construire de nouveaux futurs avec de vieux souvenirs. À partir de nos différences, il faut fabriquer de nouveaux petits morceaux d'espoir, pour que, nous les hommes de toute la planète, nous nous rencontrions et parvenions à chasser la tristesse, l'indifférence, l'injustice et les souffrances de cette planète où nous vivons. Les nombreuses identités, qui auparavant nous séparaient – et nous séparent encore –, peuvent devenir aujourd'hui semences, cueillette et aliments, paroles et action. Dans cette première Rencontre, nous avons commencé à construire un chemin pour y cheminer ensemble et à préparer la terre pour y faire pousser nos idées, notre pensée à la recherche d'un monde plus digne, plus juste, où nous ayons tous notre place.

Avec nous, il y avait les commandants de l'EZLN Ismael, Ernesto, Rolando et Yolanda, et 46 camarades de 13 délégations ont participé aux sessions.

Nous avons constaté qu'il y a beaucoup d'identités : les millénaires, les ethniques, les territoriales, les culturelles, toutes fondées sur les racines et les ancètres. Toutes luttent pour être respectées : les Mohawk d'Aztlán – un peuple xicano –, les Yaquis, les Lakota, et les Sioux du nord de l'Amérique, qui s'orientent par l'eau, le soleil et le feu. Les peuples indiens mexicains, comme les Wixárika de Jalisco, les Nahua de Veracruz et Puebla, les Zapotèques de Oaxaca, les -hañhús de Querétaro. Tous, envahis par des groupes de puissance dont le signe de reconnaissance est l'argent, subissent répression et humiliation.

Nous avons aussi parlé d'autres identités, comme celle des gitans itinérants, persécutés depuis des siècles et qui, quoi que sans cesse chassés du "paradis", aiment leurs fils et leurs filles, respectent leurs anciens, suivent leurs propres lois et leurs propres cultes, défendent et aiment leurs chants et leurs danses, qui les maintiennent unis. Nos frères gitans sont, peut-être sans le savoir, l'un des peuples qui résiste le plus au néolibéralisme.

Nous avons écouté des sœurs et des frères de Grèce, de Belgique, d'Allemagne, de France, d'Italie, du Japon, du Nicaragua, des États-Unis, d'Espagne, du Canada, de Suisse, du Mexique, convoqués par les zapatistes pour nous parler et nous faire des propositions, pour nous donner un souffle d'espoir.

Nous avons fait la connaissance d'hommes et de femmes rebelles qui réclament et qui cherchent un style de vie différent. Ils et elles sont disposés à résister aux côtés des peuples opprimés – indiens ou non – contre les abus des gouvernements sans cœurs, et à appuyer de façon généreuse et solidaire leurs causes. Des hommes et des femmes rebelles qui ont manifesté leurs convictions de récupérer, au-delà de toute identité, l'identité humaine. Une identité qui rende les êtres humains frères de la nature, des plantes, des pierres, des animaux, de notre mère la Terre, dans nos maisons, nos villes, au sein de tous les peuples et tous les pays. Une identité, enfin, qui se manifeste par un monde où ce n'est pas l'argent qui commande.

Diverses interventions nous ont permis d'approcher le thème

La camarade Carla, représentante du Clan des Ours, de la nation mixtèque nous a dit : "Mon peuple a une longue histoire. Avant tout contact avec les blancs, venus par la mer, mon peuple avait depuis toujours sa propre culture, sa propre identité, sa propre langue et sa propre religion. Pendant des années, nous avons réalisé des cérémonies en d'autres langues et eu des contacts avec d'autres peuples, connus aujourd'hui comme les Canadá. Les blancs, dans leurs bateaux, ont apporté leurs lois, leurs langues, leurs coûtumes, leur religion ... et l'alcool. Mais ils n'ont pas apporté de terres avec eux. Ils nous ont fait sentir que nous étions inférieurs. Ils nous ont dit que nos langues étaient inférieures. Ils nous ont dit que nous étions païens si nous n'adorions pas leur Dieu. Pour nous achever facilement, ils ont voulu nous faire semblables à eux. Mais notre peuple a résisté jusqu'à maintenant. Nous avons toujours en nous-mêmes ce que nous sommes. Notre flamme ne s'est pas éteinte."

Elle a raconté comment ses ancêtres avaient passé un accord au moment du contact : un ruban mauve avec deux lignes parallèles en travers. "La première ligne, ce sont les Européens, leur bateau, leur religion, leur loi. Juste à côté, égale à la première, ce sont les peuples indigènes, du nord et du sud. Nous, nous avions notre canot, notre religion, nos coutumes. Ensemble, nous irions, dans ce bateau et dans ce canot, égaux. Eux n'allaient jamais interférer dans nos manières d'être, et nous non plus n'allions pas imposer notre mode de vie. Cet accord, a-t-on dit alors, continuerait tant que le soleil nous donnerait sa lumière."

Et aux commandants zapatistes elle a dit : "Vous connaissez la direction à suivre, parce que vos aïeuls et les aïeuls de vos aïeuls vous ont donné votre histoire et vous ont dit quoi faire. En tant que femme de la nation mohawk, je suis fière d'être ici, face à vous. Parce que le feu est fort dans le peuple zapatiste. C'est le moment de cheminer ensemble, peuple de ces terres, indigènes du nord et du sud ; ce n'est qu'ainsi que nos enfants pourront survivre pour les sept générations à venir."

Ses paroles disaient : cheminer ensemble, Indiens du nord et du sud, dans l'équité et le respect de l'autre – l'Occidental, le blanc –, mais à distance, sans interférence, sans lien ni relation.

La question : Indiens du monde entier ?

Karine, une camarade belge, nous a parlé des peuples européens : "Le capitalisme et le néolibéralisme n'ont pas toujours existé en Europe. Ils n'ont pas non plus été imposés aux peuples européens de manière pacifique. Le processus de soumission a commencé pendant la Renaissance, au XVIe siècle, juste au moment où les Européens partaient conquérir les Amériques. À cette époque existaient de fortes traditions de magie, de religion et de mythologie, des formes diverses de connaissance qui ont été réprimées et persécutées. Cette persécution a causé des millions de morts aux XVIe et XVIIe siècles. Des persécutions contre les femmes, que l'on appelait "sorcières", "ensorceleuses", persécution contre les "mages", hommes et femmes qui, eux aussi, connaissaient l'importance de notre mère la Terre.

Elle a expliqué que les derniers vestiges de cette culture étaient encore dans sa propre chair. Aujourd'hui en Europe, les gens commencent à se rendre compte que les racines de leur résistance sont vraiment très profondes. Elle a ajouté : "Je suis ici pour apprendre des peuples indigènes. Pas pour être indigène, mais pour apprendre à connaître les signes qui peuvent guider nos pas vers nos propres racines, qui peuvent nous aider à nous reconnaître dans notre mère la Terre."

Nous avons commencé une discussion profonde sur le concept d'indentité dans le contexte des luttes sociales et politiques. Nous sommes arrivés à quelques points d'accord et à des sujets de réflexion.

"Qui est Indien, et qui ne l'est pas ?" a demandé Bill, un représentant des Indiens d'Amérique du Nord. "Peu importe celui qui a lancé la première étincelle de la lutte, si la lutte est juste. L'indigène appartient à la terre, et la terre appartient à l'indigène. L'homme blanc n'a pas créé la toile d'araignée de la vie, il en fait seulement partie. Ce qu'il inflige à la toile d'araignée, il se l'inflige à lui-même."

Un camarade de l'État de Jalisco, Antonio, un Wixárika – que la colonisation appelle à tort un 'Huichol', expliqua-t-il – nous conta que ni l'héritage de son passé, ni ses racines n'étaient perdus : "Dans mes trois communautés, Santa Catalina, San Andrés et San Sebastián, nous souffrons de beaucoup de choses : les invasions, les persécutions, la prison. Depuis la conquête jusqu'à aujourd'hui, il n'y a pas eu de changement, mais nous, nous avons préservé nos coutumes. Celui qui a conservé sa culture et parle sa langue maternelle peut se considérer comme Indien."

Roberta, une Italienne, prend la parole pour demander à son tour "Qu'est-ce que l'identité ?" Elle préfère parler d'identités faibles et d'identités fortes, plutôt que d'identités culturelles ou ethniques : "Les communautés indigènes, les femmes, les travailleurs sont faibles, économiquement, politiquement et socialement. Cela s'oppose aux identités fortes et dominantes qui s'appellent FMI ou gouvernements. L'unité des identités faibles doit s'opposer aux identités fortes. Je vois en l'unité un processus, non un but. Il n'existe pas de races pures, le discours sur les races pures ne nous intéresse pas. Ce qui nous intéresse, ce sont les identités qui se revendiquent dans un processus qui respecte les différences et l'égalité des droits pour tous."

Un jeune Français d'origine basque – peuple qui a clairement montré qu'il luttait contre le néolibéralisme – a affirmé : "Notre lutte s'oppose à la création des frontières, qui ne servent qu'à eux et ont fait se perdre les valeurs culturelles de l'Europe. Le néolibéralisme a dépossédé les propriétaires originaux de la terre, source de la force, la dignité et la cohésion des peuples. La terre doit devenir un point essentiel de la lutte des peuples. Ceux-ci doivent chercher une nouvelle éthique, hors de la logique néolibérale."

Tandis que plusieurs intervenants indiens insistaient sur notre mère la Terre, élément essentiel de leur identité, d'autres refusèrent de limiter la notion d'Indien à cette relation.

Certains Européens s'identifiaient avec les luttes de peuples indiens, car leurs luttes sociales avaient montré combien le néolibéralisme est néfaste aussi sur ce continent. Bien que la relation directe avec la terre ne soit pas perçue en Europe, ils voient dans les luttes zapatistes une source d'inspiration et revendiquent la possibilité "d'être Indien sur sa propre terre", "zapatiste dans son propre pays", comme l'a dit Athenea, venue de Grèce.

Unité et diversité

Est-il légitime de parler de LA culture indigène quand on découvre l'énorme diversité des peuples indigènes et de leurs cultures ?", s'est demandé Giulio Giradi, philosophe italien et théologien de la libération.

"L'unité et la diversité des peuples indigènes et non indigènes est décisive au niveau politique pour le futur de notre lutte. Il n'est pas facile de définir les différences entre la culture indigène et la culture occidentale. On ne peut parler de l'apport des indigènes à la culture occidentale si il n'y a pas suffisamment d'unité entre les communautés indigènes.

"Le rejet des célébrations du cinq centième anniversaire de 1492, affirma-t-il, a provoqué l'affirmation d'un point de vue des indigènes rebelles opposé à celui des conquérants d'hier et d'aujourd'hui. Il se fonde sur le droit à l'autodétermination des peuples, il représente un contenu commun à toutes les cultures indigènes rebelles et permet à tous les peuples indigènes d'arriver à une évaluation commune de la civilisation occidentale, à un projet commun d'alternative et à une stratégie commune. Cette convergence se manifeste dans les diverses rencontres continentales de la Campagne 500 ans de résistance indigène, noire et populaire et, en ce qui concerne le Mexique, dans les deux premières rencontres de San Andrés Sacamch'en de los Pobres. D'autres peuples non indigènes d'Amérique et d'Europe ont partagé, lors du 500e anniversaire, le point de vue des indigènes rebelles."

"Son contenu fondamental est de droit à l'autodétermination solidaire des peuples. Solidaire, pour contredire l'idée des impérialistes, qui apparemment acceptent mais en réalité refusent et répriment tous les autres. Solidaire, parce que l'affirmation de l'autodétermination des peuples indigènes ne peut être séparée du droit à l'autodétermination de tous les autres, que nous sommes."

"L'unité profonde, qui commence à se manifester entre les peuples indigènes, surgit au moment même où ils récupèrent leur mémoire."

"La civilisation occidentale a été génocide, colonialiste, raciste et marquée par la violation systématique du droit à l'autodétermination des peuples. Alternative est la proposition des zapatistes qui nous disent : en ce monde, il y a la place pour beaucoup de mondes".

Et Giulio Girardi de préciser : "Cette autodétermination solidaire se convertit en un axe stratégique aux niveaux politique, économique, écologique, culturel, éducatif et religieux des peuples, et c'est en outre le fondement de l'unité culturelle au niveau international, le cours et le flux de tous les opprimés du monde, le fondement et le sens de l'Internationale de l'Espoir."

Il a fini son intervention en disant : "L'unité se trouve dans la pluralité. Nous avons beaucoup à comprendre des cultures indigènes. J'aimerais dire, si les frères indigènes le permettent, que je suis indigène et, si les frères zapatistes le permettent, que je suis zapatiste."

Quant à la camarade Athenea, de Grèce, elle rappela "le point de vue des conquérants d'hier et d'aujourd'hui" : "Si les conquistadors ont jadis dépassé les limites géographiques du monde pour s'emparer des biens des peuples indigènes, les conquistadors modernes, avec leurs multinationales, ont dépassé les limites politiques et économiques du monde actuel pour reconquérir l'humanité. L'attaque néolibérale du capitalisme continue à envahir tous les peuples opprimés du monde. Pour les capitalistes, le 500e anniversaire n'a certainement pas rappelé des choses tristes, ni considéré les conséquences d'un immense génocide qui continue de nos jours, mais, avec le néolibéralisme, il a donné le départ d'une nouvelle étape d'extermination, de domination dans le but d'accumuler davantage de pouvoir et de richesses entre leurs mains.

Souveraineté et autonomie

Koba, un Japonais, a raconté qu'au sud de son pays, il y a des indigènes – les Chinan – qui ne sont pas reconnus : "Leur territoire a été occupé par des bases militaires des États-Unis. Ils veulent être reconnus comme peuples indigènes, mais ils sont craintifs. Ils ont perdu leur collectivité en occultant leur identité. À Tokyo une association s'est créée pour obtenir la reconnaissance de leur autonomie et de leur identité, et pour défendre leurs ressources naturelles. Le gouvernement ne les reconnaît pas."

Nous avons écouté une voix du Nicaragua : "Je ne veux pas parler des Indiens de la zone atlantique, mais de ceux de la partie occidentale. Ils avaient des terres. Ils ont appuyé par les armes la lutte sandiniste parce que le gouvernement de Somoza ne respectait pas leurs droits et que les Sandinistes le faisaient. Ils ont obtenu une certaine autonomie au moment du triomphe de la révolution, mais elle est restée sur le papier. Mais leur lutte continue au-delà des lois et des projets du moment."

