Quelques remarques sur

« l’état-réseau et l’individu démocratique »

Cette note est constituée d’une série de remarques à propos du texte de Temps Critiques « L’état-réseau et l’individu démocratique ». Ces remarques ne sont pas nécessairement articulées entre elles de manière très rigoureuse, sont largement insuffisante et ne constituent certainement pas un avis définitif. En particulier, elles ne répondent pas aux précisions apportées par d’autres textes, dont « Ce qui est frappant… », qui constitue une fine analyse de l’ensemble des débats menés sur la liste de discussion depuis plusieurs mois. D’autres réponses suivront… en leur temps. Malgré cela, il semblait justifié de les livrer « en l’état » – si j’ose dire – de manière à faire avancer le débat sur l’Etat.

I - Une société imprégnée par l’Etat

1) L’état-réseau

Le terme « Etat-réseau » décrit assez bien la situation actuelle en France. L’état central limite ses propres initiatives, mais appuie financièrement celles des régions (plans états-régions) et des collectivités territoriales. Ces collectivités (villes, départements, etc.) appuient elles-même des projets associatifs. La « démocratie locale », avec les projets actuels de comités de quartier – déjà expérimentés dans certaines villes –  constitue une manière de formaliser ce fonctionnement. Autrement dit, il existe à la base de l’état une profonde imbrication entre réseaux associatifs et pouvoirs « publics ». C’est plutôt dans ce sens que l’expression « état-réseau » prend toute sa signification, même si elle est sans doute très éloignée de l’intention de l’auteur. 

La caractéristique principale de ce système, c’est l’existence des « associations représentatives ». Un comité de quartier est réputé représenter ses habitants, bien qu’il ne représente en réalité que ses membres, et le plus souvent, une petite équipe d’éléments-moteurs, pour le meilleur ou pour le pire. Il en va de même pour une association de femmes maghrébines, de cyclistes ou de peintres amateurs, supposés aux yeux d’une mairie représenter l’ensemble des personnes de la catégorie concernée. On est donc effectivement dans un système de médiations, mais de médiations largement fictives – quelque soit par ailleurs la valeur et la qualité des associations concernées. La meilleure volonté du monde n’empêche pas une association subventionnée de devenir de facto des relais de l’état. Cela signifie aussi que l’état trouve dans ce système un formidable moyen de comprimer ses propres frais, en créant une catégorie d’employés non-salariés, gratuits : les bénévoles des associations. Même celles qui ont des salariés reposent largement sur le bénévolat des membres des bureaux d’associations ; un temps de travail qui n’est pas payé, mais qui est largement employé[1].

Qu’il s’agisse des partis, des syndicats ou des « associations représentatives », les formes actuelles de regroupement sont presque systématiquement en relation avec l’état, notamment par le biais d’une participation aux « frais de production » de l’état (sous la forme de subventions, d’exonérations fiscales des dons, de remboursements de campagnes électorales etc...). L’état-réseau est donc une réalité tangible; il rappelle à quel point réduire l’Etat à son gouvernement ou à ses forces répressives ne permet pas de poser le problème clairement. L’état est partout où l’argent « public » est investi. Cette présence de l’état dans l’ensemble des réseaux sociaux participe largement de l’idéologie de l’état comme bien commun. Il s’agit bel et bien d’une forme d’enclosure, au sens de la privatisation/nationalisation d’une structure autrefois commune et autonome [2].

2) Tous fonctionnaires ?

On peut retrouver cette question, sous une forme inversée, dans la vision commune de la fonction publique : à l’externalisation du service public, qui fait de chaque citoyen un fonctionnaire, est opposée l’exigence du service public assimilé au fonctionnariat. C’est pourquoi, lorsque « Temps Critiques » dénonce la position tacite de nombreuses organisations, y compris libertaires, du « tous fonctionnaires », il importe d’identifier les composantes et les contradictions du problème.

  1° La pérennité de l’emploi : dans un pays marqué par la prédominance de la précarité ou de l’instabilité salariale, il n’est pas surprenant que l’accès à la fonction publique, avec sa garantie d’emploi à vie, constitue une revendication. Elle est d’ailleurs une forme paradoxale de refus du travail, puisque cette garantie constitue généralement une bien meilleure protection contre la répression patronale et les horaires inhumains, que les normes du privé.

   2° Le désir de service public, qui est une donnée non négligeable. Bon nombre de fonctionnaires sont animés d’une véritable volonté de servir, au sens d’être utiles, qui est extrêmement contradictoire : c’est le cheval de Troie de leur propre aliénation, qui peut les conduire à accepter des horaires et des charges de travail intenables, tout en étant l’expression d’un monde futur fondé sur l’entraide (« tension vers un universel »).

