La Commune de Paris dans le XIIIè arrondissement :
la journée du 18 mars 1871 Vers deux heures du matin, le samedi 18 mars, toute une armée progresse dans Paris, pour investit la Butte Montmartre où les fédérés ont entreposé 171 canons. On ne comprend toujours pas comment personne n'a pu alors se rendre compte que quelque chose d'anormal était en train de se tramer. Plusieurs quartiers avaient cependant été mis en alerte : Place d'Italie comme à Montmartre et aux Buttes-Chaumont, des canons chargés à blanc devaient donner l'alarme en cas d'attaque, Depuis plusieurs jours en effet, on pensait que l'armée allait tenter un coup de force...
Il est vrai que celle-ci, cantonnée au départ dans les quartiers sûrs (Champs-Élysées, place de la Concorde) s'étaient déplacée en se gardant bien d'évoluer dans des secteurs moins favorables à l'ordre et d'où l'alerte aurait pu être donnée.
Vers cinq heures du matin, la brigade Lecomte a réussi à occuper les hauteurs de Montmartre. Cela s'est fait par surprise et seul, un garde nommé Turpin, placé en sentinelle a été grièvement blessé. Les canons, but de la manœuvre, sont entre les mains de l'armée et le commandant Vassal a toutes les raisons de croire qu'il est maître de la place. Il a demandé du renfort et fait tirer sur les gardes nationaux qui tentent de se rassembler. C'est l'ordre de Vinoy : que ceux qui résistent à la troupe soient passés par les armes. Il ne reste plus qu'à attendre les chevaux qui permettront de descendre les canons de la butte. On sait que leur retard provoqua le déclenchement de l'émeute.
Nous ne saurons probablement jamais comment l'alerte sera finalement donnée par Jean Allemane qui habite loin de là (1). C'est lui qui fit immédiatement sonner le tocsin à Saint-Nicolas du Chardonnet et envoya quelqu'un alerter Duval, son chef hiérarchique, dans le XIIIè. Celui-ci va immédiatement appliquer le plan prévu et, sans affolement aucun, le XIIIè va se mobiliser. Alors qu'à Montmartre on va, dans le désordre le plus complet, vers l'émeute, dans le XIIIè on se dirige avec ordre et méthode vers la révolution. A 9 h 33, un télégramme adressé au chef du pouvoir exécutif et à ses ministres signale : Dans le XIIIè des coups de canon à blanc tirés comme appel à l'émeute (3).
Sept minutes plus tard, une autre dépêche est beaucoup plus explicite : Le canon entendu ce matin et il y a une heure, est celui des Gobelins. Les gardes nationaux du prétendu général Duval ont tiré à blanc, mais ils ont des munitions. Une quinzaine de pièces est alors disposée autour de la mairie dans la direction des avenues. Le général Duval recrute des jeunes du quartier et leur fait donner des pioches pour construire des tranchées et élever une barricade rue Godefroy (4). Tous ces travaux se font dans le calme le plus absolu, le quartier étant dépourvu de troupes depuis plusieurs jours.
En fin de matinée, alors que Paris commence à dresser un peu partout des barricades, un cortège funèbre quitte alors la gare d'Orléans et se dirige vers le Père Lachaise (5). Victor Hugo enterre son fils Charles... sur son passage, les barricades s'ouvrent et les gardes présentent les armes.
-Par ailleurs, les commissariats de police de quartier sont systématiquement envahis par des détachements armés et le personnel policier conduit à la prison du 9è secteur. C'est ainsi que M. Boudin, commissaire du quartier de la Salpêtrière, Dodieau, commissaire du quartier de Maison-Blanche et André sont incarcérés. Un ordre donné aux détachements chargés des arrestations : Ordre d'arrêter le commissaire de police et tous ses agents. Le capitaine de la place, J. Jolivet (6).