Sur ce thème, le camarade Giulio est intervenu pour dire que quand les indigènes se reconnaissent comme tels, la collectivité le fait aussi. Si un peuple ne se reconnaît pas lui-même, il le sera d'autant moins par le gouvernement. Certains peuples indigènes ont obtenu qu'une certaine autonomie soit inscrite dans la Constitution. Mais il est important que leur lutte continue au delà des lois : la souveraineté nationale est liée à la souveraineté autonome et communautaire des peuples.

Autonomie régionale, souveraineté nationale ? Un camarade mexicain a expliqué : "S'il n'y a pas de souveraineté nationale, on n'arrivera jamais aux autonomies. C'est le cas de la totale dépendance du gouvernement mexicain par rapport aux gringos."

Tomás, du peuple ñhañhu, nous a raconté qu'il existe un tronc, une racine commune entre les peuples de quatre États mexicains, Querétaro, Veracruz, Estado de Mexico et Hidalgo. "Le gouvernement nous opprime, mais nous sommes un seul peuple. Personne n'a le droit de mettre des limites à notre pensée et à nos paroles. Nous voulons nous épanouir librement. Notre idée est de créer une nation plus juste pour tous. Les accords de San Andrés sont une porte ouverte pour cette nation. Partageons les rèves zapatistes !"

La libre détermination doit clairement inclure les domaines politique, économique, culturel et social, affirme le camarade Alejandrino, de Veracruz : "Il faut échanger des expériences, confronter les héritages des colonialistes, les langues propres et étrangères, les propriétés privée et communautaire, les traditions culturelles. Il est urgent de revaloriser nos propres langues. Aucune langue ne doit se considérer comme supérieure aux autres. Luttons pour une nouvelle Constitution pour tous."

Les liens communs

Nous avons été d'accord que les différences entre les êtres humains, c'est-à-dire leurs langues et leurs coutumes, ne doivent pas rompre les liens qui unissent les peuples, en particulier les peuples exploités. Cette discussion a conclu qu'il fallait étendre aux immigrants, aux femmes, aux travailleurs, aux homosexuels et aux autres groupes opprimés la notion "d'être indien".

Carmen, une camarade mexicaine a lu son exposé intitulé "Les femmes indiennes, ou comment faire naître et croître la véritable parole". Elle nous a dit : "L'abus du vieux système stupide a créé un monstre qu'il est maintenant impossible de cacher à nos yeux, comme il est impossible de cacher le chapelet de mensonges qu'il a inventés. On a exposé les problèmes dus au monstre. On a dit qu'il fallait discuter, mais cela est rendu difficile à cause des langues multiples et des conceptions distinctes d'un même mot. Les femmes, avec leurs mots, ont créé un pont entre le présent et le futur des peuples. Elles ont été les principales guerrières dans la lutte pour la préservation de l'esprit de communauté. L'apport des femmes est la construction de l'espoir. Les hommes meurent pour une cause, les femmes vivent pour elle ! Les femmes maîtrisent la tâche la plus ancienne qui soit : garder la parole et l'histoire de leurs peuples, c'est-à-dire conserver leur vie".

Que les différences s'expriment librement

Au sujet du droit à l'identité, on s'est souvenu que les États nationaux ne connaissaient que l'identité unique de leurs membres, de leurs "citoyens". C'est sur cette base qu'ils répriment les diversités ethniques et culturelles. On parle d'une identité commune à tous les hommes, mais il faut dès le départ reconnaître différentes identités (sociales, culturelles, sexuelles, etc.) ; sinon, on fournirait à l'État une arme justifiant l'intégration et l'annexion.

Plusieurs interventions ont défendu l'idée que "nous, les indigènes, nous ne pouvons dépendre de gens venus d'ailleurs." Par exemple, face à la proposition de soutenir les Dix ans internationaux des peuples indiens, à l'ONU, plusieurs voix se sont élevées :

"À l'ONU, il n'y a pas de représentant des peuples indigènes. Ce n'est pas notre organisation. L'ONU représente les États-nations et veille sur l'intérêt des puissants. Par peur, les gouvernements éludent ce thème. Nous avons eu des représentants à Genève, mais nous savons que le Canada a défendu l'idée que l'on ne nous accepte pas comme nation. Tout au plus veulent-ils nous reconnaître comme Organisation non gouvernementale. Mais ça, nous ne l'acceptons pas : nous avons notre propre gouvernement !"

Giulio Girardi, qui avait fait cette proposition, observa : "Vous croyez qu'il n'est pas opportun de soutenir les Dix ans internationaux des peuples indiens, mais il y a des nations indiennes qui souhaitent provoquer une évolution démocratique de l'ONU pour obtenir la reconnaissance de leurs droits d'hommes. Cette logique cherche à rendre l'humanité consciente des droits et des bienfaits que les peuples indiens peuvent apporter à cette civilisation, qui va si mal. Et souvenez vous aussi qu'il y a beaucoup d'États membres de l'ONU, qui ont refusé de ratifier les Dix ans ."

Les identités sont diverses et ont des histoires

Nous avons affirmé que la rencontre entre diverses identités supposait une reconnaissance du droit à la diversité. Pour les peuples indigènes, aujourd'hui, ceci est prioritaire dès que l'on parle d'identité commune.

La construction d'une nouvelle identité constitue un processus de lutte par lequel nous nous identifions à des éléments de cultures propres ou étrangères ; ces éléments font partie de notre connaissance du monde et ils permettent de conclure qu'en cette fin de siècle, nous avons un ennemi commun qui exclut de ses projets des millions d'êtres humains et s'oppose à la création de cette nouvelle identité.

"La terre, l'air, notre peuple – hommes, femmes, enfants, vieillards – font partie de notre identité. L'identité n'est pas statique, elle vit et se nourrit de nos expériences ; elle part de notre mère la Terre, mais nous la portons en nous. Ici, à La Garrucha, village de Francisco Gómez, les brumes, le paysage et la population fraternelle – cet Aguascalientes construit de bois, de clous et de générosité – font déjà partie de notre identité."

"Quand les zapatistes nous ont convoqués, ils n'avaient pas l'idée que, tous, nous nous transformerions en Indiens - commenta un camarade mexicain - parce que dans ce monde, il y a place pour beaucoup de mondes. Il nous faut nous assumer tels que nous sommes, comme partie de notre passé et de notre futur."

Les zapatistes et le monde

"La contribution de la lutte zapatiste aux peuples du monde, nous dit la camarade Athenea, de Grèce, est énorme : les zapatistes insurgés ont des racines profondes dans les communautés et portent des valeurs vivantes ; ils ont démontré au monde que les indigènes ne sont pas ces figures pittoresques du passé qui méritent la philanthropie, mais des personnes qui luttent et résistent avec dignité, capacité et courage. Avec leurs projets et leurs initiatives pour la société mexicaine, ils nous ont fait voir que leur lutte concerne non seulement les indigènes mais tous les Mexicains opprimés. Ils ont montré qu'un changement réel de vie pour les indigènes n'était pas possible si la société dans son ensemble ne changeait pas de cap. Le chemin n'est pas la prise du pouvoir, mais l'auto-organisation horizontale et la force de la résistance collective. La lutte est internationale, et non partielle, et la liberté ne peut exister pour les uns si elle n'existe pas pour tous."

Le mouvement zapatiste nous fait nous rappeler que la véritable identité de tous est celle qui nous rend identiques, mais différents. Il y a plusieurs formes d'organisation et de lutte, il y a des différences, mais les aspirations et les valeurs sont communes. Nous avons appris que l'alternative était réelle et que, Indiens ou non-Indiens, nous avions un projet. Pour faire face au futur néolibéral, il est possible de construire des futurs différents, respectueux les uns des autres.

Il convient d'avancer dans la construction d'une identité plus grande, une identité formée de beaucoup de petites identités, nées de la volonté de tous et de toutes de lutter pour un monde plus juste et meilleur, sans exploitation ni répression, sans discrimination de race, de sexe ou de classe. Une nouvelle et grande identité mondiale contre le néolibéralisme et pour l'humanité.

Si dans ce monde, il y a place pour beaucoup de mondes, dans l'identité zapatiste, il y a place pour beaucoup d'identités, d'espoirs et de destins.

QUELQUES CONCLUSIONS ET PROPOSITIONS

Le temps s'achevait mais en même temps, c'était le début. C'était aussi le début de l'heure zapatiste – l'heure du Sud-Est, l'appelle-t-on –, une heure qui prend en compte l'avant et l'après, la nature et la sagesse, la pluie et le soleil ; les communautés, qui après trois jours commençaient à nous connaître, nous préparaient une savoureuse nourriture version "zapatiste" ou version "néolibérale". Les sœurs indigènes parées avec soin de coiffures et de robes pleines de beauté, d'amour et de dignité. Les frères indigènes dansant en musique dans les flaques d'eau : habilité et joie d'hommes véritables. Comment s'acquiter de tant de générosité ?

Beaucoup de doutes sont restés, pour y penser dans les hamacs et les sacs de couchage. Beaucoup d'inquiétudes, d'émotions et d'espoirs.

Nous sommes arrivés à la conclusion que nous devions chercher et trouver une identité fraternelle entre tous les êtres humains et avec toutes les formes de vie. Ensemble, nous devons protéger notre mère la Terre, sans oublier cette composante spirituelle, ces liens qui nous permettent d'affronter le système néolibéral qui attente contre l'humanité. Nous avons eu un dialogue sincère, fondé sur le respect des identités et des diversités de chaque nation et de chaque façon différente d'agir et de penser.

Créer une internationale contre le néolibéralisme

et pour la défense de l'identité humaine.

Une des propositions, que toutes les tables attendaient, est venue d'une Italienne, Silvia. Elle nous a invités à créer dès à présent un point de rencontre de référence pour que, rentrés dans nos pays, nous puissions maintenir le contact dans tous les sens. Les peuples européens pourraient faire un apport aux peuples indigènes, créer un fonds, dénoncer les situations injustes, diffuser l'information. Ce point de contact servirait aussi à échanger des idées et des réflexions sur les problèmes de tous. Cette initiative nous a amenés à soutenir la création d'un Réseau international contre le néolibéralisme et pour la défense de l'identité humaine.

Pour chaque pays, une clinique zapatiste

Le camarade Tony, un indigène yaqui, a proposé que les différents pays aident à installer des cliniques dans les huit régions du Chiapas et leur procurent les équipement médicaux. Des commissions pourraient mener à bien cette tâche, et contribuer ainsi au bien-être des bases d'appui des zapatistes. Ce serait aider à la santé, ici où est née la fleur de l'espoir zapatiste qui a touché le Mexique et le monde entier.

Aider à la médecine traditionnelle

Face à la médecine pratiquée au sein du système néolibéral – qui laisse de côté la grande majorité des hommes, et dont la seule valeur est l'argent – nous proposons de développer dans ce Réseau la médecine traditionnelle et spirituelle. Appuyer toute médecine qui surgit de la base, qui n'est pas assujettie au commerce mais ouverte sur l'histoire, la connaissance et l'expérience, fondée sur la compréhension et l'amour.

Invitation des frères zapatistes à la Cour suprême des nations primitives

Carla, de la nation mohawk, lança une invitation aux frères zapatistes, pour qu'ils assistent à la deuxième session de la Cour suprême des nations primitives, une Cour totalement indigène. Elle rapporta son expérience de la première session. : "Des chefs de différentes régions étaient venus à notre territoire, pour partager des témoignages. Il y avait des Néo-Zélandais, des aborigènes d'Australie, des Chicanos et un représentant maya. Le premier jour, les chefs appelèrent vers les quatre points cardinaux. Tous racontèrent les injustices commises contre leurs peuples par les différents gouvernements. On se mit d'accord pour juger le Canada, le Mexique et les États-Unis pour les injustices commises."

Elle ajouta : " En octobre se tiendra la deuxième session et nous voulons inviter l'EZLN à y participer. Nous comprenons qu'il vous est aujourd'hui difficile de sortir de votre territoire et que les coûts sont élevés. Il y a la possibilité, si vous le voulez, que cette session se tienne ici-même."

Deux souhaits

Que tous ceux qui le souhaitent puissent être déclarés "Indiens du monde".

Que se concrétise ce qui prend forme, que se respecte ce qui s'accorde.

Nous devons lutter pour que la semence révolutionnaire que les zapatistes ont semée dans nos mondes et dans nos cœurs, nous donnant un nouveau souffle de vie et d'espoir, croisse sans cesse pour que nous luttions comme des hommes vrais. Nous ne pouvons permettre que le système néolibéral dessèche cette semence avec tous ses moyens de destruction. C'est à nous tous de veiller sur elle.

À la fin des travaux de cette table, le commandement zapatiste, par la voix du camarade Rolando, nous a dit : "Frères et sœurs, nous vous remercions de l'effort que vous avez fait pour arriver jusque sur cette terre zapatiste ; on voit à cela que le monde pleure pour la grande injustice qu'il porte. Maintenant nous savons que les causes de la lutte sont communes aux zapatistes et au monde entier. Nous devons en tirer un grand accord. Nous n'aurions jamais pensé que cette proposition de Rencontre intercontinentale ait la réponse que vous lui avez donnée. Avant, nous vivions parmi les singes ; maintenant, nous savons que nos frères blonds luttent à nos côtés. Aujourd'hui, vos femmes s'habillent de pantalons ; les nôtres en feront peut-être autant demain ; l'important est que nous continuions ensemble. J'espère que nous sortirons avec succès de ce gros effort, que nous serons des femmes et des hommes cherchant la force pour lutter et que nous ferons parvenir notre message à ceux qui sont plus exploités que nous. Il faut continuer le travail pour en récolter les fruits. Nous, nous sommes disposés à continuer, disposés à travailler."

C. Des murs divisent la planète :

exil et émigration

À cette table, les travaux ont commencé en présence des commandants Gabino, Eloïsa, Eduardo et Pablo, représentant l'EZLN. Des participants venus de France, du Canada, d'Italie, d'Allemagne, d'Espagne, d'Argentine, d'Uruguay, des États-Unis et de la communauté des Chicanos ont échangé idées et réflexions sur le problème de l'émigration et de l'exil à partir de leurs expériences, leurs analyses, leurs positions et leurs actions dans leurs lieux d'origine.

Le dialogue a commencé avec un exposé de Pierre Beaucage, un anthropologue canadien, sur "La condition indigène et la solidarité avec le Chiapas". Sa thèse principale est que, bien malgré lui, le néolibéralisme crée les conditions de la solidarité indigène. Une fois effacée la division des peuples indiens d'Amérique héritée de la période coloniale, ceux-ci se rendent compte qu'ils ont un destin commun, et ils peuvent développer la solidarité et créer les conditions d'un mouvement indigène.