   3° La culture étatiste de la gauche, qui postule que le service public est gratuit (comme s’il n’était pas payé par l’impôt) et qu’il est d’intérêt général (ce que dément chaque jour l’enrichissement de la classe politique). En termes politiques, cette vision mystifiée imprègne – voire constitue – toute l’idéologie de la gauche et de l’extrême-gauche.

C’est en raison de ces contradictions que nous avons – provisoirement – renoncé, dans le texte « Arlequin anarchiste », à trancher de manière claire sur la place des salariés de « l’encadrement capitaliste » dans le mouvement révolutionnaire. Sans doute sommes-nous trop concernés pour y répondre vraiment… Mais, sans faire de pirouette théorique, on peut esquisser une solution en suggérant que la compréhension de ces contradictions constitue un point de départ, une critique de sa propre activité, une prise de distance, donc une tentative de dépassement.

3) Médiations

L’idée d’un Etat-médiateur, bénéficiant d’une relative autonomie, pose de nombreuses questions. En premier lieu, cela implique qu’il  ne constitue pas uniquement un « Etat de la classe dominante », au sens d’une identité totale entre l’un et l’autre. En effet, on ne peut se contenter d’enfermer l’Etat dans ce rôle de médiation, pas plus qu’on ne peut le réduire à son ministère de l’intérieur. La paix sociale (sous son double aspect prévention/répression) est l’une des marchandises les plus couramment produites par les états, mais certainement pas la seule.  Que faire sinon des réglementations en tout genre, des structures financières, des infrastructures et grands équipements, de l’aménagement du territoire, etc… qui ressortent de l’Etat dans la plupart des divisions du monde ? C’est l’une des questions qui m’amène à poser la question de l’Etat à l’aide d’outils affûtés pour analyser le capitalisme. C’est bien sûr le prolongement des problématiques liées au « capitalisme d’Etat » et au « capitalisme d’économie mixte », renouvellées dans l’optique : quel est le rôle de l’Etat dans le capitalisme global ?

Sur la relation classe dominante/Etat, Ralph Milliband [3], par exemple, cherche dans l’analyse sociologique de la classe politique et des grands commis de l’état la preuve concrète de leur nature de classe bourgeoise. Les résultats sont intéressants, mais la méthode est problématique dans la mesure où, à une analyse en termes de classes, elle substitue une analyse en termes de réseaux sociaux ou éducatifs. Tout cela existe, bien sûr, mais ne permet pas de résoudre la question de la nature des rapports entre Etat « public » et capitalisme « privé ».

Si l’Etat ne dépend pas seulement de la classe dominante, c’est parce qu’il est lui-même, en tant que structure, traversé par la lutte de classes. Ses dirigeants forment eux-même un fraction de la classe dominante, et ses employés une fraction du prolétariat. Médiateur entre les classes, via les associations représentatives, les syndicats, etc… certes, mais précisément parce que c’est sa fonction dans l’ordre capitaliste ; non pas en tant qu’émanation de la classe dirigeante, mais en tant que prestataire de services, entreprise fonctionnant selon les normes du capitalisme. C’est une façon de voir que j’ai esquissée dans différents courriers, et dont je poursuis la mise au point dans un texte plus ample.

II - Une histoire sans sujet ?

4) Manque de classe…

L’idée d’une « disparition des classes en temps que sujets antagonistes »[4] ne s’impose pas comme une évidence. On peut éventuellement arguer que, en tant que sujet, c’est-à-dire que classe-pour-soi, la classe ouvrière a disparu. Cela ouvre (une fois de plus, sans doute) sur la définition exacte de la classe comme sujet de sa propre activité. D’autre part, il est clair que les capitalistes constituent une classe-pour-soi très vigoureuse, bien organisée et très consciente d’elle-même, de son unité et de son intérêt dans la lutte des classes.

Par contre, dans les pays d’industrialisation ancienne, l’affaiblissement de l’identité ouvrière industrielle, peut être discutée, même si elle est loin d’être évidente. Ce changement dans « l’identité de classe », plus ou moins marquée selon les pays, est lié à deux facteurs essentiels : la recomposition de la classe (chômage massif, prolétarisation des techniciens diplômés, désindustrialisation, montée en puissance des services, etc...) et le rejet, même par la classe ouvrière « classique » des formes les plus rigides de l’ancienne identité de classe[5].