En fait, dès le milieu de la matinée du 18 mars, Duval est prêt à passer à l'offensive et il fait amorcer au début de l'après-midi un vaste mouvement à ce qu'il est convenu d'appeler ses troupes. C'est ainsi qu'il s'empare de la gare d'Orléans, ainsi que du Jardin des Plantes. Comme dans le Vè et le XVè un mouvement identique s'amorce, on peut dire que vers trois heures, une très notable partie de la rive gauche est entre les mains de l'insurrection qui fait alors mouvement vers le centre, la Cité et l'Hôtel de Ville.
Il est pratiquement certain que cette progression ne s'est pas faite à l'aveuglette et qu'elle correspondait à l'application d'un plan destiné à mettre en échec toute tentative d'investissement de Paris par l'armée de Thiers. Il apparaît donc que le soulèvement ne répond pas à une simple provocation de Thiers comme on aurait trop souvent tendance à l'admettre. Etabli au Panthéon dans le courant de l'après-midi, Duval va recevoir du Comité Central l'ordre de " réunir tout ce qu'il peut trouver pour s'emparer de la Préfecture de Police et tenir un détachement sur le pont Notre-Dame, prêt à aider un mouvement principal vers l'Hôtel de Ville " (7).
On constate que Duval a mis beaucoup de temps pour investir la Préfecture de Police où ses troupes pénétrèrent très tard dans la soirée. Certains ont voulu voir là un signe de prudence, ce qui s'explique mal, car le quartier Latin est un secteur acquis à l'insurrection. Il n'y aura du reste aucun combat. C'est qu'en réalité Duval va quitter pendant plusieurs heures le commandement de ses troupes pour retourner dans le XIIIè, où des événements importants se sont déroulés en fin d'après-midi.
En effet, vers cinq heures, un incident grave avait éclaté à la gare d'Orléans. A l'arrivée du train de Tours, un wagon-salon dans lequel se trouvait un général en uniforme avait attiré l'attention du piquet de gardes nationaux de service. Ces gardes faisaient partie du 134è bataillon, celui qui avait destitué le Commandant Thierce. C'est que la consigne avait été donnée dans l'après-midi, à la nouvelle bien vite connue sur la rive gauche que les troupes allaient être dirigées sur Versailles, d'arrêter tous les officiers venant, soit d'Allemagne, soit de province. Il s'agissait en fait d'un ordre absurde, puisqu'il était impossible, par ailleurs, d'empêcher les régiments cantonnés rive gauche de sortir de Paris. Se conformant à ces ordres, les gardes nationaux arrêtèrent le général sur le quai. Il s'agissait du général Chanzy qui ne se cachait nullement, puisqu'il était en tenue de campagne, et de plus arborait la plaque de la Légion d'Honneur, Il est sans doute probable que les gardes qui procédèrent à son arrestation ignoraient tout de son identité, et le prenaient pour un général quelconque. N'oublions pas que nous sommes à une époque où la photo était encore rare, et où l'identification était parfois malaisée. Les méprises sont fréquentes, d'autant plus que la carte d'identité n'existe pas. Curieusement, ce sera la Commune de Paris qui, sur une proposition de Jean-Baptiste Clément, en acceptera la première le principe.
En fait, Chanzy se déplaçait en qualité de député des Ardennes, et non à titre militaire. Quelqu'un fit courir le bruit que les gardes venaient d'arrêter le général Ducrot, à qui on ne pardonnait pas la défaite de Champigny pendant le siège, ni son attitude dédaigneuse envers la Garde Nationale. Le bruit courut aussi que c'est Vinoy qu'on venait d'arrêter (8).
Chanzy était accompagné d'Edmond Turquet, député de l'Aisne qui, solidarité oblige, tint à accompagner le prisonnier et à partager son sort. Sur intervention de Léo Meilliet, ils furent alors conduits à la mairie du XIIIè et assez rapidement, il y eut discussion, voire dispute entre Léo Meilliet et Emile Duval. L'adjoint voulait libérer purement et simplement les prisonniers, tandis que le général Duval voulait les incarcérer " au nom des lois de la guerre. Il y eut quelques échanges aigre-doux, Meilliet allant jusqu'à dire à Duval : Vous ne représentez que l'insurrection, mois je suis nommé par les électeurs, investi d'un mandat régulier. Vous n'arrêterez pas le général Chanzy et la preuve, c'est que je vais l'emmener chez moi !