JE DEMANDE L'ASILE

On nous a exposé l'urgence d'amplifier le concept de droit d'asile et de le penser, non pas du point de vue restrictif de la Convention de Genève, mais en un sens large, comme le droit de tous les peuples – et pas seulement indigènes – à l'asile – et pas seulement politique. Il faut rendre plus souple le droit d'asile pour qu'il inclue également l'asile économique, par exemple. Comme le néolibéralisme classe les personnes en possèdantes et non-possèdantes, le droit à la santé, à l'éducation, à l'alimentation et au logement devrait à lui seul justifier le droit d'asile au même titre que les répressions massive contre un peuple indigène. Aux États-Unis, ni l'ethnocide ni l'extermination culturelle ne donnent droit à l'asile.

Ce droit est aussi refusé aux populations 'déplacées', sans État ou pourchassées par les escadrons de la mort. Et si la guerre est parfois reconnue comme motif d'asile, ce n'est pas le cas des conséquences de la guerre, comme la pauvreté.

Néanmoins, d'un autre côté, on a expliqué que le droit d'asile peut devenir un emplâtre qui cache le problème fondamental de la persécution politique, sans y apporter de solution. Remplacer la catégorie de "réfugié politique" par celle de "réfugié économique" serait, dans bien des cas, la négation du caractère politique de la demande d'asile.

Politiques d'asile et d'immigration

dans les pays développés

Les pays développés européens ne refusent pas le droit d'asile, mais comme ils ne peuvent assumer les flux d'immigrants, ils accordent "une aide au développement" aux pays pauvres, afin que ceux-ci acceptent de garder leurs populations sur leurs territoires. C'est le cas de beaucoup de pays d'Afrique. Le gouvernement italien facilite l'entrée de réfugiés d'ex-Yougoslavie, mais il les enferme dans des camps. Le droit d'asile se transforme en une arme à double tranchant, et seule la générosité d'individus ou d'ONG permet d'aider ces réfugiés.

On est tombé d'accord sur le fait que le droit d'asile ne résout pas tout le problème, et qu'il faut lutter pour des changements internes et profonds afin que les gens ne meurent pas de faim dans leurs propres pays et ne soient pas obligés d'émigrer. Dans d'autres cas, l'émigration signifie l'expulsion.

Droit à la libre circulation

On a insisté sur le fait que pouvoir se déplacer et s'établir où on le souhaite est un droit humain fondamental et universel. On ne peut obliger personne à abandonner son pays, mais on ne peut pas non plus empêcher quelqu'un de s'installer dans un autre. Ouvrir le droit d'asile est une façon de s'opposer à la fermeture des frontières, phénomène qui s'amplifie à cause du problème que représente pour les pays développés le flux migratoire engendré par la misère produite par le néolibéralisme. Pour pallier ce problème, les gouvernements établissent des contrôles toujours plus sévères aux frontières et appuient financièrement les dictatures, afin que ce soit elles qui répriment leurs ressortissants (voir le cas du Maroc). Les manœuvres politico-militaires des grandes puissances contribuent à ce qu'éclatent des guerres intestines, qui provoquent des exodes massifs (voir le Rwanda et le Burundi). En pratique, seuls quelques-uns profitent du droit à la libre circulation, et ce sont principalement ceux qui détiennent le monopole du capital ; pour les sans-ressources, les frontières se ferment.

Les migrations et l'exil ne sont pas seulement un problème moral et humanitaire. Ils obéissent à des causes économiques, politiques, culturelles et sociales très profondes : les individus n'accomplissent pas un acte volontaire, ils s'y voient forcés et obligés.

FRONTIÈRES ARBITRAIRE S

ET NATIONALISME

Les frontières ont été dessinées pour "nous" protéger des "autres" : elles traduisent des relations de domination, de subordination et d'inégalité. Les réseaux de solidarité, dans leurs nouvelles formes de résistance, franchissent les limites nationales et culturelles et ont commencé à détruire les frontières qui enferment "l'autre" dans des ghettos nationaux ou transnationaux, sous une surveillance et un contrôle démesurés.

Le thème des frontières nous a conduit à celui du nationalisme. On a dit que le pouvoir et l'État font prévaloir le nationalisme pour se fabriquer une justification morale et politique à la fermeture des frontières, accusant "l'étranger" immigrant de tous les maux de la société : drogue, chômage, délinquence, etc.

Le groupe allemand expliqua que, dans la gauche radicale allemande, il y a un consensus sur le thème des frontières : "on n'en veut pas". Le nationalisme intervient en début et en fin de chaîne de l'exil : l'expulsion des minorités pour raisons économiques ou par pur racisme est l'une des causes de l'exil ; les exilés n'ont ensuite aucune possibilité de se sentir chez eux. Ils n'ont droit ni au travail, ni au logement et sont concentrés par les autorités dans des camps de réfugiés, quand ils ne sont pas directement déportés. Les immigrants qui restent en Allemagne sont obligés de se réunir dans des ghettos : ils sont rejetés par les citoyens allemands et se sentent mieux dans des quartiers où vivent leurs compatriotes : il y a un quartier pour les Turcs, un quartier pour les Yougoslaves. Ils sont l'objet de fréquentes attaques racistes, fondées sur des arguments nationalistes de xénophobie et de racisme des skin-heads. Le nationalisme allemand a toujours été négatif, il a toujours servi à exclure et à discréditer des personnes d'autres pays, d'autres cultures, d'autres couleurs.

Cet exposé a suscité un grand nombre de réflexions, de questions, lde récits d'expériences personnelles à propos du racisme, jusqu'à des considérations théoriques sur ce concept. On a dit qu'au Mexique – pays de grand orgueil nationaliste – il existe une discimination envers les indigènes : l'État est raciste. Les seuls non racistes au Mexique sont les indigènes, qui écoutent et apprennent de tous. Le cas d'exil le plus grave actuellement au Mexique est celui de la population de Guadalupe Tepeyac, Chiapas, qui a été expulsée par l'armée et a dû se réfugier dans la montagne.

On a signalé que, partout, le racisme est toujours un produit du nationalisme, mais qu'il est aussi lié à l'économie. Dans les pays occidentaux, ceci a pour effet que les pauvres du pays excluent les immigrants, qui sont encore plus pauvres qu'eux.

Le nationalisme comme résistance

et l'internationalisme

La discussion a montré que la nationalisme est profondément ambigü. Il n'existe pas dans l'absolu et, s'il y avait un respect mutuel, il n'existerait pas. Il surgit quand il y a des conflits sociaux ou économiques. Le nationalisme revendicatif et positif de l'opprimé, de celui à qui l'on refuse ses propres droits, est positif. Quand il signifie l'affirmation de sa propre identité face à la domination d'autres, c'est un élément progressiste d'émancipation ; c'est le cas pour les Kurdes, les Palestiniens, les Basques. Le nationalisme consiste alors à défendre des particularismes menacés de l'extérieur. Il serait alors à opposer à l'internationalisme, au sens de valeur centrale. Il lutte pour la défense des différences, la revendication de la diversité qui enrichit, il se réclame de l'histoire et fait entendre les voix "des autres".

Face à l'ambiguïté du mot nationalisme, nous avons essayé de définir le mot nation, qui a une connotation différente selon l'origine, l'histoire ou le comportement. Le terme d'État-nation pose problème dans les cas où il n'y a pas de démocratie, c'est-à-dire quand les gouvernants ne représentent pas les peuples qui constituent la nation. On nous a dit que le verbe "capituler" n'existe pas en tzeltal, parce qu'il implique une soumission. Que dire alors du mot "nation", en son sens de conflit et d'oppression ?

Pour définir le nationalisme, on a proposé "forme d'identité culturelle d'un groupe revendiquant un pouvoir d'État". L'élément 'pouvoir' permet de le qualifier d'agressif ou de défensif. Quelqu'un d'autre a soutenu que le nationalisme était l'auto-identification artificielle d'un État ; par exemple, malgré le nationalisme, un Mexicain du nord est différent d'un Mexicain du Sud. Mais l'identification culturelle est bien plus vieille que les frontières nationales, même si l'une et l'autre sont le résultat d'une construction.

Quelques participants ont été surpris d'entendre pour le première fois l'hymne mexicain à Oventic, territoire rebelle, au sein d'un pays qui opprime ses propres peuples indigènes. Cet exemple du zapatisme a permis de mesurer les dimensions du mouvement indigène : au Canada et aux États-Unis, les indigènes mohawk revendiquent l'existence de leur propre nation, et même de leurs propres passeports. Ils aspirent à un pouvoir d'État. Au contraire, le zapatisme ne se définit pas comme un mouvement ethno-nationaliste. Sa base est multi-ethnique : Tzeltals, Choles, Tzotzils, Tojolabales, métis, nous sommes tous mexicains, aucun n'est supérieur ou inférieur aux autres. C'est un mouvement de classe, de gens pauvres, son nationalisme se réfère au Mexique. En outre, son comportement est politique : il propose un système social et politique différent, une certaine façon d'administrer les communautés sociales. Le zapatisme est donc une identité compatible avec l'identité mexicaine. C'est un mouvement accueillant et flexible, qui montre que le nationalisme n'est pas la seule option pour les mouvements sociaux.

Le nationalisme, même acceuillant, implique l'existence de frontières. Si l'on pouvait circuler librement d'un pays à un autre, qu'adviendrait-il du nationalisme ? Qu'est-ce qu'une frontière ? Si celles découlant des cultures et des langues sont naturelles, celles imposées par les gouvernements sont inacceptables. Le capital et les riches n'ont pas de frontière, seuls les pauvres en ont. Les frontières sont des armes pour contrôler les populations, non des limites entres identités. Les nationalismes imposent des frontières armées, des barrières aux migrations.

Néanmoins, on a constaté qu'une critique du nationalisme, phénomène d'exclusion, conduisait à une critique des frontières. Or le néolibéralisme est, lui aussi, opposé aux frontières. Il faut donc faire attention : la critique des frontières peut être récupérée par le pouvoir. Certes, le néolibéralisme prétend éliminer les frontières pour le capital et la circulation des marchandise, tout en interdisant la circulation des personnes. L'Alena, par exemple, n'autorise pas la circulation des travailleurs entre économies très dissemblables, comme celles du Canada, des États-Unis et du Mexique.

En plus de renforcer les frontières externes, le néolibéralisme crée des frontières internes entre classes et entre personnes, entre les travailleurs pourvus d'un emploi et les travailleurs précaires, isolant les chômeurs et le secteur informel de l'économie. L'État établit qui appartient à "la vraie nation", utilisant un concept d'exclusion arbitraire. Cette idée est inculquée aux gens eux-mêmes, pour qu'ils fassent eux-mêmes la police. Nous avons conclu que ce qui est problématique, c'est l'État et son nationalisme, non la nation.

Face à cette tendance nationaliste, nous avons proposé un concept globalisant, où la nation est la reconnaissance d'une histoire, d'un héritage culturel partagé avec d'autres. L'identité culturelle doit être l'expression de la diversité, et non le synonyme de nationalisme.

QUE FAIRE POUR QU'EN CE MONDE

BEAUCOUP DE MONDES AIENT LEUR PLACE ?

Tout ce qui précède va dans le sens d'un projet alternatif au modèle de la société néolibérale. Le futur auquel nous aspirons est un futur où les peuples conservent leurs identités culturelles, leurs coutumes et leurs modes de vie. Qu'il y ait diversité, mais que la diversité enrichisse. Dans cette société future, les États actuels et les armées n'ont pas leur place.

Les identités culturelles différentes peuvent vivre les unes à côté des autres, effectuant tous types d'échanges, sans que s'interposent frontières et armées. Ce monde que nous forgeons n'est pas pour aujourd'hui, ni pour demain, mais il importe que nous en posions les bases. Des propositions comme la libre circulation des personnes d'un pays à l'autre pourraient affaiblir le système néolibéral.

Nous sommes impuissants à résoudre les graves problèmes des réfugiés et des émigrés ; ceci montre la nécessité de créer ou de recréer des réseaux collectifs pour transformer ce monde et sortir de l'impuissance et des désillusions. Ces réseaux sont de nouvelles formes de résistances franchissant tout type de frontière nationale ou culturelle.

Reprenant la discussion initiale, nous avons insisté sur le fait qu'il fallait profiter de l'espace que, malgré lui, le néolibéralisme a créé. Un excellent exemple est l'emploi du réseau Internet par le zapatisme, pour que la solidarité internationale empêche la répression. Il ne faut pas se laisser décourager par les vents contraires qui soufflent aujourd'hui. Le zapatisme a su faire connaître sa lutte dans le monde entier.

CONCLUSIONS

Après quatre sessions de trois heures chacune – où nous avons parcouru le chemin de l'exil et de l'émigration, et manifesté le désir d'en finir avec les murs qui séparent les pays et les citoyens –, nous sommes arrivés aux conclusions suivantes :

1 – Face à la condition d'exode massif de peuples et d'individus émigrés, exilés, déplacés, nous déclarons urgente une convention internationale qui amplifie la Convention de Genève, qui reconnaisse le droit universel à l'asile, non seulement pour motif politique, mais aussi pour motif économique et écologique, avec toute la protection que la notion d'asile implique.

2 – L'État néolibéral n'assumant pas ses responsabilités de protéger les communautés et les individus, nous réclamons le droit des groupes, des organisations sociales, civiles, politiques et d'autres types, de donner l'asile, de protéger et d'informer les immigrés, les exilés et les déplacés, exerçant ainsi leur liberté et leur autonomie, sans que ces actions aient à être approuvées par les États formellement constitués.

3 – Face à la situation actuelle, produit du néolibéralisme, où les frontières sont fermées et où les contrôles et la répression des peuples s'accroissent, nous demandons que l'on reconnaisse comme droit de l'homme universel le droit des individus à circuler librement et à s'installer dans les pays qu'ils souhaitent, afin d'en finir avec les frontières qui cherchent à arrêter les flux migratoires.

4 – Face au nationalisme agressif et excluant utilisé par l'État néolibéral, créateur de frontières, raciste et intolérant envers individus et groupes, nous revendiquons une identité culturelle multiple et flexible, expression de la diversité entre groupes humains, richesse des patrimoines culturels propres et forme de vie commune dans le respect mutuel.

5 – La société que nous construisons n'a pas recours aux armes traditionnelles de l'État néolibéral : armée, frontières, idéologie nationaliste, qui impliquent invasions, discrimination et racisme. La société civile que nous construisons doit trouver les moyens d'arriver à ses fins, quitte à les créer si c'est nécessaire.

PROPOSITIONS

Dans nos discussions, nous avons souvent exprimé le désir de faire des propositions concrètes d'actions internationales que chacun pourrait ramener dans son pays et qui seraient importantes, même loin de Aguascalientes.