J’ai rappelé, dans un texte précédent[6], de montrer que l’identité ouvrière était socialement construite, tout comme les identités sexuelles ou nationales, et que la réalisation de l’Individue consiste précisément à se défaire de ces constructions. Nous n’aurions donc pas à déplorer cette disparition, si on dénomme « identité ouvrière » la mythologie, des valeurs du travail et de la glorification du parti et du syndicat comme seuls cadres légitimes des luttes, dans ses variantes social-démocrates, staliniennes et anarcho-syndicalistes. Cette définition, sans être fausse, n’est que l’un des termes de la contradiction[7].

On peut volontiers souscrire à l’idée de Michael Seidman à propos de la révolution espagnole de 1936 : « Les luttes contre le travail mettent en évidence la distance, le fossé séparant les militants adeptes du développement des moyens de production, et l’immense majorité des travailleurs qui n’étaient pas prêts à se sacrifier sans réserve pour exaucer l’idéal des militants. Alors que ces derniers identifiaient la conscience de classe au contrôle et au développement des forces productives, à la mise en œuvre d’une révolution productiviste et d’un effort sans réserve pour gagner la guerre, la conscience de classe de la plupart des ouvriers se manifestait, elle, dans le fait d’échapper à l’espace et au temps de travail, tout comme avant la révolution »[8]. C’est, en termes théoriques, la rencontre brutale entre l’affirmation et l’autonégation du prolétariat, entre l’ancien et le nouveau mouvement.

5) Une brève séquence de marxologie appliquée

Je ne crois pas être spécialement marxo-maniaque, mais je profite d’une note du texte sur l’état-réseau pour traiter d’un sujet qui ne lasse jamais de m’étonner parmi les « boîtes noires » de l’ultra-gauche et de ses produits dérivés. La distinction entre société bourgeoise et société capitaliste semble fondée, en raison des changements survenus dans la structure de la classe capitaliste depuis le XIXe siècle. Mais est-il bien nécessaire d’y retrouver la distinction entre « domination formelle » et « domination réelle » ? Si l’on reprend les définitions que Marx propose de ces deux concepts, il ressort assez clairement deux choses :

1° La domination réelle est déjà un processus amorcé à l’époque où Marx écrit (et c’est bien pour cela qu’il en parle). La situer vers 1914 (vulgate ultra-gauche), ou en 1930, en 1945 ou autre revient à lui prêter des capacités plus divinatoires qu’analytiques. La domination réelle repose sur l’éloignement du ou des patrons, la taille de l’entreprise et donc la division poussée du travail, etc…

2° La domination formelle est définie, grosso modo, comme la domination qu’un petit patron exerce sur ses employés, alors qu’il travaille lui-même au sein de l’entreprise et exerce un métier assez peu différent. C’est donc le cas typique d’un artisan avec quelques ouvriers, d’une petite entreprise familiale, d’une « franchisée » de l’agroalimentaire ou d’une petite société d’informatique n’employant que quelques personnes.

Ce sont donc deux aspects du capitalisme qui fonctionnent de manière parallèles, ou qui s’enchaînent dans le développement d’une entreprise. Effectivement, on peut dire que la période des très grandes usines (automobiles, sidérurgie, etc.) est le règne de la domination réelle, mais un secteur « formel » n’a jamais disparu. Aujourd’hui, la division internationale du travail crée des zones de domination « réelles » (industries asiatiques, grandes plantations destinée à l’exportation, etc.) et « formelles » (prédominance de la sous-traitance et de l’externalisation dans les pays « dévellopés »). Autrement dit, il s’agit toujours de phénomènes conjoints, reposant sur des modes de valorisation (donc de management) différent du capital. Et dans les pays occidentaux, on assiste paradoxalement à un  « retour de la domination formelle ».

Le phénomène de l’Etat-réseau, c’est-à-dire d’imprégnation de l’Etat dans l’ensemble de la société et orienté vers l’individu représenté dans ses particularités (à l’opposé des anciennes médiations politiques et syndicales) semble d’ailleurs une transposition dans le domaine « politique » d’un mode de domination « formel » plutôt que « réel » (l’état proche de chacun de vous, au lieu de l’Etat égal pour tous). C’est une perspective théorique qui pourrait être développée.