Et malgré la présence de Duval qui, paraît-il, avait le revolver au poing, Meilliet emmena Chanzy et Turquet dans son modeste appartement du 71 de l'avenue d'Italie, sous la protection de quelques gardes nationaux. Une quinzaine d'officiers vinrent protéger les deux prisonniers, car il est certain que, dehors, d'autres gardes voulaient appliquer les consignes de Duval et s'emparer d'eux manu militari.
Vers une heure et demie du matin, les choses vont s'envenimer et un certain nombre de gardes pénètrent dans l'appartement pour s'emparer de Chanzy. Il n'est plus question de l'arrêter, mais de le fusiller, comme Lecomte et Thomas à Montmartre. Léo Meilliet tire alors son revolver de sa poche et tente de lutter en prétendant qu'il a donné sa parole au général Chanzy de lui offrir asile et de le sauvegarder jusqu'au dernier moment. Chanzy, comprenant qu'il allait se passer des scènes de violence, relève alors Meilliet de la parole qu'il lui a donnée et accepte avec Turquet de suivre les gardes. Il est alors question de fusiller les prisonniers le long de la chapelle Bréa. Alors, Meilliet intervient de nouveau et dit : Messieurs, ne nous conduisons pas en assassins ! Ces hommes ne sont pas condamnés. Quand ils seront jugés, vous les fusillerez, si bon vous semble (9).
Cette intervention permet à Léo Meilliet d'entraîner les prisonniers et de les conduire à la prison du 9è secteur, au 38 avenue d'Italie. Lorsqu'il fallut porter les noms sur le registre d'écrou, une scène encore plus violente va encore avoir lieu entre Léo Meilliet et quelques officiers d'un autre bataillon qui vient d'arriver sur les lieux. Dehors, des gardes se disputent et échangent des coups au sujet des prisonniers. Léo Meilliet arrache alors sa ceinture d'adjoint et, la jetant à la figure d'un officier, lui dit : Puisqu'il en est ainsi, puisque vous voulez fusiller ces hommes, puisque vous voulez vous conduire comme des lâches, vous me fusillerez avec eux ! Puis, il s'assied et fond en larmes.
Un sergent du 101è s'approche alors de Chanzy et, le menaçant de son fusil, lui déclara : général Chanzy, si vous voulez avoir la vie sauve, criez Vive la République ! Le général se lève, se découvre et dit d'une voix ferme Vive la République. Il est alors deux heures du matin, et les choses vont peu à peu se calmer. Cham et Turquet vont finalement être introduits dans leur cellule et y prendre quelque repos.
Par la suite, il semble que les gardes nationaux vont traiter les prisonniers avec égard, allant même jusqu'à présenter les armes chaque fois qu'ils allaient au WC ! (10)
Le 20 mars, les prisonniers furent transférés à la prison de la Santé et les délégués à la Préfecture de Police, Raoul Rigault et Emile Duval s'estimèrent désormais saisis de l'affaire.
Le transfert ne se fit pas sans difficultés, car il y avait toujours à l'extérieur des irréductibles qui voulaient passer les prisonniers par les armes. De plus, aux deux prisonniers s'étaient ajoutés le général de Langourian, le capitaine Ducausé de Nazelles du 5è Lanciers et le lieutenant Gaudin de Villainc du 73è de Marche. Ils avaient été arrêtés eux aussi au chemin de fer d'Orléans et de Langourian avait été pris pour d'Aurelle de Paladines.
A la sortie des prisonniers, la foule gronde et menace. Trois hommes vont faire front : il y a l'inévitable Léo Meilliet, un autre adjoint, Combes et Serizier qui a repris sa place au 101è.
L'uniforme de Chanzy, toujours pris pour Ducrot ou Vinoy, est lacéré. On lui arrache son képi ainsi que ses épaulettes et son visage saigne. On finira cependant par le faire entrer à la Santé et ce sera Serizier, requis par le directeur de la prison qui, en parlementant et en haranguant la foule, réussira à la disperser.