- Promouvoir des réseaux de solidarité, qui canalisent les dénonciations de violations des droits de l'homme.

- Créer des réseaux d'information-communication-action contre les politiques d'exil et d'expulsion de communautés et de personnes en danger.

- Renforcer les initiatives existantes d'aide aux réfugiés dans toutes les villes où nous vivons.

- Comme certaines émigrations font suite à des désastres écologiques (naturels ou provoqués), il faut promouvoir des actions visant à accroître la conscience écologique globale et permettant le respect de toute forme de vie.

- Dans l'éducation, promouvoir l'intérêt pour les autres cultures et les échanges interculturels.

- Réaliser une consultation internationale, pour donner le statut de droit universel à la libre circulation d'un pays à un autre et à la libre installation dans le pays que l'on souhaite.

- Créer des systèmes économiques alternatifs permettant aux populations discriminées de vivre.

D . Résistance et solidarité. Du local au global

Coutumes communautaires, autonomie, libération nationale,

union des peuples et réseaux des luttes dans le monde.

À cette table ont participé 80 délégués, venus du Japon, de Bulgarie, d'Allemagne, des États-Unis, d'Espagne, de France, d'Italie, du Potugal, du Brésil, d'Australie, d'Argentine, d'Uruguay, du Chili, d'Équateur et du Mexique. Le travail s'est fait en présence des commandants de l'EZLN Fernando, Paciano et Alfredo. Malgré les vols rasant des avions de l'armée fédérale, et malgré une pluie incessante, la table s'est déroulée dans l'enthousiasme et la participation de tous.

RÉSISTANCE ET SOLIDARITÉ

L'ensemble des interventions a montré la grande diversité des formes de lutte et de résistance dans le monde, depuis la forêt de Sherwood jusqu'aux îles du Pacifique.

Les délégations européennes ont décrit leurs luttes comme des résistances "autonomes et non pas inscrites dans la gauche dogmatique" ; dans ce que l'on appelle le Premier Monde, l'expérience du quotidien n'échappe pas aux contraintes du système, mais nous cherchons – ont-ils dit – à ne pas reproduire celles-ci dans notre vie. Le groupe allemand considère que la lutte contre les armes et les centrales nucléaires est une "lutte contre le système" qui a réuni l'ensemble de la population. La lutte contre le patriarcat et le sexisme – dont on sait qu'ils ne disparaîtront pas avec le capitalisme – est une partie fondamentale de la lutte pour la libération. Il faut y ajouter la lutte contre le racisme et contre les lois répressives envers les réfugiés et les immigrés, et le rejet de la montée néofasciste en Europe et aux États-Unis.

Dans les villes des pays développés aussi, l'ennemi est le néolibéralisme ; les formes de résistance peuvent être le boycott ou l'opposition à des organismes gouvernementaux. On a signalé que la résistance pacifique était efficace, car elle peut s'étendre à tous les domaines : l'art, la musique, la presse. On a rapporté l'expérience new-yorkaise de construction d'organisations multiculturelles incluant des gens de beaucoup de pays. Aux États-Unis, le mouvement zapatiste influence les mouvements et les organisations radicales qui, rompant les barrières racistes, construisent diverses coalitions amples et fortes.

En Océanie, la résistance s'étend sous de nombreuses formes : défense du niveau des revenus, conditions de travail, services sociaux. Il y a eu des manifestations massives contre la guerre du Golfe et contre l'exploitation des mines et des forêts. Les nouvelles classes de travailleurs industriels ont appris à utiliser la grève. Il y a aussi eu des luttes illégales et clandestines dans plusieurs îles du Pacifique. Elles sont menées en général par des femmes, des jeunes, des indigènes ou des paysans. La délégation japonaise nous a informé sur la résistance des immigrés latino-américains et sur la solidarité avec les luttes de libération nationale du continent américain.

Bien qu'il n'y ait pas eu de délégué africain, on a évoqué les mouvements de libération au Maroc et en Mauritanie, la lutte des femmes en Algérie, les mouvements sociaux au Mali, les guerres au Libéria, la résistance au génocide au Rwanda et les luttes contre la faim et le sida, qui tuent des millions d'hommes. Le délégué sicilien, qui connait bien ce continent a déclaré : "Comme tous les zapatistes, nous sommes aussi noirs".

En ce qui concerne le continent américain, on a rappelé les mouvements indigènes de cette fin de siècle. On a mentionné qu'au Brésil, plus de cent peuples indigènes se sont organisés en coalitions nationales et régionales pour lutter "contre la tutelle totale du gouvernement sur leur vie". La lutte pour la possession et la garantie des terres est devenue prioritaire, en particulier face aux entreprises qui veulent exploiter les ressources naturelles. Un camarade d'Équateur a raconté une lutte pionnière de son pays : deux peuples indiens ont porté plainte contre une transnationale pour destruction de leur culture et du milieu ambiant ; l'organisation nationale indigène Conaie a fait gravir un échelon au mouvement des opprimés de ce pays.

Pour le Mexique, outre le zapatisme, on a mentionné les luttes pour leurs droits collectifs de peuples yaquis, konkak et o'odham de Sonora, et des peuples ñhañhu, mixtèques et nahuas de Guerrero. Des Purépechas et des Nahoa-Porhé ont aussi raconté leurs causes et leurs mouvements pour la terre et l'autonomie.

Un participant mexicain a demandé que cesse le silence complice des violences quotidiennes que le néolibéralisme tolère, voire favorise. Ceci concerne d'abord la femme, le respect de son corps, l'analyse des causes des violences contre elles. Un autre participant, membre d'un comité civil, a insisté sur le fait que la lutte démocratique devait d'abord respecter les différences de "l'autre" : "Il faut faire attention que l'idéologie ne nous fasse pas considérer comme normal des actes brutaux et inhumains".

Un Italien a dit, à propos du pouvoir : "Pourquoi les révolutions commencent-elles toujours par une révolte contre le pouvoir en place et finissent-elles toujours par établir un autre pouvoir despotique ? Pourquoi le contre-pouvoir finit-il toujours par reconstruire le pouvoir ?" Il demanda que l'on ne réveille pas les vieilles idéologies et les formes d'organisation dépassées. Face à cette question, notons la recherche intéressante du camarade équatorien "d'une éthique de la résistance". Il ne suffit pas – dit-il – d'être contre ; il faut une authenticité dans les moyens et les méthodes de travail qui interdise les luttes "fonctionnelles". Il a appelé à résister sous l'infinité de façon que l'imagination peut créer et rappelé que "avancer, c'est résister, et résister, c'est être fou" (on pourrait demander son avis à Don Durito de La Lacandona).

DU LOCAL AU GLOBAL ET DU GLOBAL AU LOCAL

Tout au long de la discussion, on a donné des exemples montrant comment les politiques cherchant la globalisation de l'économie et du marché ont des effets similaires dans le monde entier. Dans bien des cas, ces politiques ont détruit la vie et les valeurs des peuples, particulièrement des communautés indigènes. On a noté que les politiques d'exclusion et la pauvreté ont causé des émigrations massives qui, traversant les océans, touchent les cinq continents. Dans ce "nouveau" système, existe encore l'esclavagisme, comme l'a montré le cas de 500 Canaques vendus par des Français à des éleveurs de bétail du Chiapas (tous sont morts, tâchant de sang canaque la terre du Chiapas).

Les participants ont non seulement analysé l'impact local du néolibéralisme, mais aussi exposé les contradictions inhérentes à ce système. Une voix a affirmé que le processus de libération des peuples et des individus résulte de la crise même de l'économie globale. Un autre camarade a fait remarquer qu'il s'agit non seulement d'une politique économique, mais aussi "d'une forme de rationalité", et que celle-ci engendre d'autres rationalités qui lui résistent. C'est, dit un autre "la suppression de toute parole non mensongère", et c'est pourquoi il faut répondre par la parole non mensongère. Une camarade expliqua que le système était fragile et se brisait quand il se heurtait à des êtres dignes, conséquents dans leurs actes, leur façon de penser et de sentir. Même si l'on reconnaissait une grande disproportion entre les forces et les pouvoirs du néolibéralisme et les peuples lui résistant, on a considéré que nous étions "la contradiction perpétuelle du libéralisme dans la lutte pour la terre et les salaires justes, la lutte pour nos communautés, contre la guerre et le néocolonialisme et en faveur de la sauvegarde écologique".

Plusieurs Indiens ont dit que leur expérience d'autonomie avait "quelque peu chatouillé le système" : "La recherche de la liberté par la parole fait mal au gouvernement, compromet son projet de peur, de séparation, d'imposition et de misère. Les cultures indigènes ont une racine profonde, un tronc commun et plusieurs branches qui ne demandent qu'à fleurir". Les luttes indigènes montrent plusieurs façons de résister, et surtout de chercher des alternatives de vie répondant à une rationalité essentiellement distincte du néolibéralisme.

D'autre part, on proposa de profiter des nouvelles technologies pour construire des espaces de solidarité internationale autres que ceux du néolibéralisme. Il est nécessaire, dit un camarade, "de refonder ce qui n'a pas existé : que les hommes et les femmes luttent contre le pouvoir ; ouvrir les frontières, expliquer la politique, en discuter... créer un réseau d'organisations libres et indépendantes, ni national, ni local, mais ouvert au monde". Il est nécessaire, dit en résumé un autre participant, "de repenser la relation entre global et local du point de vue de la libération."

COUTUMES COMMUNAUTAIRES

La réflexion sur le lien entre les coutumes communautaires et l'alternative globale s'est située dans le cadre d'une conception de la culture comme "marque de l'intelligence humaine sur la nature". Un participant mexicain a présenté "un cadre plus vaste, qui tente d'analyser les implications profondes des conceptions fondamentales de la culture indigène sur un processus de développement intégral soutenu". Les cultures indigènes offrent des réponses autres pour la vie économique, par exemple l'autosuffisance alimentaire et les "chaînes de vie" : des fonds en espèce "destinés à payer la valeur des marchandises au prix du moment où le paiement s'effectue, ce qui compense l'inflation - aucun intérêt n'étant ajouté". En ce qui concerne la politique, le modèle occidental de confrontations violentes s'oppose au modèle indigène et oriental, qui profite de la conjoncture et des forces de l'ennemi. Nous ne devons donc pas "sauver le monde indigène, mais de nous laisser sauver par la sagesse indigène".

AUTONOMIE

Le thème de l'autonomie était présent dans beaucoup d'interventions, et constituait le thème central de plusieurs exposés. Une conclusion essentielle a été que la lutte pour l'autonomie doit être étroitement liée à la lutte pour la démocratie. En même temps, l'autonomie est à la base de la résistance.

Les participants mexicains ont expliqué que la discussion sur l'autonomie au Mexique a une longue histoire. Quelques accords ont été obtenus lors du Forum culture et démocratie indigène – convoqué par l'EZLN en janvier 1996 –, lorsque fut instauré le Forum national indigène permanent, ainsi que d'autres forums et organisations. En général, on comprend par "autonomie" la recherche d'un gouvernement propre pour planifier librement une stratégie de développement intégral. On souhaite une forme de gouvernement qui permette aux communautés de décider de leur destin, d'appliquer leurs propres lois. La lutte pour l'autonomie cherche à établir des relations justes entre les peuples. Certains ont proposé, par exemple, d'établir des régions autonomes qui pourraient être pluri-ethniques. On a précisé que cette conception de l'autonomie n'est pas du tout séparatiste, mais propose une vie commune, respectueuse de la diversité qui existe au Mexique. La lutte pour l'autonomie est donc bien une lutte pour la démocratie.

Dans un exposé sur l'autonomie a été abordée la différence entre le concept de terre, comme unité de production, et de territoire, comme espace où chaque peuple développe ses formes de vie et de culture. Aucun pouvoir – affirma le conférencier – ne doit l'empêcher ; eu outre, les principaux bénéficiaires des ressources d'un territoire devraient être ceux qui y habitent et travaillent sa terre.

Dans une autre intervention, on a montré que la réforme de l'article 27 de la Constitution mexicaine, faite par le président Salinas en 1992, a causé des torts aux peuples indiens en revenant sur les conquêtes zapatistes de la Révolution de 1910 et en convertissant la terre en bien commercial. C'est pour cela que la lutte pour la terre continue au Mexique. À propos des luttes des peuples indiens pour l'autonomie et les accords du Dialogue pour le droit indigène, signés en février 1996 par l'EZLN et le gouvernement fédéral, on nous informa que, jusqu'à présent, il n'y avait pas de résultat. Bien que l'on soit arrivé, dans ce document, à faire accepter par le gouvernement de proposer un cadre constitutionnel pour l'autonomie, rien ne s'est fait depuis. En outre l'accord final ne parle ni de terres, ni de territoire et "un indigène sans terre meurt". D'ailleurs ni la Constitution, ni les lois conséquentes à l'Accord 169 de l'Organisation internationale du travail, signé par le Mexique, n'ont été réactualisées.

La discussion sur l'autonomie continue, car elle est liée à la conformation de la nation, et parce qu'il est nécessaire de sauver ce que nous avons en commun. Ceci ne se limite pas aux peuples indiens. La délégation mexicaine a souligné que, dans cette Rencontre, elle cherchait à avoir des échanges d'idées sur ce thème avec des participants d'autres pays.

Plusieurs participants d'autres pays se sont justement exprimés sur l'autonomie. L'un d'eux a dénoncé la destruction de l'autonomie communautaire et la propriété communale de la terre en Océanie. Pour le groupe allemand, être autonome signifie "pouvoir discuter et travailler avec auto-détermination, et se voir les uns les autres comme des individus travaillant dans une structure collective". Il a souligné que sa lutte contre le pouvoir gouvernemental était elle aussi une lutte pour l'autonomie. De fait, les luttes du monde entier renforcent l'autonomie des groupes marginalisés, opprimés et exclus.

Néanmoins, certains participants ont exprimé leurs réserves en ce qui concerne la lutte pour l'autonomie. Par exemple, un camarade français a expliqué que, dans la colonie française de Nouvelle-Calédonie, les deux régions "autonomes" sont beaucoup plus pauvres que la région centrale. Les jeunes émigrent dans cette région pour trouver du travail, ce qui crée une espèce d'apartheid. On a avancé qu'une autonomie gardant un caractère local, n'établissant pas de lien avec le changement global, courrait le risque d'une situation analogue à celle rencontrée aujourd'hui en Afrique. Un participant a demandé "si l'on voulait vivre dans des réserves, des ghettos". On lui a répondu que l'autonomie recherchée au Mexique n'était pas une relation sectaire et d'exclusion. Elle touche aux aspects politiques, sociaux et culturels. La synthèse est difficile, mais importante.