III - L’Individu et la révolution

6) Les « identités particulières »

Nous avons nous-mêmes, au Cercle social, critiqué certains aspects de ce que J.W. appelle les « identités particulières », que ce soit la revendication du lesbianisme comme seul véritable féminisme, de la réduction du spécisme au viandisme (le mangeur de viande comme ennemi, en lieu et place de l’agrocapitalisme), ou le passage ambigu entre égalitarisme et « droit à la différence » néo-droitier. Mais, comme dans « une mystification politique : les identités particulières » (dont, il faut bien l’admettre, nous n’avons pas encore rédigé de critique appropriée), J.W. jette le bébé avec l’eau du bain avec désinvolture. Critiquer le « lesbianisme radical » n’est pas nier l’existence d’une hétéronorme dans la plus grande partie du monde et de la société, ni le féminisme matérialiste ; rejeter la vulgate végan ou l’antispécisme néo-benthamien (beaucoup plus complexe que la caricature qui en est faite) ne veut pas dire se rallier au spécisme ordinaire; et ainsi de suite. La culpabilisation des Individus est une mauvaise méthode, soit ; mais l’absence d’analyse correcte sur les formes de domination sexuelles, raciales, spécielles n’est pas non plus correct.

Surtout, il ne paraît pas absolument évident que ces luttes particulières, quelques soient leurs limites, s’adressent particulièrement à l’état. Dans la plupart des cas, elles se placent même au niveau du mode de vie, des choix d’existence, donc d’une critique en actes de la vie quotidienne : préférences sexuelles, choix alimentaires, refus en tous genres. La critique principale qui est exprimée sur cette forme d’engagement est le risque de repli sur soi, de retrait des luttes. C’est une critique fondée, mais elle ne doit pas non plus mener au désengagement : cela aboutirait à une nouvelle forme de séparation (schizophrénie, dirait sans-doute Philippe Coutant) entre l’Individue-quotidien et l’Individue-militante, donc à une nouvelle forme d’aliénation (l’Individue séparée de sa production). C’est précisément cette unité (réintégration, si j’ose dire) entre le quotidien et le militant, entre l’action sur soi et l’action vers les autres, qui est le levier de la transformation sociale, en tant qu’anticipation d’une autre société, d’autres rapports sociaux. Il n’en repose pas moins sur une autre forme de séparation, entre le but à atteindre (la société future) et la réalité présente dans toute son horreur. C’est cette distance qui est le creuset de tous les errements, de l’activisme au replis sur soi. C’est cette question dont nous avons esquissée l’analyse dans « Arlequin anarchiste », sans d’ailleurs apporter une réponse très satisfaisante.

Il s’ensuit que le texte sur « l’Etat-réseau » est miné par cette faiblesses. Les « identités particulières » sont à la fois surévaluées dans leur importance sociétale et dans leur caractérisation politique. Les lesbiennes féministes ne représentent guère un lobby très puissant – à l’inverse, par exemple, du Syndicat national des entreprises gaies – et les antispécistes ne sont que quelques dizaines de militants réellement actifs dans toute la France, en comptant large, pour ne reprendre que ces deux exemples. Du même coup, le lien entre les deux parties du texte, c’est-à-dire entre l’Etat-réseau et l’individu démocratique, n’est pas assuré de manière solide.

De cette deuxième partie, je ne peux retenir que l’appel final à « rendre compte du monde, à le rendre intelligible ». Encore cette proposition tombe-t-elle sous le même défaut que « Arlequin anarchiste » : la théorie, l’analyse, la formation sont des choses nécessaires pour avancer, mais que faire lorsque les anarchistes, dans leur majorité, n’en veulent pas, ou se contentent de formules vagues et de discussions creuses – du moins à notre goût ? Ce n’est pas une question simple, car on ne la résoudra pas en se répandant en imprécations. Il nous faut d’abord comprendre le pourquoi de ce rejet tacite.

7) Sur le fil du temps

Que le fil historique qui relie les mouvements révolutionnaires d’une génération sur l’autre soit rompu, cela ne fait aucun doute. De la génération des années 1920, il n’y a plus guère de survivants, et ils n’étaient qu’une poignée à transmettre ce fil, plus souvent à des étudiants qu’à des ouvriers. Ce n’est ni la première, ni sans doute la dernière fois. On sait avec quelle passion quelques ouvriers et étudiants des années 1820 ont redécouvert chez les bouquinistes les livres oubliés d’une Révolution qu’on leur avait cachée, dont on leur avait obscurci la mémoire. Le vieux Bonneville, qui avait décliné toute charge politique pour rester toujours un agitateur social, un journaliste révolutionnaire, un éditeur et un pamphlétaire de la gauche girondine, un Illuminé à l’heure où ce mot désignait la plus radicale des organisations révolutionnaires, a vécu ses derniers jours comme libraire, rencontrant les étudiants romantiques et leur transmettant la mémoire de la révolution vécue. On retrouvera cette figure à maintes époques depuis, et notamment en 1968. Mais ce fil ténu n’est pas transmis sous la forme d’une expérience, de sensations, de savoir-faire, de pratiques, mais seulement d’histoire et de théories. Il appartient à la génération qui les reçoit d’en extraire ce qui est utile aux luttes présentes, de débrouiller le vrai du faux, de synthétiser ceux dont les pensées s’ignoraient, consciemment ou non, de constituer son propre système d’analyse du monde réel.