Léo Meilliet, dont le rôle de conciliateur est évident depuis le début, donnera le même jour l'ordre de libérer M. Turquet, député " comme étant un bon Républicain ". Il est à signaler que sur cet ordre, Léo Meilliet se déclare maire du XIIIè, alors qu'en fait il n'est toujours qu'adjoint.
Mais, Meilliet ne s'est pas borné à la simple signature d'une levée d'écrou. Edmond Turquet a quitté la prison du 9è secteur sous la protection d'un citoyen belge officier de la Garde Nationale, nommé Deruyssert, non rallié à l'insurrection. Cet officier conduisit le député libéré à la Mairie du XIIIè, où Léo Meilliet l'attendait dans un coupé attelé, Ils arrivèrent sans encombre à la gare de l'Ouest (Montparnasse) et se séparèrent dans la salle des Pas Perdus. Edmond Turquet gagna facilement Versailles et put, aussitôt entré dans la salle des séances faire à la tribune le récit des événements Il.
Les prisonniers incarcérés à la Santé finiront par être libérés, mais il faudra toute l'insistance du Comité Central pour que Duval accepte d'exécuter l'ordre (12). Pour lui, Chanzy était un otage qu'il était bon de garder. En contrepartie de sa libération, Chanzy dut jurer de ne pas porter les armes contre Paris et il tint parole.
Gérard Conte
Notes :
1. Il habitait au quartier Latin et il semble acquis qu'il fur le premier à réagir sur la rive Gauche. Certains auteurs font état de coups de canon tirés dans le ire arrondissement, mais il ne semble pas que cette opinion corresponde à la réalité des faits.
2. Jean-André Faucher, opus cité, p. 162, précise que pendant que Jean Allemane se rendait à Saint-Nicolas du Chardonnet, deux gardes nationaux, Martial Senisse et Léonard Thournieux allèrent sonner le tocsin à l'église Saint-Marcel.
3. Marc-André Fabre. Vie et Mort de la Commune. Hachette, Paris 1939, p. 53.
4. J. Rouffiac. Opus cité, p. 22.
5. Edmond et Jules de Goncourt. Journal, Tome IV, 1870-1871 Fasquelle, Flammarion, Paris 1932, p. 181.
6. Cette pièce citée par Georges Laronze dans l'Histoire de la Commune de 1871. Payot, Paris 1928, p. 60, se trouverait dans le dossier des poursuites exercées contre Jolivet aux Archives du Ministère de la Guerre.
7. Georges Laronze, opus cité, p. 17.
8. Edmond Lepelletier. Histoire de la Commune de 1871. Mercure de France, Puis 1911, p. 517 et ss. Nous suivons pratiquement le récit de Lepelletier, d'autres ouvrages et notamment celui déjà cité de J. Rouffiac relatant sensiblement les même faits.
9. Enquête parlementaire. Déposition Turquet. Cité par Lepelletier, opus cité, p. 522.
10. Enquête parlementaire. Déposition Turquet. Cité par Lepelletier, Opus cité, p. 523.
11. J. Rouffiac. Opus cité, P. 108-109.
12. George Larome, opus cité, p. 50, affirme que le premier ordre du Comité Central fut purement et simplement déchiré par Duval. Le second était ainsi libellé: 25 mats 1871. Le citoyen Duval mettra immédiatement le général Chanzy en liberté, Les membres du Comité : Lavalette, Billioray, Babick, Bouit, Ducamp. Suivaient les mentions: Ordre de mettre en liberté immédiate les citoyens Chanzy et de Langourim. E. Duval. L'ordre était revêtu des cachets du Comité Central de la Garde Nationale et du colonel de la XIIIè Légion de la Garde Nationale de Paris, commandant l'ex-Préfecture de Police. Ce document se trouverait dans les archives des conseils de guerre. Dossier des poursuites exercées contre Arnold.
le 18 mars Place de Clichy