D'autres ont ajouté que l'autonomie dépend, plus que de l'organisatioon interne, de la structure de l'État où elle se trouve. Un changement structurel et une nouvelle organisation politique sont donc nécessaires. On a fait référence à certains cas en Espagne, et rappelé que l'autonomie ne résolvait pas le problème social. Enfin, on a rappelé que "les États eux-mêmes n'ont pas toute leur autonomie : ils sont tenus par les décisions d'organes supranationaux.".

Une conférence plénière a expliqué que l'étude des municipalités libres de l'ancien Mexique est importante pour fonder la lutte actuelle pour l'autonomie, car elle considère l'histoire des droits collectifs, y compris le droit à la propriété communautaire, jusqu'au XIXe siécle. Si l'on a conclu que l'autonomie des municipalités avait encore un sens aujourd'hui, on s'est demandé quelles devaient être les relations entre celles-ci et les communautés indigènes : les communautés cherchent aussi leur autonomie à l'intérieur même des municipalités. L'essentiel est la démocratie : le pouvoir ne doit être centralisé à aucun niveau.

Un participant a demandé que la délégation de l'EZLN présente ses expériences. Le commandant Fernando a expliqué que les demandes de l'EZLN sont nationales et internationales, et c'est ce qui a provoqué l'insurrection : la pauvreté se trouve dans tous les peuples. On nous refuse le droit de nous manifester, et on nous réprime. Quand nous avons compris, les gens ont pris les armes, et alors on s'est intéressé à nous. Il a ajouté : "Pour être autonome, il faut beaucoup de travail, comme celui que vous avez fait ici."

UNION DES PEUPLES DU MONDE ET RÉSEAU DE LUTTES

Les expériences de lutte et de résistance dans toutes les parties du monde, qui ont été décrites ici, nous ont fait penser que le néolibéralisme est le motif commun de la lutte des divers peuples. Néanmoins, contre le système global, il ne suffit pas que beaucoup de peuples mènent des luttes isolées. Même si, globalement, ont émergé le mouvement écologique, la lutte pour les droits de l'homme ou le mouvement anti-nucléaire, il y a une tendance marquée aux luttes régionales. Ces mouvements n'ont pas pu construire un projet alternatif, et le processus a été freiné par l'État et le capital. Nous avons donc conclu qu'il était nécessaire de travailler avec des bases plus grandes et d'amplifier le mouvement par des alliances. Plusieurs participants ont soutenu la création d'une alliance des indigènes, des paysans, des habitants des villes et, de façon générale, des peuples ayant une certaine réalité historique ; cette alliance permettrait aux peuples isolés de trouver une solidarité face aux gouvernements. Un camarade du Brésil a ajouté : "Les stratégies doivent prendre en compte les diverses identités, car chaque peuple développe ses formes de luttes selon son histoire et son mode de vie". On a rappelé que l'EZLN montre le chemin en cherchant des alliances avec un grand nombre d'identités, comme le montrent parfaitement les Aguascalientes.

En ce qui concerne la proposition de "sauver les différences et produire de nouvelles formes d'organisation et de vie collective", on a fait beaucoup de suggestions visant à établir des liens de solidarité et de résistance dans un réseau, qui devra être horizontal, sans hiérarchie ni frontière. Néanmoins, on a souligné qu'il fallait être prudent dans les alliances entre ceux qui veulent le changement et ceux qui ne le veulent pas. On a rappelé que la résistance implique que l'on se remette soi-même en question pour savoir si l'on reproduit les formes du pouvoir. Nous avons demandé d'appuyer la résistance des communautés indigènes, des paysans, des ouvriers et des groupes marginalisés, dans les luttes revendicatives. Spécifiquement, nous avons appelé à appuyer :

- la marche indigène et paysanne, partie le 29 juillet de Oaxaca, et dont la demande principale est le départ de l'armée fédérale du Chiapas, de Guerrero et d'autres États militarisés ;

- la lutte paysanne des frères de Rancho Nuevo, Guerrero ;

- le jugement des Quichuas et des Cofanes, qui luttent contre l'entreprise Texaco, aux États-Unis ;

- le rejet par une déclaration conjointe de la loi Helms-Burton ;

- la négociation à l'ONU de la Déclaration des droits des peuples indigènes, afin d'arriver à une reconnaissance véritable du droit à l'autodétermination :

- des campagnes contre les violences sexuelles ;

- les caravanes vers le Chiapas et vers les communautés indigènes du Centre et du Nord ; le libre transit à travers le Mexique des caravanes vers d'autres pays ;

- la demande faite au gouvernement mexicain, pour que les douanes de Veracruz laissent entrer l'imprimerie offerte au journal de Amado Avendaño, actuellement retenue dans ce port ;

- la lutte des peuples O'oham pour la révision du Traité de Guadalupe Hidalgo, signé en 1848 par les États-Unis et le Mexique, qui a découpé le territoire du Mexique et créé des problèmes internes.

Finalement, nous demandons à l'EZLN la permission d'utiliser les symboles de l'étoile rouge à cinq pointes, du passe-montagne et du foulard comme source d'inspiration pour les luttes de résistance dans d'autres lieux. On a aussi invité l'EZLN à venir présenter sa lutte dans d'autres pays.

Pour nous, cette Rencontre sera toujours celle de l'Internationale de l'espoir. Nous ferons connaître ses conclusions.

PROPOSITIONS DE LA TABLE 5

Réseau international contre le néolibéralisme et

pour la défense de l'identité humaine

À La Garrucha, nous avons tous appuyé la proposition de nous joindre à l'appel de l'EZLN pour construire une Internationale de l'espoir, chacun apportant les nuances qu'il considérait nécessaires. Ce réseau solidaire devra être horizontal, sans hiérarchie ni frontière. Il aura pour objectif d'établir des liens nous permettant de commencer un travail de contact entre tous les pays. Nous avons incité toutes les personnes, qui le veulent et qui le peuvent à entreprendre dès aujourd'hui un travail concret de lutte constante et de résistance au néolibéralisme.

Ce front devra inclure des représentants d'Afrique et d'Asie, de fait très rares à cette Rencontre.

Nous proposons aussi d'autres réseaux : un pour que les jeunes discutent de la politique néolibérale et prennent conscience des alternatives futures ; un autre pour que les femmes défendent notre mère la Terre ; un autre pour défendre les Droits de l'Homme des expulsés, des exilés et des peuples en risque de le devenir.

Parmi les activités proposées pour le réseau, notons :

- lutter ensemble pour sauver notre mère la Terre. Dans ce cas, la contribution des peuples indiens est riche d'enseignements,

- nous aider les uns les autres dans les luttes pour les droits de chacun de ceux qui constituent ce monde,

- rejeter ensemble et simultanément ce que nous impose le monstre néolibéral, ennemi commun de tous les êtres humains et non humains,

- nous informer sur ce qui se passe dans les divers pays, alors que les moyens d'information officiels nous cachent toujours la réalité,

- établir une journée d'action mondiale contre le néolibéralisme et pour l'humanité, à une date qui sera fixée par l'EZLN.

Condamnation de la militarisation des zones indigènes du Mexique

Nous exigeons que, d'ici à quatre mois, cesse la guerre de basse intensité contre les peuples du monde, et que l'armée nationale et tous les groupes paramilitaires se retirent de toutes les régions indiennes du Mexique. Nous condamnons la militarisation de ces zones, l'état de siège que subissent l'État de Guerrero et d'autres États. Leurs populations sont tous les jours violées dans leurs droits constitutionnels, le cas le plus flagrant étant l'expulsion de la population civile de Guadalupe Tepeyac de son ejido (terres communautaires). Nous considérons que les massacres de civils ces dernières années sont des crimes de guerre (celui d'Aguas Blancas, par exemple) ; nous exigeons le jugement et le châtiment des coupables. Nous demandons que les avions cessent de survoler en rase-motte les zapatistes, comme nous avons pu le constater au cours des trois jours de cette Rencontre.

Nous voulons dénoncer les gouvernements qui exportent la répression (l'Argentine, la Suisse, les USA, etc.) et particulièrement accuser le gouvernement chilien d'aider la contre-insurrection au Chiapas. Nous demandons que tous leur envoient des fax dans la semaine du 10 septembre, à l'occasion de la fête des Forces armées chiliennes.

Nous souhaitons appuyer les résolutions suivantes du Forum national indigène permanent du Mexique :

a) démilitarisation du Chiapas et de tout le Mexique (et extension au monde entier)

b) mise en place d'une Commission internationale de vérification des accords de paix de San Andrés Sacamch'en de los Pobres, signés par l'EZLN et le gouvernement mexicain en février 1996 ; cette Commission pourrait comprendre des membres des Comités de solidarité avec le Chiapas et des représentants de l'ONU.

Nous devons aussi dénoncer, de toutes les façons possibles, la guerre de basse intensité comme nouvelle tactique militaire de répression des communautés indigènes et paysannes dans le monde entier.

Comités civils d'appui à l'EZLN

et solidarité internationale contre le néolibéralisme

Les tables 5A et 5B ont proposé que les Comités de solidarité avec le Chiapas deviennent des Comités contre le néolibéralisme, pour les raisons suivantes :

– La solidarité internationale avec les luttes des peuples opprimés du monde est la seule façon d'éviter les massacres. Il faut donc lancer des campagnes contre les moyens de communication au service de l'État, dont le seul objectif est de désinformer sur les luttes et d'isoler les mouvements populaires. Nous devons apprendre des zapatistes à mobiliser de vastes secteurs.

– La solidarité avec ces luttes donne un point de départ pour la résistance dans nos propres quartiers ou nos lieux de travail, contre le néolibéralisme et la militarisation croissante.

– Il est nécessaire de lier les luttes pour la démocratie et les droits du citoyen dans ce que l'on appelle le Premier Monde, avec les luttes pour l'autonomie et la libération nationale, en particulier des peuples indigènes.

– La solidarité internationale ne doit pas se limiter aux zones où il y a des conflits mais elle doit développer des mécanismes permettant de détecter des situations injustes avant que n'éclate le conflit.

Lutte pour le droit à l'information

Les tables 5A et 5D ont considéré que le problème de l'information était fondamental pour les luttes.

Les moyens de communication sont une arme puissante et constituent un champ où nous devons batailler pour rompre les campagnes de mensonge et de désinformation. Jusqu'à présent, ils sont contrôlés majoritairement par des groupes de pouvoir qui cachent les génocides et déforment souvent l'histoire. En imposant un modèle culturel unique dans le monde entier, ils contribuent à la destruction de la diversité culturelle.

Nous proposons la création d'un bulletin autonome pour éviter que s'évanouissent les faits liés au mouvement de résistance dans le monde.

Nous devons exiger que les médias donnent une information complète et véritable, ouvrir des espaces pour les voix silencieuses, faire en sorte qu'une information alternative arrive sans cesse à plus de monde. Par ailleurs, il faut construire une structure couvrant les coins les plus reculés en utilisant la technologie la plus avancée. Ceci permettrait de dénoncer tout abus contre les populations et de coordonner des actions rapides pour arrêter toute offensive répressive.

La voix des peuples indiens

Les tables 5A, 5B et 5D ont fait des propositions visant à améliorer les conditions économiques des peuples les plus pauvres du monde :

- trouver et mettre en place de nouvelles formes, plus justes, de commerce alternatif ;

- éviter de s'adresser aux multinationales pour l'achat des biens, organiser des campagnes de boycott contre certains produits provenant de grands monopoles afin de dénoncer la production dans le seul but des bénéfices, exploitant donc la main-d'œuvre bon marché de groupes marginalisés ;

- promouvoir un tourisme alternatif, qui fasse connaître les formes de vie et de pensée des communautés ;

- appuyer les produits et les réseaux de distribution des communautés indigènes, revendiquer le juste prix pour leurs marchandises et, en même temps, manifester notre désaccord avec la marché financier ;

- promouvoir dans le monde le collectivisme, créer des coopératives et des formes alternatives de vie et de consommation.

Néanmoins, nous sommes conscients que la solution réelle au problème de l'exploitation et de l'appauvrissement des peuples doit passer par une campagne radicale contre la structure économique à l'échelle mondiale. Il faut continuer de remettre en question le capitalisme et faire tomber le "visage humain" qu'il n'a pas.

Déclaration sur le respect

de l'autodétermination des peuples

Nous nous prononçons en faveur de l'autodétermination des peuples et de la construction d'autonomies qui respectent et renforcent le droit à la libre décision des peuples et des communautés, sans faux représentants : ils ont un droit inaliénable à un gouvernement propre, à des lois propres, à une organisation propre, comme à leurs territoires, leurs ressources et leurs espaces aériens. Les tables 5B et 5D ont demandé la mise en application de la déclaration commune des comités ayant assisté à la Rencontre sur le respect de l'autodétermination des peuples. Il faut exiger des gouvernements qu'ils respectent la Résolution de l'ONU qui proclame les Dix ans des peuples indigènes du monde, même si l'on sait que cela est insuffisant. On considère aussi qu'il est nécessaire que les gouvernements reconnaissent et respectent les droits inscrits dans les accords internationaux. Dans la même direction, nous proposons la célébration d'une Journée mondiale de protestation contre la discriminatuon des minorités, qu'il s'agisse d'immigrés ou de citoyens du pays, par des activités faisant prendre conscience des discriminations concrètes dans chaque pays. Exigeons que les peuples soient appelés "nations" et non "ethnies".

Libération des présumés zapatistes

Les tables 5C et 5D ont proposé d'écrire et de diffuser une lettre demandant la libération des présumés zapatistes, aujourd'hui détenus à Almoloya de Juárez. La délégation allemande a proposé qu'un groupe de représentants de tous les pays assistant à la Rencontre internationale aille remettre le 5 août au gouverneur du Chiapas une lettre en ce sens, adressée à lui et au procureur de justice de la nation.

EXPOSE À 7 VOIX 7.

EXPOSE À 7 VOIX 7.

EXPOSE À 7 VOIX 7.

EXPOSE À 7 VOIX 7.

EXPOSE À 7 VOIX 7.

EXPOSE À 7 VOIX 7.

EXPOSE À 7 VOIX 7.

La politique, leurs Bourses financières

et nos poches de résistance

PROLOGUE

Exposé présenté à la Table 1 de la Rencontre intercontinentale

pour l'humanité et contre le néolibéralisme

Tout le monde sait que ladite Table 1 (table, évidemment, est un de ces euphémisme par lesquels les zapatèques tentent de distraire les invités de la rencontre et de leur rendre plus aimable le tendre bourbier de La Realidad) s'intitule "A propos des peignes, brosses à dents, pantoufles et autres concepts d'une Nouvelle Science Politique".