Nous avons refusé, en créant le Cercle social, de nous revendiquer d’une quelconque filiation, d’un courant politique prééxistant. Au fil des textes lus et écrits, nous recevons les influences croisées de l’universalisme révolutionnaire de Klootz, Paine et Bonneville ; de l’anarchisme communiste de Kropoktine et Reclus ; de l’individualisme – dont les groupes ouvriers néo-malthusiens constituent l’une des meilleures réalisations ; du conseillisme d’Anton Pannekoek à Henri Simon ; du marxisme dans sa relecture « autonome » et « social-barbare », c’est-à-dire subjectiviste ; du situationnisme ; du féminisme radical ; mais aussi, sans aucun doute, de l’anarcho-punk, ce courant diffus, sans figures et sans textes phares, tout en pratique et en énergie. Nous parlons volontiers de mondialisme révolutionnaire, et il nous semble que cette appelation, avec tous les défauts d’une « étiquette » reflète assez bien notre exigence d’une transformation sociale mondiale, dépassant et détruisant un capitalisme global, négation et dépassement de la globalisation capitaliste. Tension vers l’universel…

T.Cr. écrit : « Par passion pour la révolution et par fidélité à certains de ses moments antérieurs, nous donnons à cet universel le nom de communauté humaine (…) ». J’avoue, une fois de plus, ma plus grande méfiance à l’égard de toute forme de communauté. Une révolution  crée, à sa manière, une forme de communauté voulue, choisie par toutes celles qui y participent. Mais tôt ou tard, des enfants naissent dans ce monde transformé, dans cette société nouvelle. Ils héritent de cette communauté sans avoir à la créer, du moins dans ses bases. Cette communauté, avec ses normes nouvelles et « libres », sera leur carcan, avec tout le poids du passé qui pèsera sur eux. Tout ce que je leur souhaite, c’est d’aller plus loin encore, au delà des visions incertaines que nous avons de cette société, au-delà des erreurs que les révolutionnaires ne manquerons pas de commettre. Révolution permanente, communisme comme mouvement : la place des révolutionnaires est dans l’opposition, « avant » comme « après » la révolution. Dans ce cadre, la communauté ne peut être qu’une mystification de plus.

Que faire en attendant l’universel ? demande Philippe Coutant. Le « travail » d’analyse que les révolutionnaires peuvent mener aujourd’hui, c’est précisément d’essayer de dégager ce qui dans les luttes actuelles, dans l’évolution actuelle du monde, tend vers un dépassement des frontières, des barrières, des « enclosures », empêche la réalisation d’un monde nouveau ; rejeter tout ce qui nous ramène vers le passé, vers la division de la planète et des humains ; plus encore, tout ce qui nous sépare de nous-même, tous ce qui nous empêche de vivre non seulement en soi, mais pour soi. Et sur le « terrain », saper le capital à la base même de sa production, en « valorisant » le refus du travail.

    Nicolas (11/01)

[1] Voir l’analyse de Gérard Bad sur le même principe d’externalisation gratuite dans les banques, dans sa brochure « la sphère de circulation du capital », Echanges 2001.

[2] Voir les travaux de Massimo de Angelis et de l’équipe qui publie « The Commoner » à propos des « nouvelles enclosures ».

[3] L’état dans la société capitaliste.

[4] Cependant, je ne connais pas bien la problématique développée par « Temps Critiques » sur ce point. Certains articles étant difficiles à trouver, serait-t-il possible de les envoyer sur la liste de discussion ?

[5] Cf. la problématique développée par « Théorie Communiste » sur ce sujet. 

[6] Deux analyses libertaires sur la question bretonne, DLM n° 5

[7] Comme le rappelle justement J.W. dans son dernier courrier, sur lequel je reviendrais plus tard.

[8] « Pour une histoire de la résistance ouvrière au travail. Paris et Barcelone pendant le Front populaire français et la révolution espagnole. 1936-1938 », Echanges 2001.