Pardon ? Ce n'est pas ce titre-là ?

Quoi ? "Quelle politique avons-nous et de quelle politique avons-nous besoin ?"

Vraiment ? Bon, décidément, cette idée que les zapatrucs ont beaucoup d'imagination est encore un mythe, je veux dire, un mythe de plus à part celui de ce nez qui se proclame génial. Bon, laissons ça pour plus tard. Ceci est un prologue et doit donc faire son travail de prologue, à savoir tâcher de convaincre le lecteur ou l'auditeur que la suite vaudra la peine (ou le consoler à l'avance de sa déception quand il constatera que ce qui vient après le prologue ne vaut pas la peine non plus). Comme on le verra dans ce qui suit, cet exposé est fondamental pour ladite Table 1, ses contributions au thème politique sont indiscutables et dégoulinent de sagesse, profondeur et autres épices. La manière dont cet exposé arrive à cette rencontre et à cette table est une aventure qui mériterait une autre rencontre intergalactique. Mais pour cela, il faudra attendre que chacun de nous se soit remis de ce délire intercontinental que je ne sais quel naïf a appelé "Rencontre". En attendant, je vous ferai un bref résumé.

Le texte fut trouvé dans une bouteille d'alcool vide, ramassée au milieu d'une de ces tempêtes qui fouettent le baiser que nous offre le juillet (1) des montagnes. L'autre Julio, qui continue de nous embrasser généreusement, Julio Cortazar, a fait sa propre rencontre interplanétaire en un seul jour et, de plus, s'est offert le luxe de nous apprendre à faire "le tour du jour en 80 mondes".

Dans un de ces mondes, ce Julio nous envoyait son propre exposé, qu'il a intitulé : "Coda personnelle" (2).

"C'est pour cela que je vous disais, madame, que beaucoup ne comprendraient pas cette promenade du caméléon sur le tapis bigarré, et pourtant ma couleur et ma direction préférées sont claires dès qu'on regarde bien : tout le monde sait que j'habite à gauche, sur le rouge. Mais je n'en parlerai jamais de façon explicite, ou peut-être, si, je ne promets ni ne refuse rien. Je crois que je fais mieux que cela et il y en a beaucoup qui le comprennent. Même certains commissaires parce que personne n'est irrémédiablement perdu et que beaucoup de poètes écrivent encore à la craie sur les murs des commissariats au nord et au sud, à l'est et à l'ouest de la belle, horrible Terre".

Ainsi donc, il n'est pas mauvais de se souvenir de ce Julio en ce mois qui porte son nom et, avec tous les deux, de se souvenir de tous les prisonniers de tous les commissariats du monde. Je sais qu'un prologue n'est pas un endroit pour dédier un texte, mais les deux Julio semblent avoir comploté pour bouleverser l'aimable routine des montagnes du sud-est mexicain avec un message dans une bouteille. Si une bouteille lestée d'un message peut être trouvée au milieu d'un orage dans la montagne, pourquoi pas une dédicace au milieu d'un prologue. Donc, étant donnés messages, bouteilles, Julios et commissariats, cet exposé est dédié ...

Aux présumés zapatiste détenus et,

à travers eux,

à tous les prisonniers politiques du monde.

Aux zapatistes disparus et,

à travers eux,

à tous les disparus politiques du monde.

Bon, revenons à ce texte trouvé dans une bouteille et qui est présenté aujourd'hui comme exposé à la Table 1 de la Première Rencontre intercontinentale pour l'humanité et contre le néolibéralisme. Et en parlant de rencontres, quelqu'un rendrait un grand service à l'humanité en disant aux zapatois de ne pas mettre des noms pareils à leurs folies. Le nom de cette rencontre est tellement long que, lorsqu'on arrive à la partie qui dit "contre le néolibéralisme", on est tellement fatigué que, croyez-moi, on n'a plus la moindre envie de contrer quoi que ce soit.

Où en étais-je?

Ah, oui. A l'exposé trouvé dans une bouteille. Bien, donc, ce texte n'est pas daté, mais des études scientifiques par ordinateur ont démontré qu'il a pu être écrit n'importe quel jour, n'importe où dans le monde, par n'importe lequel des êtres humains qui, en ce monde, sont ou ont été. Cependant, le plus important n'a pas été éclairci. Les plus grands centres scientifiques de prestige et préjudice ont été consultés, mais en vain. Il n'a pas été possible de déterminer qui s'est vidé dans le gosier le contenu de la bouteille, ni quelle danse étrange a provoqué chez cet être improbable la gaieté qu'il a puisée, peut-être, dans ce liquide et que, comme chacun sait, l'être humain a toujours en réserve là où on doit porter la gaieté, c'est-à-dire dans ses pieds...

CHAPITRE I

OÙ OLIVIO EXPLIQUE POURQUOI IL NE FAUT PAS AVOIR PEUR DES AVIONS, HÉLICOPTÈRES ET AUTRES TERREURS AVEC LESQUELLES LE POUVOIR PRÉTEND CHÂTIER LA DIGNITÉ REBELLE DES INDIENS ZAPATISTES

Il y a quelques jours, dans un recoin américain du monde s'est réuni un groupe de personnes. Il y avait là un ami. J'avais été prévenu, par courrier électronique, qu'un groupe de dignitaires se réunirait pour trinquer et saluer la rébellion zapatiste. Quant à trinquer, je ne savais pas si je devais en être heureux ou désolé, mais dans le doute, j'en profitais pour rendre le salut par lettre et demander un café à la cuisine. Ce n'était pas pour boire le café, je voulais seulement avoir un prétexte poli pour refuser de trinquer au cas où on me le proposerait. Oui, je sais qu'on ne peut pas trinquer par courrier électronique, mais avec les progrès de la technique, il vaut mieux se méfier. On dit qu'il y a au Mexique une guérilla qui s'est servie du fax pour déclarer la guerre au suprême gouvernement et qui utilise Internet et la communication par satellite pour faire connaître ses positions. "Choses plus étranges verras, Sancho", dirait Durito, qui heureusement n'est pas dans ce chapitre-ci, mais un peu plus loin.

En ce moment, l'ami en question est ici dans la boue, pardon, je voulais dire ici parmi nous. Ce n'est pas pour me vanter, mais cet ami est un ami à moi depuis bien des années. Évidemment, il ne savait pas qu'il était mon ami. Il est arrivé il y a très longtemps. Il est arrivé comme viennent les bons amis, c'est-à-dire par les mots écrits. Cet ami, que j'appellerai "mon ami" en profitant de ce qu'il est en ce moment pris dans la boue et ne peut protester, dit que les paroles de résistance sont innombrables dans le monde et résonnent comme une pluie drue qui tombe à présent sur les toits des indiens zapatistes, sur ces toits que partagent aujourd'hui des milliers d'êtres dignes, hommes et femmes du monde entier. Mon ami est l'un de ces chercheurs de pluie qu'on trouve dans le monde. Il va, comme beaucoup d'autres, collectant goutte à goutte l'eau de la pluie de résistance qui pleut sur l'Amérique. En Afrique, en Asie, en Océanie, en Europe, il y a d'autres chercheurs de pluie, de ces histoires de résistance qui ne trouvent pas de place dans l'histoire d'oubli, qu'écrit le pouvoir sec de la Superbe. Je crois que tous les chercheurs de pluie qui sont venus par ici se sont aperçus que nous sommes tous venus pour pleuvoir, que nous avons compris que la pluie peut être aimable si la parole qui nous mouille est sœur. Aussi pouvons-nous dire que ceci est une rencontre de faiseurs de pluie, façon humide de dire que c'est une rencontre de frères.

Ce jour-là, j'écrivais donc à mon ami pour lui parler d'Olivio. Je lui disais :

Olivio est un enfant tojolabal. Il a moins de 5 ans et se trouve encore dans cette zone mortelle qui anéantit des milliers d'enfants indiens de ces terres. La probabilité qu'Olivio meure d'une maladie guérissable avant ses 5 ans est la plus forte de ce pays qu'on appelle le Mexique. Mais Olivio est encore vivant. Olivio se vante d'être un ami du "Zup" et de jouer au foot avec le Major Moises. Enfin, jouer au foot, n'exagérons pas ! En réalité, le Major se contente de relancer le ballon assez loin pour se débarrasser d'un Olivio convaincu, comme tout enfant le serait, que le principal travail et le plus urgent des officiers zapatistes est de jouer avec les enfants.

J'observe de loin. Olivio shoote dans le ballon avec une détermination qui fait froid dans le dos, surtout si tu imagines que ce coup de pied pourrait être destiné à tes chevilles. Mais non, il est destiné à un petit ballon en plastique. Enfin, ça aussi, c'est une façon de parler. En réalité, la moitié du coup de pied et de sa force se perd dans la boue de la réalité chiapanèque, et une partie seulement projette le ballon sur une trajectoire erratique et brève. Le Major, lui, tape de bon cœur, le ballon me frôle et part très loin. Olivio court décidé derrière la balle (lire ceci, et ce qui suit, avec la voix des commentateurs de foot de la radio ou de la télé). Il esquive lestement un tronc tombé et une racine plus si cachée, feinte et dribble deux chiots ("chuchitos" en chiapanèque) qui, de toutes façons, fuyaient déjà, terrorisés par la percée implacable, définitive et fulgurante d'Olivio. La défense est laissée sur place (bon, en fait, "Yeniper" et Jorge sont assis dans la boue et jouent tranquillement mais ce que je veux dire, c'est qu'il n'y plus d'ennemi devant) et le but adverse est à la merci d'un Olivio qui serre le peu de dents qu'il possède et fonce sur le ballon comme une locomotive sortie de ses rails. Le public, sur les gradins, impose au jour un silence lourd d'attente... Olivio arrive – enfin ! – devant la sphère et, quand toute la galaxie attend un shoot à rompre les filets (en réalité, derrière ce qui tient lieu de but ennemi, il n'y a qu'un fourré de branches, de ronces et de lianes, mais ça fait un filet acceptable) , que déjà, des reins aux gorges commence à monter le cri de "gôôôôôlll !", que tout est prêt pour que le monde prouve qu'il se mérite lui-même, juste à ce moment-là, Olivio décide qu'il en a assez de courir derrière ce ballon et que ce volatile noir qui se balade par là ne peut le faire impunément et, brusquement, Olivio change de cap et de métier et va chercher sa fronde pour tuer, dit-il le gros oiseau noir et apporter quelque chose à la cuisine et aux ventres vides. Ce fut une chose, comment t'expliquer ? Un anticlimax ("très zapatiste", dirait mon frère), tellement trop incomplet, tellement trop inachevé, comme un baiser qui resterait suspendu aux lèvres et que personne ne daignerait venir recueillir.

Moi, je suis un amateur discret, sérieux, analytique, du genre qui étudie les pourcentages et les bios des équipes et des joueurs et peut expliquer à la perfection la logique d'un match nul, d'une victoire ou d'une défaite, quel que soit le résultat. Bref, un de ces supporters qui s'expliquent à eux-mêmes après coup qu'il n'y a pas à s'affliger de la défaite de leur favori, que c'était à prévoir, que la prochaine fois ça ira mieux et autres etceteras qui trompent le cœur grâce au travail inutile de la tête. Mais pour l'instant, j'ai perdu les pédales et, comme tout fan qui voit trahies les valeurs les plus sacrées du genre humain (c'est-à-dire celles qui ont à voir avec le football), je saute des gradins (j'étais assis, en fait, sur un banc fait de troncs coupés) et je fonce furibond sur Olivio pour lui reprocher son manque de sens de l'honneur, de professionnalisme, d'esprit sportif, bref son mépris de la loi sacrée qui exige que le footballeur appartienne tout entier au football. Olivio me regarde approcher et sourit. Je m'arrête, je pile sur place, glacé, pétrifié, immobile. Mais ne crois pas, ami, que c'est la tendresse qui m'arrête.

Ce n'est pas le tendre sourire d'Olivio qui me paralyse, c'est la fronde qu'il a dans la main.

Oui, ami, bien sûr. Il est évident, je le sais, que je cherche à vous faire un portrait de la tendre furie qui nous fait soldats aujourd'hui pour que demain les uniformes militaires ne servent plus qu'aux bals masqués et, s'il faut porter un uniforme, que ce soit celui qu'on se met pour jouer, disons, au foot ..." (fin de la citation de la lettre).

C'était le 8e jour de cet humide juillet et, comme dit l'autre Julio, la nature imite l'art. Voilà donc que, quelques jours plus tard, je rencontrai Olivio faisant de ses chaussures l'usage qui leur revient, c'est-à-dire taper dans un ballon. Olivio courait derrière le ballon juste au moment où un avion militaire des troupes de choc se promenait au-dessus de La Realidad. Olivio buta sur une pierre et tomba. Il fit alors son devoir avec intégrité, je veux dire qu'il se mit à brailler avec un enthousiasme digne d'admiration. On en était là, avec l'avion qui rôdait à la recherche de transgresseurs au-dessus de La Realidad et Olivio qui pleurait et moi qui fumais sous un arbre, quand survint une chose incroyable : Olivio cessa de pleurer et éclata de rire.

Oui, Olivio, la bouche ouverte, reprenait son souffle pour le hurlement suivant quand, levant la tête, il découvrit l'avion militaire. Alors il cessa d'aspirer et se mit à rire. Je fis une tête de "je l'avais bien dit, j'ai toujours pensé que ce môme finirait par devenir fou". Mais ne croyez pas que j'aie le cœur si dur. Je décrétai immédiatement l'alerte rouge, envoyai un agent de liaison à l'Onu pour demander un psychiatre pour enfants, parce qu'il ne s'agissait pas non plus de laisser Olivio seul avec sa folie. Je pensai que ça lui ferait du bien d'avoir de la compagnie. Mais comme l'Onu n'est pressée que pour autoriser l'emploi de forces multinationales d'intervention, je décidai d'approcher prudemment d'Olivio pour connaître la déraison de son délire. A distance respectueuse, je m'arrêtai et lui demandai avec un tact infini :

- Pourquoi as-tu arrêté de brailler et qu'est-ce qui te fait rire?

Olivio me sourit et se leva en disant :

- C'est l'avion des soldats. Moi, si je tombe, tu vois, je pleure et puis je me relève. Mais l'avion, s'il tombe, il va pas pleurer et il va pas se relever.

Olivio repartit à la poursuite de son ballon. Moi, je revins sur mes pas en courant, annulai l'alerte rouge et la mission auprès de l'Onu, et envoyai une dépêche au C.C.R.I. les informant que nous allions vaincre et qu'ils préparent la promotion d'Olivio au grade, au moins, de général de division.

Olivio n'a pas l'air ému de son imminente promotion. Plus tard, au contraire, il s'entête à essayer de me convaincre qu'il n'y a qu'à – c'est Olivio qui le dit – faire une échelle longue longue longue pour grimper sur la nuit et jouer au foot avec la lune ...

CHAPITRE II

OÙ LA PLUIE, JULIO ET LE VIEIL ANTONIO ANNONCENT AUJOURD'HUI, MAIS IL Y A DIX ANS

Il pleuvait à verse. Je veux dire que la pluie allait jusqu'à se renverser quand le vent la prenait par la taille. Nous étions, le Vieil Antonio et moi, partis, cette nuit-là, à la chasse. Le Vieil Antonio voulait tuer un blaireau qui lui volait le maïs qui commençait à peine à poindre dans son champ. Nous attendions que le blaireau arrive, mais à sa place survinrent une pluie et un vent qui nous obligèrent à nous réfugier dans le grenier presque vide. Le Vieil Antonio s'installa dans un coin, tout au fond, et je m'assis sur le seuil de la porte. Nous fumions tous les deux. Lui somnolait et moi, je regardais la pluie se pencher d'un côté puis de l'autre, au rythme que lui marquait la danse d'un vent plus capricieux que de coutume. La danse s'acheva, ou alla continuer plus loin. Bientôt, il ne resta plus de la pluie que l'assourdissante concurrence entre grenouilles et grillons. Je sortis en tâchant de ne pas faire de bruit pour ne pas réveiller le Vieil Antonio. L'air était resté humide et chaud, comme toujours quand le désir achève la danse des corps.

– Regarde, me dit le Vieil Antonio, et il tend la main vers une étoile qui point derrière les rideaux que les nuages font à l'ouest. Je regarde l'étoile et je sens je ne sais quel chagrin me peser sur le cœur. Quelque chose comme une solitude triste et amère. Je souris pourtant et, avant que le Vieil Antonio ne me questionne, j'explique :

– Je me rappelais un proverbe qui dit, plus ou moins : quand le doigt montre le soleil, le sot regarde le doigt.

Le Vieil Antonio rit de bon cœur et me dit :

– Il serait bien plus sot s'il regardait le soleil. Il deviendrait aveugle.

Face à la logique irréfutable du Vieil Antonio, je bafouille l'explication de ce que veut dire, j'imagine, le proverbe. Le Vieil Antonio rit toujours, je ne sais s'il rit de moi, de mon explication ou du sot qui regarde le soleil quand on le montre du doigt. Le Vieil Antonio s'assied, pose son fusil de côté et se roule une cigarette avec une feuille de maïs ramassée dans le vieux grenier. Je comprends que le moment est venu de me taire et d'écouter. Je m'assieds à côté de lui et j'allume ma pipe. Le Vieil Antonio tire quelques bouffées de sa cigarette et commencent à pleuvoir des paroles dont la fumée seule allège la chute.

– Tout à l'heure, je n'essayais pas de te montrer l'étoile du doigt. Je me demandais combien de temps il faudrait pour marcher jusqu'à ce que ma main puisse aller jusque là-haut et la toucher. J'allais te dire de calculer la distance entre ma main et l'étoile, mais tu as sorti ton histoire du doigt et du soleil. Je ne te montrais pas ma main, mais pas l'étoile non plus. Ce sot dont parle ton proverbe n'a pas de solution intelligente : s'il regarde le soleil et ne devient pas aveugle, il va trébucher partout à regarder toujours en l'air ; et s'il regarde le doigt, il n'aura pas de chemin à lui : soit il reste où il est, soit il suit le doigt. Finalement, les deux sont idiots : celui qui regarde le soleil et celui qui regarde le doigt. Marcher, ou vivre, ne se fait pas avec de grandes vérités qui, quand on les mesure, sont au fond assez petites. Ce sera bientôt la nuit, celle que nous commencerons à traverser pour arriver au jour. Si nous voyons seulement tout près, nous n'irons pas bien loin. Si nous voyons seulement très loin, nous allons buter partout et perdre la route.

La parole du Vieil Antonio se repose. Je demande :

– Et comment saurons-nous regarder loin et regarder près ?

Le Vieil Antonio reprend la cigarette et la parole :

– En parlant et en écoutant. En écoutant et en parlant avec ceux qui sont près. En écoutant et en parlant avec ceux qui sont loin.

Le Vieil Antonio tend de nouveau la main vers l'étoile. Le Vieil Antonio regarde sa main et dit :

– Quand on rêve, il faut voir l'étoile, là-haut ; quand on lutte, il faut voir la main qui montre l'étoile. Vivre, c'est ça. Un va-et-vient continuel du regard.

Nous sommes revenus au village du Vieil Antonio. Le petit matin commençait à se vêtir d'aurore quand nous nous sommes séparés. Le Vieil Antonio vint m'accompagner jusqu'à la barrière du pré. Quand je fus de l'autre côté du barbelé, je me retournai vers lui et dis :

– Vieil Antonio, quand tu as tendu la main vers l'étoile, je n'ai regardé ni ta main, ni l'étoile...

Le Vieil Antonio m'interrompt :

– Très bien, alors, tu as regardé l'espace entre l'une et l'autre.

– Non, dis-je. Je n'ai pas non plus regardé l'espace entre l'une et l'autre.

– Alors ?

Je souris et je suis déjà assez loin quand je lui crie :

– Je regardais un blaireau qui était entre ta main et l'étoile...

Le Vieil Antonio baisse les yeux, cherchant par terre quelque chose à me jeter dessus. Je ne sais pas s'il n'a rien trouvé ou si j'étais déjà trop loin pour qu'il m'atteigne. En tout cas, j'ai eu de la chance qu'il n'ait plus son fusil sur lui.

Je m'éloignai, tâchant de regarder près et loin à la fois. En haut et en bas, la lumière unissait la nuit au jour, la pluie enlaçait juillet à août et la boue et les chutes faisaient un peu moins mal. Dix ans plus tard, nous commencerions à écouter et à parler avec ceux que nous croyions loin. Vous...

CHAPITRE III

OÙ L'ILLUSTRE HIDALGO DON DURITO DE LA LACANDONA EXPLIQUE L'ÉTRANGE RELATION ENTRE LES PEIGNES, LES PANTOUFLES, LES BROSSES À DENTS, LES BOURSES (LES NÔTRES ET LES LEURS) ET LA RENCONTRE INTERCONTINENTALE POUR L'HUMANITÉ ET CONTRE LE NÉOLIBÉRALISME

Il y a du gris, ici, en haut. Comme si la nuit et le jour n'avaient pas le courage, l'une de s'en aller et l'autre de venir. Une aube trop longue, trop long le temps sans nuit ni jour. Là, en bas, près de ce jeune fromager à l'épais feuillage, on veille les armes et les rêves. Cependant, autour, tout semble normal. Il y a de la boue, des lumières égarées, des ombres assurées. Ce n'est qu'autour du fromager qu'on devine du mouvement. Une puissante longue-vue permet de distinguer un homme assis qui parle en gesticulant. Il a l'air seul et, oui, un peu fou. Mais... un instant ! Que distingue-t-on, là, à ses côtés ? Une armure de musée de miniatures ? Un petit char déglingué ? Un mini-bunker blindé et mobile ? Un tout petit cuirassé échoué à La Realidad ? Un... ? Un... ? Un scarabée ?

– Trèèèès drôle, trèèèès drôle, dit Durito en regardant en l'air d'un air de défi. Je lève les yeux et ne vois que le gris et le vert sombre du feuillage du fromager.

– À qui parles-tu ? demandé-je après avoir écouté divers autres défis et plaintes de Durito.

– C'est ce satellite impertinent qui ne sait même pas distinguer un tank d'un noble et vaillant chevalier errant.

Durito fait un geste obscène à l'adresse du satellite (?) puis se retourne vers moi et demande :

– Où en étions-nous, mon écuyer délabré ?

– Tu allais me dire comment me tirer du pétrin où je suis.

– Oh, ça ... Il est juste qu'un cœur tant pauvre qu'icelui que tu portes en ta poitrine usée ne puisse entendre la bonté du destin qui lui a fait la grâce de le placer auprès d'un chevalier errant tel que moi. Tu dois comprendre, niais et misérable mortel, que les grands dieux forgèrent de fil d'acier les destins de l'humanité et que de méchants enchanteurs, non contents de spéculer sur les places financières, ont fait des nœuds terribles avec ces fils, pour mettre ainsi obstacle à la bonté naturelle des grands forgerons et se réjouir de la peine de petits êtres comme toi. Enfin, petits hormis le nez. Mais les puissances du bien n'ont pas abandonné leurs créatures à la perverse volonté des mages. Non : pour couper ces terribles nœuds, pour droitement filer le fil de l'histoire, pour redresser les torts et secourir le faible, pour éduquer l'ignorant, enfin, pour que l'humanité ne se fasse pas à elle-même honte, pour tout cela, il y a les chevaliers errants. Si tu l'entendais, tu ne serais plus à douter des prodiges de mon bras, de la sagesse de mon dire, du feu de mon regard...

– Et des grands problèmes où tu me plonges, coupé-je.

Durito hésite et j'en profite pour m'adonner au cher et vieux jeu des reproches.

– Parce qu'il est de mon devoir de te rappeler, mon illustre et errant chevalier, que c'est les prodiges de ton bras, la sagesse de ton dire et le feu de ton regard qui ont mis la patte et la plume dans la lettre d'invitation et convocation à la Rencontre Intercontinentale, dans ce passage absurde des pantoufles, des peignes et des brosses à dents. En plus, tout le monde dit que c'est un mauvais plagiat du Cortazar des Cronopes.

Durito ne supporte pas la critique et charge :

– Mensonges ! Comment osent-ils, quand c'est moi, le grand Don Durito de la Lacandone, qui ai montré à Julio la richesse que recèlent les scarabées.

C'est à mon tour d'interrompre :

– Tu veux dire les cronopes.

– Cronopes, scarabées ! C'est pareil ! Dis-moi sur l'heure qui est le malandrin qui ose insinuer que mes brillants écrits doivent quoi que ce soit à quiconque, dit Durito en dégainant.

J'essaie de régler quelques comptes en retard et je lui dis :

– Ce n'est pas un malandrin. D'ailleurs, ce n'est pas un, mais une. Et elle n'insinue pas qu'il y ait eu plagiat. Elle affirme et signe sans la moindre honte.

Durito reste rêveur.

– Une ? Bien, les damoiselles peuvent tout dire sans craindre la fureur de mon Excalibur. C'est là, sans doute, un tour de quelque pervers enchanteur qui l'a ensorcelée et lui a mis pensées mauvaises là où, c'est certain, elle n'abritait qu'aimables pensées envers ma personne. Oui, c'est cela, car il est établi qu'aucune femme ne peut manquer de soupirer d'admiration et de désir secret quand elle ouit nommer le plus grand chevalier, autrement dit, moi. Ainsi n'est-il besoin que d'attendre la fin de l'effet de l'obscur breuvage que lui aura administré le mage, ou le moment où je le trouverai et lors, la force et la justice qui arment mon bras lui feront ravaler sa magie noire, et problème réglé. Ainsi donc, laissons en paix ce Julio, qui parviendra peut-être à obtenir que ce juillet à son nom ne nous noie pas sous tant de pluie.

Durito range sa brindille, ou son épée, cela dépend de l'imagination du satellite qui l'épie. Et moi, je me rends et change de stratégie :

– Ainsi soit-il, mon seigneur et guide. Que l'infortunée qui a médit contre vous soit promptement affranchie du sortilège et revienne vous rendre hommage. Et si non, que tombe sur elle un châtiment terrible, qu'elle trouve du travail comme porte-parole d'un des gouvernements néolibéraux qui flagellent le monde, qu'on lui donne un poste de psychiatre des puissants criminels qui croient gouverner la planète, que ...

– Assez ! Fi ! Fi ! C'est peine trop dure pour cette belle.

Durito devient magnanime. Je poursuis :

– Quant à mon problème, seigneur de la sagesse, je vous supplie de me secourir car cette rencontre est à présent une réalité dans la réalité et chacun attend une explication satisfaisante à l'exigence de pantoufles, peignes et brosses à dents ...

– Une explication ?

Durito me regarde, passez-moi le pléonasme, durement.

– Oui. L'invitation dit que tous les imprudents, pardon, tous les invités à la rencontre, trouveront ici la raison de cette bizarrerie, dis-je, tentant de l'amadouer.

– Bien. Si c'est écrit, c'est écrit. Et ce qui est écrit doit être accompli. Écris donc ce que je te dicte. Tu le dois faire avec zèle, car c'est une contribution qui révolutionnera la science politique et, de plus, servira à distraire un peu l'attention des accusations de plagiat et autres sorcelleries.

Je sors immédiatement un stylo bille qui, évidemment, n'a plus d'encre. Durito s'en rend compte aussitôt et, sort, allez savoir d'où, une élégante plume d'autruche et un encrier.

– Et ça ?, demandé-je, en regardant alternativement la plume et l'encrier.

– Oh ! Un cadeau d'un scarabée africain, dit Durito en faisant l'important.

– Africain ?

– Oui. Tu croyais que vous étiez les seuls à faire votre rencontre intercontinentale ? Entre scarabées aussi, nous nous rencontrons, dit Durito.

Je n'ai pas cherché à en savoir plus. Je ne sais même pas s'il y a des scarabées en Afrique. Mon problème urgent, c'était de résoudre l'énigme des pantoufles, des peignes et des brosses à dents. Je me mis donc sans plus discuter à écrire ce que me dicta Durito, et qui s'intitule :

Durito je-ne-sais-plus-combien.

(Le néolibéralisme, les pantoufles, les peignes, les brosses à dents et les bourses)

– Les bourses ? Mais l'invitation ne parlait pas de bourses ?

– Non ? C'est justement le problème. Je crois que j'ai oublié de mettre les bourses. Je suis certain qu'avec les bourses, tout le monde aurait parfaitement compris ce passage. Bien, cesse de m'interrompre. Note, note, me presse Durito. Je continue, sans grande conviction, mais j'écris, sous sa dictée, ce qui suit :

a) Les pantoufles sont une alternative aux bottes. Si vous m'aviez écouté, vous n'auriez pas apporté tous ces modèles de bottes avec lesquels vous prétendez, inutilement, vous protéger de la boue. Bottes ou pantoufles, elles ne s'emplissent pas moins de boue et glissent avec le même enthousiasme. Non ? Les bottes sont inutiles et, qui plus est, dangereuses. Vous auriez donc mieux fait d'apporter des pantoufles, vous auriez au moins une bonne excuse pour être si souvent par terre et si boueux.

Il faut aussi argumenter que les pantoufles peuvent s'enlever avec facilité, commodité et rapidité. Les amants et les enfants me donneront raison, entre autres parce que les seuls êtres qui peuvent comprendre la profondeur de ce message sont les enfants et les amants.

De plus, l'hiver approche et nous avons besoin de manteaux, et avec les pantoufles, on fera des manteaux qui feront fureur dans le monde de la mode.

Ergo, il doit y avoir une rencontre intercontinentale pour les pantoufles et contre les bottes. Le nom est aussi long que l'autre, et, croyez-moi, plus éclairant.

b) Les peignes sont très utiles dans ce type de réunion, où la nostalgie est une maladie contagieuse. Avec une feuille de papier et en soufflant habilement, vous aurez un instrument de musique. Avec de la musique, vous pourrez égayer cœurs et pieds. Pour un bal, rien ne vaut les pantoufles. Avec les pieds et le cœur gais, on danse bien. Et danser est une belle façon de se rencontrer, or, ne l'oublions pas, ceci est une rencontre.

Ergo, les peignes sont indispensables dans toutes les rencontres intercontinentales pour l'humanité et contre le néolibéralisme.

Ah ! En plus, ils servent à se coiffer.

c) Les brosses à dents sont d'une aide inappréciable pour se gratter le dos. Il y en a de toutes les couleurs, formes et tailles. Bien que différentes, toutes jouent leur rôle de brosses à dents, qui est, comme chacun sait, de se gratter le dos. Tout le monde admettra, et je le propose comme résolution à l'assemblée de clôture, que se gratter est un plaisir.

Ergo, les brosses à dents sont plus que nécessaires dans les rencontres intercontinentales pour l'humanité et contre le néolibéralisme.

d) Les pantoufles démontrent que la logique et les bottes ne servent à rien, quand il s'agit de rêver et de danser. Les peignes démontrent que pour la musique et l'amour, tout est prétexte. Les brosses à dents démontrent qu'on peut être différents et égaux.

e) Danse, musique, plaisir et conscience de l'autre, ce sont les mots d'ordre pour l'humanité et contre le néolibéralisme. Qui ne le comprend pas possède, évidemment, un carton pour âme.

f) Les bourses peuvent se classer en deux catégories : les leurs et les nôtres.

f-1 Les leurs sont connues comme "bourses de valeurs" et, chose paradoxale, se caractérisent justement parce qu'elles n'ont aucune valeur. Elles sont généralement percées à la convenance des spéculateurs et leur unique vertu est de provoquer insomnies et cauchemars chez ceux qui gouvernent.

f-2 Les nôtres, connues comme "bourses" – poches – servent à ranger des objets. Elles ont en général les trous que cause l'oubli mais, avec de l'espoir et de la décence, on les raccommode. Elles ont l'énorme vertu de contenir brosses à dents, peignes et pantoufles.

g) Finale Fortissimo. Une bourse qui ne peut contenir une brosse à dents, un peigne et des pantoufles est une bourse qui ne sert à rien.

C'étaient donc les 7 points éclairants et définitifs pour l'humanité et contre le néolibéralisme.

Tan, tan. C'est tout.

CHAPITRE IV

OÙ LE FAMEUX CHEVALIER ERRANT DIALOGUE AVEC SON ÉCUYER AU GRAND NEZ, OÙ DES VALISES SONT PRÉPARÉES ET OÙ S'ANNONCENT DIVERSES CHOSES MERVEILLEUSES ET TERRIBLES.

Durito a fini de seller Pégase qui, pour une tortue, est plutôt agitée. Durito n'a pas cessé de parler. Parfois il semble s'adresser à Pégase mais, à d'autres moments, c'est à moi qu'il a l'air de parler, et parfois aussi il semble se parler à lui-même. Durito tente-t-il de nous convaincre de partir, ou cherche-t-il à s'en convaincre lui-même?

– Allons petit à petit, car dans les nids d'antan nichent oiseaux du jour. Je fus fou et le suis encore... Durito, on le sait, arrange l'histoire de la littérature à sa convenance.

Durito va et vient avec une agitation qui, sauf le sérieux de son expression, pourrait passer pour une danse compliquée. Je suis triste soudain car en faisant les valises, j'ai réalisé que je n'ai pas grand-chose. Enfin, j'ai ma blonde, cela suffit. Durito, par contre, a déjà fait plusieurs voyages de livres depuis sa feuille jusqu'au dos de Pégase.

– On peut savoir où nous allons ? dis-je, profitant d'un moment où Durito s'est arrêté pour souffler. Durito n'a pas encore repris haleine, et répond d'un geste vague, indiquant je ne sais quelle direction.

– Et c'est très loin ?

Durito arrive enfin à parler et dit :

– Le devoir du chevalier errant est de parcourir le monde jusqu'à ce qu'en aucun recoin ne se cache une seule injustice impunie. Le devoir est partout et nulle part. On en est toujours près et jamais on ne l'atteint. La chevalerie errante chevauche jusqu'à atteindre demain. Alors, elle s'arrête. Mais il lui faut aussitôt reprendre sa marche car demain poursuit sa route et a déjà pris de l'avance.

– Et qu'emportons-nous ? demandé-je, un peu plus sérieux.

– L'espoir... me répond Durito, et il me montre la bourse qu'il porte sur la poitrine.

Puis, enfourchant Pégase, il ajoute :

– Nous n'avons besoin de rien d'autre. L'espoir suffit....

CHAPITRE V

OÙ LA LUNE RÉPÈTE UNE DANSE QUI EST AUSSI

COPULATION ET ALLÉGRESSE

Pleine à nouveau, la lune essaie de montrer sa coquetterie derrière la haute grille des montagnes de l'est. Délicatement, elle retrousse sa longue robe ronde, avance un petit pied et grimpe, comme sur une échelle, par derrière la montagne. Quand elle arrive en haut, elle lisse son blanc jupon et tourne sur elle-même. Sa propre lumière rebondit sur le miroir de la montagne et lui offre des couleurs mauves et bleutées. Elle tourne toujours, un vent lui caresse le visage et la soulève bien haut. Les yeux aveugles et inutiles, en vain le vent cherche-t-il à lui regarder le ventre humide de pluie. La lune ne regarde pas le vent, elle non plus, qui n'est pas aveugle. Tout son regard est occupé d'elle-même, du reflet que lui offre une petite flaque d'eau depuis la réalité d'en bas. Finalement, la lune cède au vent sa main et sa taille. Ensemble ils tournent maintenant. Ils passent ensemble la nuit. A danser. Humides et allègres. Mais déjà, la piste nocturne s'en va et la lune se fatigue après quelques heures. Le vent la mène, la tenant par la taille, jusqu'à la montagne d'Occident où il la dépose. Toujours aveugle, le vent tente un baiser d'adieu sur la joue de la lune mais il se trompe et ce sont les lèvres qu'il frôle. Il se trompe ? La lune pardonne mais elle doit faire vite. Avant de se laisser glisser à l'Occident, la lune regarde deux silhouettes, l'une petite et ronde, l'autre haute et dégingandée. La lune ne sait si les deux silhouettes vont ou viennent, mais elle sait qu'elles marchent. C'est pourquoi elle leur offre un frôlement caressant qui, pour un instant, avant qu'elle ne se cache, fait penser que les deux personnages vont vers là-haut, vers la lune....

CHAPITRE VI

OÙ LE NARRATEUR DIVAGUE, ENTRE PLUIE ET LUNE,

SUR LES DOULEURS, LES PEINES ET LES ETCETERAS QUI

PÈSENT SUR L'ÂME DES HUMAINS DE PAR ICI,

LUI COMPRIS.

La lune est à peine apparue le temps de renouveler, peut-être, une promesse déguisée en fleur. Mais, jalouse comme elle est, la pluie l'a ramenée derrière nuages et humidités. C'était un de ces matins où la solitude ne peut que faire mal. Le narrateur est seul, il se sent donc en droit de cesser de narrer ce qui survient ou qu'on lui dicte, et se décide à extirper, avec un tire-bouchon aigu, une peine qui lui embrume le regard et le passé. Le narrateur parle. Non, il murmure :

Quelle envie d'avoir l'air pour patrie et demain pour drapeau ! Que de gens et que de couleurs ! Que de mots pour nommer l'espérance !

Est-ce le moment de nommer la mort ? Car sans eux, les morts, morts de lutte, je ne serais pas là à penser à tant de gens, tant de couleurs, tant d'espoirs.

Est-ce ici le lieu de nommer nos morts ? Non ?

– Qui vous dira, alors, qu'il y eut du sang vivant qui est mort en rêvant qu'un jour viendraient peut-être jusqu'ici certains des meilleurs hommes et femmes que ce siècle ait fait naître ? Qui vous demandera un souvenir pour eux tous, un "ne m'oublie-pas" pour les zapatistes tombés au combat pour l'humanité et contre le néolibéralisme ? Où sont les chaises pour qu'ils prennent place, eux, nos morts, parmi nous ? L'exposé de leur sang dans les rues et les montagnes, à quelle table de travail est-il inscrit ? Qui donnera la parole au silence de ces morts ? Combien cote le sang de ces morts qui nous ont donné voix, visage, nom et lendemain ?

Puis-je parler ? Puis-je parler de nos morts dans cette fête ? Après tout, c'est eux qui l'ont rendue possible. On peut dire que nous sommes ici parce qu'ils n'y sont pas. Peut-on ?

J'ai un frère mort. Y a-t-il quelqu'un qui n'ait pas un frère mort ? J'ai un frère qui est mort. Tué d'une balle dans la tête. C'était au matin du 1er janvier 1994. Très matinale, cette balle-là. Très matinale, la mort qui embrassa le front de mon frère. Il riait beaucoup, mon frère, qui ne rit plus. Je n'ai pu mettre mon frère dans ma poche, mais j'y ai rangé la balle qui l'a tué. Un autre matin, j'ai demandé à la balle d'où elle venait. Elle a répondu : du fusil d'un soldat du gouvernement du puissant qui sert un autre puissant qui en sert un autre dans le monde entier. Elle n'a pas de patrie, la balle qui a tué mon frère.

Elle n'a pas non plus de patrie, la lutte qu'il faut livrer pour ranger des frères, non des balles, dans ses poches. C'est pour cela que les zapatistes ont beaucoup de grandes poches à leurs uniformes. Pas pour ranger des balles. Pour y serrer des frères. C'est à ça que devraient servir toutes les poches, toutes les bourses. La montagne aussi est une bourse où serrer des frères. Parfois, on dirait la mer, cette montagne. Parfois, la nuit paraît matin. La mer ou l'océan, l'aurore ou l'avenir : mer et lendemain n'ont pas de sexe. Peut-être est-ce pour cela que nous les craignons, ou pour cela, peut-être, que nous les désirons.

Qu'il est douloureux de partir ! Quelle tristesse de rester !

Je m'en vais. Je voulais seulement vous dire une chose :

Le cœur est une bourse où tiennent mer et lendemain. Et le problème n'est pas de savoir comment faire pour mettre mer et lendemain dans le cœur, mais de comprendre que le cœur, c'est cela, une bourse où serrer mer et lendemain...

Le narrateur s'en va. Avec la nuit, il part. Avec la pluie. Avec juillet. Le narrateur s'en va et emporte avec lui la nuit, la pluie et juillet. L'autre Julio reste pour ordonner la mission à accomplir dans Le Tour du jour en quatre-vingt mondes. Julio organise un voyage, le Voyage dans un pays de cronopes (3) :

"Évidemment, le cronope voyageur visitera le pays et un jour, quand il rentrera chez lui, il écrira ses souvenirs de voyage sur des papiers de différentes couleurs qu'il distribuera au coin de sa rue pour que tous puissent les lire. Aux fameux, il donnera des feuillets bleus, car il sait qu'en les lisant, les fameux deviendront verts et nul n'ignore que la combinaison de ces deux couleurs est un régal pour un cronope. Quant aux espérances, qui rougissent beaucoup quand elles reçoivent un cadeau, le cronope leur donnera des petits papiers blancs, comme ça elles pourront s'en voiler les joues et le cronope, du coin de sa rue, verra d'agréables et diverses couleurs qui se disperseront dans toutes les directions, emportant les souvenirs de son voyage."

ÉPILOGUE

OÙ L'ON EXPLIQUE POURQUOI LES COMPTES NE TOMBENT PAS JUSTE ET

OÙ L'ON DÉMONTRE QUE L'ADDITION ET LA SOUSTRACTION NE SERVENT QUE POUR ADDITIONNER LES ESPÉRANCES ET SOUSTRAIRE LES CYNISMES.

Oui, je sais que le titre de cet exposé est "Exposé à 7 voix 7", et qu'il n'y a encore que 6 voix et c'est impossible puisque le titre dit très clairement, il le répète même 7 fois, que ce sont 7 voix 7. Mais mon maître et seigneur le chevalier errant qui est mage en amour et sorcier au combat, Don Durito de la Lacandone, me dit que nous partons, qu'il est temps, que la septième voix est celle qui compte et que celle-là, la septième parole, sera celle des tous que vous êtes.

Adieu, donc, et espérons que quelqu'un nous écrira pour nous raconter comment tout ça s'est terminé.

Voilà. Salut et sachez que si les voleurs nous demandent la bourse ou la vie, ils devront emporter la vie.

Depuis les montagnes du Sud-est mexicain,

Le SupMarcos

Planète Terre, juillet 1996

P.S. Durito est déjà parti sur son fougueux Pégase. "Pégase" est une tortue qui souffre de vertige dès que la vitesse dépasse les 50 centimètres à l'heure, il lui faudra donc un certain temps pour parvenir au point de sortie. Ce qui me donne le temps de vous dire que vous êtes les bienvenus dans les montagnes du sud-est mexicain, lieu où les bourses qui ont vraiment de la valeur sont les nôtres, les vôtres, celles des tous que nous sommes ...

Voilà, de nouveau. Salut, et beaucoup d'espoir et de décence pour raccommoder bourses, poches et pochons.

Le Sup, déconcerté parce qu'il a oublié où est l'entrée et où est la sortie.

Sup Marcos.


1 Juillet, julio en espagnol

2 Julio Cortazar, Le Tour du jour en 80 mondes, Gallimard, Paris 1980, p. 162

3 Julio Cortazar, Le tour du jour en 80 mondes, Gallimard, Paris 1980, p. 152